Règlement, procédure et droits du Parlement
Fixation de délai--Adoption de la motion
7 mai 2024
Conformément au préavis donné le 2 mai 2024, propose :
Que, conformément à l’article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l’étude de la motion no 165 sous la rubrique Affaires du gouvernement.
Honorables sénateurs, nous sommes vraiment pressés de faire adopter cette motion, n’est-ce pas? Il n’a pas la moindre chose à dire au sujet de sa propre motion. Il impose la fixation de délai et il n’a aucun commentaire à faire au sujet de sa propre motion de fixation de délai. Voilà ce que le Sénat est devenu. Ce n’est plus une institution démocratique. C’est une institution dirigée par...
Incroyable.
... une poignée d’individus qui disent simplement : « Nous sommes ici maintenant. Nous y sommes parvenus, alors que tout le monde fasse place, nous allons maintenant gérer cette institution à notre façon. »
C’est reparti, chers collègues. Le sénateur Gold utilise une fois de plus l’outil que le sénateur Furey lui a donné juste avant de partir : la capacité de recourir au pouvoir de la majorité au gouvernement pour clore un débat démocratique. C’est la troisième fois que l’impatience du sénateur Gold mène à l’utilisation de cette massue pour clore le débat.
Chers collègues, vous noterez que le sénateur Harder s’est retrouvé devant la même opposition et qu’il n’a pas utilisé la fixation de délai une seule fois pendant tout le temps où il a été leader du gouvernement. J’étais soit chef de l’opposition, soit whip de l’opposition à l’époque; nous étions donc les mêmes sénateurs de ce côté-ci. Nous sommes parvenus à gérer toutes les mesures législatives controversées. Même le projet de loi anti-pipelines a franchi toutes les étapes sans fixation de délai. Je suppose que certaines personnes négocient mieux que d’autres. Je dis ça comme ça.
Le sénateur Gold a déclaré qu’il ne pouvait pas parvenir à un consensus avec l’opposition parce que c’est ce qu’il doit dire, ce qui est encore une fois totalement faux. J’ai dit au sénateur Gold que nous avions quatre amendements très légitimes à présenter. Chers collègues, nous n’avons fait absolument aucune obstruction.
Les amendements visaient à ce que les modifications s’appliquent uniquement à la présente session parlementaire. L’un des amendements visait à conserver la plage horaire de 18 heures à 20 heures pour la suspension du soir. L’un des amendements était le même que celui que le sénateur Quinn a déjà proposé. Nous avions un quatrième amendement à proposer — j’aurais dû l’écrire. Il était court et légitime. Nous n’avons fait absolument aucune obstruction. Allons-y. Débattons de ces amendements et mettons-les aux voix pour qu’ils soient adoptés ou rejetés.
L’article 7 du Règlement porte sur la fixation de délai. Permettez‑moi de souligner une fois de plus des synonymes qui ont été utilisés au fil des ans, chers collègues, par nos collègues libéraux qui étaient alors dans l’opposition. Je parle de mes collègues libéraux qui croyaient en la démocratie et qui ne pensaient pas que 48 sénateurs indépendants devaient diriger le Sénat. Ils croyaient que cette institution devait être gérée de manière démocratique.
Je pense que cela pourrait aider les sénateurs nommés par Trudeau, qui n’étaient pas présents à l’époque, à comprendre ce qu’est réellement la fixation de délai. Ce que le sénateur Gold et le gouvernement Trudeau cherchent à accomplir a été décrit comme une tentative, laissez-moi vous le lire : d’imposer la fixation de délai, d’imposer une limite de temps, d’invoquer la clôture, d’écourter le débat, de limiter le débat le plus possible, de couper court au débat, de mettre fin au débat au Parlement, de faire adopter la motion no 165 à toute vitesse et d’interrompre le débat, de contourner la procédure établie, d’éviter un examen minutieux, de faire taire nos voix sur les questions les plus cruciales qui touchent les Canadiens, et d’imposer son programme sans écouter ni le Parlement ni les Canadiens.
Ce que fait le sénateur Gold a été qualifié, par moi-même et par d’autres, de mesure antidémocratique, de guillotine imposée par le gouvernement au Sénat, d’utilisation du pouvoir pour obtenir plus de pouvoir, de bâillonnement du Parlement, de bâillonnement du Parlement et, de ce fait, du peuple canadien, d’atteinte au Parlement et de mesure qui prive le Parlement de son droit — de notre devoir — d’examiner sérieusement ce à quoi on propose de donner force de loi au Canada.
Avec la motion du sénateur Gold, on affaiblit le Parlement et l’examen par le Sénat d’importantes mesures législatives gouvernementales est radicalement tronqué. C’est ce que des sénateurs libéraux ont dit au sujet de la fixation de délai il y a environ 10 ou 12 ans. Certains de ces sénateurs sont actuellement présents dans cette Chambre. C’est ce que vous ou vos collègues avez dit à l’époque. Je ne pointerai personne du doigt. Permettez-moi de les regarder et de siffler.
Permettez-moi de citer le sénateur Cowan, ancien leader de l’opposition, lorsqu’il parlait de la fixation de délai :
[...] il s’agit de couper court au débat pour empêcher chacun de nous de poser des questions sur le projet de loi très important et compliqué dont nous sommes saisis, de nous empêcher d’examiner de trop près les plans que le gouvernement propose pour notre pays.
Or, notre travail consiste justement à faire un examen minutieux des mesures proposées. C’est ce que les Canadiens attendent de nous et c’est ce [pour quoi] nous avons été invités à siéger au Sénat et ce [pour quoi] nous sommes payés.
Ce sont les paroles de Jim Cowan.
Chers collègues, le sénateur Gold met fin au débat après que deux sénateurs — deux sénateurs — de l’opposition se sont exprimés. Cela doit être une sorte de record pour le Parlement. Deux sénateurs se sont exprimés, et il affirme que cela constitue un débat complet et sain et qu’il faut y mettre fin.
Trop de démocratie.
Le sénateur Gold met fin au débat avant que l’opposition ne puisse déposer un seul amendement. Rien. « Je ne veux pas entendre ce que vous avez à dire. Disparaissez. C’est moi qui dirige cet endroit maintenant. »
Si le fait d’avoir deux intervenants et aucun amendement est considéré par le gouvernement Trudeau comme de l’obstruction, alors, chers collègues, nous en aurons beaucoup avant les prochaines élections. Si Justin Trudeau et Marc Gold veulent mettre un terme au débat avec la fixation de délai après deux intervenants, ils devront le faire régulièrement. Permettez-moi d’avertir le Sénat sans plus tarder. C’est ce que ce Sénat non partisan est devenu : non partisan. C’est le Sénat le plus partisan depuis ma nomination en 2009.
Aucun doute là-dessus.
Il s’agit de loin du Sénat le plus partisan depuis 2009 car, sous les gouvernements conservateurs et libéraux précédents, le recours à la fixation de délai était une réaction à l’obstruction de l’opposition.
Permettez-moi de citer à nouveau mon ami Jim Cowan. Jim Cowan me manque. J’espère que Jim Cowan nous regarde.
[...] Il ne fait aucun doute que le recours à ce type de motion soit parfois justifié, par exemple lorsque des manœuvres dilatoires font délibérément traîner le débat en longueur [...]
Je suis tout à fait d’accord. Je vais continuer à citer d’anciens sénateurs libéraux. Peut-être que leurs paroles éclaireront les sénateurs également nommés par un premier ministre libéral. Voici ce qu’a dit la sénatrice Joan Fraser :
À l’occasion, il peut être nécessaire d’avoir recours à une motion d’attribution de temps, bien qu’il s’agisse d’une mesure draconienne. Cela peut être nécessaire, par exemple, lorsque, à l’égard d’une mesure législative importante, [...]
— comme c’est le cas de cette motion —
[…] l’opposition fait de l’obstruction pure et simple.
L’autre raison habituellement invoquée pour imposer la guillotine à l’égard d’un débat, c’est l’urgence d’adopter un projet de loi. Je suis sûr que nous sommes tous d’accord pour dire que des limites devraient être fixées pour nos débats quand il y a urgence d’agir, mais on nous sert constamment cette excuse. En fait, par l’entremise du sénateur Gold, le gouvernement nous dit que « cette mesure doit être adoptée sans tarder et le temps presse » deux mois avant que nous recevions le projet de loi de l’autre endroit. Tout est toujours urgent aux yeux du sénateur Gold.
