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Projet de loi sur la Journée internationale de la langue maternelle

Deuxième lecture

9 décembre 2021


L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Propose que le projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle. Cette journée n’est pas une fête légale ni un jour non ouvrable.

Honorables sénateurs, je tiens d’abord à dire que ce projet de loi est important, et pas uniquement pour les personnes qui parlent plusieurs langues.

C’est un outil important pour renforcer les valeurs fondamentales du Canada que sont l’inclusion, l’ouverture, l’équité et le respect de tous et de toutes les identités. Je crois fermement en ces valeurs. C’est pourquoi le projet de loi sur les langues maternelles me tient très à cœur. Il désignerait par voie législative le 21 février comme la Journée internationale de la langue maternelle dans l’ensemble des provinces et des territoires du Canada, comme l’ont déjà fait les Nations unies et beaucoup d’autres pays partout dans le monde.

Célébrer une langue maternelle me tient grandement à cœur. Toute ma vie, les langues ont été au centre de ma propre identité et de l’identité collective de ma famille au Canada.

Petite fille, on m’a appris à être fière de ma langue maternelle, le kutchi. Cela faisait partie de moi et je parlais le kutchi.

Aujourd’hui, en tant que femme ismaélienne d’origines africaines et sud-asiatiques née en Ouganda, qui a étudié en Angleterre et au Canada et qui s’est établie à Vancouver, l’emploi du kutchi fait encore partie de ma réalité et de mon identité de Canadienne. En tant que mère et grand-mère, je continue la lutte de la reconnaissance de toutes les langues maternelles.

Je me bats plus particulièrement pour tous les jeunes qui sont passionnés par leur langue maternelle et qui en sont fiers.

Je me bats pour que tous les jeunes, y compris mes petits-enfants et mes arrières-petits-enfants à naître, sachent que leur langue maternelle est à la base de leur identité. Mon fils a appris notre langue et a trouvé de nombreux emplois parce qu’il parle kutchi.

Au fil de mes rencontres avec les jeunes Canadiens, je trouve le courage de poursuivre mon combat pour la reconnaissance, l’appréciation et la célébration de toutes les langues maternelles parlées au Canada.

Chaque jour, mon petit-fils Ayaan m’inspire et me rappelle de poursuivre mon combat. J’aimerais vous communiquer ce qu’il a présenté au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au sujet de l’importance du précédent projet de loi présenté à ce sujet et de l’actuel projet de loi. Je le cite :

Je m’appelle Ayaan Jeraj et je suis en 9e année à l’école Prince of Wales de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Ce projet de loi est très important pour moi, car mes parents et mes grands-parents nous incitent ma sœur et moi à utiliser notre langue maternelle.

[...] je ressens la force de mes liens avec ma famille, mes amis et mon pays quand je peux parler kutchi. Le projet de loi permettra à toutes les personnes au Canada, de tout âge, de parler dans leur langue maternelle.

Ma sœur et moi parlons tous les deux anglais et français, et nous voulons aussi nous assurer de pouvoir parler en kutchi.

Sénateurs, en reconnaissant officiellement le 21 février comme « Journée internationale de la langue maternelle », nous apprendrons à mieux nous connaître et à connaître les divers points de vue des Canadiens. Il s’agit là de notre identité.

J’ai entendu une autre histoire émouvante de la part d’une jeune personne. Elle se nomme Anushua Nag et, comme beaucoup d’entre vous le savent, elle travaille pour le sénateur Dalphond. Quand elle a entendu parler de ce projet de loi, elle a communiqué avec moi pour me dire pourquoi il était si important pour elle de parler sa langue maternelle et combien ce projet de loi comptait pour elle.

Je suis une enfant d’immigrants du Bangladesh, et je suis moi-même une immigrante bangladaise, mais ma langue maternelle n’est pas le bengali. En fait, la première langue que j’ai apprise à parler est le sylheti.

Il n’a pas fallu longtemps avant que je perde la capacité de communiquer correctement en bengali, mais le sylheti demeure pour moi le principal moyen de communication qui me permet d’entretenir un lien avec mes parents, qui me sont très chers.

Il m’est difficile de limiter mon identité à une seule langue, même lorsqu’on me demande sur un formulaire de confirmer ma langue « préférée ». Avec mon conjoint à la maison, je parle anglais. Avec mon frère, je parle français. Et surtout, avec mes parents, je parle le sylheti. Je m’identifie à ces trois langues, chacune pour des raisons très différentes.

