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Question de privilège

Report de la décision de la présidence

23 novembre 2023


Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, nous passons à la question de privilège soulevée récemment par la sénatrice Saint-Germain. Je suis maintenant prête à entendre des arguments, tel qu’annoncé mardi. Comme je l’avais dit alors, j’invite les sénateurs à faire des interventions aussi brèves que possible et à ne présenter que de nouveaux points.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Tout d’abord, Votre Honneur, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’examiner les enjeux soulevés mardi, de faire des recherches et de préparer mes observations. En premier lieu, je mettrai en contexte les événements qui se trouvent au cœur de la question de privilège de la sénatrice Saint-Germain.

En deuxième lieu, je mettrai en évidence quelques éléments qui devraient, selon moi, guider votre décision.

Enfin, je conclurai avec des considérations d’ordre personnel.

Je vous prie à l’avance de m’excuser, Votre Honneur, car mon intervention risque de ne pas être tout à fait aussi courte que vous le souhaitiez. J’espère que vous serez indulgente.

Je reviendrai plus tard sur les faits qui se sont produits le 9 novembre et qui ont été soulevés mardi. Je commencerai toutefois par expliquer à la présidence et à nos collègues pourquoi les sénateurs de l’opposition étaient mécontents — plusieurs vous diront même furieux — quand le débat sur le projet de loi C-234 a été ajourné.

Premièrement, nous avions l’impression — j’avais l’impression — qu’une entente avait été conclue entre les groupes pour terminer le débat le jeudi 9 novembre. En ce qui nous concerne, nous nous étions entendus 10 jours plus tôt. Bien entendu, il revient à tous les leaders ou à tous les groupes de changer d’avis. On aurait pu s’y attendre, mais on se serait peut-être attendu à ce que les autres leaders — s’ils avaient changé d’idée — m’avisent que le débat sur le projet de loi C-234 ne se terminerait pas ce soir-là. Ils ne l’ont pas fait.

Les différents groupes et leurs leaders ont tout à fait le droit de conclure des ententes — ou non — pour faire adopter des projets de loi ou choisir le moment du débat. Ils ont tout à fait le droit de changer d’avis. Je crois toutefois qu’il est de courtoisie élémentaire d’aviser les autres groupes lorsqu’il y a un changement après la conclusion d’une entente, et c’est habituellement le cas; ce ne l’a pas été le 9 novembre.

Deuxièmement, nous avons été quelque peu surpris lorsque la sénatrice Moncion a proposé un amendement. Je vous rappelle, Votre Honneur, que dans notre esprit, le débat sur le projet de loi devait se terminer ce jour-là, alors, à notre grande surprise, un sénateur a proposé un amendement. La sénatrice Moncion, comme tout autre sénateur, a le droit absolu de proposer un amendement à n’importe quel projet de loi, quelle que soit la teneur de cet amendement, et nous reconnaissons et respectons ce droit.

Les sénateurs savent que la plupart du temps, les préavis d’amendement sont présentés lors de la réunion de préparation. Le 9 novembre, aucun préavis de ce genre n’a été donné aux autres groupes, en tout cas certainement pas à nous.

Comme je l’ai dit, un sénateur a parfaitement le droit de proposer un amendement. C’est toutefois faire preuve de courtoisie élémentaire que d’en informer les autres groupes. On ne nous a pas accordé cette courtoisie élémentaire.

Enfin, la sénatrice Clement a proposé l’ajournement du débat avant que le moindre sénateur ait pu intervenir à ce sujet. Comme on l’a signalé mardi, l’ajournement est généralement proposé après que les sénateurs qui souhaitent participer au débat ce jour-là puissent le faire.

Nous n’avons jamais dit que nous ne voulions pas que des sénateurs qui n’étaient pas dans la salle ce jour-là — comme le sénateur Woo l’a laissé entendre l’autre jour, car il ne pouvait être présent — ne puissent pas participer au débat à une date ultérieure. Ce qui était inhabituel, c’est que l’ajournement a été proposé avant même que la liste des personnes — celles qui étaient dans la salle et qui étaient debout — qui souhaitaient intervenir soit épuisée ou, en l’occurrence, entamée.

Sachez, chers collègues, que dans sa hâte d’ajourner le débat — afin de permettre aux sénateurs qui n’étaient pas dans cette enceinte de participer au débat à une date ultérieure —, la sénatrice Clement a peut-être empêché un des sénateurs présents, le 9 novembre, de participer au débat, alors qu’il voulait le faire, mais qui pourrait ne pas pouvoir être ici à une date ultérieure. Cette personne aurait eu le droit de participer au débat.

Un sénateur a tout à fait le droit d’ajourner le débat sur une motion ou un amendement. Je le répète, c’est une simple question de courtoisie de dire aux sénateurs qui sont sur place et qui veulent intervenir de le faire avant de proposer l’ajournement du débat. C’est dans ce contexte que l’ajournement a été proposé et qu’un vote par appel nominal a été demandé. Je me suis ensuite rendu auprès de la sénatrice Saint-Germain, qui était assise à côté de la sénatrice Clement. J’y reviendrai plus tard dans mes observations à propos des événements qui ont eu lieu à ce moment précis.

Avant de me pencher sur les faits précis qui ont été soulevés et examinés pour déterminer si le privilège d’un sénateur a effectivement été bafoué, permettez-moi de préciser ce qu’on entend par « privilège ». Dans l’ouvrage d’Erskine May intitulé Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, on trouve la définition classique de « privilège parlementaire », qui va comme suit :

Le privilège parlementaire est la somme de certains droits à chaque chambre, collectivement [...] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers [...]

À la page 224 de La procédure du Sénat en pratique, on peut lire :

Le but du privilège est de permettre au Parlement et, par extension, à ses membres de remplir leurs fonctions sans ingérence ou obstruction injustifiée. Il appartient essentiellement et collectivement à l’assemblée ou à la Chambre. Les parlementaires ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où « une atteinte à leurs droits ou des menaces risqueraient d’entraver le fonctionnement de la Chambre ».

À la page 226, on peut lire :

Les privilèges individuels des sénateurs comprennent :

la liberté de parole au Parlement et dans ses comités;

l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles;

l’exemption du devoir d’être juré et de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal;

la protection contre l’obstruction et l’intimidation.

Selon Erskine May, les privilèges du Parlement sont des droits « absolument indispensables à l’exercice de ses pouvoirs ». Le privilège n’est pas seulement quelque chose d’agréable à avoir; c’est le strict minimum nécessaire pour que les parlementaires fassent leur travail.

En ce qui concerne la question de privilège soulevée mardi, un seul de ces privilèges aurait été violé : la protection contre l’obstuction par intimidation.

Le cinquième rapport du Comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure publié le 6 mai 1993 et cité à la page 2052 des Journaux du Sénat, dit ceci :

Les réflexions défavorables à l’endroit d’un sénateur ou du Sénat peuvent constituer des atteintes au privilège, mais seulement dans la mesure où elles empêchent le sénateur ou le Sénat d’exercer leurs fonctions parlementaires.

Donc, pour qu’il y ait une atteinte au privilège d’un sénateur, il faut des preuves de l’obstruction ou de l’intimidation et il faut également des preuves du fait que l’obstruction ou l’intimidation ont empêché le sénateur d’exercer ses fonctions parlementaires.

Mardi, la sénatrice Saint-Germain a déclaré : « L’événement en question a affecté plusieurs sénateurs et a eu un effet négatif sur le Sénat en tant qu’institution. » C’est peut-être vrai, sauf que le fait qu’un ou plus d’un sénateur a aient été touchés ou que la situation ait eu un effet négatif sur le Sénat ne constituent pas des atteintes au privilège. Le privilège est défini de façon très étroite. C’est normal, car le privilège parlementaire est « une immunité par rapport au droit commun », comme l’a dit le Président Furey le 1er mars 2018, ou un ensemble de pouvoirs qui « dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers », comme l’écrit Erskine May dans la définition que j’ai citée plus tôt.

En tout respect, le privilège ne protège pas le Sénat d’un effet négatif ni les sénateurs d’être touchés. Le privilège ne met ni les sénateurs ni le Sénat à l’abri de tout ce qui peut être dit de négatif à leur sujet. Il les protège contre toute entrave à l’exercice de leurs fonctions parlementaires.

Quels sont les faits qui entourent ce qui s’est passé le 9 novembre et qui ont été soulevés par la sénatrice Saint-Germain? La sénatrice a dit que j’ai violemment jeté mon écouteur, que je me suis tenu devant les sénatrices Saint-Germain et Clement en criant et en les réprimandant, que j’ai pointé du doigt la sénatrice Moncion, que le sénateur MacDonald a proféré le mot « fasciste » et que des menaces ont été brandies de bloquer les travaux des comités présidés par les membres du Groupe des sénateurs indépendants. La sénatrice Saint-Germain a également accusé les sénateurs Batters et Housakos d’avoir regazouillé une publication d’Andrew Scheer invitant les Canadiens à téléphoner aux bureaux de deux sénatrices. Elle s’est également offusquée des gazouillis du sénateur Wells, accusant les dirigeants du Groupe des sénateurs indépendants de manigancer avec la présidence du Sénat.

