La Loi sur les aliments et drogues
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
30 mai 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-252, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction — publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants), aussi appelée la Loi sur la protection de la santé des enfants, en tant que porte-parole officielle du projet de loi. Je remercie la sénatrice Dasko d’avoir marrainé ce projet de loi au Sénat, ainsi que mes collègues les sénateurs Petitclerc, Moodie et Gold d’avoir également pris la parole à ce sujet. Je m’en voudrais également de ne pas souligner le travail accompli dans le passé par les députés James McGrath et Peter Julian et par l’ancienne sénatrice Nancy Greene Raine pour limiter la publicité destinée aux enfants.
Le projet de loi C-252, Loi sur la protection de la santé des enfants, vise à restreindre la publicité d’aliments et de boissons dont les taux de sucres, de gras saturés ou de sodium excèdent les taux réglementaires qui est destinée aux enfants de moins de 13 ans. La version précédente de ce projet de loi visait également à protéger les adolescents contre la publicité d’aliments et de boissons. Le projet de loi C-252 prévoit plutôt un examen parlementaire d’ici cinq ans afin de déterminer s’il y a eu une augmentation de la publicité destinée aux Canadiens âgés de 13 à 16 ans.
Ce projet de loi arrive à un moment où l’on manque cruellement de temps et d’argent, compte tenu du coût de la vie actuel. Il pourrait être un moyen d’alléger la charge mentale des parents et des personnes qui s’occupent d’enfants en ce qui concerne la planification des repas et les courses. Je veux dire par là que la nourriture est destinée à soutenir notre corps, mais que la majeure partie de la publicité pour les aliments et les boissons ciblant les enfants offre des produits très pauvres sur le plan nutritif et vise plutôt à faire des profits.
Comme les enfants ne sont pas en mesure, d’un point de vue cognitif, de reconnaître les publicités, ils peuvent faire pression sur leurs parents pour que ceux-ci achètent ce qu’ils voient à la télévision ou dans les médias sociaux. Les enfants peuvent être très persuasifs, ce qui peut également rendre plus difficile l’apprentissage d’habitudes alimentaires saines à long terme.
Comme les sénateurs Dasko, Petitclerc et Gold l’ont illustré avec éloquence, la santé des enfants canadiens est en jeu. Nos régimes alimentaires sont aujourd’hui tristement dominés par les aliments ultra-transformés, qui sont riches en sel, en sucres et en graisses saturées, et les enfants âgés de 2 à 18 ans tirent désormais plus de la moitié de leurs calories de ces aliments ultra-transformés. Cette situation n’est pas du tout surprenante, puisque le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a appris, lors de son étude de 2016 sur l’augmentation de l’obésité au Canada, que le nombre d’enfants canadiens obèses avait triplé depuis 1980.
Les enfants obèses ou ayant un surplus de poids courent non seulement un risque accru de développer de manière prématurée des maladies chroniques et autres affections médicales, mais ils risquent aussi davantage de subir de l’intimidation et de souffrir de dépression. Ce n’est pas seulement une question d’apparence physique, leur bien-être général est aussi en jeu. Les enfants obèses présentent des niveaux plus élevés d’anxiété et une plus faible estime de soi à l’adolescence.
Il peut être particulièrement difficile de limiter l’exposition d’un enfant à la commercialisation, parce que cette dernière a atteint de nouveaux sommets avec la grande quantité de données personnelles qui sont maintenant disponibles, en partie grâce aux médias sociaux. Les spécialistes du marketing maîtrisent l’art de rejoindre un public cible avec des messages convaincants rédigés par des équipes de professionnels et mis à l’essai sur des groupes cibles. Il n’est donc pas surprenant qu’un rapport de l’UNICEF publié en 2021 conclue que la commercialisation alimentaire met en péril les droits des enfants, notamment en les exposant à des produits alimentaires nuisibles pour la santé composés d’aliments hautement transformés. Malheureusement, ces produits alimentaires malsains sont aisément accessibles et très commodes.
En autorisant une commercialisation et une visibilité aussi omniprésente de ces aliments et de ces boissons qui peuvent avoir des conséquences importantes sur la santé, comme les maladies cardiaques, le diabète et certains cancers, nous plaçons les enfants en situation d’échec. Malgré tout, chaque année, 1,1 milliard de dollars sont consacrés à la commercialisation de produits alimentaires et de boissons auprès des enfants au Canada. Plus de 90 % des publicités d’aliments et de boissons regardées par les enfants en ligne et à la télévision présentent des produits contenant de grandes quantités de sucre, de gras saturés ou de sodium. Le pire, c’est que la publicité destinée aux enfants fonctionne, car elle crée une fidélisation à une marque et a un effet sur les aliments consommés par les enfants.
De nombreux pays, comme les États-Unis et l’Australie, continuent de miser sur l’autoréglementation de la publicité alimentaire destinée aux enfants par l’industrie. Au Canada, l’industrie a lancé en 2007 l’Initiative pour la publicité destinée aux enfants, une initiative volontaire qui limite la publicité de certains aliments destinée aux enfants. Toutefois, la recherche canadienne a démontré que cette initiative laisse les enfants fortement exposés à la publicité alimentaire.