Les propos d’Anushua devraient nous rappeler que notre langue maternelle fait partie de notre identité.

Malheureusement, nous continuons de voir la souffrance vécue au Canada et dans le monde en raison des répercussions de la pandémie à laquelle nous sommes tous confrontés. Malgré nos différences, j’estime qu’il est primordial que nous continuions à nous aimer et à nous comprendre mutuellement.

En tant que femme qui a dû fuir son pays pour venir au Canada, je me réveille chaque jour en étant fière de faire partie de ce grand pays. Pourtant, je sais que cette gratitude ne peut éclipser la conscience que j’ai des problèmes que les personnes racialisées, et en particulier les Autochtones, subissent au quotidien.

Pendant la pandémie, nous avons assisté à un éveil des voix, des idées et des points de vue autochtones dans notre société collective canadienne. Récemment, les manifestations et marches pour la justice qui ont eu lieu partout au pays nous ont rappelé pourquoi il était si important que tous les Autochtones soient acceptés lorsqu’ils parlent leur langue maternelle avec leurs amis, avec leur famille élargie, avec leurs communautés et surtout lorsqu’ils disent la vérité à ceux qui sont au pouvoir.

À juste titre, nous ne vivrons plus jamais de la même façon la plupart de nos célébrations traditionnelles au Canada. Nous devons composer avec notre passé, afin de pouvoir tracer un meilleur chemin pour le présent et pour l’avenir.

Ce périple est en grande partie composé de petits pas qui symbolisent la vérité et la réconciliation. Je pense que ce projet de loi est un pas à la fois modeste et important dans notre périple.

À l’heure actuelle, aucune loi ne protège ou ne promeut explicitement les langues autochtones, en dehors des langues officielles que sont l’anglais et le français. Sans projet de loi pour reconnaître et célébrer explicitement les langues maternelles qui sont le berceau de toutes nos cultures et de notre patrimoine, il n’y a pas de réelle protection des langues traditionnelles.

À l’heure où je vous parle, on parle au Canada plus de 60, voire non moins de 70 langues autochtones uniques. Tragiquement, de nombreuses autres sont disparues. Chaque fois qu’une langue disparaît, une partie de notre identité canadienne disparaît avec elle. Malgré les efforts louables déployés par le gouvernement au moyen du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, de toutes les langues autochtones relevées, seulement quatre sont considérées comme étant à l’abri de la disparition.

C’est dans ma province, la Colombie-Britannique, que sont parlées plus de la moitié des langues autochtones au Canada. Malheureusement, seul 1 Autochtone sur 20 dans cette province parle couramment sa langue, et la plupart de ces Autochtones sont des aînés. Bon nombre des langues autochtones remontent à des milliers d’années, mais elles pourraient être sur le point de disparaître. Nous, les Canadiens, n’avons pris aucune mesure jusqu’à présent pour remédier à cette situation.

Alors que nous poursuivons nos démarches sur le chemin de la réconciliation au Canada, un projet de loi sur la langue maternelle constitue un moyen tangible pour le gouvernement fédéral d’honorer sa promesse de longue date de forger une relation solide de nation à nation avec les Autochtones, notamment les Premières Nations, les Inuits, les Métis et les Indiens non inscrits.

En se dotant d’un projet de loi sur la langue maternelle, le Canada reconnaîtrait ouvertement les contributions de l’ensemble des langues autochtones parlées au pays et dans les territoires ancestraux ainsi que le rôle que chacune joue en permettant aux Autochtones de s’exprimer librement dans la langue qui leur a été donnée à la naissance.

Honorables sénateurs, au cours de la dernière année et demie, j’ai véritablement ressenti la force des liens qui m’unissent à ma famille, à mes amis et à mon pays lorsque je leur ai parlé dans ma langue maternelle.

C’est pourquoi je suis d’avis que la Journée internationale de la langue maternelle est plus qu’un projet de loi. C’est une journée pour célébrer la liberté de communiquer dans sa langue maternelle. C’est notre identité. Les langues nous permettent de bâtir des relations nouvelles et uniques et favorisent l’échange d’histoires inédites et de contes de spiritualité, de compassion et d’humanité.

