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La Loi interdisant les armes à sous-munitions

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

7 avril 2022


Propose que le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi interdisant les armes à sous-munitions (investissements), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, j’ai appris l’existence des armes à sous-munitions dans les années 1980, lorsque les troupes russes ont largué des armes à sous-munitions sur l’Afghanistan, laissant la campagne criblée d’engins non explosés jusqu’à ce jour.

Le projet de loi S-225, Loi interdisant les investissements dans les armes à sous-munitions, crée une disposition dans la Loi interdisant les armes à sous-munitions pour interdire les investissements dans une entité qui a enfreint une interdiction visant les armes à sous-munitions, les sous-munitions explosives et les petites bombes explosives.

Les armes à sous-munitions sont des armes conçues pour transporter et disperser de multiples sous-munitions ou petites bombes. Ces armes peuvent être larguées d’un avion ou tirées depuis le sol ou la mer par des roquettes ou des pièces d’artillerie. Elles sont conçues pour s’ouvrir en plein vol et libérer de dizaines à des milliers de sous-munitions qui ont la capacité de saturer sans discrimination une zone au sol pouvant atteindre la taille de plusieurs terrains de football. Toute personne se trouvant dans la zone de frappe des armes à sous-munitions, qu’elle soit militaire ou civile, a de fortes chances d’être tuée ou grièvement blessée.

De plus, toute munition qui ne s’active pas à l’atterrissage se transforme en mine terrestre, ce qui constitue une menace pour la population non seulement sur le coup, mais aussi pendant des décennies après la fin du conflit ou jusqu’à ce que les bombes aient été enlevées et détruites.

C’est la deuxième fois que je présente ce projet de loi. La fois où il a été le plus près de se concrétiser fut au cours de la première session de la quarante-deuxième législature, en juin 2017.

Je tiens à remercier la sénatrice Jaffer et l’ancienne sénatrice Hubley de leurs interventions dans le débat sur ce projet de loi en 2017. Vos réflexions, vos observations et vos expériences personnelles m’ont encouragée à redoubler d’efforts pour que l’on mette fin aux investissements dans les armes à sous-munitions au Canada.

Ma famille a été témoin des ravages causés par ces armes. Au plus fort de l’invasion de l’Afghanistan par la Russie, mon oncle, qui était chirurgien orthopédiste à Peshawar, au Pakistan, a traité d’innombrables victimes des armes à sous-munitions qu’on tentait désespérément de transporter en dehors de l’Afghanistan par tous les moyens, que ce soit à pied, à dos d’âne, en camionnette, en voiture ou en autobus, afin de les faire soigner.

Bien des années plus tard, des armes à sous-munitions tuent encore des gens en Afghanistan. Malheureusement, je crains que cette forme de violence dont nous avons été témoins par le passé puisse refaire surface en Ukraine.

Il y a quelques semaines, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a annoncé que, selon l’information crédible qu’il avait reçue, des forces russes auraient employé des armes à sous-munitions à plusieurs reprises dans des régions peuplées de l’Ukraine. La Cour pénale internationale a depuis ouvert une enquête sur de possibles crimes de guerre, et les témoignages recueillis auprès de personnes qui auraient survécu à des attaques à la bombe à sous-munitions sont à glacer le sang. Des experts croient également que de petites bombes à sous-munitions ont été employées lors d’une attaque ciblant une école maternelle dans la ville d’Okhtyrka.

Ces armes ne connaissent aucune frontière et elles ne font pas la différence entre les civils et les soldats en service actif. Des armes à sous-munitions ont été utilisées durant le conflit du Karabakh, qui a pris fin en novembre 2020. Encore là, les attaques perpétrées avec des armes à sous-munitions ont fait des victimes civiles, comme c’est le cas en Ukraine à l’heure actuelle.

À cet égard, le Bureau des affaires du désarmement des Nations unies a indiqué clairement que tous les types d’armes à sous‑munitions causent des dommages inacceptables aux civils.

Selon le Comité international de la Croix-Rouge, les armes à sous-munitions étant généralement à chute libre, elles peuvent frapper largement en dehors du périmètre cible si elles ne sont pas correctement utilisées ou qu’il y a du vent.

Pire encore, un grand nombre d’armes à sous-munitions n’éclatant pas comme prévu, elles peuvent empêcher ou entraver considérablement le retour des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du territoire. La menace latente de ces armes gêne également les efforts humanitaires, de paix et de développement, y compris le déminage et le désamorçage des armes à sous-munitions.

Travis était un caporal du Corps des Marines des États-Unis déployé en Irak. Après la fin des combats les plus durs, il décida de rester et de se porter volontaire pour l’enlèvement des bombes à sous-munitions qui n’avaient pas explosé ainsi que des mines terrestres. Le 2 juillet 2003, il a été tué par une arme à sous‑munitions qui n’avait pas explosé. Sa mère, Lynn, dénonce maintenant en ces termes l’utilisation des armes à sous-munitions :

Si même les militaires les mieux formés peuvent accidentellement être victimes de ces armes, comment pouvons-nous espérer que des civils retournent sur ces terrains parsemés de ces munitions sans en être victimes?

