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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

22 mars 2022


Propose que le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-224, qui vise à faciliter la condamnation de ceux qui sont accusés d’infractions relatives à la traite de personnes. Ce projet de loi modifiera la définition d’exploitation prévue au Code criminel lorsqu’il est question d’infractions liées à la traite de personnes, de sorte que la Couronne n’ait plus à démontrer qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que la victime craindrait pour sa propre sécurité ou pour celle d’une personne qu’elle connaît. Le fardeau de la preuve incombera ainsi à l’auteur de l’infraction plutôt qu’aux survivants.

Le projet de loi S-224 n’est pas partisan. Il s’agit de protéger de jeunes Canadiens vulnérables contre des prédateurs qui exploitent leurs espoirs et leurs rêves pour en tirer un avantage personnel. À l’heure actuelle, le processus judiciaire compte un faible nombre de poursuites visant la traite de personnes. Cette situation est traumatisante pour les victimes, sur qui repose le fardeau de la preuve.

Selon la définition actuelle du Code criminel, une personne est exploitée seulement si la crainte constitue un facteur déterminant dans son exploitation. Je cite :

[...] une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir — ou à offrir de fournir — son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.

Cependant, comme je vais le démontrer aujourd’hui, la traite des personnes est plus complexe que cela. Sa définition doit donc s’appuyer sur les agissements de l’auteur de l’infraction, et non sur l’expérience de la victime.

En modifiant le Code criminel pour tenir compte de la définition internationale de la « traite des personnes » qui est contenue dans le Protocole de Palerme, nous permettons à la Couronne de condamner efficacement les coupables de cette infraction. Selon le Protocole de Palerme, la traite des personnes comporte trois éléments : l’acte, les moyens utilisés et les fins recherchées. La traite des personnes désigne l’acte de recruter, de transporter, d’héberger et d’accueillir une personne au moyen de la contrainte, de l’abus d’autorité ou de la tromperie aux fins d’exploitation. Ce n’est pas reflété dans le Code criminel du Canada.

Le Protocole de Palerme a été adopté en 2000, lors de la 55e session de l’Assemblée générale des Nations unies, et compte 117 signataires, y compris le Canada. Pourtant, 22 ans plus tard, c’est un autre exemple de promesses du Canada qui n’ont pas été suivies de gestes concrets. Le projet de loi propose d’enlever la notion de crainte conformément à la définition internationale de la traite des personnes qui est contenue dans le Protocole de Palerme.

Dans sa version actuelle, le Code criminel attribue aux victimes ou aux survivants la responsabilité de fournir un témoignage convaincant pour prouver la validité de leur expérience. Ce changement petit mais puissant permettra à la Couronne de condamner les coupables de la traite des personnes. Je prends la parole aujourd’hui pour les survivants de la traite des personnes, pour leurs familles, pour les jeunes Canadiens vulnérables et pour ceux qui sont actuellement victimes d’exploitation à la vue de tous.

Le projet de loi S-224 n’est donc pas un projet de loi partisan. Il vise à protéger les jeunes Canadiens vulnérables contre les prédateurs qui exploitent leurs espoirs et leurs rêves pour en tirer un avantage personnel.

C’est un projet de loi important. La traite des personnes est une forme d’esclavage moderne, qui est en hausse partout dans le monde. On estime son nombre de victimes à 40 millions. C’est une pratique qui repose sur le mauvais traitement, la coercition et l’exploitation de jeunes victimes à des fins sexuelles ou de travail. Les trafiquants abordent les victimes de diverses façons, notamment en les convainquant qu’ils pourraient devenir leurs amis ou leurs petits amis, en communiquant avec elles sur les médias sociaux, en publiant des offres d’emploi ou même en les menaçant ou en les enlevant. Ils leur promettront de l’argent, des vêtements, du travail, une éducation ou une aide financière pour leur famille. Les victimes ne se rendent souvent pas compter que les trafiquants n’ont pas leurs intérêts à cœur.

Au Canada, la géographie et la disposition des routes aident les trafiquants à éviter d’être détectés par les forces de l’ordre et à garder le contrôle sur leurs victimes isolées et désorientées. Malgré la croyance populaire voulant que les victimes de la traite des personnes viennent de l’extérieur du pays, la plupart d’entre elles sont de jeunes Canadiennes. Près de la moitié d’entre elles viennent d’une autre ville dans la même province, et 60 % d’entre elles proviennent de l’Ontario.