La sénatrice Saint-Germain n’a jamais expliqué en quoi l’un ou l’autre de ces faits a empêché des sénateurs d’assumer leurs fonctions parlementaires. Elle n’a jamais soutenu qu’on avait nui à sa capacité ou à la capacité de tout autre sénateur de participer à un débat ou à un vote sur le projet de loi C-234 ou sur toute autre question au Sénat. D’ailleurs, le 9 novembre, les sénatrices Saint‑Germain, Clement et Moncion ont toutes voté sur la motion d’ajournement du débat sur le projet de loi C-234. A-t-on porté atteinte au privilège d’au moins un sénateur le 9 novembre ou lorsqu’on a publié et republié les gazouillis? Vous constaterez, Votre Honneur, qu’aucun des sénateurs qui ont pris la parole mardi n’ont cité la décision d’un ancien Président ou d’une autre personne pour faire la démonstration qu’il y avait eu atteinte au privilège. Il y a une raison à cela, Votre Honneur : c’est parce qu’il n’y a pas eu atteinte au privilège.

Cependant il existe plusieurs précédents où on a étudié la question de privilège et rendu des décisions qui, selon moi, pourraient orienter la vôtre, Votre Honneur. Voyons ce que les précédents nous indiquent.

Premièrement, tout n’est pas couvert par le privilège. Le 1er mars 2018, l’ancien Président Furey a rendu une décision sur une question de privilège soulevée par la sénatrice McPhedran où il a dit ceci :

Le privilège a pour objet de permettre au Parlement et à ses membres de s’acquitter de leurs fonctions législatives et délibératives, sans ingérence injustifiée. Le privilège ne protège pas toujours toutes les activités exercées par les sénateurs dans le cadre de leur travail, et ce, peu importe leur valeur et leur mérite.

Un sénateur ne jouit pas du privilège parlementaire à tous les égards. Pour qu’il y ait atteinte au privilège, il doit y avoir une ingérence indue dans l’exercice de ses fonctions législatives et délibératives.

Deuxièmement, les propos vifs, offensants ou accusateurs au Sénat n’ont rien à voir avec le privilège. Le 21 avril 2009, l’ancien Président Kinsella a été appelé à rendre une décision concernant une question de privilège soulevée par le sénateur Harb au sujet de propos qui avaient été tenus au cours du débat. Je cite sa décision :

Selon le deuxième critère, la question doit concerner directement le privilège. À cet égard, le sénateur Harb s’est senti visé personnellement par les commentaires, qu’il a perçus comme une tentative de le réduire au silence. Dans les faits, rien n’a vraiment empêché le sénateur de poursuivre son intervention. Si les commentaires ont posé un problème, c’est plutôt parce qu’ils pouvaient être « vifs, offensants ou accusateurs », pour reprendre les termes de l’article 51. Pour cette raison, il s’agissait peut-être d’une question pouvant faire l’objet d’un rappel au Règlement, mais certainement pas d’une question touchant le privilège.

Même lorsque les mots employés sont vifs, offensants ou accusateurs, l’attaque d’un sénateur ne constitue pas une atteinte au privilège, surtout si cela n’a pas empêché le sénateur de participer au débat.

En fait, le privilège protège la liberté de s’exprimer, et non le droit d’être épargné de l’expression d’autrui. Dans une décision rendue le 5 octobre 2010, l’ancien Président Kinsella a dit :

Le privilège fondamental dont il est question ici est celui de la liberté d’expression. Comme nous pouvons le lire aux pages 89 et 90 de la deuxième édition de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, ce privilège est :

[Le] droit de loin le plus important qui soit accordé aux députés [...] un droit fondamental, sans lequel ils ne pourraient remplir convenablement leurs fonctions. Cette liberté leur permet d’intervenir sans crainte dans les débats de la Chambre, de traiter des sujets qu’ils jugent pertinents et de dire tout ce qui, à leur avis, doit être dit pour sauvegarder l’intérêt du pays et combler les aspirations de leurs électeurs.

Selon ce qu’on peut lire à la page 96 de la 23e édition d’Erskine May, voici ce que cela signifie :

Sous réserve des règles applicables au débat, un membre du Parlement peut dire ce que bon lui semble dans un débat, même si cela blesse certaines personnes ou ternit leur réputation, et le privilège dont il jouit le met à l’abri de toute poursuite en diffamation, et de toute autre question ou tracasserie.

Troisièmement, les attaques dans les médias et les médias sociaux ne relèvent pas d’une question de privilège.

Si certains sénateurs peuvent avoir l’impression d’être injustement attaqués dans les médias ou sur les plateformes de médias sociaux, cela ne constitue pas une atteinte à leurs privilèges. Permettez-moi de citer à nouveau la décision de l’ancien président Kinsella du 14 décembre 2009 :

Comme le philosophe anglais John Stuart Mill le soulignait dans De la liberté, il y a plus de 150 ans, le rôle des parlementaires ne consiste pas à priver le citoyen de sa liberté, surtout en ce qui concerne la liberté d’expression.

Nous comprenons aujourd’hui l’importance d’encourager la participation du public aux affaires nationales. Cela fait partie de cette démocratie vigoureuse qui est nôtre, au Canada. Des critiques bien informées de la part des membres du public et d’observateurs éclairés contribuent à la qualité des débats au Parlement et, par conséquent, à la qualité des mesures législatives et des politiques.

Mais avec les critiques utiles, nous devons aussi nous attendre, trop souvent, à des commentaires irréfléchis, voire durs et blessants. Évidemment, ce n’est pas agréable, mais quiconque occupe un poste au Parlement, au cœur de la vie publique, s’expose à des critiques parfois injustifiées ou insensées. Ce ne sont pas là mes paroles, mais une citation.

Pour qu’il y ait atteinte aux privilèges, les menaces doivent être graves. Je cite de nouveau la décision du Président Kinsella :

Il peut aussi être intéressant de noter que, lorsqu’il évoque des tentatives d’influencer le comportement de parlementaires, le Beauchesne semble envisager plus que des commentaires inconvenants ou désobligeants. Aux termes du commentaire 99, l’usage actuel veut que l’enquête soit confiée « aux forces de police ordinaires ». Cela laisse entendre beaucoup plus que de simples propos tenus dans un communiqué. Cela sous‑entend des menaces directes, voire une intimidation physique.

Quatrièmement, il faut qu’un sénateur ou que le Sénat ne soit pas en mesure d’exercer ses fonctions. Comme je l’ai déjà dit, pour invoquer ses privilèges, un parlementaire doit prouver non seulement qu’il a reçu ce qui pourrait être perçu comme une menace, mais aussi qu’il a été entravé dans l’exercice de ses fonctions, et non pas qu’il a été dérangé ou affecté par ces menaces perçues.

Le 1er novembre 2017, le Président Furey s’est prononcé sur une question de privilège que j’avais soulevée au sujet d’une lettre de la sénatrice Lankin. Voici ce qu’il a dit :

Le privilège parlementaire a trait aux privilèges, aux immunités et aux pouvoirs dont jouissent le Sénat et chacun de ses membres et sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions législatives. En outre, comme il est souligné à la page 228 de La procédure du Sénat en pratique :

Pour que les sénateurs puissent s’acquitter convenablement de leurs fonctions, il est tout à fait logique [qu’ils] soient aussi protégés contre l’ingérence en ce qui concerne leurs fonctions. Par exemple, tout geste visant à empêcher un sénateur d’entrer au Parlement ou à l’intimider dans l’exercice de ses fonctions constitue une atteinte à ce privilège.

Il ajoute ensuite ceci :

Je comprends que la lettre de la sénatrice Lankin ait pu déranger certains sénateurs, mais rien n’empêche les sénateurs de poursuivre leurs travaux visant le projet de loi C-210. Le projet de loi est encore inscrit à l’ordre du jour et il est appelé chaque jour où le Sénat siège, conformément à la pratique habituelle. Les sénateurs demeurent libres de disposer du projet de loi comme ils l’entendent, l’indépendance du Sénat et des sénateurs n’est pas minée par cette lettre.