Si des législateurs sont appelés à adopter un projet de loi pour mettre fin à une grève dans un hôpital où la vie des patients est en jeu, il est facile de comprendre la nécessité de fixer des paramètres pour la durée du débat. Toutefois, si le sénateur Gold veut imposer la guillotine, ce n’est certainement pas pour mettre fin à l’obstruction, parce qu’il n’y a aucune obstruction, chers collègues.
Si le sénateur Gold veut recourir à la clôture, ce n’est pas parce que la question est urgente. En effet, modifier le Règlement du Sénat afin de donner plus de temps de parole à certains sénateurs est loin d’être une question urgente.
Le sénateur Gold a dit que les choses traînent en longueur. Le Sénat fonctionne bien, et maintenant, tout à coup, du jour au lendemain, il y a péril en la demeure parce que nous approchons d’une semaine de relâche, et que si nous n’adoptons pas cette mesure — si la sénatrice Saint-Germain n’a pas le droit de disposer d’un temps de parole illimité — avant notre retour, le 20 mai, rien n’ira plus au Sénat. On dit que si nous continuons d’avoir des pauses-repas de 18 heures à 20 heures à notre retour le 20, ce sera horrible pour nous. Alors, adoptons ce projet de loi à toute vapeur de sorte qu’à notre retour, nous puissions sortir d’ici à 19 heures le soir.
Soyez attentifs — parce que je le serai — au nombre de sénateurs présents dans cette enceinte lorsque nous commencerons à faire nos pauses à 19 heures au lieu de 18 heures, car c’est là la raison ultime pour laquelle nous faisons cela : c’est pour que des sénateurs puissent rentrer chez eux plus tôt. Ils ne veulent pas être ici. Ils n’ont pas été nommés pour être ici. C’est pourquoi ils veulent des séances hybrides — parce qu’ils ne veulent pas être ici. Ils veulent être dans leur salon. Soyez attentifs. Faites le calcul. Je vais le faire.
Il ne s’agit pas d’un abus de pouvoir de notre part. Cet abus de pouvoir de la part du sénateur Gold sert deux objectifs.
D’abord, il répond aux sollicitations de tous les sénateurs qui disent ouvertement qu’ils en ont assez de l’opposition au Sénat. Voilà, c’est dit. Il n’y a que dans le Canada de Justin Trudeau que l’on peut voir des parlementaires appeler ouvertement à l’élimination des voix dissidentes au Parlement. C’est tout simplement révoltant. Je sais que beaucoup d’entre vous sont fatigués de nous entendre et surtout fatigués que je dispose d’un temps illimité, mais le fait de donner ce privilège à quelqu’un d’autre ne m’empêchera pas d’avoir le mien. Croyez-moi, sénatrice Lankin, je suis certain que vous allez inventer une autre motion d’ici peu pour m’empêcher de parler aussi longtemps que je le souhaite.
Les conservateurs dénoncent le gouvernement. Ce n’est pas bien. Même si Justin Trudeau ne dispose que d’une petite minorité de partisans au Canada, il peut compter sur une large majorité dans cette enceinte.
Je suis désolé s’il vous est difficile d’entendre l’opinion de 80 % des Canadiens qui n’aiment pas Justin Trudeau, mais nous n’arrêterons pas. Je vous invite à bien réfléchir à ce qu’est un débat démocratique. La fixation de délai n’a pas été créée pour qu’une majorité de sénateurs y aient recours lorsqu’ils n’aiment pas ce qu’ils entendent. L’utilisation de ce mécanisme par le sénateur Gold dans le débat sur la motion no 165 pervertit le principe de la fixation de délai.
Dans mon discours de la semaine dernière, j’ai parlé du fait que le temps est important pour l’opposition. Il permet à l’opposition d’alerter le public sur un problème. Clore le débat prématurément permet au gouvernement de faire sa sale besogne avant que quiconque s’en rende compte.
Je soutiens, chers collègues, qu’en ayant recours à la fixation de délai dans le cas de la motion no 165 on cherche à clore le débat prématurément. Ce n’est pas un hasard si le sénateur Gold a présenté la motion après que le Globe and Mail a publié un article selon lequel les libéraux préparent le Sénat en vue de l’élection de Pierre Poilièvre. Le Cabinet du premier ministre s’est rendu compte que les gens commençaient à prêter attention aux préparatifs des libéraux et il a ordonné au sénateur Gold de balayer rapidement l’affaire sous le tapis.
C’est soit cela, soit un projet de loi d’initiative parlementaire — l’un ou l’autre. Faites votre choix. Voilà pourquoi l’utilisation de la fixation de délai par le gouvernement est si scandaleuse. Chacun d’entre vous, chers collègues, devrait s’y opposer. Même si vous n’aimez pas les conservateurs, il ne s’agit pas d’eux ici. Il s’agit de vous donner le droit de vous exprimer, tout comme nous.
Que vous soyez d’accord ou non avec la motion no 165, vous devriez soutenir le droit de tous les sénateurs à se faire entendre. Vous devriez accepter que des amendements soient présentés, mais cette motion supprime ce droit. Elle fait taire toutes les voix avant même qu’elles ne soient entendues.
Depuis 2016, on nous répète sans cesse que les sénateurs de Trudeau sont indépendants. Ils votent 96 % du temps dans le même sens que le gouvernement, mais ils sont indépendants. Ils parrainent des projets de loi du gouvernement, mais ils sont indépendants.
Chers collègues, vous aurez à nouveau l’occasion ce soir de montrer votre indépendance. J’espère que vous ferez un choix judicieux. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui contre le recours du gouvernement Trudeau à la fixation de délai pour la motion no 165, une motion omnibus qui vise à modifier le Règlement du Sénat en profondeur dans le but d’anéantir l’opposition conservatrice.
Tout d’abord, je suis étonnée de constater que le sénateur Gold, qui est le leader du gouvernement au Sénat, n’a même pas prononcé de discours, après quoi, nous aurions pu lui a posé des questions. C’est tout simplement incroyable.
Il est malheureux que nous nous retrouvions de nouveau dans cette situation, honorables collègues. Il y a trois ans, lorsque j’ai pris la parole au sujet des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada proposées dans le projet de loi S-4, j’ai prédit que les sénateurs « indépendants » de M. Trudeau n’allaient pas se contenter de changer leurs titres et de hausser les salaires de leurs leaders, et que le gouvernement allait poursuivre sa longue quête pour anéantir l’opposition.
Le sénateur Gold, en tant que leader du gouvernement au Sénat, a tenté de nous faire croire que les plus haut placés dans le gouvernement Trudeau n’avaient rien à voir avec l’élaboration et la planification de la motion. Or, en réponse à une question que j’ai posée la semaine dernière pendant la période des questions au Sénat, le sénateur Gold a admis que son bureau a demandé et obtenu du gouvernement Trudeau le mandat de présenter cette motion draconienne. Il m’a dit cela une heure avant de donner préavis de cette motion de fixation de délai. De toute évidence, le gouvernement était au courant de cette motion de clôture et a donné sa bénédiction au leader du gouvernement au Sénat pour couper court au débat sur une motion visant à éliminer l’opposition au Sénat.
Avoir recours à une fixation de délai à ce stade-ci — après que le débat a à peine commencé sur cette motion d’une très grande portée — montre à quel point le gouvernement Trudeau a peur d’un contexte où les règles du jeu sont équitables. Les libéraux craignent de perdre les prochaines élections. Comme ils n’arrivent pas à faire adopter les modifications au Règlement du Sénat pour obtenir ce qu’ils veulent, ils ont décidé de les faire adopter à toute vitesse sous la forme d’une motion. Au moins, lorsque le gouvernement fixe un délai pour le débat sur un projet de loi, les sénateurs peuvent prendre la parole à plusieurs étapes — la deuxième lecture, l’étude du comité, l’étape du rapport et la troisième lecture. Avec la motion no 165, il n’y a qu’une étape : la motion principale et les amendements. Le gouvernement coupe court au débat avant même que nous ayons fini de discuter pleinement du premier amendement. Le recours à une motion de fixation de délai maintenant signifie que les sénateurs ne pourront présenter aucun autre amendement à cette énorme série de modifications au Règlement.
Il y a quelques jours, au sujet de la motion, la sénatrice Saint‑Germain a dit ce qui suit :
Il n’y a jamais eu autant d’amendements aux projets de loi du gouvernement que dans le nouveau Sénat actuel. N’est-ce pas la preuve que les sénateurs indépendants des trois groupes indépendants tiennent le gouvernement responsable et améliorent les projets de loi dans l’intérêt des Canadiens?