Les trafiquants se servent des grands axes routiers pour acheminer leurs victimes le long de la Transcanadienne et de l’autoroute 401. On peut trouver de nombreux clients consentants près des chantiers des exploitations pétrolifères et les trafiquants se servent du marché du sexe en ligne de la province. En Ontario, cette pratique est si courante sur les routes 11 et 17 qu’il est fort probable que vous ayez déjà croisé un véhicule de location entre Sudbury et Thunder Bay, dans lequel un trafiquant transportait sa victime depuis le nord de l’Ontario vers Winnipeg.

Comme je l’ai mentionné, les trafiquants recrutent souvent leur victime avec de fausses promesses, mais ils ont aussi recours aux menaces et à la violence pour les faire plier. Il est déchirant d’entendre parler de la façon dont ils exploitent la vulnérabilité, en ciblant de jeunes personnes qui sont itinérantes, qui ont des problèmes de toxicomanie ou de dépendance, ou qui ont subi des traumatismes, de la maltraitance ou de la violence.

Parmi les groupes les plus exposés aux risques, on trouve les femmes et les filles, les nouveaux immigrants, les enfants faisant partie du système de protection de l’enfance, les personnes vivant avec un handicap, la communauté LGBTQ2+ et les travailleurs migrants. Ces Canadiens passent déjà entre les mailles du filet.

Les plus vulnérables sont les enfants autochtones qui portent le poids de traumatismes intergénérationnels depuis des centaines d’années. En 2014, les Autochtones représentaient 4 % de la population et constituaient pourtant la moitié des victimes de la traite. Il est si fréquent que de jeunes filles autochtones se fassent recruter que de nombreuses victimes ayant survécu ont témoigné que des hommes attendaient la nuit dans les stations d’autocars Greyhound pour les approcher et leur proposer un endroit pour se mettre à l’abri. Une de ces survivantes a même déclaré qu’à 16 ans, elle pensait qu’il était normal de se faire frapper par des hommes.

Les trafiquants se servent également de leurs victimes pour faire leur sale boulot et recruter d’autres personnes vulnérables, leur promettant, souvent, un moyen de s’en sortir en échange. Cela montre le degré de manipulation, de peur et de détournement cognitif avec lequel les victimes doivent composer au quotidien.

Par ailleurs, les médias sociaux facilitent malheureusement le recrutement de jeunes Canadiens et d’enfants. Les pédophiles peuvent communiquer avec jusqu’à 100 enfants l’heure au moyen d’applications telles que TikTok et Instagram.

Se sortir d’une telle exploitation demande du courage, de la détermination et, souvent, une aide de l’extérieur. De nombreux survivants travaillent inlassablement pour aider les victimes à échapper à leurs trafiquants. Malheureusement, il arrive souvent que ces dernières craignent les forces de l’ordre ou s’en méfient, et il faut parfois jusqu’à 18 tentatives pour se sortir définitivement de la traite de personnes. Pis encore, cela peut facilement prendre jusqu’à deux ans avant qu’un adulte se rende compte qu’un jeune de son entourage se fait exploiter sexuellement. C’est ce qui s’est produit dans le cas de Clementine, une adolescente de Montréal qui a été exploitée pendant un an avant que ses parents ne remarquent un comportement étrange chez elle et des cicatrices inquiétantes sur son corps. Elle avait bien souhaité s’en sortir maintes fois, mais elle n’avait pas osé parce qu’un trafiquant menaçait de tuer sa famille et son chien.

Il n’est donc pas surprenant que les trafiquants considèrent la traite de personnes comme étant une activité très avantageuse présentant peu de risques. En effet, elle rapporte chaque année aux auteurs de ce crime environ 32 milliards de dollars américains, et très peu de cas au Canada font l’objet de poursuites judiciaires menant à un gain de cause pour la victime. En fait, selon Statistique Canada, moins de 8 % des personnes accusées de traite de personnes sont poursuivies en justice.