Honorables sénateurs, voilà notre plus grande crainte à propos du conflit en Ukraine.

Malgré la mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous‑munitions dans 26 États membres, qui ont depuis détruit leurs réserves d’armes à sous-munitions, il reste de nombreux obstacles à surmonter pour mettre fin à l’utilisation de ce type d’armes. Un total de 16 producteurs d’armes à sous-munitions ne se sont pas encore engagés à arrêter leur production, dont la Chine et la Russie. Par conséquent, des armes qui ne peuvent faire la distinction entre les combattants et les civils sont encore fabriquées et utilisées dans des conflits actifs un peu partout dans le monde et font qu’un nombre disproportionné de civils sont gravement blessés ou tués chaque année.

Selon l’Observatoire des mines et des armes à sous-munitions, au moins 360 personnes ont péri ou ont été blessées à la suite d’attaques commises avec des bombes à sous-munitions en 2020. Les restes de bombes à sous-munitions ont fait cinq fois plus de victimes que les attaques réelles. On a constaté avec tristesse que toutes les victimes recensées étaient des civils, dont près de la moitié étaient des enfants.

Les enfants courent un risque particulièrement élevé d’être victimes d’armes à sous-munitions, car ils confondent souvent avec des jouets les sous-munitions non explosées se trouvant sur le sol. En fait, les sous-munitions utilisées en Afghanistan avaient l’apparence de jouets attrayants que les enfants étaient tentés d’aller ramasser. L’Observatoire des mines et des armes à sous-munitions estime que 44 % des victimes de bombes à sous-munitions dans le monde sont des enfants. Le nombre d’enfants blessés ou tués par ces armes a augmenté depuis la dernière fois que j’ai parlé de ce projet de loi.

Comme je viens de le mentionner, attirés par leurs couleurs vives et leur apparence de jouet, les enfants activent souvent les munitions qui n’ont pas explosé en les prenant dans leurs mains, comme l’a fait Emam, 4 ans, qui est décédée des blessures qu’elle a subies après avoir ramassé une mini-bombe à sous-munitions, en 2016, à Alep-Est.

Le Canada a été parmi les premiers pays à signer la Convention sur les armes à sous-munitions en 2008. En septembre 2021, 110 États parties au total adhéraient aux interdictions complètes imposées par la convention. La convention, qui est entrée en vigueur le 1er août 2010, est le seul instrument international destiné à mettre un terme aux souffrances causées par les armes à sous‑munitions.

En 2015, le Canada a ratifié la convention et promulgué la Loi interdisant les armes à sous-munitions. Pourtant, la loi actuelle ne reflète pas notre engagement international et elle ne respecte pas les normes de la convention.

En septembre 2021, la Coalition contre les armes à sous‑munitions, un mouvement international de la société civile qui fait campagne pour éradiquer ces armes et les empêcher de causer encore plus de tort, a rapporté que six institutions canadiennes avaient investi un total de 5,75 millions de dollars américains dans des entreprises qui fabriquent des armes à sous-munitions.

Quand j’ai lu ce rapport, j’ai été choquée de découvrir que des institutions financières canadiennes continuaient d’investir dans la production de ces armes de guerre insidieuses et ce, après la publication d’un autre rapport en 2016 par le groupe néerlandais pour la paix PAX, qui avait révélé que quatre institutions financières canadiennes avaient investi 565 millions de dollars dans la fabrication d’armes à sous-munitions.

Honorables sénateurs, je crois que cela prouve que la mise au pilori d’institutions canadiennes continuant d’investir dans la fabrication d’armes à sous-munitions n’est pas suffisante pour respecter les engagements que nous avons pris aux termes de la convention. Nous avons besoin de mesures législatives plus rigoureuses. Sinon, il serait hypocrite de notre part de nous vanter du travail humanitaire accompli par notre pays à l’étranger.

J’ai été agréablement surprise d’apprendre que le processus et la substance de la Convention sur les armes à sous-munitions s’inspirent de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel, qui est entrée en vigueur à la fin des années 1990.

Le Canada a subitement mis fin à ses efforts pour éliminer les armes à sous-munitions au Laos en 2012, après avoir investi plus de 2 millions de dollars à cette fin entre 1996 et 2011. Par habitant, le Laos est le pays le plus gravement touché par les armes à sous-munitions. Il s’agit d’un héritage de la guerre du Vietnam, qui n’est pas unique au Laos. En effet, 29 pays demeurent contaminés par des armes à sous-munitions. En 2020, on a enregistré des décès attribuables aux restes d’armes à sous-munitions dans six autres pays, soit l’Afghanistan, le Cambodge, l’Irak, le Soudan du Sud, la Syrie et le Yémen. Malheureusement, je pense que nous ajouterons maintenant l’Ukraine à cette liste.

En continuant d’autoriser les institutions canadiennes et, par leur entremise, nos compatriotes à investir dans la fabrication d’armes à sous-munitions, nous sommes complices de ces morts et de ces blessures évitables.

