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Projet de loi sur le cadre national sur l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale

Deuxième lecture--Suite du débat

22 mars 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Je remercie le sénateur Ravalia d’avoir présenté ce projet de loi. Nous sommes au courant des graves conséquences à vie de l’exposition prénatale à l’alcool depuis plus de 40 ans. Pourtant, le Canada n’a toujours pas de cadre national, exhaustif et coordonné.

Les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale ne sont pas uniquement une question de santé; ils concernent essentiellement les droits de la personne au Canada. À l’heure actuelle, d’innombrables Canadiens sont peut-être aux prises avec des difficultés évitables parce qu’ils n’ont pas reçu de diagnostic officiel et n’ont pas accès au soutien approprié. À l’instar de nombreux problèmes dont j’ai parlé au Sénat, les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale sont plus souvent observés au sein des groupes vulnérables de la population. À mon avis, l’un des aspects les plus déchirants de l’exposition prénatale à l’alcool, c’est qu’elle est en fait évitable.

Chers collègues, je serai brève. Après tout, je considère que le projet de loi est simple et nécessaire, en plus d’être attendu depuis longtemps.

Les troubles causés par l’alcoolisation fœtale ne sont pas à prendre à la légère, puisque ceux-ci sont la principale cause de déficience neurodéveloppementale au pays et affectent environ 4 % de la population, soit plus d’un million de Canadiens. Évidemment, les personnes affectées sont probablement beaucoup plus nombreuses, mais l’absence de données complètes et de diagnostics accessibles nous empêche de bien établir la proportion de Canadiens affectés par ces troubles. Certaines personnes sont nées avec des lésions cérébrales permanentes, tandis que d’autres personnes ayant été exposées à d’importantes quantités d’alcool avant leur naissance souffrent du sevrage pendant les premières semaines de leur vie. Les personnes atteintes de ces troubles souffrent principalement de troubles de la mémoire, de difficultés à faire abstraction des sources de distraction et de problèmes liés aux processus cognitifs.

Le sénateur Richards a décrit avec éloquence la souffrance que bon nombre d’enfants atteints de ces troubles doivent endurer. Ils sont souvent incapables de supporter des bruits ou des contacts physiques, et ils vivent dans leur propre monde. Pire encore, ils sont particulièrement influençables en raison d’un désir profond d’établir des liens avec les autres et d’être aimés. Il n’est guère surprenant que bon nombre d’entre eux peinent à répondre aux attentes que la société a établies en fonction de l’âge sur le plan social et éducatif.

Malheureusement, le nombre de cas de personnes atteintes de ces troubles est bien plus élevé dans certains segments de la population, comme les populations à faible revenu, les enfants pris en charge, les personnes qui ont des démêlés avec le système de justice, les sans-abri et les communautés autochtones. Selon des résultats de recherche, environ 90 % des personnes atteintes de ces troubles souffrent de problèmes de santé mentale, et près de 60 % d’entre elles finissent par être pris en charge par le système de justice, soit en tant que délinquant ou en tant que victime.

Des chercheurs canadiens ont estimé que, parmi les jeunes contrevenants, les jeunes atteints des troubles causés par l’alcoolisation fœtale sont 19 fois plus susceptibles d’être incarcérés que ceux qui n’en sont pas atteints. Ainsi, les Canadiens atteints de ces troubles sont particulièrement vulnérables et peuvent être plus susceptibles d’avoir des démêlés avec la justice et d’être une victime.

Les problèmes cognitifs liés à ces troubles peuvent également rendre difficile l’accès au logement, car les personnes atteintes peuvent avoir des difficultés à gérer leur temps et leur argent, avoir des problèmes de mémoire et avoir du mal à comprendre les conséquences de leurs comportements. Par conséquent, les Canadiens atteints de ces troubles évoluent dans un monde où ils doivent vivre avec le double fardeau d’une déficience cognitive et de l’adversité environnementale, et ils sont plus susceptibles de se retrouver sans abri.

Selon une étude explorant les expériences vécues par les personnes atteintes de ces troubles qui reçoivent un appui des services aux sans-abri à Calgary, de nombreuses personnes en situation d’itinérance déclarent elles-mêmes avoir reçu un diagnostic de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Des études avancent également que les femmes sans abri sont plus susceptibles d’avoir des enfants atteints de ces troubles, ce qui perpétue un cycle de souffrance.

Le projet de loi S-253 exigerait que le ministre de la Santé élabore un cadre national destiné à soutenir les Canadiens atteints de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, leurs familles et leurs soignants. Ce cadre comprendrait des mesures visant à normaliser les lignes directrices, à améliorer les outils de diagnostic et de déclaration des données, à élargir les bases de connaissances, à faciliter les échanges d’informations et à accroître la sensibilisation du public et des professionnels, pour n’en citer que quelques-unes.

Le projet de loi repose sur une recherche approfondie et exhaustive. Je tiens à féliciter le sénateur Ravalia de s’être attaqué à cette question importante, mais souvent négligée. Je pense en particulier que les consultations requises avec d’autres ministres, des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux, les intervenants concernés, les communautés et organisations autochtones et toute personne ou entité jugée appropriée seront cruciales pour l’élaboration du cadre.

Mes préoccupations concernant le projet de loi S-253 ont moins à voir avec le projet de loi lui-même qu’avec le respect des exigences en matière de consultation par le ministre de la Santé. La divergence entre la perception qu’a un ministre de la réussite des consultations et celle des personnes directement concernées par le sujet fait souvent l’objet de discussion lors des audiences des comités. Cela a été particulièrement vrai lors des audiences du Comité des droits de la personne sur l’islamophobie au Canada. Je manquerais à mon devoir si je passais ce problème récurrent sous silence.

J’ai été profondément émue par le discours qu’a prononcé le sénateur Richards il y a quelques semaines, et je voudrais prendre un moment pour remercier mon honorable collègue de nous avoir raconté une histoire aussi personnelle et touchante. Cette histoire m’a ouvert les yeux et m’a brisé le cœur. Je ne peux même pas imaginer la détresse à laquelle votre belle-sœur doit faire face chaque jour, en se demandant comment va son frère.

Honorables sénateurs, les Canadiens atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale méritent de grandir dans un environnement sûr plutôt que de risquer de manière disproportionnée l’incarcération, les préjugés, la violence et le rejet. Lorsque je me promène à Ottawa, à l’extérieur de cette enceinte, je me demande combien de sans-abri que je croise auraient pu éviter une vie aussi difficile si on leur avait donné une véritable chance. Merci.

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