En outre, on met trop de responsabilités sur les épaules de personnes qui ont enduré des choses inimaginables. La majorité des survivants ne s’identifient pas comme victimes en raison de la manipulation et du détournement cognitif. Ces personnes peuvent croire que leur trafiquant se soucie d’elles. Nous leur devons l’aide et les soins dont elles ont besoin plutôt que leur demander de prouver à la barre qu’elles craignent pour leur vie, souvent à quelques mètres de leur trafiquant. Les victimes sont habituellement la seule preuve contre les trafiquants. Sans leur témoignage, la Couronne ne peut aller de l’avant. Les témoignages démontrent que le modèle axé sur la peur constitue le principal obstacle à la déclaration de culpabilité et que pour la victime, l’expérience est plus traumatisante qu’être forcée à se livrer au commerce du sexe, car elle doit revivre son cauchemar pendant l’audience préliminaire, puis au procès.

Pendant le contre-interrogatoire, il est courant que l’avocat de la défense déforme les paroles des victimes et les accuse de mentir. Nous nous rappelons tous que lors d’un procès pour agression sexuelle, un juge d’un tribunal fédéral, en Alberta, avait demandé à une victime « Pourquoi n’avez-vous pas simplement serré les genoux? » Comme vous pouvez l’imaginer, une telle attitude peut amener les victimes à se rétracter ou à simplement abandonner la poursuite. Dans le contexte du Code criminel actuel, la preuve repose davantage sur la capacité de la victime de faire bonne figure à la barre des témoins que sur le crime commis par l’accusé. Par conséquent, les accusations de traite des personnes sont souvent abandonnées et les trafiquants sont accusés de crimes connexes, notamment d’infractions liées à la prostitution, d’enlèvement, de voies de fait, d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle. Justice n’est pas rendue. Cette approche ne contribue certainement pas à prévenir et à éliminer la traite des personnes et à punir les individus qui se livrent à ce commerce.

Avant de conclure, je dois saluer le formidable travail qu’ont fait les députés Carrie et Viersen pour faire cesser la traite des personnes au Canada. Je les remercie tous deux de leur travail acharné sur le projet de loi d’initiative parlementaire initial sur la traite des personnes, une mesure que j’ai maintenant le privilège de présenter à la Chambre rouge.

Honorables sénateurs, il y a 22 ans, le Canada a accepté — à l’instar de 116 autres États — de prévenir, d’éliminer et de sanctionner la traite des personnes, particulièrement des femmes et des enfants. Or, il incombe encore aux victimes de prouver leur peur. Chers collègues, comment une personne peut-elle prouver qu’elle a peur?

Cette mesure législative vise à éliminer un obstacle dans la poursuite des individus qui font la traite de personnes. Une simple modification au Code criminel permettra aux victimes et aux survivants de finalement obtenir davantage de justice et, espérons-le, la sécurité nécessaire pour guérir et refaire leur vie.

Honorables sénateurs, en éliminant cette barrière — l’élément de la peur —, nous pourrons enfin nous attaquer aux plus grands défis posés par la traite des personnes au Canada. Il s’agit d’une première étape cruciale pour mettre un terme à cette pratique horrible dans notre pays. Merci.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ + ]

Merci, madame la sénatrice. Je vous félicite pour ce projet de loi très important.

En 2015, nous avons adopté le projet de loi C-452, parrainé par Mme Mourani à l’autre endroit; j’en étais le parrain au Sénat. Ce projet de loi serrait la vis aux exploiteurs dans les cas de traite de personnes et d’exploitation sexuelle de mineurs. Une des dispositions du projet de loi, qui proposait des sentences plus sévères, n’a jamais été mise en œuvre par M. Trudeau, car il considérait cette disposition inhumaine pour les exploiteurs. Le projet de loi C-5, que nous étudierons un jour dans cette Chambre, permettra notamment de décriminaliser les enlèvements. Ne croyez‑vous pas que ce projet de loi va à l’encontre des actions que le gouvernement a posées en ce qui a trait à l’exploitation de ces personnes?

Merci, sénateur, de votre question. Je suis d’accord avec vous. Je me souviens de ce projet de loi. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement a fait ce qu’il a fait. Nous devons intervenir et veiller à ce que les gens qui commettent des crimes ou qui enlèvent de jeunes femmes pour leur faire subir des agressions sexuelles soient punis.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Oui.

La sénatrice Pate [ + ]

J’ai été surprise d’entendre votre réponse à cette question. Pourriez-vous m’indiquer la disposition du projet de loi C-5 qui décriminalise l’enlèvement?

Je suis désolée, sénatrice Pate. Je n’ai pas de réponse à vous donner, mais je peux faire des recherches et vous revenir avec une réponse.

La sénatrice Pate [ + ]

Merci.

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