On entend souvent les sénateurs indépendants nommés par Trudeau expliquer qu’il est possible de mesurer l’efficacité du nouveau Sénat indépendant par le nombre d’amendements que le Sénat adopte au sujet des mesures législatives. Ce n’est toutefois qu’un mythe. La plupart des amendements proposés par les sénateurs indépendants de Trudeau proviennent du gouvernement Trudeau. Comme il n’y a pas de caucus du gouvernement, le gouvernement les transmet au Sénat par l’entremise du sénateur indépendant qui parraine la mesure législative. Bon nombre de ces amendements sont présentés tard dans le processus législatif, généralement à l’étape de l’étude article par article d’un comité sénatorial. En fait, beaucoup de ces amendements visent à corriger des erreurs techniques dans le projet de loi qui auraient pu être évitées au moyen d’une rédaction soignée et d’un examen minutieux en premier lieu.
Selon la logique de la sénatrice Saint-Germain, le fait que le gouvernement coupe maintenant court au débat sans permettre d’autres amendements démontre que le gouvernement Trudeau se dérobe à ses responsabilités et qu’il tente d’empêcher les sénateurs de renforcer le Règlement du Sénat.
Nous n’avons eu que neuf heures et demie de débat sur cette motion jusqu’à présent. Seulement 11 des 96 sénateurs ont pris la parole, dont seulement deux sénateurs de l’opposition conservatrice. Le sénateur Quinn, qui a été nommé par Trudeau, a présenté un amendement très sensé visant à limiter les délais pour les questions écrites et les réponses différées. Il n’a pas présenté cet amendement pour perdre du temps, et nous avons à peine eu le temps d’en débattre.
En imposant la fixation de délai, le gouvernement empêche la proposition d’autres amendements, même pour corriger des erreurs dans le libellé de la motion no 165. Or, les erreurs sont nombreuses dans cette motion omnibus. Prenons, par exemple, la disposition qui propose de faire du leader de chacun des groupes du Sénat un membre d’office de tous les comités. Si nous ajoutons les leaders des cinq groupes à la composition actuelle des comités, les membres de tous les groupes seront frustrés parce qu’ils auront encore moins de temps pour interroger les témoins. Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement étudie l’efficacité des comités depuis des mois. Le changement proposé diluera encore davantage le pouvoir des sénateurs de l’opposition au sein de tous les comités.
Encore plus de sénateurs nommés par Justin Trudeau monopoliseraient la grande majorité du temps de parole au sein des comités, ce qui plaira peut-être au gouvernement Trudeau, mais qui n’est certainement pas dans l’intérêt de la démocratie.
Ensuite, la redéfinition du rôle du représentant du gouvernement au Sénat pour que les successeurs du sénateur Gold soient non affiliés pose problème. Cela empêcherait automatiquement quiconque a fait du bénévolat pendant une campagne électorale, a déjà fait un don à un parti politique ou a déjà posé une affiche électorale sur son terrain d’être nommé « représentant du gouvernement » au Sénat. Il serait impossible d’avoir une affiliation politique — un droit conféré à tous les Canadiens — et d’être le représentant du gouvernement au Sénat du Canada, une institution politique. C’est farfelu.
En outre, on imposerait cette restriction au représentant du gouvernement au Sénat, mais pas au coordonnateur législatif du représentant du gouvernement au Sénat. Pourquoi?
Cependant, l’erreur la plus grave dans cette motion demeure la modification par le gouvernement des règles qui encadrent la fixation de délai. Selon les règles proposées, l’opposition pourrait n’avoir que 20 minutes sur les 2 heures et demie allouées pour un débat sur la fixation de délai. Cela représente une réduction par rapport au temps qui nous est accordé selon les règles actuelles. Il est inadmissible que le gouvernement cherche à réduire la capacité de l’opposition à s’opposer à la clôture d’un débat au Sénat. C’est un jour sombre pour la démocratie, chers collègues.
On a entendu un certain nombre de déclarations trompeuses au cours du débat sur cette motion, et il est important de rectifier les faits avant de voter sur une si grande refonte du Règlement du Sénat. La sénatrice Saint-Germain qualifie notre Règlement actuel de « tyrannie de la minorité » et affirme que « [n]ous refusons des privilèges à la majorité des sénateurs et des groupes au profit d’un petit nombre de sénateurs et de groupes ».
Ce qu’elle a dit est paradoxal, sachant que l’une des principales raisons d’être du Sénat est de protéger les droits des minorités. L’un des principaux moyens d’y parvenir consiste à mener un débat législatif approfondi dans cette enceinte, ce à quoi le gouvernement tente précisément de mettre un terme en invoquant la fixation de délai.
Par ailleurs, l’actuel Règlement du Sénat est structuré de manière à protéger les droits et les points de vue de la minorité. Sur le plan de la procédure, l’ensemble du Sénat peut être paralysé par le refus d’un sénateur non affilié et indépendant de consentir à quelque chose; il s’agit en fait d’une caractéristique de notre système sénatorial, et non d’un défaut. Cela garantit que tous les sénateurs sont égaux et que, dans l’intérêt des populations minoritaires du Canada en général, la majorité ne peut pas écraser les points de vue de la minorité.
Il est révélateur que le gouvernement Trudeau n’ait pas mentionné une seule fois les droits des sénateurs non affiliés dans les huit pages de changements au Règlement qu’il a proposés. On restreint les droits des sénateurs non affiliés en accordant à davantage de groupes un statut spécial alors qu’ils n’ont pas de rôle parlementaire à remplir. Encore une fois, cette mesure est contraire au rôle prévu des sénateurs, qui sont censés être indépendants en raison de leur nomination à vie et égaux au sein du Sénat.
Le fait que l’unanimité ne constitue pas un consensus est une autre déclaration trompeuse que j’ai entendue à quelques reprises au cours du débat sur la motion. Honorables sénateurs, soyons sérieux : nous savons tous ce que signifie le terme « consensus », et c’est en se fondant sur ce principe que le Sénat a toujours fonctionné, à juste titre. L’opposition existe en tant qu’entité fondamentale ayant une fonction parlementaire définie au Sénat canadien depuis 1867. On peut tenter de prétendre que l’accord de l’opposition n’est pas nécessaire pour obtenir le consensus, mais cela ne veut pas dire que c’est vrai. En réalité, en invoquant la fixation de délai pour cette motion et en ne permettant pas de débat sur d’autres amendements, le gouvernement modifie unilatéralement le Règlement du Sénat pour satisfaire les ambitions purement politiques d’un seul homme : Justin Trudeau.
En vertu de ces modifications au Règlement, la sénatrice Saint‑Germain, la leader du plus grand groupe de sénateurs « indépendants », aurait un temps de parole illimité au sujet des mesures législatives, mais elle n’utiliserait pas son temps de parole pour « faire de l’obstruction », comme les conservateurs. Elle utiliserait seulement son temps de parole illimité pour « avoir suffisamment de temps [...] pour essayer d’améliorer et d’amender — un projet de loi — considéré comme non démocratique ». Concrètement, cela signifie faire de l’obstruction.
Il est évident que le gouvernement Trudeau n’a pas réfléchi sérieusement aux conséquences de la vaste portée des changements qu’il veut apporter au Règlement du Sénat. Dans les faits, cette motion entraînerait des problèmes de taille. Par exemple, vu le nombre élevé de personnes impliquées, il sera impossible de s’entendre sur des tâches de routine d’ordre procédural. Suivant ces modifications au Règlement, cinq groupes de sénateurs devront s’entendre sur des questions importantes comme la durée de la sonnerie lors des votes et l’horaire des réunions les jours où le Sénat est ajourné. Si vous croyez que la situation est complexe maintenant, ces modifications créeraient le chaos. Qu’adviendrait-il en cas d’impossibilité de parvenir à une entente? Nous aurions droit à une série de sonneries d’une heure.
En outre, cette motion énonce des modifications visant à limiter à cinq le nombre de groupes de sénateurs. Autrement dit, si des sénateurs souhaitaient se réunir pour former un sixième groupe, ce serait le seul groupe de sénateurs à ne pas avoir les mêmes droits que les cinq autres groupes — un groupe sans pouvoir. Je serais portée à croire que de nombreux sénateurs seraient mal à l’aise avec cette situation.
