Projet de loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l'expression créatrice au Canada
Deuxième lecture--Suite du débat
29 mars 2022
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui, à titre de porte-parole, au sujet du projet de loi S-208, Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada. D’entrée de jeu, je félicite la sénatrice Bovey d’avoir présenté une mesure législative si complète et si ambitieuse.
Comme certains d’entre vous le savent peut-être, la peinture est l’un de mes passe-temps. C’est une activité qui me tient à cœur car elle me permet d’exprimer ma créativité tout en m’apportant la sérénité dont j’ai grandement besoin en cette période très chaotique.
Compte tenu de la conjoncture économique, où les familles canadiennes peinent à joindre les deux bouts à cause de l’augmentation des prix, je ne peux m’empêcher de me préoccuper pour les esprits créatifs du pays. Comment les artistes peuvent-ils s’épanouir, alors qu’il semble que nous n’avons fait que survivre depuis deux ans? Le bureau de la sénatrice Bovey a rencontré plus de 600 artistes de tout le pays pour mieux comprendre leur réalité. Les groupes de réflexion formés de jeunes ont révélé que les jeunes Canadiens ne considèrent pas les arts comme un avenir viable et qu’ils ont abandonné les moyens traditionnels de financer leur travail.
Les artistes ont toujours compté sur le travail à la demande et les subventions pour joindre les deux bouts. Cela veut dire, par exemple, qu’un violoniste de formation classique qui peaufine son art depuis l’âge de quatre ans au prix de grands sacrifices et qui a obtenu un diplôme en musique d’une université reconnue divise normalement son temps entre les concerts donnés par un orchestre professionnel local, les cours particuliers offerts pendant la semaine et les contrats avec son ensemble pour des mariages, la fin de semaine. Encore faut-il qu’il ait de la chance. L’équilibre travail-vie privée est pour ainsi dire inexistant, et beaucoup d’artistes cumulent les emplois au salaire minimum pour joindre les deux bouts. Ils peuvent aussi passer des mois à préparer des demandes de subvention au Conseil des arts du Canada, mais le rendement du temps investi n’est jamais assuré. Il va sans dire que beaucoup changent de carrière en cours de route.
Ceux qui n’ont pas eu le privilège de recevoir une éducation formelle sont souvent ignorés, car le domaine des arts, comme beaucoup d’autres domaines de la société, a ses défenseurs qui cherchent à promouvoir l’excellence. Cela me rappelle la quête des artistes naïfs — connus pour ne pas accepter ou posséder l’expertise conventionnelle dans la représentation d’objets réels — qui peuvent ne pas maîtriser les méthodes formelles reconnues.
De nos jours, les esprits créatifs se tournent vers les médias sociaux pour gagner en visibilité et peut-être obtenir du financement de la part d’admirateurs ou de parrains. Certains créateurs canadiens ont véritablement réussi à briller en ligne au plus fort de la pandémie. C’est le cas de l’interprète de chant guttural Shina Novalinga, qui se sert de TikTok pour faire connaître des aspects de sa vie et de sa culture autochtone, grâce à des duos de chant guttural avec sa mère, au tressage traditionnel des cheveux et à la cuisine. Malheureusement, les plateformes de médias sociaux comme YouTube et TikTok peuvent diffuser le contenu des utilisateurs sans leur en attribuer le mérite ou les rémunérer. Selon moi, cela prouve que le gouvernement néglige les artistes canadiens.
Avant le congé d’hiver, j’ai parlé de la crise en Afghanistan et de la disparition de nombreuses formes d’art et de culture. J’ai encore un pincement au cœur quand je pense à des musiciens qui ont enterré leurs instruments, à des artistes qui ont abandonné leurs œuvres avant de fuir le pays, et à la persécution que vivront les gens qui sont restés, simplement parce qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’exprimer les mélodies qui sont le fondement de leur culture. Les vidéos montrant des talibans fracassant des instruments de musique devant des artistes étaient bien difficiles à regarder.