Je vous soumets, Votre Honneur, que plusieurs de vos prédécesseurs ont dit la même chose dans d’autres décisions. Dans une décision rendue le 7 novembre 1995, le Président Molgat a affirmé qu’une réflexion peut être troublante, désagréable ou choquante, mais qu’il ne peut y avoir matière à question de privilège que si elle empêche les députés de faire leur travail convenablement :

Les réflexions défavorables à l’endroit d’un sénateur ou du Sénat peuvent constituer des atteintes au privilège, mais seulement dans la mesure où elles empêchent le sénateur ou le Sénat d’exercer leurs fonctions parlementaires. L’application du principe est donc très étroite, et il faut distinguer le privilège des actions en diffamation, auxquelles peuvent recourir tous les citoyens devant les tribunaux civils. Il est extrêmement difficile de se prévaloir de la protection offerte par cet aspect du privilège parlementaire. Il doit exister un lien quelconque entre la diffamation présumée et le travail parlementaire du sénateur.

Dans une décision rendue le 8 mai 2003, le Président a souligné que, même si le libellé d’un message officiel de l’autre endroit peut sembler sévère ou ferme, cela ne constitue pas nécessairement une atteinte au privilège.

Dans le même ordre d’idées, le 12 février 2008, le Président Kinsella a conclu que, en l’absence d’une menace quelconque, un message d’une Chambre ne peut être traité comme un rappel au Règlement ou une atteinte au privilège.

Le 14 décembre 2009, le Président Kinsella a également déclaré qu’il ne peut y avoir atteinte au privilège si le sénateur qui soulève la question et le Sénat dans son ensemble peuvent s’acquitter de leurs fonctions.

Le sénateur Cools peut s’exprimer librement sur le projet de loi, sous réserve de nos usages et des dispositions du Règlement, et d’autres sénateurs peuvent faire de même. Rien n’a porté atteinte à la liberté d’expression du sénateur Cools et des autres sénateurs. Et, quand il le voudra, le Sénat rendra une décision sur la deuxième lecture du projet de loi C-268.

Quoi qu’il soit arrivé le 9 novembre ou qu’il se soit dit sur les réseaux sociaux, il n’y a aucune preuve qu’un sénateur n’ait pas pu s’exprimer ou voter librement ce jour-là ou depuis. Il n’y a aucune preuve que tout cela ait porté atteinte au droit du Sénat de se pencher sur le projet de loi C-234. En fait, tout ce qui s’est produit depuis ce soir-là indique le contraire. Pour répondre à la question de savoir s’il y a présomption suffisante d’atteinte au privilège, je dirais donc ceci.

Premièrement, je rappelle l’argument que j’ai fait valoir mardi, à savoir que l’avis de la sénatrice Saint-Germain n’était pas suffisamment étoffé et que, par conséquent, sa question de privilège est irrecevable. Je ne remets pas en question les faits que la sénatrice a présentés mardi. J’interprète peut-être certains de ces faits un peu différemment de mon point de vue, mais ils sont ce qu’ils sont.

Toutefois, Votre Honneur, la question que vous devez trancher est la suivante : y a-t-il eu, ce soir-là ou depuis, atteinte au privilège? Pour moi, la réponse est clairement négative. À moins de redéfinir la motion de privilège parlementaire, il n’y a pas eu atteinte au privilège.

Ce qui s’est produit ici le 9 novembre et les agissements de certains sénateurs sur les réseaux sociaux, aussi offensants soient-ils, ne sont pas protégés par le privilège. Comme je le disais, le privilège parlementaire est très pointu. Il n’empêche pas les sénateurs d’être dérangés par le comportement d’un collègue. Il ne les protège pas non plus contre les propos difficiles à entendre ni contre les attaques, que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Or, même si cela peut sembler intolérable à certains sénateurs, le privilège n’empêche pas non plus les Canadiens de se rassembler devant l’édifice du Sénat pour exprimer leur opinion. Il ne fait pas du Sénat, qui débat et adopte des lois qui ont une incidence sur le quotidien de tous nos concitoyens, une tour d’ivoire douillette à l’abri du bruit et de la furie de la scène politique.

Comme l’ont dit vos prédécesseurs dans les décisions dont j’ai fait mention, Votre Honneur, la pression politique fait partie intégrante du travail des sénateurs. Reste maintenant à savoir s’il s’agit de menaces et si celles-ci nuisent au travail des sénateurs.

Cette semaine, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de la Chambre des communes a adopté une résolution exhortant le Sénat à adopter le projet de loi S-234 sans amendement. Y a-t-il quelqu’un ici qui s’est senti menacé par cette résolution? Que les représentants élus des Canadiens expriment encore une fois le souhait que ce texte législatif soit adopté empêche-t-il le Sénat de faire son travail? Je ne le crois pas et je crois que personne ne pourrait soutenir le contraire.

Même si les faits qui vous ont été soumis, Votre Honneur, étaient protégés par le privilège, la preuve n’a pas été faite qu’il y a eu entrave au travail d’un sénateur ou du Sénat. D’ailleurs, aucun des sénateurs qui ont pris la parole mardi n’a dit qu’un sénateur s’était trouvé dans l’impossibilité d’accomplir ses fonctions. C’est l’essence même du privilège.

Compte tenu des décisions rendues par vos prédécesseurs, Votre Honneur, il est évident que les faits énoncés par la sénatrice Saint‑Germain ne constituent pas une atteinte au privilège.

S’il y avait eu manquement au décorum ou utilisation de propos offensants, cela aurait fait l’objet d’un rappel au Règlement. C’est ce qui aurait été approprié.

Tout sénateur qui se sent menacé ne doit jamais hésiter à signaler la menace à notre service de sécurité et à la police. C’est ce que la sénatrice Clement a fait, et je l’en félicite.

Votre Honneur, il ne me reste que quelques minutes. Avant que vous ne rendiez votre décision, j’estime qu’il est important que vous examiniez comment le Sénat fonctionne — pas seulement un soir donné, mais régulièrement.

Vous savez tous que je suis ici depuis longtemps. Je ne suis pas en train de dire que nous sommes en compétition les uns contre les autres pour savoir lequel d’entre nous est le moins bien traité au Sénat et dans les médias, mais je pense qu’il est important pour moi de raconter quelques anecdotes qui se sont produites depuis que je suis sénateur.

Certains sénateurs ont envoyé des lettres au chef du Parti conservateur il y a quelque temps pour lui demander de faire ce qu’ils pensaient que je devais faire. J’ai déjà parlé de la lettre de la sénatrice Lankin, car elle a fait l’objet d’une question de privilège que j’ai soulevée lorsqu’elle a écrit cette lettre à notre leader.

Le 15 octobre 2020, le sénateur Dalphond a écrit une lettre à Erin O’Toole et en a envoyé une copie à d’autres députés conservateurs pour leur demander de faire pression sur moi pour que cesse l’obstruction du Sénat à l’égard des projets de loi d’intérêt privé. N’est-il pas un peu ironique, chers collègues, de voir ce même sénateur Dalphond participer au report du projet de loi C-234?

J’ai cessé de compter le nombre de ministres, de secrétaires parlementaires, de députés et de sénateurs qui ont utilisé les médias sociaux pour me dire ce que je devais faire ou ne pas faire ou inviter leurs abonnés à communiquer avec moi.

Je vais vous donner deux exemples. Premièrement, le secrétaire parlementaire libéral Mark Gerretson a publié le gazouillis suivant en mai : « Je demande au sénateur Don Plett de cesser de tergiverser et de sévir contre la criminalité en adoptant le projet de loi C-21. » Il avait tout à fait le droit d’envoyer ce gazouillis, même si le fait qu’il m’accuse de retarder l’adoption d’un projet de loi dont nous n’étions pas encore saisis au Sénat à l’époque le faisait paraître un peu ridicule.

Le sénateur Klyne a utilisé plusieurs fois Twitter pour me demander d’accélérer l’adoption du projet de loi C-241. Je n’ai rien trouvé à redire à cela. Il faisait son travail. Cela me convient.

Je ne pense pas qu’un sénateur soit la cible de plus d’attaques personnelles que moi au Sénat, et je m’en accommode. Je ne me souviens pas d’un discours du sénateur Woo ou du sénateur Dalphond qui ne contenait pas une attaque contre moi ou notre groupe. Ces deux sénateurs ultra-partisans cherchent-ils à m’intimider et à intimider mes collègues et notre personnel? C’est probablement le cas, mais ils sont ce qu’ils sont.

Je vous rappelle, Votre Honneur, que la sénatrice McPhedran m’a insulté dans son premier discours. Elle n’était ici que depuis quelques jours et a dit quelque chose qu’elle a été obligée de rétracter.

Il y a quelques années, une manifestation s’est déroulée ici même, devant l’édifice du Sénat, où des gens m’insultaient et brandissaient des pancartes sur lesquelles se trouvait ma photo. J’ai été incapable de franchir la porte principale. J’ai dû être escorté jusqu’à la porte arrière. Cette manifestation avait été organisée à la demande d’autres sénateurs. Si ma mémoire est bonne, personne ne les a interpellés à ce sujet — je ne l’ai pas fait.