Chers collègues, je vous demande de bien réfléchir aux conséquences de la proposition du gouvernement par l’entremise de cette motion ainsi qu’à l’effet que celle-ci aura sur les activités quotidiennes et l’avenir à long terme du Sénat du Canada. Si vous vous considérez comme indépendant, vous avez l’occasion de le prouver, ici et maintenant. Vous n’avez pas à voter pour mettre fin au débat sur cette motion. Les questions en jeu sont les raisons pour lesquelles le Sénat existe : la représentation des points de vue minoritaires, la démocratie et un examen minutieux. Elles sont importantes. Votre vote l’est aussi.
J’espère que vous vous joindrez à moi pour voter contre la fixation de délai. Merci.
Il y a quelques éléments particulièrement choquants dans cette décision du leader du gouvernement de recourir à la fixation de délai, mais également de procéder lui-même à cet avis aux changements apportés au Règlement.
Je vous rappelle que le Règlement du Sénat a toujours été modifié par consensus, par décision ou par rapport de comité, notamment le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Je dis « notamment », parce que c’est arrivé dans l’histoire que la Chambre ait chargé le Président de la Chambre, pendant les pauses, de revoir le Règlement. Le Président est arrivé avec des propositions de modifications au Règlement qu’il a soumises à la Chambre. Ce rapport du Président a été soumis au Comité du Règlement et adopté au Sénat.
C’est pour cela que, par tradition, cela a été inscrit au Règlement du Sénat à l’article 12-7(2), où l’on dit ce qui suit :
le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, qui est chargé :
a) de soumettre au Sénat, de sa propre initiative, des propositions visant la modification du Règlement,
b) d’examiner toute question de privilège dont le Sénat le saisit,
c) d’examiner les ordres et pratiques du Sénat et les privilèges parlementaires;
Ce n’est pas un hasard que ce soit le Sénat ou le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement qui soit responsable de faire cela. C’est notamment à cause du principe de l’indépendance de la Chambre.
Évidemment, quand on parle d’une Chambre qui doit être indépendante du gouvernement, de l’exécutif, de la Chambre des communes, celle-ci doit pouvoir fixer ses propres règles de gouvernance dans l’étude des projets de loi. Le gouvernement ne peut pas s’ingérer dans le fonctionnement du Sénat et ne peut évidemment pas commencer à ajuster les règles comme bon lui semble pour qu’elle lui soit favorable ou qu’on interfère avec son indépendance.
C’est donc la première partie qui me dérange : le fait que ce soit le leader du gouvernement qui propose cette modification au Règlement. C’est comme si on avait un match de hockey entre les Maple Leafs et les Canadiens, et que c’était le coach des Canadiens qui fixait les règles du match contre les Maple Leafs. J’ai l’impression que les gens pourraient y voir un problème. C’est ce qui arrive à l’heure actuelle.
Deuxièmement, il y a la question de la fixation de délai. Je lisais les articles de La procédure du Sénat en pratique traitant de la question de la fixation de délai. Lorsqu’on lit l’introduction sur les moyens d’accélérer les débats ou d’accélérer les décisions qui doivent être prises, à la page 106, on mentionne ce qui suit :
Il arrive néanmoins que le débat se prolonge sur plusieurs séances, ce qui ne veut pas dire qu’il durera tant et aussi longtemps qu’un sénateur est prêt à en proposer l’ajournement.
C’est donc la philosophie et la base même de l’utilisation de la fixation de délai. Le débat s’est étiré ou s’est prolongé sur plusieurs séances, et non pas sur une seule, comme l’indique la motion du sénateur Gold.
Le fait que, après une seule séance, le leader du gouvernement donne un préavis de fixation de délai est un précédent particulier. C’est conforme à la lettre, c’est conforme au Règlement, mais pas à l’esprit du Règlement ni à la façon dont fonctionne le Sénat.
Une autre chose est particulière : on l’a vu, le leader s’est fait tirer l’oreille pour dire qu’il représentait le gouvernement. C’est tout aussi particulier. Évidemment, on doit déterminer ce qui est une affaire du gouvernement et ce qui ne l’est pas. Le leader du gouvernement a beaucoup de discrétion pour déterminer s’il s’agit d’une affaire du gouvernement, mais une fois qu’il a fait son lit, il ne peut pas dire qu’il ne représente pas le gouvernement. Il agit manifestement comme leader du gouvernement.
C’est également un aspect particulier, parce que cette hésitation vient du fait que seul le leader du gouvernement peut utiliser une motion de fixation de délai pour les affaires du gouvernement. Lorsque le leader du gouvernement nous dit que le changement du Règlement est une affaire du gouvernement, cela va complètement à l’encontre de toute l’idéologie du discours que ce gouvernement a maintenu pour indiquer que le Sénat devait être indépendant. De toute évidence, encore une fois, on a un gouvernement qui dit quelque chose et fait autre chose.
C’est tellement vrai que, dans les décisions rendues sur une fixation de délai sur les affaires du gouvernement, encore une fois dans La procédure du Sénat en pratique, à la page 107, on fait état de cette notion. On mentionne ce qui suit :
La fixation de délais consiste à établir une limite à la période pouvant être consacrée au débat sur une affaire du gouvernement. Elle sert principalement à circonscrire le temps alloué pour l’étude des projets de loi du gouvernement. Cependant, elle peut aussi être appliquée à des motions et à d’autres éléments des affaires du gouvernement. Seul le gouvernement peut proposer de fixer un délai, et seulement pour ses propres affaires.
À la note 193, on cite une décision du Président qui dit ce qui suit :
[...] [l]e fait d’autoriser un processus qui pourrait engendrer l’application des pouvoirs de fixation de délai du gouvernement à des affaires autres que des affaires du gouvernement ne respecte pas le Règlement et nos pratiques actuelles.
Cependant, qu’est-ce qui est une affaire du gouvernement et qu’est-ce qui ne l’est pas? Au moment de rendre leurs décisions, les Présidents sont arrivés à la conclusion que dès qu’un gouvernement dit que c’est son affaire et qu’il le présente comme étant son avis, c’est une affaire du gouvernement. L’hésitation du leader et le fait que l’on discute du Règlement du Sénat, même si tout cela est techniquement conforme au Règlement, vont complètement à l’encontre de la philosophie du Règlement et des pratiques passées. Je crois que cela crée un dangereux précédent.
Je ne sais pas combien de personnes ici seront présentes dans six ou sept ans, au moment où l’on pourra rediscuter de ce précédent et où un futur leader du gouvernement décidera de l’utiliser, mais il serait bon de le noter dans nos archives. Je peux vous garantir que si la vie me le permet, je serai ici et je vais le rappeler à ceux qui voteront en faveur de cette motion de fixation de délai.
Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion de fixation de délai présentée par le sénateur Gold pour mettre fin au débat sur la motion no 165. Pendant la fin de semaine, après les multiples interventions sur la motion no 165, en y réfléchissant, j’ai éprouvé un sentiment de malaise. Depuis que je fais de la politique, il y a eu des moments où j’ai dû faire une pause, m’asseoir et réfléchir sérieusement à ce que nous faisions ici, et évaluer les conséquences de nos choix, mais aussi les conséquences imprévues qui pourraient survenir. Quelques questions me viennent à l’esprit.
Quelles pourraient être les conséquences inattendues non seulement de la motion, mais aussi du procédé utilisé par le gouvernement? Quel genre de précédent créons-nous? Sommes‑nous en train de nuire ou d’améliorer le discours dans cette enceinte, non seulement aujourd’hui, mais pour les années à venir? Servons-nous mieux les Canadiens et le système démocratique?
Je ne suis pas la seule à m’interroger. Au cours de la fin de semaine, beaucoup de gens de ma collectivité ont demandé ce qui se passait au Sénat, ce que le gouvernement manigançait et l’objectif qu’il poursuivait avec ces changements. Très franchement, lorsque je leur ai dit que le gouvernement avait l’intention de mettre fin au débat sur la motion en ayant recours à la fixation de délai, ils ont été choqués, mais surtout déçus et inquiets.
Il est assez difficile de répondre à la première question, chers collègues, parce que le gouvernement écourte le débat. Comment peut-on évaluer les conséquences, y compris les conséquences non désirées, de la motion no 165? Quel mal y a-t-il à prendre un mois de plus pour l’étudier plus en profondeur? Pourquoi ne pas confier l’étude de la motion au Comité du Règlement, pour qu’il en fasse rapport à la Chambre? Il existe bien d’autres moyens que le gouvernement aurait pu utiliser au lieu de recourir à une motion de fixation de délai, qui revient à utiliser une masse pour tuer une mouche.