Au Canada, nous avons la chance d’avoir la liberté d’expression, mais notre société n’est pas bâtie pour prendre soin de ceux qui ont continué à nous faire rire pendant la pandémie, à nous faire danser dans nos cuisines, ou à nous permettre de nous évader dans un autre monde quand la réalité était trop dure. Certains artisans du milieu des arts de la scène tentent toujours tant bien que mal de gagner leur vie après la dernière flambée des cas causée par le variant Omicron. Comme l’a affirmé Arden R. Ryshpan, la directrice générale de la Canadian Actors’ Equity Association :
Juste au moment où nous pensions voir la lumière au bout du tunnel, il se trouve que cette lumière était un train qui fonçait sur nous.
Cela a mené à un exode de nombreuses personnes talentueuses du milieu artistique qui doivent occuper un emploi à temps partiel ou retourner aux études pour se recycler. À première vue, le projet de loi S-208 peut sembler trop ambitieux ou idéaliste. Cependant, l’essentiel de ce projet de loi consiste simplement à exiger du gouvernement qu’il tienne compte du milieu artistique dans le cadre de ses activités. Nous avons déjà parlé de l’importance de se fonder sur une analyse comparative entre les sexes plus pour que nos travaux tiennent compte de l’équité entre les sexes et de la diversité. D’ailleurs, en 1995, le gouvernement du Canada s’est engagé à se fonder sur cette analyse pour promouvoir l’équité entre les sexes au Canada, mais il n’y a pas de mesures législatives pour obliger le recours à ce genre d’analyse lors de l’élaboration de politiques.
Contrairement à ce qu’on a fait à l’égard de l’analyse comparative entre les sexes plus, le projet de loi S-208 obligerait les législateurs à tenir compte du milieu artistique en exigeant que le ministre du Patrimoine établisse un plan d’action pour que la déclaration soit appliquée de manière à ce que l’on puisse reconnaître le rôle essentiel des arts dans la société, accroître l’accès aux manifestations artistiques, favoriser la participation à des activités artistiques, faire en sorte que les artistes au Canada puissent bénéficier davantage de leur art et qu’ils soient protégés contre l’appropriation culturelle, éliminer les obstacles pour les personnes handicapées et encourager les investissements.
Pour ce faire, le ministre du Patrimoine sera appelé à consulter des intervenants clés, dont les ministres responsables du Travail, des Relations Couronne-Autochtones, de la Justice et de la Santé, ainsi que d’autres organismes et artistes concernés. Le ministre devra aussi tenir une conférence avec des intervenants et des ministres pour établir un plan d’action.
Le projet de loi S-208 concerne aussi la reddition de comptes et la transparence du gouvernement. À la fin de chaque exercice, le ministre doit produire un rapport expliquant la mise en œuvre du plan d’action et les activités entreprises par le ministère pour atteindre les objectifs de la déclaration, qui sont définis dans le projet de loi. Cela assure une évolution constante du plan d’action en identifiant ses progrès et ses lacunes.
Je crois que le projet de loi S-208 a de la valeur, notamment parce qu’il invite les ministres à travailler ensemble, puisque, comme chacun le sait, le gouvernement est reconnu pour travailler en vase clos. J’ai hâte qu’on étudie le projet de loi au comité pour mieux comprendre la large portée attribuée au ministre du Patrimoine, ainsi que la manière dont il sera mis en œuvre.
La Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada porte sur des questions spécifiques qui nécessiteront à coup sûr une étude plus approfondie, comme l’appropriation culturelle. Je crois que cela accélérera la mise en œuvre de l’article 11 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et j’espère que cette protection sera accordée à tous les artistes canadiens marginalisés. En outre, je me préoccupe de la consultation constante des artistes, qui sont déjà confrontés à la sous-évaluation de leur travail et de leur temps. À ce jour, certains mécènes continuent d’offrir de l’exposition plutôt qu’une rémunération adéquate aux artistes émergents.
Honorables sénateurs, bien que nous puissions ne pas tous parler la même langue, célébrer les mêmes fêtes ou partager les mêmes expériences, les arts transcendent ces différences. Je considère que le projet de loi S-208 est important pour notre avenir collectif. Les décisions que nous prenons aujourd’hui auront des répercussions sur notre manière de rebâtir le pays après la pandémie. Merci.