Il y a quelques semaines, un groupe de manifestants pro‑palestiniens a encerclé ma voiture, a sauté dessus, a tapé sur le toit de ma voiture et a essayé de m’empêcher de conduire. Les médias en ont parlé. Cela fait partie de la routine quotidienne d’un sénateur.

En 2014, après une réunion de comité, j’ai reçu 1 300 courriels en une nuit. Le Comité des affaires juridiques étudiait le projet de loi sur la prostitution. Laissez-moi vous dire qu’aucun de ces courriels n’était gentil à mon endroit. Certains contenaient des menaces, d’autres, des photos trafiquées de moi.

J’ai participé à l’étude de nombreux projets de loi controversés au fil des ans. J’ai reçu des tonnes de messages sur les dauphins, les thérapies de conversion, les droits des personnes transgenres, la prostitution, la Commission canadienne du blé, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les éléphants, entre autres, et je vous assure que ce n’étaient pas toujours des messages d’admirateurs.

Encore une fois, honorables sénateurs, je ne veux en aucun cas minimiser ce qui s’est passé le 9 novembre dernier. Ce que je dis, c’est que la violence dans le discours public n’est malheureusement ni nouvelle ni propre au Sénat ou à certains sénateurs. Elle peut être un cancer pour notre vie démocratique. Il est certain qu’il faut faire quelque chose à ce sujet, mais il n’existe pas de solution simple à ce problème. Mettre un sénateur au pilori à cause d’un incident ne changera rien à la situation. Le privilège parlementaire n’est pas l’outil qui permettra de changer le comportement des parlementaires et des citoyens ordinaires.

Maintenant, Votre Honneur, je vais prendre quelques minutes pour réfléchir personnellement à ce que j’ai fait le jeudi 9 novembre.

J’y ai réfléchi pendant un certain temps. Encore une fois, Votre Honneur, je vous remercie de nous avoir accordé ces jours supplémentaires. J’ai cherché de sages conseils dans l’espoir de mieux comprendre la situation dont nous sommes saisis.

Ce que j’ai fait le jeudi 9 novembre ne constituait pas une question de privilège. Cependant, Votre Honneur, je me suis conduit d’une façon que je ne peux pas me permettre. Je me tiens en plus haute estime que la façon dont je me suis conduit ce jour-là.

Je n’ai jamais eu l’intention de causer du tort ou de gêner quelqu’un. Je reconnais que j’ai perdu mon calme. J’ai parlé trop fort, beaucoup diraient que j’ai crié. Lorsque nous discutons à table, ma femme me dit souvent : « Ne crie pas après moi. » J’ai un problème d’ouïe à cause duquel je parle déjà fort dans le meilleur des cas. Alors, quand je parle plus fort, je crie. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai parlé beaucoup trop fort. Mes intentions n’ont jamais été mesquines et j’admets que je ne me suis pas conduit comme je l’aurais souhaité.

Il m’arrive de citer les Saintes Écritures, et je vais citer un court verset de ce qu’a dit l’apôtre Paul aux Éphésiens : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez point. »

J’étais en colère et j’ai péché. J’étais en colère et j’ai perdu mon sang-froid. Toutefois, il n’y a pas de mal à être fâché. Je crois que j’avais le droit d’être en colère parce que, à mon avis, nous avons été traités injustement, mais je n’avais pas le droit de me comporter comme je l’ai fait, sous le coup de la colère.

Je me répète sans cesse : « Compte jusqu’à 10 avant de faire quoi que ce soit. » Aujourd’hui, j’ai dit à ma leader adjointe : « Lorsque les esprits s’échauffent et que je me lève, mets ta main sur mon bras. Ainsi, je vais peut-être réfléchir avant de parler. » Malheureusement, notre leader adjointe a vécu des moments difficiles et elle n’était pas à mes côtés lorsque cela s’est produit. Je ne la blâme pas. J’aimerais le faire, mais ce n’est pas sa faute, c’est la mienne.

Les émotions étaient bien réelles. Votre Honneur, je suis venu vers vous et j’ai parlé beaucoup trop fort. Je n’ai pas respecté votre poste comme j’aurais dû le faire. Pour cela, je vous présente toutes mes excuses.

Je me suis tenu devant les sénatrices Saint-Germain et Clement, et j’ai parlé fort, beaucoup trop fort. C’est bien humblement que je leur présente mes excuses les plus sincères. J’ai mal agi.

Bien franchement, je ne croyais pas que la sénatrice Monsion et moi échangions des propos mesquins, mais c’est ce que dit un des commentaires que j’ai reçus. Si cela a été le cas, je vous remercie, sénatrice Moncion.

Donc, chers collègues, je promets que je vais tenter de faire mieux. Vais-je réussir? J’espère que vous me pardonnerez si je n’y parviens pas, mais je vais essayer. Ce que j’ai fait était mal. Ce n’était pas professionnel. C’était indigne d’un sénateur. C’était surtout indigne d’un sénateur.

Chers collègues, je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé et, je l’espère, pour votre compréhension.

Votre Honneur, vous allez rendre votre décision en temps et lieu. Je ne crois pas qu’il y ait matière à question de privilège. Toutefois, Votre Honneur, je tiens à ce que vous sachiez que vous avez mon appui pour poursuivre votre examen. J’offre mon soutien au Sénat pour la suite des choses, et je respecterai votre décision. Merci, chers collègues.

Votre Honneur, je vous remercie de me donner la possibilité de vous présenter de plus amples observations sur cette question de privilège. Comme je l’ai déclaré mardi, étant donné que ni le préavis écrit de la sénatrice Saint-Germain ni la déclaration orale au cours de laquelle elle a soulevé la question de privilège ne faisaient référence à moi ou à mon comportement, directement ou de quelque façon que ce soit, j’ai été très surprise d’apprendre que j’étais, en fait, accusée d’atteinte au privilège.

De toute évidence, de nombreux sénateurs étaient au courant de ces allégations parce qu’ils sont arrivés prêts à présenter de longues observations sur le sujet ce soir-là. Cependant, je maintiens que le préavis pour l’ensemble du Sénat était inadéquat et qu’il ne satisfaisait pas aux critères énoncés à l’article 13-3(1) du Règlement, sur le préavis écrit d’une question de privilège, ni à l’article 13-3(4), sur le préavis oral d’une question de privilège.

Mardi, j’ai lu des précédents tirés des archives du Sénat au sujet des préavis et je ne vais pas les répéter. Par contre, j’aimerais simplement ajouter que ni le préavis écrit ni le préavis oral ne prétendaient que des sénateurs avaient intimidé certains de leurs collègues.

L’intimidation aurait donc pu provenir de sénateurs. Elle aurait pu provenir d’employés, de députés ou de membres du public. Il n’y avait pas de détails.

Cela dit, j’estime que le fait d’avoir partagé un gazouillis ne correspond pas au caractère fautif que définit la sénatrice Saint-Germain dans le préavis annonçant son intention de soulever cette question de privilège.

Je tiens d’abord à dire que je compatis avec les sénatrices Clement et Petitclerc, qui ont très bien exprimé la peur et la souffrance qu’elles ont vécues parce qu’elles ont été menacées et harcelées par des citoyens. Personne ne devrait craindre pour sa sécurité en faisant son travail.

La question ici est de savoir si les actes présentés par la sénatrice Saint-Germain constituent une atteinte au privilège. Mon intervention ne portera que sur les allégations qui me concernent. Je prétends ainsi que ce que j’ai fait ne constitue pas une atteinte au privilège. Pour qu’il y ait présomption d’atteinte au privilège, l’acte doit avoir empêché le Sénat et, par extension, les sénateurs, d’exercer leurs fonctions. Le fait d’avoir partagé un gazouillis n’a pas nui aux fonctions parlementaires des sénatrices Clement et Petitclerc. Aucun lien direct ne peut être établi entre le partage du gazouillis et l’intimidation de ces sénatrices ou une éventuelle entrave à leurs fonctions, que ces allégations soient prouvées ou non.

À ce sujet, je veux parler du harcèlement dont la sénatrice Clement a parlé et qu’elle associe aux gazouillis que le sénateur Housakos et moi avons partagés. Elle a dit :

Quand un gazouillis contenant ma photo et celle de la sénatrice Petitclerc et demandant aux Canadiens de nous appeler au sujet du projet de loi C-234 a été publié, je me suis inquiétée pour ma sécurité et celle de mes employés qui répondent au téléphone.

Votre Honneur, je ne vois absolument rien là qui permette d’affirmer que la menace contre la sécurité de la sénatrice Clément qui a été faite à ses employés était une conséquence de mon gazouillis. J’ignore qui l’a appelée ou l’a menacée. J’ignore comment cette personne a obtenu ses coordonnées, et personne ne m’a dit ou n’a même laissé entendre que ce pouvait être attribuable à mon gazouillis.