Pour ce qui est de la deuxième question, je signale que l’on pourrait créer un précédent selon lequel un parti au pouvoir se sert d’une motion de fixation de délai pour imposer la manière dont il veut rendre des comptes au Sénat. Est-ce que le Sénat souhaite ouvrir cette porte, en permettant au représentant du gouvernement au Sénat d’imposer la manière dont le gouvernement rend des comptes? Le Sénat, la Chambre de second examen objectif, est en train d’étudier une motion qui vise à étouffer le débat sur la modification du Règlement. Il ne suffit pas à Justin Trudeau d’avoir nommé 80 sénateurs dans cette Chambre; il lui faut aussi faire taire la voix des conservateurs.
Rappelons que, lors des dernières élections, près de 6 millions de Canadiens ont voté pour le Parti conservateur, élisant 119 députés conservateurs. Que vous le vouliez ou non, nous avons un lien direct avec l’électorat des élections fédérales de 2021, et nous sommes leur voix au Sénat. C’est un fait. Ainsi, en tant que sénatrice conservatrice, je représente deux voix : une voix pour les habitants de ma province natale, le Nouveau-Brunswick, et une voix pour les Canadians de l’ensemble du pays qui ont voté pour les conservateurs lors des dernières élections. Avec la motion no 165, nous diluons la voix de près de 6 millions de Canadiens qui ont exprimé leur vote dans le dernier scrutin.
En ce qui concerne la troisième question, sur les débats tenus au Sénat, je ne vois pas en quoi nous améliorons les débats du Sénat. Durant toute ma carrière au sein de la législature provinciale et au Sénat, je n’ai jamais vu les règles qui régissent les débats dans l’une ou l’autre des deux enceintes constituer une barrière ou un obstacle. Nous ajoutons plus de variables, plus d’imprévisibilité et, d’une certaine manière, un processus plus hostile au gouvernement qui a reçu un mandat du peuple. Notre objectif est-il de commencer à remettre en cause la volonté des élus?
La quatrième question, et la plus importante, à mon avis, vise à déterminer si nous servons mieux les Canadiens et notre démocratie. Même si la motion no 165 a été présentée comme étant plus démocratique, pourquoi a-t-il fallu si longtemps au gouvernement libéral pour enfin appuyer la démocratie, alors que nous sommes à moins de 18 mois des prochaines élections? Pourquoi ne pas l’avoir fait il y a trois ans au nom de la démocratie et de l’équité pour tous les groupes de sénateurs, comme il le prétend?
À mon avis, le moment choisi confirme que le gouvernement consulte les mêmes sondages que nous, à savoir que la chute du gouvernement libéral actuel est proche. En guise de cadeau d’adieu, le gouvernement libéral veut compliquer la vie du futur gouvernement conservateur en imposant ces règles.
Ayant fait de la politique pendant 25 ans, j’ai appris que le moment choisi est essentiel, ce qui m’amène à ma conclusion sur la raison pour laquelle le gouvernement est si désireux d’imposer sa volonté à cette Chambre.
En 2014, Justin Trudeau a décidé de mettre à pied tous les sénateurs libéraux pour se protéger du scandale des dépenses au Sénat. Il a présenté cette décision comme une tentative de réforme, mais il s’agissait en réalité d’une manœuvre politique visant à mettre de la distance entre lui et le Sénat.
La motion no 165 est la dernière étape de la réforme libérale du Sénat. Il est ahurissant, chers collègues, mais aussi tout à fait à propos, que le dernier élément de la réforme du Sénat du gouvernement libéral soit imposé au moyen d’une fixation de délai.
Tout comme le débat d’aujourd’hui sur la motion no 165, il s’agit davantage d’une motivation politique visant à empêcher le prochain gouvernement conservateur de remplir le mandat qui lui a été confié par l’électorat. S’il y a une constante chez Justin Trudeau et le gouvernement libéral depuis 2015, c’est bien la notion de « politique en tout temps », ce qui s’applique certainement aujourd’hui à la motion no 165 et à l’utilisation de la fixation de délai.
Chers collègues, si le gouvernement a la prérogative de recourir à la fixation de délai lorsqu’il le juge nécessaire dans le cadre de l’étude d’un projet de loi, employer un tel moyen à l’égard d’une motion du gouvernement pour imposer des modifications au Règlement du Sénat est à mon avis une mauvaise utilisation de cet outil. Il serait difficile de me convaincre que la fixation de délai a été mise à notre disposition pour qu’on puisse imposer des changements au Règlement aussi importants que ceux proposés dans la motion no 165.
Pourquoi le gouvernement croit-il devoir recourir à la fixation de délai pour faire adopter une motion qui est largement appuyée par les sénateurs, exception faite de ceux de l’opposition officielle? Nous sommes 13, chers collègues, mais le gouvernement veut quand même faire adopter la motion no 165 à toute allure. Qu’est-ce qui presse?
À mon avis, ce que nous voyons ici aujourd’hui, c’est l’échec de la réforme du Sénat par Justin Trudeau. Avant 2015, des sénateurs qui représentaient le gouvernement siégeaient dans chaque comité, et il y avait des présidents et des vice-présidents provenant du gouvernement et de l’opposition. Au Comité du Règlement, il pourrait y avoir un dialogue entre le gouvernement et l’opposition sur les modifications à apporter au Règlement.
Aujourd’hui, il n’y a plus de dialogue entre le gouvernement et l’opposition. Nous savons tous qui est l’opposition : les conservateurs au Sénat. Peut-on dire qui représente le gouvernement? Est-ce que ce sont les trois sénateurs du bureau du représentant du gouvernement? Qu’en est-il du Groupe des sénateurs indépendants, du Groupe progressiste du Sénat ou du Groupe des sénateurs canadiens? Nous ne le savons pas. Comment peut-il y avoir un dialogue constructif entre le gouvernement et l’opposition lorsque leurs représentants ne se croisent que dans l’enceinte du Sénat?
Chaque groupe ici a probablement une opinion sur ce que le Règlement devrait être, sans parler des sous-groupes qui ont un avis probablement différent sur la question. Par conséquent, le gouvernement libéral a décidé de présenter une motion qui donne quelque chose à tout le monde, sauf à l’opposition.
Depuis 1999, j’ai eu l’occasion de siéger de l’autre côté de l’allée, sur les banquettes du gouvernement, pendant cinq ans au Sénat et huit ans à l’assemblée provinciale. Comme beaucoup de mes collègues le savent, j’ai rarement, pour ne pas dire jamais, participé aux jeux politiques qui opposent les partis. Cela ne m’a pas empêchée d’exiger des comptes auprès du gouvernement ou de défendre des politiques dans deux institutions. Cependant, je ne suis pas à l’aise avec ce que le gouvernement tente de faire et qu’il réussira probablement à faire.
À la lumière de ce que j’ai entendu la semaine dernière et de ce que j’ai vu ces derniers mois et ces dernières années, je ne peux pas rester silencieuse, car c’est l’objectif de la motion : faire taire la voix des conservateurs au Sénat en diluant notre statut par rapport aux autres partis. La pente vient de devenir plus glissante, chers collègues. Si je ne peux rien faire pour l’arrêter, comme me l’ont demandé mes concitoyens, je peux au moins faire part de mes inquiétudes. Ai-je raison ou tort? L’avenir nous le dira. Cependant, je veux encourager tous mes collègues à réfléchir attentivement à la voie dans laquelle nous nous engageons. Merci.
Honorables sénateurs, je veux aussi donner mon opinion au sujet des motions nos 169 et 165. Comme la sénatrice Poirier, je ne crois pas que le fait de donner mon opinion changera quoi que ce soit au résultat final, mais je pense qu’il est important de consigner mon opinion au compte rendu. De cette façon, il n’y aura aucune ambiguïté dans 5, 10 ou 12 ans.
Ce qui importe vraiment n’est pas le risque pour la démocratie ou pour les rôles de l’opposition ou du gouvernement. L’enjeu existentiel ici est de savoir quel type d’institution sera le Sénat du Canada dans une semaine, dans un mois ou dans un an.
Le Sénat a des défis à relever depuis quelque 157 ans. Ces défis se présentent parce que les sénateurs ne sont pas élus. Contrairement aux députés, nous ne représentons pas la volonté démocratique de la population. Or, nous jouissons assurément des privilèges qui découlent de la volonté exprimée lors des élections.
Ces défis existent, mais ce n’est pas parce que la composition du Sénat n’est pas représentative du résultat des dernières élections. Ce qui est impératif et ce qui s’est passé historiquement, c’est que tous les sénateurs ont compris que leur façon de se comporter dans les limites de la démocratie canadienne était fondamentale pour asseoir la crédibilité de cette institution.