Le Bureau européen des unions de consommateurs a publié en 2021 un rapport sur l’échec de l’autoréglementation à empêcher la mise en marché d’aliments malsains auprès des enfants. Par exemple, sur les 81 plaintes déposées, seules 14 ont abouti. Après avoir constaté que les codes d’autoréglementation existants n’avaient pas donné de résultats positifs, le Royaume-Uni et l’Espagne sont en train d’élaborer leurs propres réglementations. Au Canada, le Québec dispose depuis 1980 de la Loi sur la protection des consommateurs, qui interdit la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans. Je tiens à souligner que cette loi a été maintenue par la Cour suprême du Canada en vertu de l’article premier de la Charte des droits et libertés.
Honorables collègues, je crois que le maintien de la loi québécoise ait par notre plus haut tribunal en vertu de la Charte des droits et libertés est éloquent. Le projet de loi C-252 ne concerne pas les droits et privilèges de l’industrie, mais le droit des jeunes Canadiens à une enfance saine. Les enfants n’ont pas la capacité de réfléchir à la qualité de leur alimentation et, s’ils ne voient à la télévision et en ligne que des publicités pour des collations sucrées, ils risquent de ne même pas savoir qu’il y a d’autres options. Pour empirer les choses, en ligne, les algorithmes contribuent à la création de chambres d’écho et de publicités ciblées.
Cependant, le modèle québécois est loin d’être parfait. La professeure Monique Potvin Kent, lors de son témoignage devant le Comité des affaires sociales, a révélé que, selon ses recherches, les enfants du Québec continuent d’être exposés à des publicités pour des aliments et des boissons sans en être le public cible. Elle a parlé des publicités de McDonald’s qui proposent une autre collation ou un autre repas destiné aux adultes au lieu de promouvoir un Joyeux festin. En fin de compte, les enfants du Québec et de l’Ontario continuent d’être exposés à des quantités égales d’aliments excessivement sucrés et salés.
Récemment, une autre faille dans la loi québécoise sur la publicité destinée aux enfants a été découverte, et elle relève de son incapacité à prendre en compte la publicité intégrée dans les jeux vidéo, et plus particulièrement dans le jeu vidéo de soccer « FIFA ».
Des chercheurs ont constaté que les jeux de la FIFA favorisent les « microtransactions » pendant les parties, par l’entremise de coffres à butin qui sont souvent de couleurs vives et qui peuvent offrir des avantages grâce à un système de loterie qui est comparable aux jeux de hasard. L’Union européenne et le Royaume-Uni ont ouvert la voie en adoptant des dispositions réglementaires qui visent à limiter l’impact de ces coffres à butin.
Actuellement, l’une des difficultés qui complique l’évaluation exacte de la situation, c’est que les pratiques d’autoréglementation en place manquent de transparence, notamment en ce qui concerne le nombre de publicités qui ciblent présentement les enfants.
Selon la professeure Potvin Kent de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, « … l’autoréglementation par l’industrie de la commercialisation des aliments et des boissons au Canada est un échec retentissant… » comme il l’a déclaré lors de l’étude qu’a faite le comité du projet de loi S-228 en 2017. Par exemple, la professeure Potvin Kent a étudié les publicités destinées aux enfants avant et après la mise en œuvre de l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants.
Les résultats montrent que la commercialisation des aliments et des boissons a augmenté de 17 % à Toronto et de 6 % à Vancouver, et qu’on a ciblé les enfants et les adolescents plus souvent, dans une proportion d’environ 92 %. Bref, les publicités des entreprises participantes à l’initiative n’ont pas changé.
Pour être claire, le projet de loi C-252 n’est pas une panacée. La professeure Potvin Kent a réalisé un certain nombre d’études sur la publicité ciblant les enfants avant et après la mise en œuvre de l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. Certains de ses résultats montrent que, même dans le cadre du modèle québécois, les enfants continuent d’être exposés à la publicité sur des aliments et des boissons; ils ne constituent simplement plus le public cible.
Cela ne veut pas dire que le Code canadien des normes de la publicité n’a pas de mérite. Je pense qu’il s’agit d’une initiative pertinente de l’industrie qui démontre une volonté de collaboration. Le Code des pratiques responsables en matière de publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants, entré en vigueur le 28 juin 2023, interdit la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants de moins de 13 ans, à moins que certains seuils nutritionnels ne soient respectés. Il vise toutes les publicités qui présentent un produit alimentaire ou une boisson, qui s’adressent principalement aux enfants et qui apparaissent dans n’importe quel média.
Toutefois, le plus grand défaut du code est que la participation est volontaire et que son respect est motivé par les plaintes. Non seulement le consommateur est ainsi chargé de jouer le rôle de chien de garde, mais cela permet aux entreprises d’échapper à toute forme de responsabilité réelle. Pire encore, le code et le guide précisent que les cas de non-conformité « peuvent » faire l’objet d’un rapport public.