La sénatrice Clement et la sénatrice Petitclerc ont chacune une page Web du Sénat et des comptes sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, la biographie des deux sénatrices contient un lien qui mène directement à leur page sur le site Web du Sénat du Canada. Quand on clique sur ce lien, la première chose qu’on voit, ce sont leur photo officielle, le numéro de téléphone de leur bureau sénatorial, leur adresse électronique au Sénat et, oui, les noms de tous les membres de leur personnel.

Quoi qu’on en dise, rien dans mon gazouillis ni dans le gazouillis d’origine n’incitait au harcèlement, à la profération de menaces ou à l’intimidation à l’endroit des deux sénatrices ou de leurs employés. Mon message ne contenait pas de lien vers leurs coordonnées privées, domiciliaires ou personnelles, que je ne connais même pas de toute façon. En fait, même si je n’avais jamais publié ce gazouillis, les actes de harcèlement et d’intimidation dont les sénatrices Clement et Petitclerc ont été l’objet auraient pu se produire quand même.

Le gazouillis initial du député Andrew Scheer a suscité 796 gazouillis partagés. Le mien n’était que l’un d’entre eux. Même si je ne sais pas exactement combien de consultations mon gazouillis partagé a engendrées, parce que ce n’est pas enregistré et suivi de la même façon, je sais qu’ils ont été peu nombreux.

Dans son discours au Sénat mardi soir, la sénatrice Clement, qui est avocate, a elle-même déclaré : « [...] lorsque mes collègues du Sénat ont partagé cette photo, ils ne s’attendaient pas à ce que je me sente en danger. » Évidemment, nous sommes d’accord.

La sénatrice Clement a ensuite qualifié ces gazouillis de « communications imprudentes ». Elle a également parlé de « gazouillis qui manquaient de nuance ».

C’est peut-être une question de point de vue, mais je crois que vous pourrez convenir, Votre Honneur, que dans ce contexte, ces allégations ne répondent pas au critère d’une « atteinte grave et sérieuse » qui est requise pour conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

La sénatrice Petitclerc allègue que mes gazouillis partagés répandent de la désinformation. Elle a affirmé que le gazouillis initial de M. Scheer se présentait comme « une affiche “de la liste des personnes les plus recherchées”, propageant un mensonge et demandant aux Canadiens d’appeler et d’envoyer des courriels à mon bureau ». Je soutiens que cette description est trompeuse.

L’image qui accompagne le gazouillis de M. Scheer contient la phrase « Call and ask these Trudeau Senators why they shut down debate on giving farmers a carbon tax carveout », c’est-à-dire « Téléphonez à ces sénatrices nommées par Trudeau et demandez-leur pourquoi elles empêchent la tenue du débat sur une exemption de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs ». Puis, on voit les photos officielles des sénatrices Clement et Petitclerc avec leur numéro de téléphone et leur adresse courriel du Sénat, lesquels sont du domaine public et payés par les contribuables. L’arrière-plan des photos ressemble à un article qu’on aurait déchiré dans un journal. Cela n’a rien à voir avec les avis de recherche de l’époque du Far West. Le mot « recherché » n’y figure pas, et la police de caractère n’évoque pas le XIXe siècle.

Il n’y a rien qui ressemble à une cible. Il n’y a aucune menace.

Je présume que la sénatrice Petitclerc n’est pas d’accord sur l’affirmation selon laquelle la sénatrice Clement et elle empêchent la tenue du débat à propos d’une exemption de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs, mais ce n’est certainement pas un mensonge, comme elle l’affirme. La motion d’ajournement de la sénatrice Clement, que la sénatrice Petitclerc a appuyée, a bel et bien empêché la tenue du débat sur le projet de loi C-234 le jeudi 9 novembre. Des sénateurs conservateurs étaient prêts à prendre la parole, mais la motion du Groupe des sénateurs indépendants les a empêchés de s’exprimer. C’est un fait. La sénatrice Petitclerc n’est peut-être pas d’accord, mais cela ne fait pas de notre interprétation des faits un mensonge ou de la désinformation.

Votre Honneur, il existe des précédents parlementaires concernant le fait que ce genre de commentaires ne constitue pas une atteinte au privilège. Le 14 décembre 2009, le Président Kinsella a rendu une décision impliquant la sénatrice Cools au sujet d’un communiqué de Benjamin Perrin, professeur de droit associé à l’Université de la Colombie-Britannique. Le communiqué concernait le projet de loi C-268, un projet de loi sur la traite des enfants, et on pouvait y lire que la sénatrice avait mis le projet de loi sur la glace en ajournant le débat de façon unilatérale. La décision en question indiquait que la sénatrice Cools avait fait valoir que l’ajournement est une décision du Sénat et non le résultat d’une initiative unilatérale d’un seul sénateur, et qu’elle n’avait pas bloqué la progression du projet de loi, qu’elle l’avait seulement arrêtée temporairement. La sénatrice Cools soutenait que le communiqué était une forme d’intimidation à son endroit. Le Président Kinsella a écrit ceci :

Il ne faut pas oublier [...] que le privilège a évolué au fil des ans. Des questions considérées comme des atteintes au privilège ou des outrages à une époque moins démocratique ne sont plus considérées comme telles.

Le Président poursuit :

[...] nous devons établir une distinction entre la question de privilège et le projet de loi C-268 comme tel. Des propos désobligeants ou choquants ne suffisent pas [...] à porter atteinte au privilège.

Le commentaire 69 du Beauchesne nous rappelle qu’« une réflexion peut être troublante, désagréable, voire choquante, mais qu’il ne peut y avoir matière à question de privilège que si elle empêche les [parlementaires] de faire leur travail convenablement ».

En outre, il a affirmé : « Il est extrêmement difficile de se prévaloir de la protection offerte par cet aspect du privilège parlementaire. »

Le Président a conclu qu’il n’y avait pas, de prime abord, atteinte au privilège :

Même si les propos tenus dans le communiqué étaient exagérés et que le sénateur Cools peut les trouver choquants, à juste titre, rien dans ces propos n’a porté atteinte au droit du Sénat de traiter du projet de loi C-268 comme bon lui semble. Tous les sénateurs peuvent encore s’exprimer librement. Quelques lignes d’un communiqué ne suffisent pas pour modifier les idées ou les actions des honorables sénateurs, encore moins de l’ensemble du Sénat. Par conséquent, il n’y a pas matière à question de privilège.

Il est certain que le harcèlement ou les menaces que les sénatrices Petitclerc et Clement ont subis sont répréhensibles et odieux. Votre Honneur, nous sommes tous, en tant que personnalités publiques, politiciens et sénateurs, sujets à d’immenses désagréments en ligne. Souvent, cela va jusqu’au harcèlement et à la violence, en particulier, malheureusement, pour les femmes.

C’est quelque chose que j’ai moi-même vécu, comme toutes mes collègues, j’en suis certaine. Je ne saurais vous dire combien de commentaires insultants, dégoûtants, dégradants, sexistes, violents et assimilables à du harcèlement m’ont été adressés en ligne — il y en a littéralement des milliers — par des trolls de gauche supposément progressistes, auxquels certains sénateurs sont abonnés sur Twitter. Bon nombre de ces trolls prennent un malin plaisir à publier des messages qui disent que c’est par pitié qu’on m’a nommée sénatrice, parce que mon mari, l’ancien député Dave Batters, s’est suicidé, ou que c’est le fait de vivre avec moi qui l’a poussé à ce geste. Quelqu’un a même publié une photo de ma voiture et de ma plaque d’immatriculation sur Twitter, avec un lien vers un article d’un journaliste local. Plus tôt ce mois-ci, une horrible personne a publié la photo d’un cercueil en disant souhaiter que ce soit le mien, parce que j’avais critiqué le gouvernement Trudeau.

Je peux vous affirmer, chers collègues, que je comprends la douleur et la peur que provoquent les menaces, le harcèlement et l’intimidation en ligne. J’ai même fait l’objet d’attaques méprisantes et sexistes et de tentatives d’intimidation de la part de sénateurs supposément progressistes dans l’enceinte même du Sénat et dans les comités. Ces comportements épouvantables ne sont malheureusement pas l’apanage d’un seul côté ou d’un seul groupe du Sénat.

Honorables sénateurs, les menaces et le harcèlement ne devraient jamais être employés comme armes politiques. L’un des principaux éléments qui définissent le Sénat a toujours été la capacité des sénateurs d’allégeances politiques différentes d’être en désaccord, mais de savoir faire la part des choses en dehors de cette enceinte. C’est un aspect important de la démocratie et de la collégialité, et je crains que nous ne soyons en train de le perdre.

