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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

6 octobre 2022


Propose que le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-224, qui vise à faciliter la condamnation de ceux qui sont accusés d’infractions relatives à la traite de personnes. Ce projet de loi modifiera la définition d’exploitation prévue au Code criminel lorsqu’il est question d’infractions liées à la traite de personnes, de sorte que la Couronne n’ait plus à démontrer qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que la victime craindrait pour sa propre sécurité ou pour celle d’une personne qu’elle connaît. Le fardeau de la preuve incombera ainsi à l’auteur de l’infraction plutôt qu’aux survivants.

Je tiens à remercier la sénatrice Miville-Dechêne d’avoir manifesté son appui à ce projet de loi et d’avoir proposé des moyens de le renforcer tout en soulignant la nécessité de modifier en premier lieu le libellé de la définition actuelle d’exploitation dans le cadre d’infractions liées à la traite de personnes dans le Code criminel.

La traite des personnes est une forme d’esclavage moderne, qui est en hausse partout dans le monde. On estime son nombre de victimes à 40 millions. C’est une pratique qui repose sur le mauvais traitement, la coercition et l’exploitation de jeunes victimes à des fins sexuelles ou de travail. Les trafiquants abordent les victimes de diverses façons, notamment en les convainquant qu’ils pourraient devenir leurs amis ou leurs petits amis, en communiquant avec elles sur les médias sociaux, en publiant des offres d’emploi ou même en les menaçant ou en les enlevant. Les victimes ne se rendent souvent pas compte que les trafiquants n’ont pas leurs intérêts à cœur.

La géographie et l’emplacement des autoroutes au Canada facilitent la vie des trafiquants qui veulent éviter d’être repérés par les forces de l’ordre et garder le contrôle sur leur victime qui se trouve isolée et désorientée. Même si la croyance populaire veut que les victimes de la traite des personnes soient amenées au Canada, dans la plupart des cas, les victimes sont de jeunes Canadiennes. Parmi les groupes les plus à risque, il y a les femmes et les filles, les immigrants nouvellement arrivés, les enfants pris en charge par le système d’aide sociale, les personnes handicapées, les membres de la communauté LGBTQ2+ et les travailleurs migrants. Les plus vulnérables sont les enfants autochtones, qui subissent l’impact de centaines d’années de traumatismes.

Il est incroyablement difficile pour une victime de s’enfuir une fois qu’elle est sous l’emprise d’un trafiquant. Les trafiquants considèrent que cette activité est très profitable et qu’elle présente peu de risques. Très peu de cas au Canada font l’objet de poursuites judiciaires menant à un gain de cause pour la victime : selon Statistique Canada, moins de 8 % des personnes accusées de traite de personnes sont poursuivies en justice.

On met trop de responsabilités sur les épaules de personnes qui ont enduré des choses inimaginables. La majorité des survivants ne s’identifient pas comme des victimes en raison de la manipulation et du détournement cognitif. Pourtant, les victimes sont habituellement la seule preuve contre les trafiquants. Sans leur témoignage, la Couronne ne peut aller de l’avant.

Malheureusement, les témoignages démontrent que le modèle axé sur la peur constitue le principal obstacle à la déclaration de culpabilité et que pour la victime, l’expérience est plus traumatisante qu’être forcée à se livrer au commerce du sexe. Pendant le contre-interrogatoire, il est courant que l’avocat de la défense déforme les paroles des victimes et les accuse de mentir. Une telle attitude peut amener les victimes à se rétracter ou à simplement abandonner la poursuite.

Dans le contexte du Code criminel actuel, la preuve repose davantage sur la capacité de la victime de faire bonne figure à la barre des témoins que sur le crime commis par l’accusé. Par conséquent, les accusations de traite des personnes sont souvent abandonnées et les trafiquants sont accusés de crimes connexes, notamment d’infractions liées à la prostitution, d’enlèvement, de voies de fait, d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle. Justice n’est pas rendue.

Honorables sénateurs, en éliminant cette barrière — l’élément de la peur —, nous pourrons enfin nous attaquer aux plus grands défis posés par la traite des personnes au Canada. Il s’agit d’une première étape cruciale pour mettre un terme à cette pratique horrible dans notre pays. Merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Merci, sénatrice Ataullahjan.

Je prends la parole pour appuyer de nouveau, à l’étape de la troisième lecture, le projet de loi S-224, dont ma collègue la sénatrice Salma Ataullahjan est marraine.

Comme elle l’a bien dit, je suis la porte-parole du projet de loi modifiant le Code criminel en matière de traite de personnes. Je suis d’accord avec son objectif, comme je l’ai expliqué à l’étape de la deuxième lecture.

Selon le centre international de justice et des droits de la personne de la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique, demander aux victimes de démontrer qu’elles ont des motifs raisonnables de craindre pour leur sécurité peut faire obstacle à la condamnation pour traite de personnes. Les éléments constitutifs de l’infraction relative à la traite des personnes sont plus difficiles à démontrer que ceux d’autres infractions de nature similaire. Par exemple, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui interdit la traite des personnes, n’oblige pas à démontrer que la personne concernée pense que sa sécurité est menacée. Cette norme est plus appropriée.

La nouvelle disposition proposée par la sénatrice Ataullahjan a le grand mérite de reprendre la terminologie du Protocole de Palerme et de se concentrer, par le fait même, sur les actes du trafiquant et non pas sur la crainte ressentie par ses victimes. Les changements terminologiques proposés dans le projet de loi S-224 s’avèrent encore plus nécessaires vu les effets disproportionnés de ce crime sur les femmes et les filles autochtones, qui courent 10 fois plus de risques que les femmes et les filles non autochtones d’être victimes de traite des personnes et d’exploitation sexuelle à des fins commerciales.

Je crois fermement qu’il est grand temps que nous adaptions le Code criminel à la réalité des femmes et des filles qui sont victimes de la traite de personnes.

Je vous remercie beaucoup, sénateurs. J’espère que nous amènerons cette mesure à la prochaine étape.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

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