Ceci étant dit, le projet de loi C-252 a certainement des points forts. Il constituera un bon point de départ pour aider les enfants canadiens à prendre le meilleur départ possible dans la vie avec, espérons-le, un régime alimentaire plus équilibré.
Je dois ajouter que la santé des enfants ne dépend pas uniquement de leur exposition à la publicité, mais le projet de loi C-252 pourrait contribuer à réduire le contenu publicitaire et à augmenter le contenu éducatif.
Le projet de loi cadre également avec l’établissement d’un niveau de vie élevé et uniforme pour les enfants et les jeunes partout au Canada, comme le prévoit le projet de loi S-282, Loi sur la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes.
Il est important de noter que la santé des enfants est une question complexe qui repose sur de nombreuses variables comme la pauvreté, l’éducation, le mode de vie et l’accès aux soins de santé.
J’ai également quelques préoccupations. La plus importante concerne le fait que Santé Canada considère le projet de loi comme un cadre dans lequel des règlements seront élaborés plus tard. Son application manque de clarté, et nous avons constaté avec certains projets de loi, comme le projet de loi C-41, qu’une telle chose peut entraîner des retards et le non-respect de certaines promesses. Je m’inquiète particulièrement des délais de la mise en œuvre de la mise à jour de la politique.
Je pense également que l’examen parlementaire sur l’augmentation potentielle de la publicité destinée aux enfants pourrait arriver trop tard. Il faut une approche rigoureuse et à long terme, ainsi que des données fiables et accessibles. L’une des préoccupations est que les annonceurs ciblent tout simplement les adolescents pour compenser leur perte de marché.
Il pourrait également valoir la peine d’inclure l’industrie dans le processus, ne serait-ce que pour renforcer la communication, la transparence et les attentes.
Un rapport de 2023 de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC combine les résultats de trois études récentes sur la prévalence de la publicité aux points de vente destinée aux enfants dans les magasins et les restaurants. Les résultats montrent que 53 % des magasins avaient des étalages muraux à grande visibilité pour la malbouffe à la caisse. Je sais que cela dépasse la portée de ce projet de loi, car le projet de loi C-252 se concentre sur la télévision et les médias numériques, mais je crois qu’il faut garder ce fait à l’esprit.
Jusqu’à 70 % des décisions d’achat des consommateurs sont prises devant les tablettes des magasins. Par conséquent, les stratégies de placement sont des caractéristiques de marketing clés dans les magasins, et les allées des caisses sont considérées comme des aires de marketing importantes pour les enfants dans les supermarchés.
En Nouvelle-Zélande, une étude utilisant des caméras portables pour étudier l’exposition quotidienne des enfants à la publicité en magasin a révélé qu’elle était si élevée qu’elle était jugée trop vaste pour être réglementée.
Au Canada, un rapport de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC avance que les politiques limitant la publicité destinée aux enfants devraient inclure le point de vente, ce qui fait écho à la stratégie de 2016 de Santé Canada en matière de saine alimentation, dans laquelle on a désigné les épiceries et les dépanneurs comme des milieux importants à examiner. Nous pourrions bénéficier de politiques claires et cohérentes en matière de saines allées de caisse, qui sont associées à une réduction immédiate et importante des achats de collations sucrées et salées — un effet qui se maintient au fil du temps.
Enfin, compte tenu des difficultés auxquelles nous sommes confrontés chaque fois que nous essayons de légiférer sur quoi que ce soit en ligne, je pense que nous avons besoin d’une approche claire pour contrôler les publicités sur les médias sociaux, en particulier en ce qui concerne les influenceurs. Le temps d’écran des enfants a augmenté au plus fort de la pandémie, ce qui s’est également traduit par une plus grande exposition à la publicité alimentaire; parmi les enfants canadiens âgés de 7 à 11 ans, 26 % possèdent aujourd’hui leur propre téléphone cellulaire.
On estime que les enfants voient cinq publicités alimentaires par jour à la télévision et quatre sur les médias sociaux. On estime également que les adolescents sont exposés à environ 27 publicités alimentaires par jour sur les médias sociaux. Nous devons garder à l’esprit que le paysage médiatique a considérablement changé, et que cela fait partie du problème beaucoup plus vaste des plateformes en ligne non réglementées.
Pour atteindre son objectif, le projet de loi C-252 pourrait nécessiter la mise en place d’un conseil consultatif. Plutôt que de s’en remettre à des consultations publiques sporadiques, il pourrait être bénéfique qu’une équipe d’experts, ainsi que des personnes ayant une expérience directe des publicités ciblées, commentent la mise en œuvre de ce projet de loi et son évolution.
En conclusion, le projet de loi C-252 est loin d’être parfait, mais j’applaudis cette tentative d’améliorer la santé des enfants canadiens. Une chose que nous devons garder à l’esprit, c’est que, lorsqu’il est question de la santé des enfants et de l’accès à des aliments nutritifs, la responsabilité devrait incomber aux annonceurs et aux entreprises plutôt qu’aux consommateurs.
Je suis impatiente de voir le comité aborder ce projet de loi. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)