La démocratie a deux volets : les élections générales et le Parlement. Bien entendu, les résultats des élections générales déterminent qui gouverne, moyennant l’appui récolté au Parlement. Toutefois, dans l’intervalle entre les élections, la démocratie s’exerce au Parlement, c’est-à-dire à la Chambre des communes et au Sénat. Il est important que les voix minoritaires exercent un rôle important au Parlement entre les élections. Quand je dis « voix minoritaires », et quand on parle des voix minoritaires au Sénat, habituellement, cela désigne ceux qui perdent les élections. Ces voix doivent se faire entendre au Parlement entre les élections pour exiger des comptes du gouvernement et influencer ses décisions.
Personne ne veut enlever son mandat ou son droit de gouverner au gouvernement. Nous ne l’avons certainement pas fait en 2015, lorsque le gouvernement Trudeau a remporté les élections, ni aux deux élections générales subséquentes. Conformément à sa plateforme électorale, il a imposé à cette institution le mode de fonctionnement qui faisait son affaire. Nous reconnaissions qu’il y avait une limite à ce à quoi nous pouvions nous opposer, même si nous détenions la majorité au lendemain des élections.
Il faut comprendre que, depuis le début du mandat de ce gouvernement, cette institution reflète de moins en moins les résultats des élections générales et la volonté du public, alors que la Chambre des communes, au contraire, les reflète de plus en plus.
Il est également impératif de comprendre que, à la fin d’un gouvernement — et tous les gouvernements ont une date d’expiration au Canada, c’est ce qu’on appelle la démocratie —, cette institution devient beaucoup trop puissante pour son propre bien. Nous en avons l’exemple aujourd’hui, où 80 des 105 sénateurs ont été nommés par un premier ministre qui est sur le point de partir. Il n’est pas nécessaire d’être un génie pour comprendre. Si vous suivez le processus politique démocratique depuis assez longtemps, vous savez que, si le public ne se débarrasse pas du premier ministre, c’est le Parti libéral qui le fera.
Pourtant, cette institution représente de manière disproportionnée ce dirigeant, ce qui a toujours été son problème. C’était le problème à la fin des gouvernements Harper, Chrétien et Mulroney. Je ne peux pas remonter plus loin, car j’ai un certain âge. Lorsqu’il atteint ce moment historique, chaque groupe majoritaire de cette institution comprend ses limites. Il comprend que le pouvoir est important, que le pouvoir corrompt et que le pouvoir absolu corrompt absolument.
Chers collègues, il est incroyable à mes yeux que huit ans et demi après le début d’une période au cours de laquelle le gouvernement Trudeau a remporté trois élections successives... Les libéraux ont présenté leur programme, qui a été appuyé à la Chambre des communes après le premier mandat d’un gouvernement minoritaire. Il y a eu deux élections qui ont donné aux libéraux un gouvernement minoritaire, et leur programme est passé ici comme une lettre à la poste. Il est passé par cette institution sans rencontrer le moindre obstacle. Nous avons essayé de tenir des débats vigoureux, parfois avec succès, parfois sans succès. Nous savons tous que, les fois où nous avons réussi à avoir des débats vigoureux, c’est parce que la petite opposition au Sénat a fait des pieds et des mains pour que nous tenions ces débats vigoureux. Sans aucun doute, des sénateurs nommés par Justin Trudeau y ont participé. Je ne veux pas minimiser ce fait important.
Il est incroyable que, après huit années et demie pendant lesquelles le gouvernement n’a eu aucune difficulté à faire passer son programme dans cette enceinte, tout à coup, les libéraux pensent qu’il est impératif et essentiel d’aider cette institution en changeant le Règlement et les procédures de cette Chambre indépendante et démocratique. La seule chose ou plutôt les deux choses qui font l’indépendance des sénateurs par rapport au premier ministre qui les nomme, quel qu’il soit, sont leur mandat — le premier ministre ne peut pas les congédier, même s’ils lui disent qu’il fait un travail lamentable ou qu’ils votent contre ses projets de loi — et leur complète indépendance pour ce qui est du Règlement, des procédures et de leurs droits en tant que parlementaires.
Dans les 157 années d’histoire du Sénat, jamais une motion n’a été présentée par un représentant du gouvernement ou un leader, appelez-le comme vous voulez, en vue de modifier les règles et les procédures de cette institution. Jamais, en 157 ans, un gouvernement faible n’a eu besoin d’un mécanisme de fixation de délai pour approuver la violation et le piétinement de chacun de vos droits et privilèges; cela ne s’est jamais fait dans l’histoire de cette institution. Pourquoi en a-t-on soudainement besoin? Vous devriez vous poser ces questions. Pourquoi, dans ce nouveau Sénat indépendant, les leaders des groupes sont-ils à l’origine du débat le plus vigoureux sur ces modifications de la règle de procédure? Auparavant, nous n’en avions que deux; aujourd’hui, nous en avons trois ou quatre. Dans quelques années, il y en aura peut-être 15. Qui sait? Bien entendu, tout cela a pour but d’améliorer le débat.
Je dirai ceci : la fixation de délai est un outil légitime dont dispose le gouvernement parce que c’est son droit de gouverner, mais il ne devrait jamais l’imposer pour apporter des modifications aux règles et aux procédures dans l’une ou l’autre des deux Chambres. Soit dit en passant, ce genre de manœuvre ne serait jamais tentée à la Chambre des communes; il y aurait une émeute, même chez les partenaires de coalition du gouvernement, les néo‑démocrates.
Cependant, je suis déchiré au sujet de la motion no 169, car je suis ici depuis assez longtemps. J’ai siégé au gouvernement et dans l’opposition. Soit dit en passant, dans notre système démocratique parlementaire britannique, il y a un gouvernement et une opposition. Je me souviens lorsque je siégeais du côté du gouvernement et que nous étions 65 ou 70. Il y avait 30 sénateurs du côté de l’opposition, et ils étaient agaçants. Les sénateurs Cordy, Massicotte et Cowan — est-ce que vous en vous souvenez, sénateur Tannas? Ils étaient agaçants. Si vous croyez que nous le sommes, regardez ces vieux débats. Or, en temps voulu, je me suis rendu compte que c’est ce qu’une opposition est censée faire. C’est ce qu’on appelle la démocratie : être agaçants, avoir des débats vigoureux et rendre la vie aussi difficile que possible au gouvernement.
Lorsqu’ils présentent des motions en accordant les mêmes droits, privilèges et outils dans la boîte à outils à un autre caucus plus nombreux que celui de l’opposition dont les membres croient qu’ils devraient bénéficier des mêmes droits parce qu’ils forment un groupe plus nombreux au Sénat même s’ils ont été nommés par le gouvernement, cela n’a aucun sens. C’est un argument déconcertant. On permet en fait à un groupe plus nombreux d’étouffer et de noyer les quelques voix de l’opposition qui restent. Si ces voix se sont faites si rares en ces murs, c’est uniquement à cause de la nature de l’institution. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une assemblée élue. Si ce l’était, il y aurait beaucoup plus de conservateurs assis de ce côté-ci depuis les deux dernières élections. Nous devons être conscients de cette réalité et la respecter, peu importe à quel endroit on se trouve dans le spectre politique.
Je ne reproche rien à mes collègues indépendants, car vous respectez la volonté du gouvernement. C’est une motion du gouvernement. Il utilise la fixation de délai pour la faire adopter au lieu de respecter une tradition vieille de 157 ans, qui consiste à en débattre et à en discuter au Comité du Règlement. Nous ne parviendrons peut-être pas à un consensus. Dans l’enceinte du Sénat, la majorité a le droit de changer les règles et les procédures. C’est ainsi que les choses fonctionnent. Nous avons tous le droit de faire cela.
Examinons-la article par article et voyons quel en seront les répercussions. Soyons assez intelligents pour réaliser que dans six ou huit ans, ceux d’entre vous qui se trouveront dans cette Chambre seront peut-être assis de ce côté-ci, sous un gouvernement Poilievre qui entrera dans sa huitième année et aura nommé 60 ou 70 sénateurs. Pensez à une motion en particulier, où il y a une dizaine de représentants du gouvernement parce que celui en place a établi ce précédent. Notre institution est régie par la Constitution et les précédents non écrits que nous établissons au fil des ans. Nous sommes en train d’en établir un. Le gouvernement peut apporter des modifications unilatérales au Règlement. Il peut recourir à la fixation de délai pour les adopter et dans cette enceinte, nous n’avons pas besoin de consensus. Si vous avez une majorité de sénateurs nommés, ils adopteront tout ce qu’ils veulent.