Votre Honneur, j’estime que les gestes que j’ai posés dans le cadre de cette affaire — en partageant un gazouillis — ne satisfont pas aux critères permettant de conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège. Premièrement, la substance des avis donnés oralement et par écrit par la sénatrice Saint-Germain était insuffisante, ce qui m’a obligé à me débrouiller pour me défendre mardi soir. C’était injuste. En partageant un gazouillis de mon collègue député, je n’avais aucune intention malveillante, et je suis heureuse de constater que la sénatrice Clement le reconnaît.

Par conséquent, le partage de ce gazouillis ne peut être considéré comme une « atteinte grave et sérieuse », d’autant plus qu’aucun lien de causalité n’a pu être établi.

Puisque ce critère n’est pas respecté, et compte tenu du précédent qui a été établi, à savoir qu’une situation semblable ne respectait pas le critère permettant de déterminer s’il y a eu atteinte au privilège, j’estime qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège. Je vous remercie.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

Merci, Votre Honneur, de me donner l’occasion d’aborder cette question de privilège, puisque j’y suis nommé, mais que j’étais absent mardi. Pour moi, cela ne fait aucun doute : il ne s’agit pas d’une question de privilège, comme l’ont très bien expliqué mes collègues. Je ne reviendrai pas sur l’aspect procédural de la chose, mais quoi qu’on en dise, chers collègues, nous savons tous que la sénatrice Clement et la sénatrice Petitclerc n’ont été empêchées d’aucune façon d’exercer leurs fonctions parlementaires.

La seule atteinte au privilège qui a eu lieu la semaine dernière s’est produite le 9 novembre et c’est parce qu’il y a eu violation des règles et des procédures de notre assemblée. Si nous voulons que la démocratie suive son cours et si nous voulons garder notre crédibilité, chers collègues, ces règles doivent être respectées et défendues coûte que coûte. La seule atteinte au privilège qu’il y a eu, c’est pendant le débat que l’on sait, lorsqu’une de nos collègues a pris la parole pour proposer un amendement à un projet de loi, ce qui est son droit le plus strict. C’est aussi le droit le plus strict du Sénat d’autoriser les autres sénateurs à poser des questions sur les amendements qui sont proposés, et c’est le droit le plus strict de la sénatrice en cause ici d’accepter ou de refuser de répondre à ces questions. Nous avons néanmoins le droit inaliénable de débattre, et c’est la seule atteinte à quoi que ce soit qu’il y a eu ce soir-là. La motion d’ajournement a pu être proposée. La sénatrice Clement a fait cette demande, et nous avons agi en conséquence. Le résultat final n’a évidemment jamais fait le moindre doute.

Chers collègues, je me suis demandé s’il valait la peine de discuter de la validité de cette question de privilège du point de vue de la procédure, mais je crois que nous n’en sommes plus là. Non point que je n’accorde pas une grande importance au respect de la procédure, des conventions et des précédents. D’ailleurs, je trouve regrettable qu’il arrive qu’on n’en tienne pas compte ou qu’on en oublie l’importance, ce qui nous amène à faire des erreurs. C’est en partie ce qui nous a frustré le 9 novembre et il en est de même depuis des années au Sénat. Je sais que beaucoup d’entre vous sont également frustrés et que vous êtes parfois las du ton que nous employons et de ce que certains qualifieraient de piaillements, de chahut ou de je ne sais quoi. Le débat de mardi au sujet de cette question de privilège était certainement centré sur cela.

Je peux certainement comprendre mes collègues. Il y a beaucoup de choses qui nous lassent nous aussi. Il n’y a pas un seul camp dans un débat ou au Parlement. Mon bon ami, le sénateur Cardozo, n’aime pas qu’on l’appelle un libéral. Eh bien, nous n’aimons pas qu’on nous dise que nous sommes incapables de penser et d’agir par nous-mêmes, que nous ne sommes là que pour recueillir de l’argent à des fins politiques et qu’être membres d’un caucus national fait de nous des sénateurs de second ordre dont le travail est moins sérieux ou important que le sien.

Je peux assurer au sénateur que mon travail est tout aussi important et vital que le sien, et les personnes au nom desquelles je parle diront que leur voix et leur point de vue sont tout aussi essentiels que ceux des personnes au nom desquelles il parle. Nous en avons assez qu’on nous dise le contraire, et cela dure, chers collègues, depuis huit ans, ce qui, sans surprise, n’a pas été inclus dans votre histoire révisionniste, sénateur Cardozo. Néanmoins, voilà où nous en sommes.

Indépendamment de la personne qui nous a nommés et des raisons pour lesquelles elle a estimé que nous étions dignes d’être nommés, nous sommes tous des parlementaires jouissant des mêmes droits et privilèges, ce qui m’amène à la substance de la question de privilège en ce qui concerne mes actions, puisque j’ai été nommé. En tant que parlementaires, nous sommes régulièrement appelés à rendre des comptes aux Canadiens. C’est ce qu’on appelle la responsabilité et la transparence. Comme je l’ai déjà dit : même si nous siégeons au sein d’une Chambre où les sénateurs sont nommés, nous ne sommes pas moins responsables que ceux qui siègent dans l’autre Chambre.

Dans notre cas en particulier, en tant que caucus conservateur, nous sommes directement responsables devant la Chambre élue démocratiquement. Le caractère public des adresses de courriel et des numéros de téléphone fait partie intégrante de cette responsabilité. Je suppose que c’est ainsi que nous concluons qu’il y a lieu de soutenir des motions et des projets de loi, et ainsi de suite, et déterminons quelles positions nous prenons dans les débats. Nous nous basons sur les observations de nos concitoyens. C’est pourquoi, sur le site Web du Sénat du Canada, vos numéros de téléphone et vos adresses de courriel, chers collègues, sont affichés. Il ne s’agit pas d’une atteinte au privilège. C’est une exigence et, à mon avis, une obligation que nous avons tous. Les numéros et adresses de courriel de notre bureau sont là pour une bonne raison.

Toutefois, j’insiste sur le fait que cela ne veut pas dire que les Canadiens doivent se sentir libres d’utiliser leurs ressources et ces numéros de téléphone et adresses de courriel pour rudoyer et intimider un sénateur, ou qui que ce soit d’ailleurs. Je le répète : que ce soit dans un gazouillis publié ou retransmis, dans une entrevue accordée aux médias, dans une lettre d’opinion ou un discours ou à un événement, ou que la demande vienne de parties intéressées, nous sommes fréquemment appelés à rendre des comptes pour nos votes, nos actes, nos discours ou notre inaction au Sénat, comme il se doit d’ailleurs. Cela fait partie intégrante de la démocratie, de nos privilèges et de nos obligations.

Je suis terriblement désolé que, dans ce cas, mes collègues se soient senties en danger. Cela ne devrait jamais se produire, et c’est inexcusable. Toutefois, chers collègues, tout cela n’a rien à voir avec la question de privilège. Il me semble que le débat que nous avons porte sur une façon de se comporter au Sénat lorsque la situation dégénère, comme cela arrive parfois dans une démocratie.

La démocratie peut être chaotique. Elle n’est pas toujours lisse, mais, honorables sénateurs, elle vaut bien mieux que son contraire. Nous voyons d’ailleurs ce qui se passe dans d’autres pays, Dieu nous garde d’en arriver là! Il vaut parfois mieux s’engager dans un débat animé et utiliser à l’occasion des mots qui dépassent ce qui pourrait être jugé acceptable, mais dans le feu de l’action, ces écarts font partie du processus démocratique.

S’il faut avoir un débat sur les nouveaux termes qui seraient inacceptables au Sénat, ayons-le. Si nous jugeons que les réseaux sociaux et d’autres modes de communication franchissent parfois les limites du discours haineux, il y a des dispositions dans le Code criminel qui traitent de ces choses. Honorables sénateurs, tout cela n’a rien à voir avec la question de privilège. Par contre, nous avons le droit de lancer ces débats et de modifier la Loi sur la radiodiffusion ou les dispositions législatives contre la propagande haineuse si nous jugeons qu’elles sont inefficaces.

Nous pouvons aussi débattre de la valeur artistique de la publication d’origine sur les réseaux sociaux. Même s’il est vrai que je ne suis pas graphiste, chers collègues, j’avoue que sur le coup, je n’ai pas vu la similitude que la sénatrice Batters a vue avec un avis de recherche, et je ne la vois toujours pas. Si la comparaison m’était venue à l’esprit, je peux vous assurer que je n’aurais pas « aimé » ce gazouillis et que je ne l’aurais pas republié, mais d’autres l’ont fait, et il est important de le souligner.