En particulier, alors que nous commençons à voir la lumière au bout du tunnel douloureux de la pandémie, il est vraiment réconfortant de pouvoir parler dans ma langue maternelle sur Zoom tous les samedis matin à ma famille élargie partout dans le monde. Ces conversations sont d’une très grande importance pour moi, et mon vœu le plus cher est de voir chaque Canadien se sentir libre non seulement de parler sa langue maternelle, mais aussi d’en être fier.

C’est pourquoi je reviens à la charge aujourd’hui. Je veux que vous sachiez tous que je vais persévérer jusqu’à ce que ce projet de loi soit adopté.

Honorables sénateurs, j’ai un très long discours que je fais depuis cinq ans. Cependant, comme vous pouvez le voir, mon discours d’aujourd’hui est beaucoup plus court. Je m’en voudrais toutefois de ne pas saluer ma collègue la sénatrice Salma Ataullahjan. Sénatrice Ataullahjan, nous allons toutes les deux faire le même discours pour la cinquième fois.

J’espère que cette fois, honorables sénateurs, vous appuierez le projet de loi. Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Honorables sénateurs, je suivrai l’exemple de la sénatrice Mobina Jaffer : je crois que mon discours durera deux minutes et demie.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle. Le projet de loi S-214 est une mesure législative visant à désigner le 21 février Journée internationale de la langue maternelle. J’aimerais remercier la sénatrice Jaffer d’avoir présenté à nouveau ce projet de loi et de me donner encore une fois l’occasion de parler de l’importance de la diffusion des langues maternelles.

En tant que pays ayant le multiculturalisme comme élément central, nous devons reconnaître et comprendre l’importance de la préservation de toutes les langues maternelles. Le professeur Wade Davis l’a exprimé avec plus d’éloquence que moi quand il a affirmé dans le magazine Canadian Geographic :

Une langue, il va sans dire, n’est pas qu’un simple ensemble de règles grammaticales ou un vocabulaire. C’est un éclair de l’esprit humain, le véhicule par lequel l’âme d’une culture s’arrime au monde matériel. Chaque langue est une forêt ancienne de l’esprit, un bassin versant de la pensée, un écosystème de possibilités sociales, spirituelles et psychologiques. Chaque langue est une fenêtre sur un univers, un monument à la culture qui l’a vue naître et dont elle exprime tout l’esprit.

Je connais très bien la corrélation entre ma langue maternelle et mon identité. Pour moi, parler pachtou est plus qu’un moyen de communication : cela me relie à mes ancêtres et me permet de comprendre la littérature, l’art et la poésie de ma patrie.

C’est pour ces raisons que je me suis fixé comme priorité d’enseigner ma langue maternelle à mes deux filles, Anushka et Shaanzeh. Ce faisant, j’ai pu partager avec elles une part de mon identité, de mon histoire et de ma culture. Le fait de pouvoir communiquer dans notre langue maternelle a eu une influence positive sur la vie de mes filles et sur la mienne, ce qui vaut la peine d’être célébré chaque année, le 21 février.

Évidemment, nous ne pouvons pas parler de l’importance de préserver les langues maternelles au Canada sans penser aux populations autochtones, dont beaucoup ont été dépouillées de leur langue maternelle. Honorables sénateurs, on ne peut sous-estimer l’importance des langues maternelles, car nous savons que, lorsqu’une langue meurt, le savoir et le patrimoine qu’elle contient meurent avec elle, dévalorisant à jamais notre société dans son ensemble.

En tant que parlementaires, nous devons encourager les Canadiens à célébrer et à préserver notre diversité linguistique. Le projet de loi S-214 concrétise ces aspirations en sensibilisant la population à l’importance des langues maternelles et en faisant la promotion de leur enseignement.

En conclusion, je demande aux honorables sénateurs de tenir compte des questions posées par le professeur Wade Davis :

Toutefois, qu’en est-il de la poésie, des chansons et du savoir encodés dans les autres voix, ces cultures qui sont les gardiennes et les intendantes de 98,8 % de la diversité linguistique du monde? La sagesse d’un aîné autochtone est-elle moins importante simplement parce que celui-ci la communique à un auditoire composé d’une seule personne?

Sénatrice Jaffer, merci de votre travail infatigable à l’égard de ce projet de loi ou, comme on le dit dans ma langue maternelle, manana. Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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