Honorables sénateurs, l’investissement éthique est une question qui a gagné en importance aux yeux des Canadiens. En effet, 70 % des Canadiens croient qu’il est important d’investir dans des entreprises ayant un rendement solide sur le plan environnemental et social, ainsi que sur le plan de la gouvernance.

Les investisseurs canadiens eux-mêmes réclament une clarification de la question de l’investissement dans les armes à sous-munitions compte tenu de l’absence d’interdiction définitive dans la législation actuelle. Plusieurs personnes à qui j’ai parlé de ce projet de loi ont été surprises d’apprendre que notre législation ne prévoit pas l’interdiction explicite des investissements dans les entreprises qui fabriquent des armes à sous-munitions. De plus, ces personnes se sont dites très inquiètes que les institutions financières auxquelles elles ont confié leurs investissements puissent investir leur argent dans ce genre d’armes.

Choisir d’investir dans les compagnies qui produisent les armes à sous-munitions, c’est approuver des armes qui causent des dommages dévastateurs, surtout aux civils. Ces armes sont inhumaines et tuent au hasard; aucune institution financière canadienne ne devrait y investir. En outre, en tant qu’armes interdites, elles représentent un très mauvais investissement. Au fur et à mesure qu’un nombre croissant de pays ont ratifié la convention, on a pu constater que le marché pour ce genre d’armes a commencé à s’affaisser — une tendance qui se maintiendra, je l’espère.

Si les ressources financières nécessaires pour fabriquer ces armes n’étaient plus disponibles pour les compagnies qui les produisent, ce serait une étape de plus vers la suppression complète des armes à sous-munitions. Ensemble, nous pouvons améliorer considérablement la protection des civils dans les conflits armés et les efforts de reconstruction, conformément à l’esprit de la convention.

Un article subséquent de la convention prévoit que les obligations juridiques aux termes de la convention ne peuvent faire l’objet de réserves. Elles doivent être acceptées intégralement, sans exception. J’aimerais également mentionner que le Canada a joué un rôle de chef de file dans la rédaction de l’article 21, qui établit des limites claires concernant l’interopérabilité. Les Nations unies, la France, la Belgique ainsi que d’autres pays membres et non membres de l’OTAN accordent une grande importance à l’interopérabilité et n’ont pas de telles exceptions dans leurs lois respectives.

Comme l’a déclaré l’ancienne sénatrice Hubley en 2017, la Loi interdisant les armes à sous-munitions, dans sa forme actuelle, ne va pas assez loin. Le projet de loi S-225 vise à harmoniser la Loi interdisant les armes à sous-munitions à l’esprit de la convention. En interdisant explicitement les investissements dans la fabrication d’armes à sous-munitions, nous établirions des lignes directrices claires à l’intention des institutions financières canadiennes, lesquelles avaient accueilli favorablement l’idée il y a plus d’une décennie. Le projet de loi S-225 élimine d’autres lacunes en interdisant aux institutions financières canadiennes de prêter de l’argent à ces entités ou même de leur fournir une garantie de prêt.

Cette loi présente d’importantes lacunes et a fait l’objet de critiques de la communauté internationale. En 2014, lorsque le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a étudié le projet de loi C-6, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, il a entendu près de 30 témoins. Outre la nécessité d’une interdiction formelle des investissements dans les entreprises productrices d’armes à sous-munitions, un article sur les opérations militaires conjointes a également suscité de nombreuses inquiétudes. Cette loi a aussi été décriée publiquement par le Comité international de la Croix-Rouge, et la Campagne internationale pour l’interdiction des mines terrestres l’a présentée comme la pire loi de tous les États parties à la convention. Autrement dit, la loi ne respecte pas les normes de la convention.

De nombreux pays, dont des pays où s’applique la common law, ont déjà adopté des lois interdisant les investissements dans les entreprises qui produisent des armes à sous-munitions. L’un des moyens les plus efficaces pour mettre fin purement et simplement à la production d’armes à sous-munitions est de rompre tout lien financier avec les entreprises qui les produisent. Seule une loi explicite et ferme peut permettre cela.

En 2016, l’ancien ministre des Affaires étrangères, l’honorable Stéphane Dion, était optimiste quant au rôle du Canada dans le désarmement et la consolidation de la paix. Dans un discours qu’il a prononcé à l’occasion d’une conférence soulignant le 20e anniversaire du début du processus d’Ottawa, il a déclaré :

Sous la direction de Justin Trudeau, le Canada redeviendra un chef de file en matière de désarmement, un chef de file qui travaille en collaboration avec ses partenaires internationaux pour parvenir à des changements pragmatiques, mais importants [...]

Le Canada, en tant qu’architecte résolu de la paix, est déterminé à faire de cette possibilité une réalité.

Honorables sénateurs, le Canada a joué un rôle de premier plan dans la lutte contre les mines antipersonnel, mais aujourd’hui, il a perdu le cap. L’avenir qu’avait imaginé l’honorable M. Dion ne s’est pas concrétisé sous le gouvernement actuel.

Ce projet de loi est notre chance de mener le combat contre la production et l’utilisation des armes à sous-munitions en raréfiant les ressources financières nécessaires pour la fabrication de ces armes. Merci.

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