Sénatrice Clement, je vous remercie d’avoir admis que notre intention n’était pas de susciter la réaction dont vous avez fait l’objet, car vous avez tout à fait raison : ce n’était absolument pas notre intention. Cela dit, les conséquences effacent souvent l’intention. Je m’en veux terriblement de ce que vous avez vécu, vos employés et vous, et que vous vivez peut-être encore.

Il y a quelques années, mes propres employés ont dû appeler la Sécurité institutionnelle et la police d’Ottawa quand le numéro de mon bureau a été publié, accompagné d’un gros plan d’une de mes employées. Dans un message subséquent, on pouvait voir le dessin d’une pierre tombale portant le nom et la date de sa naissance de cette même employée. Quant à sa date de décès, elle correspondait à celle du lendemain. Certains gazouillis traitaient mes employés de réceptacle pour les déjections conservatrices. Voilà le genre de chose que nous devons endurer de la part du public.

Sénatrice Petitclerc, votre histoire m’a également touché. Je sais ce que c’est de devoir expliquer des choses horribles à son jeune fils. J’ai dû le faire avec mes deux fils au début de ma carrière au Sénat. Je me souviens des terribles brimades que mes jeunes enfants ont subies à cause de débats précipités qui se déroulaient au Sénat et des appels téléphoniques que mon épouse et moi recevions pour que nous allions chercher nos enfants de 9 et 12 ans à l’école. Je sais donc que ce n’est pas drôle.

Je ne dis pas cela pour minimiser le moindrement ce que vous avez ressenti ou ce que vous ressentez. Au contraire, j’ai de l’empathie pour vous et votre personnel et j’ai de l’empathie pour tous mes collègues en ce moment. Nous nous sentons probablement tous un peu plus secoués que d’habitude en raison des manifestations incessantes dans les rues, des coups de feu tirés dans les écoles et des cocktails Molotov qui sont lancés. C’est malheureusement l’ère de perturbation où nous vivons, et en tant que parlementaires, nous en faisons les frais.

J’ai de l’empathie pour les sénatrices Clement et Petitclerc. J’ai travaillé avec chacune de vous. J’ai le plus grand respect pour vous deux.

Cela dit, chers collègues, je ne m’excuserai pas d’encourager les Canadiens à discuter avec nous et à nous demander des comptes. C’est notre travail. C’est notre travail de rendre des comptes et d’en faire rendre aux autres lorsque nous sommes en désaccord, et le seul outil dont nous disposons à cet effet, c’est le discours public, qui passe par les diverses plateformes à notre disposition. Je mets en garde le Sénat contre l’instauration de mécanismes visant à dissuader ou à pénaliser ces appels à la reddition de comptes, qui constituent le fondement de notre système. La liberté d’expression est l’élément le plus essentiel de notre démocratie.

Cependant, ce que je peux faire et ce que je ferai maintenant, c’est me servir de mes fonctions et de ma tribune pour exhorter les Canadiens à engager un dialogue respectueux et civilisé. Ce n’est pas parce qu’on veut que nous rendions des comptes que quiconque au Sénat devrait être intimidé ou faire l’objet de propos racistes ou misogynes. Je le répète : je suis attristé qu’une telle chose soit arrivée dans ce cas-ci aux sénatrices Clement et Petitclerc. Je ne tolère pas et je ne tolérerai jamais un tel comportement à leur égard ou à l’égard de tout autre parlementaire ou, d’ailleurs, de n’importe quel Canadien. Merci.

L’honorable David M. Arnot [ + ]

Honorables sénateurs, je tiens à m’exprimer à propos de la question de privilège qui a été soulevée à l’égard des événements qui se sont produits après la séance du Sénat du 9 novembre 2023 ainsi que des incidents subséquents, à l’intérieur et à l’extérieur de cette enceinte.

Plus précisément, je veux réfuter les arguments selon lesquels cette question de privilège est irrecevable parce qu’elle dérogerait d’une façon quelconque à la procédure. Je veux aussi réfuter l’argument selon lequel ce qui s’est passé après la séance du 9 novembre dernier, à l’intérieur et à l’extérieur de cette enceinte, y compris dans les médias sociaux, ne serait pas du ressort du Sénat. Je m’appuierai sur des principes issus du domaine juridique, des négociations multipartites et du règlement des plaintes relatives aux droits de la personne. Je puiserai dans mes connaissances et mon expérience en tant que commissaire aux droits de la personne parce que des violations des droits de la personne sont en jeu dans le cadre de ce débat.

Tout d’abord, j’ai toujours dit aux plaignants, aux avocats et aux enquêteurs que quand des droits sont en cause, il faut bien écouter, rechercher et accepter les compromis raisonnables et, par-dessus tout, agir sans jamais perdre de vue le but ultime.

En ce qui concerne ce dont nous sommes saisis, nos valeureux efforts aujourd’hui auront un effet bénéfique, comme il se doit, sur le ton et de la teneur des échanges à la Chambre de second examen objectif. Je pense, honorables collègues, que nous devrions commencer en gardant le but ultime à l’esprit. Nous devrions nous demander ce que nous voulons en tant que sénateurs et non de ce que nous ne voulons pas. Je vais présenter une courte liste comme point de départ et j’inviterais mes collègues à y ajouter des éléments.

Premièrement, je crois que chaque fois que nous entrons ici, chaque fois que nous siégeons et chaque fois que nous nous réunissons, nous voulons le faire en tant que collègues — du latin collega, qui signifie « compagnon, camarade ». Peu importe que nous soyons d’accord ou non sur un sujet, nous nous efforçons main dans la main de parvenir au meilleur résultat pour les Canadiens.

Deuxièmement, nous devons agir avec retenue, comme notre regretté collègue le sénateur Shugart nous l’a demandé. Il a dit que pour chacun d’entre nous, pour les partis politiques et pour les institutions, la retenue peut commencer par la reconnaissance que notre point de vue, si légitime soit-il, n’est pas le seul point de vue possible.

Troisièmement, nous devons agir avec honneur dans tous les gestes que nous posons. Il y a un mois, j’ai pris la parole ici même à l’occasion de mon discours inaugural. J’ai parlé de l’honneur de la Couronne et du fait que, dans chacun de leurs actes et chacune de leurs décisions, les femmes et les hommes qui représentent la Couronne au Canada devraient se comporter comme si leur honneur personnel et la réputation de leur famille en dépendaient. Pourquoi? Parce que les actes des législateurs et des décideurs façonnent les actes de la Couronne. Le principe de l’honneur de la Couronne exige des sénateurs et des Canadiens qui évoluent dans une société démocratique mature qu’ils agissent conformément aux principes et aux normes morales les plus strictes.

Quand je parle de l’honneur de la Couronne et que j’évoque les piliers de l’honneur, je pense à l’intégrité, à l’honnêteté, à l’empathie, à la transparence, à l’indulgence et au respect. Inutile de chercher une norme ou une ligne à franchir. Elle est là, la norme. Elle est là, la ligne. Il s’agit d’une norme très élevée. Il faut, bien sûr, s’appuyer sur le Règlement du Sénat et l’appliquer, et suivre ce que dit La procédure du Sénat en pratique. Ces règles servent de garde-fous pour éviter les comportements indésirables.

J’ai découvert, pendant mon mandat de commissaire en chef de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, que lorsqu’on souhaite arriver à une solution réparatrice et établir un milieu de travail sain, il est vraiment préférable de mettre l’accent sur le dialogue plutôt que sur des garde-fous. Je précise, pour être clair, que le Sénat est notre lieu de travail. Il y a des comportements, des gestes et des paroles qu’on ne souhaite pas voir ou entendre sur notre lieu de travail. Ils ont déjà été mentionnés, alors je n’en parlerai pas davantage. Au cours des 50 dernières années, ces enjeux ont mené à des décisions dans de nombreux lieux de travail et dans de nombreuses affaires judiciaires. Des tribunaux, des arbitres et des commissions des droits de la personne ont consacré une grande partie des années 1970, 1980 et 1990 ainsi que du début du XXIe siècle à cerner avec toujours plus de précision ce qui est permis ou non dans un milieu de travail au Canada.

En tant que commissaire aux droits de la personne, j’ai examiné des centaines de plaintes chaque année pendant plus de 13 ans, des plaintes provenant de grandes et de petites entreprises, y compris des sociétés nationales et de petites entreprises familiales. Les milieux de travail du Canada continuent de réagir à tous les « ismes » : âgisme, capacitisme, sexisme et racisme. Il est malheureusement vrai de dire que là où il y a un « isme », tous les autres ne sont pas bien loin. Là où il y a de l’âgisme, il y aura du capacitisme. Là où il y a du sexisme, il y aura du racisme, et ainsi de suite.