Je suis désolée, votre temps de parole est écoulé.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de la motion de fixation de délai. Qu’est-ce qui me pousse à prendre la parole? J’aimerais vous faire part d’une histoire personnelle qui nous renseigne sur l’importance d’une saine démocratie.
À l’époque où ma fille Shaanzeh était en quatrième année, notre député fédéral a lancé un concours et invité les élèves à rédiger un texte sur la démocratie. Shaanzeh a remporté ce concours. Le prix était un voyage à Ottawa, le siège de la démocratie canadienne, où l’on assisterait à des débats. Vous devez vous demander sur quel sujet Shaanzeh a écrit pour remporter le concours.
Eh bien, mon père, qui était sénateur, venait d’être emprisonné. En effet, la loi martiale était en vigueur et tous les sénateurs et députés du gouvernement avaient été sortis de chez eux et emprisonnés pendant la nuit. Shaanzeh ne m’avait jamais posé de questions là-dessus. Je ne m’étais pas rendue compte de l’effet que l’incident avait eu sur elle jusqu’à ce qu’elle rédige cette composition.
Qu’a-t-elle écrit? Elle a écrit: « J’ai beaucoup de chance de vivre au Canada, où je peux m’exprimer librement sur n’importe quoi, sans risquer la prison. » Je savais de quoi elle parlait, mais ses camarades de classe ont répondu: « Mon Dieu, Shaanzeh, ton grand-père est en prison? Qu’a-t-il fait? Qui a-t-il tué? » En effet, ceux d’entre nous qui vivent au Canada et les enfants qui sont nés et ont grandi ici sont conscients que l’on ne se fait pas emprisonner pour avoir exprimé son opinion ou avoir pris part à un débat.
Lorsqu’elle est venue à Ottawa, je l’ai accompagnée. Je ne me doutais pas que, bien des années plus tard, je travaillerais ici. Je suis tellement choyée.
Je crois qu’il est important de ne pas écourter hâtivement ce débat, car cela pourrait avoir des effets persistants sur nos institutions démocratiques. J’ai de la difficulté avec la fixation de délai dans cette enceinte, car je crois que nous ne devrions jamais limiter la capacité des parlementaires à s’exprimer. Nous sommes avant tout la Chambre de second examen objectif, où il y a beaucoup de débats. Ces débats font partie de notre mandat, et nous avons le grand privilège de pouvoir nous exprimer librement.
Je suis arrivée au Canada en 1980, et je suis fière de dire que je suis ici chez moi. Au fil des ans, j’ai vu à quel point il est facile pour les démocraties de dérailler. Je crois que nous sommes chanceux de siéger à la Chambre rouge et de prendre le temps de débattre en profondeur des questions importantes qui auront souvent une incidence sur notre travail, mais aussi, en fin de compte, sur la vie des Canadiens.
Même ma fille, alors qu’elle n’avait que 9 ans, comprenait l’importance non seulement d’exprimer ses préoccupations, mais aussi d’écouter les idées des autres. Une démocratie demande du travail. Il faut rester vigilant, écouter les autres et faire preuve d’empathie.
Honorables sénateurs, je vous exhorte à vous rappeler que la motion no 169 doit transcender les lignes de parti et que nous devons penser au bien-être de notre démocratie pour les générations à venir. Merci.
Honorables sénateurs, je vais participer au débat au sujet de l’amendement et de la motion principale si la motion no 169 visant à fixer un délai à ce débat est adoptée. Comme il est tard dans le débat sur la motion de fixation de délai, je réalise maintenant que le temps dont je dispose pour présenter toutes mes préoccupations sera limité. Je souligne une préoccupation dans mon discours sur la motion principale, mais à cause de la motion de fixation de délai, qui ne nous accorde que six heures, notre leader, qui dispose d’un temps de parole illimité, pourrait prendre une bonne partie de ce temps, ce qui ne me laissera que 15 minutes...
Cinq et demie.
Je parle du débat de six heures, sénateur.
Cette fixation de délai vise réellement à limiter le débat et la discussion qui doit se poursuivre au sujet de cette motion à la portée très large.
Le Feuilleton, qui est notre plumitif, est très volumineux. Il comporte deux rubriques : « Affaires du gouvernement » et « Autres affaires ». Si cette motion à la portée très large qui propose des changements au Règlement était inscrite à titre de motion régulière sous la rubrique « Autres affaires », nous aurions suffisamment de temps pour en débattre et examiner les détails plus attentivement. Nous pourrions peut-être même la renvoyer au Comité du Règlement, comme il se doit.
Certains d’entre vous diront que ce dossier a été étudié par divers comités, y compris le Comité du Règlement. Toutefois, tout au long de ma carrière de sénatrice, j’ai appris à quel point il est important que les rapports du Comité du Règlement fassent l’objet d’un consentement unanime quand ils reviennent au Sénat, parce que ce ne sont pas tous les sénateurs qui siègent à ce comité. Certains sénateurs font partie de l’opposition tandis que d’autres sont indépendants. Tous les sénateurs peuvent participer aux débats lors des réunions du comité. En ce qui concerne le vote sur le rapport, toutefois, il faut obtenir le consentement unanime et l’aval de toutes les personnes présentes. Les modifications proposées dans les rapports peuvent ensuite être examinées dans cette enceinte et mises aux voix et, espérons-le, obtenir un consentement unanime parce que le Règlement touche tout le monde.
Certains propos tenus par mes collègues m’inquiètent. Je tiens à exprimer officiellement mes préoccupations à ceux d’entre vous qui se demandent encore s’ils vont appuyer cette motion de fixation de délai. Nous faisons appel à vous et nous vous disons qu’il nous faut plus de temps. Il s’agit d’une motion qui vise à modifier en profondeur de nombreuses dispositions de notre Règlement, et même la modification d’une seule disposition nécessiterait un débat en bonne et due forme. Comme je l’ai dit, à mon avis, cette motion devrait être renvoyée au Comité du Règlement.
Le sénateur Carignan a déjà expliqué la situation en citant une partie des précédents à ce chapitre. Le gouvernement a des moyens à sa disposition. C’est pour cela qu’il s’agit d’une motion du gouvernement. Je suis au courant, car j’ai déjà fait partie du gouvernement. Je pense que je suis probablement la personne qui a présenté le plus de motions de fixation de délai, mais c’était toujours pour des projets de loi, et non pour des motions. Le gouvernement a divers moyens à sa disposition, comme la réorganisation des affaires du gouvernement afin de donner la priorité à ce qu’il veut mettre à l’étude en premier. Puis, il y a le recours à la fixation de délai. Je suis favorable à ce qu’on l’utilise pour les débats sur des projets de loi lorsque le gouvernement doit faire avancer son programme. Cet outil sert à cela. Toutefois, au cours de ma carrière dans cette enceinte, que ce soit au gouvernement ou dans l’opposition, je n’ai jamais vu une motion du gouvernement visant à modifier non seulement une disposition, mais de nombreuses dispositions du Règlement, et pouvant avoir des conséquences prévisibles et imprévisibles pour les années à venir, jusqu’à ce qu’on apporte de nouveaux changements, peut-être au moyen d’une autre motion du gouvernement. J’espère que nous n’allons pas établir un précédent, car c’est ce qu’on s’apprête à faire en ce moment.
On créera un précédent.
C’est ce qui m’inquiète beaucoup et me rend très mal à l’aise, comme l’a exprimé clairement la sénatrice Poirier. Cette situation me dérange également.
Lors d’un débat précédent, j’ai parlé d’une simple modification du Règlement qui, selon nous, aurait facilité la vie non seulement du gouvernement, mais aussi de l’opposition, en ce qui concerne le changement de la composition des comités. Il s’agissait d’une substitution, et non d’un changement complet, pour que, lorsqu’un sénateur en remplace un autre à une réunion de comité, il devienne membre du comité pour la durée de la réunion. Cela figure sur le site Web. Les sénateurs remplaçants auraient eu les mêmes responsabilités et les mêmes droits que les sénateurs qu’ils remplacent à une réunion de comité. Nous pensions qu’une substitution rapide serait plus facile à réaliser et plus efficace. J’ai proposé ce changement au Comité du Règlement, et il a été adopté à l’unanimité. Par contre, quand le rapport est arrivé au Sénat, comme je l’ai expliqué, un sénateur s’est fortement opposé à ce changement. Il a souligné l’importance pour les sénateurs d’être présents lors des délibérations des comités et d’avoir le plein droit d’y être, même s’ils ne sont pas des remplaçants, mais bien des membres à part entière à cette réunion de comité. Je me suis dit que c’était un point important.
Je me souviens que les greffiers me regardaient d’un air entendu, car ces changements de règles doivent être examinés avec soin en tenant compte de leurs conséquences et de la manière dont ils nuisent ou contribuent à ce que nous essayons de faire au Sénat. J’ai appris ma leçon en tant que leader adjointe du gouvernement à propos d’une simple modification du Règlement et du fait que s’il y a de l’opposition, c’est qu’il peut y avoir une bonne raison. En effet, il est d’autant plus important que les membres de l’opposition ou les sénateurs indépendants et non affiliés approuvent cette modification du Règlement, car elle aura une incidence sur eux.
Comme l’a fait remarquer la sénatrice Batters, le fait que les droits des sénateurs non affiliés soient réduits s’avère très préoccupant. Cette situation devrait préoccuper chacun d’entre nous, car elle pourrait concerner l’un d’entre nous à un moment ou à un autre. Nous devons penser à ce qu’il en est lorsque l’inverse se produit.
Je m’exprime aujourd’hui dans l’opposition, mais je comprends la frustration que beaucoup d’entre vous peuvent ressentir face aux efforts que vous avez déployés pour essayer de modifier certaines règles. J’espère néanmoins que vous pouvez également constater qu’en tant que Sénat, nous avons fait quelques aménagements remarquables ou des changements ponctuels. Par exemple, grâce à l’expression « avec le consentement du Sénat », nous permettons à de nombreuses choses de se produire, et, grâce aux ordres sessionnels, de nombreuses choses peuvent entrer en vigueur.
Nous avons été une opposition à la fois dure et embêtante. Cependant, lorsque nous étions au gouvernement, l’opposition libérale a été d’une grande efficacité. J’ai beaucoup appris d’elle. J’étais consciente du rôle que ces sénateurs devaient jouer dans l’opposition et du rôle que nous devions assumer au gouvernement. Je suis consciente de l’efficacité des moyens dont le gouvernement dispose.
À cause de cette motion de fixation de délai qui limite le débat, j’ai l’impression que je n’aurai que deux autres occasions de prendre la parole, au sujet de l’amendement et de la motion principale, alors que je pourrais faire une multitude de discours sur chacune de mes préoccupations au sujet du Règlement; certains de ces problèmes ont été portés à mon attention dans le cadre du débat d’aujourd’hui.
Concrètement, cette motion de fixation de délai permettra au gouvernement de modifier le Règlement en s’appuyant sur une position de pouvoir parce qu’il a la possibilité de limiter le débat. C’est un abus de pouvoir de recourir à cet outil pour quelque chose d’aussi important que les règles qui s’appliqueront à l’ensemble du Sénat. Chacun d’entre nous sera touché — que nous formions le gouvernement ou l’opposition, que nous soyons affiliés à un groupe ou non affiliés. Honorables sénateurs, je vous exhorte tous à réfléchir à ce que nous nous apprêtons à faire en limitant le débat et en permettant au gouvernement de recourir à cet outil pour une motion qu’il a présentée afin de modifier de nombreuses règles, et non pas une seule. Il s’agit de règles qui limiteront les pouvoirs et les droits de certains sénateurs ici. Je vous incite à saisir l’occasion de ne pas appuyer cette motion de fixation de délai. Nous pouvons rejeter cette motion et reprendre le débat. C’est ce que je vous demande à tous. Je vous prie d’examiner attentivement les répercussions et les conséquences imprévues de ce que nous sommes sur le point de faire avec cette motion. Merci.
Bravo!
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour discuter de la nécessité de proposer la fixation de délai à ce moment précis du débat concernant le Règlement du Sénat. Il est ironique que le seul amendement que les sénateurs puissent apporter à la motion visant à modifier le Règlement soit le mien, puisque l’adoption d’une motion de fixation de délai à ce moment-ci empêchera la proposition de tout autre amendement.
Ce matin, par pure coïncidence, le Comité du Règlement a entendu le sous-greffier, Procédure, de la Chambre des communes et le directeur des opérations, Affaires parlementaires, du Bureau du Conseil privé, concernant les réponses différées et les réponses aux questions écrites — le sujet même de l’amendement que j’ai proposé.
Étant donné que les sénateurs ont un horaire chargé, qu’il y a parfois des conflits d’horaire entre les réunions des divers comités et qu’il est peu probable que tous aient eu le temps de consulter la transcription de la réunion de ce matin, j’aimerais porter les questions suivantes à votre attention.
Lorsque nous lui avons demandé si le gouvernement est tenu de fournir une réponse complète ou directe aux questions écrites, le sous-greffier, Procédure, de la Chambre des communes a déclaré :
Les décisions de la présidence sont plutôt unanimes à savoir que le Président de la Chambre des communes n’a pas le pouvoir de juger de la qualité, de l’exhaustivité ou de l’exactitude des réponses fournies.
En outre, le greffier a ajouté :
Il est même possible pour le gouvernement de répondre : « Nous ne sommes pas en mesure de répondre. » C’est vu comme une réponse.
Le Bureau du Conseil privé a également indiqué qu’il employait un langage restrictif lorsqu’il n’est pas en mesure de répondre complètement à une question.
Ce qui déclenche le renvoi au comité, c’est le fait de dépasser le délai pour la production d’une réponse; le contenu de la réponse n’a aucune importance. Aux termes de la motion no 165, la règle serait de faire un renvoi au Comité du Règlement lorsqu’une réponse ou une explication de l’absence de réponse n’est pas donnée dans le délai prévu. Je voulais clarifier ce point, parce que, hier, lorsqu’on m’a posé la question, je n’ai pas bien expliqué que, concrètement, l’amendement que je propose ne changera pas le fait qu’une réponse inadéquate n’entraîne pas un renvoi au Comité du Règlement. Je voulais que ce soir clair.
Mon amendement supprime simplement un doublon inutile et une lacune de la procédure qui donnerait au gouvernement la possibilité de ne même pas tenter de répondre à une question en expliquant pourquoi une réponse n’a pas été fournie. À la Chambre des communes, toutes les questions reçoivent une réponse dans un délai de 45 jours. Il devrait en être de même au Sénat. En fait, ce matin, lorsqu’on a demandé si on pouvait adopter ce délai pour le processus des questions au Sénat proposé dans l’amendement, on a répondu que c’est possible. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi nous voterions en faveur de la motion de fixation de délai avant que le compte rendu des délibérations du comité soit officiellement publié pour vous donner le temps de réfléchir.
Chers collègues, ce débat sur les délais de réponse — 60 jours par rapport à 45 jours — a pour but d’assurer l’égalité de tous les parlementaires. Si nous conservons le délai de 60 jours, la Chambre des communes sera avantagée en raison de son délai plus strict. Le Bureau du Conseil privé a affirmé ceci :
[…] En l’absence de délai, il y a toujours un risque que, lorsqu’il y en a un à la Chambre des communes, on accorde la priorité à ces questions, étant donné leur nombre […]
Enfin, le Bureau du Conseil privé a dit ce qui suit :
En ce qui concerne les réponses du Sénat, lorsque nous affectons les questions, nous indiquons dans notre formulaire d’affectation qu’il faut y répondre dans un délai raisonnable. Nous interprétons cela comme étant aussi proche que possible de ce que nous utilisons à la Chambre des communes.
Je termine mes observations en soulignant que, dans le cadre d’une demande d’accès à l’information ou de renseignements personnels sur la méthode employée par le gouvernement pour établir l’ordre de priorité des questions écrites du Sénat, le document a révélé que, s’agissant des questions du Sénat, les délais sont souples s’il y a d’autres urgences.
Honorables sénateurs, je pense que nous devons changer cette culture. Cette motion est un petit pas dans cette direction, puisqu’elle permettrait que, en tant que parlementaires, nous ayons un Règlement comparable à celui de l’autre endroit. Je crains que, en tant que parlementaires et en tant que sénateurs, nous ne soyons pas pris au sérieux à cause de notre propre inaction par rapport à l’adoption de mesures progressives, comme celle que je propose, qui n’enlève rien du tout aux modifications du Règlement. Ces mesures, en fait, nous mettent sur la voie de l’obtention d’une plus grande reconnaissance en tant que parlementaires.
Je vous remercie de m’avoir écouté.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l’emportent.
Convoquez les sénateurs pour un vote à 17 h 33.