Si vous voulez provoquer une forte réaction chez une autre personne, où que ce soit, que ce soit dans le cadre d’une médiation ou même dans la rue, vous n’avez qu’à dénoncer son comportement discriminatoire. Dire à une personne que son comportement est raciste, par exemple, provoque une réaction rapide, sûre et souvent hostile. Personne ne veut se faire dire qu’il est raciste. On a dit que la responsabilisation ressemblait à une attaque lorsqu’on n’est pas prêt à reconnaître comment son comportement cause du tort aux autres. Personne ne veut être confronté à ses paroles, à ses actes ou à ses comportements. Parfois, cependant, cela doit se produire, parce que le risque de ne pas le faire fomente invariablement une acrimonie de longue durée dans les relations. Les conséquences à long terme des relations acrimonieuses sont coûteuses et nuisent notamment au moral et à la productivité.

Plus précisément, les sénateurs Clement et Petitclerc nous ont dit avoir été victimes d’intimidation verbale et physique, d’attaques verbales en ligne et de doxing. Leurs photos et leurs coordonnées ont été utilisées d’une manière qui a encouragé et favorisé le harcèlement à leur endroit dans leurs bureaux, à leur domicile et dans leur vie personnelle, par extension.

Pour être clair, il existe de nombreuses façons de définir le doxing. Il ne fait pas l’objet d’une loi, d’une règle ou d’une norme sociale. Il s’agit d’une anomalie sociale. L’exercice du privilège parlementaire exige que les sénateurs se sentent en sécurité dans l’enceinte et dans l’exercice de leurs fonctions. Fondamentalement, le doxing est contraire au débat légitime qui est nécessaire dans une société libre et démocratique.

Le concept de doxing est né sur Internet. Il est changeant. Il n’a pas de définition unique et durable. Les chercheurs ont trouvé de nombreux cas de doxing, qui consiste à diffuser des informations privées ou d’identification sur une personne à des fins de harcèlement, en particulier de harcèlement fondé sur la race ou le sexe. Cette diffusion d’informations a pour but de faire honte à une personne, de lui nuire, de l’influencer ou de l’intimider. C’est son objectif fondamental. C’est son essence même. Il s’agit d’inviter, sur son ordre, d’autres personnes à le faire à sa place ou en tant qu’agent.

Certains de nos collègues ont déjà parlé des répercussions disproportionnées de ce type de comportement sur les femmes. Sénateurs, je n’oserais pas parler au nom des femmes de nos groupes ou de l’ensemble du Sénat. Les sénatrices Saint-Germain, Clement, Petitclerc, Dupuis, Miville-Dechêne, Moncion, Pate et McPhedran ont très bien fait valoir ce point de vue.

Je vais vous faire part plutôt de mon point de vue et de mon expérience en tant qu’ancien commissaire aux droits de la personne. Je pense que l’une des principales caractéristiques de la question qui vous est soumise, Votre Honneur, est l’intersectionnalité entre le genre, la race et le handicap.

Premièrement, les femmes sont touchées de manière disproportionnée par le harcèlement sur le lieu de travail, et ce harcèlement est exacerbé par l’intersectionnalité des identités, y compris la race, la race perçue et le handicap.

Deuxièmement, il ne s’agit pas d’un phénomène aléatoire ou rare. La Commission des droits de la personne de la Saskatchewan a eu la chance de s’associer aux milieux universitaires, juridiques et économiques dans le cadre d’une campagne permanente visant à mettre un terme au harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Lors de l’une des premières réunions de ce groupe, qui s’est tenue à la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, autour d’une table occupée exclusivement par des femmes qui étaient toutes des avocates, des éducatrices ainsi que des expertes et des leaders dans leur domaine, chaque personne a raconté la première fois qu’elle avait été harcelée, de même que la plus récente fois où elle l’avait été. Ces événements, et tous ceux qui se sont produits dans l’intervalle, sont gravés dans leur mémoire. C’était très clair. Ce ne sont pas des questions mineures. Il faut les prendre au sérieux et les considérer à la lumière de l’intersectionnalité apparente.

Chers collègues, nous pouvons, si nous le voulons, demander aux spécialistes des ressources humaines et aux juristes de nous donner des conseils, comme nous le faisons régulièrement au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Nous allons assurément bénéficier de la sagesse de la Présidente — je vous le dis, chers collègues —, puisqu’elle n’a pas le choix de trancher.

Il y a eu un important changement en ce qui concerne ce qui s’est passé ici, et il y a eu un grand changement au cours de la dernière décennie concernant ce genre de situations en particulier. D’après mon expérience, je dirais que, souvent, les solutions significatives, convaincantes et durables émanent du dialogue, qu’il est possible d’assurer de façon durable et soutenue la responsabilisation au moyen des débats et que nous sommes en mesure de répondre à toute situation blessante qui pourrait survenir. Comme l’a affirmé le sénateur Gold au sujet des événements du 9 novembre, ce n’était pas notre moment le plus glorieux. C’est certain. Y a-t-il un côté positif à retenir de tout cela? Je crois que oui.

Il y a deux jours, dans la soirée du 21 novembre, nous avons assisté ici à un échange entre la sénatrice Moncion et le sénateur Wells. Je vous invite à en consulter l’enregistrement. Nos collègues ont servi de médiateurs et ont résolu leurs préoccupations en notre présence. À bien des égards, cette situation s’apparentait aux nombreuses concertations familiales et aux nombreux conseils de détermination de la peine auxquels j’ai eu l’occasion d’assister, ainsi qu’aux mécanismes efficaces de résolution des différends employés par les commissions des droits de la personne dans le cadre de plaintes, par les syndicats dans le cadre de conflits de travail, et par les négociateurs internationaux. Ce soir-là, des faits, des perceptions et des impressions ont été exprimés dans cette chambre. Cet échange a débouché sur ce que l’on appelle, dans le domaine de la médiation, une « résolution ». Ce soir-là, nous avons pu observer le fonctionnement de la justice réparatrice. C’était fascinant. Pour ma part, je me suis senti soulagé. Je félicite les sénateurs Wells et Moncion de leur courage, de leur empathie, et du respect qu’ils ont manifestement l’un pour l’autre, ainsi que pour leurs collègues du Sénat.

Honorables sénateurs, le fait de débattre de ces questions, ainsi que ce que nous faisons en tant que sénateurs, nous définit. C’est, si vous voulez, notre pain et notre beurre. À son meilleur, un débat est sain et constructif. Je crois que nous méritons et souhaitons tous avoir un milieu de travail où nos relations avec nos collègues, quelle que soit leur affiliation, et nos conseillers et les professionnels sur lesquels nous comptons, permettent à la Chambre de fonctionner efficacement. Il nous incombe, en tant que sénateurs, de ne jamais recommander, soutenir ou encourager l’intimidation ou le harcèlement, ni à la Chambre ni au Sénat, ni dans la rue ni dans nos collectivités. Avant toute chose, nous avons la responsabilité d’être respectueux et de préserver nos droits individuels ou collectifs et nos intérêts supérieurs.

Honorables sénateurs, nous sommes des Canadiens qui ont le privilège de servir leurs concitoyens. Ce service doit en tous points refléter la collaboration, la retenue et l’honneur de la Couronne afin de défendre l’honneur du Sénat. Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je remercie sincèrement les sénateurs de leurs interventions. Avant de prendre la question en délibéré, je suivrai la pratique générale en demandant à la sénatrice Saint-Germain, qui a soulevé la question de privilège, si elle a une dernière remarque à nous livrer.

L’honorable Raymonde Saint-Germain [ + ]

Je vous remercie sincèrement, madame la Présidente, de respecter cette pratique générale et de me donner cette occasion de m’exprimer; je l’apprécie. Je réitère l’importance de votre décision pour notre doctrine et pour l’avenir de nos travaux.

Premièrement, permettez-moi de réaffirmer que toute menace faite à un parlementaire, ou toute tentative d’influencer son vote ou son comportement, constitue une atteinte aux privilèges. Selon l’ouvrage Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, 6e édition : « Il va de soi que des menaces directement adressées à un député en vue d’influencer son comportement à la Chambre constituent des atteintes au privilège. » Vous trouverez cela, Votre Honneur, dans mes observations de mardi.

J’aimerais parler d’un autre aspect qui a trait à la norme sur laquelle on doit se fonder pour établir s’il y a eu atteinte aux privilèges. Dans ses observations de mardi, et encore aujourd’hui, le leader de l’opposition au Sénat a indiqué que son travail et ses obligations lui tiennent à cœur, et qu’il est fidèle à ses valeurs. Je respecte vraiment cela, et j’ajouterai que j’ai le plus grand respect pour la détermination du sénateur Plett à remplir ses obligations parlementaires.

Je suis également surprise que la sénatrice Batters sous-estime le lien entre le gazouillis initial du député conservateur et ce que les sénatrices Clément et Petitclerc ont subi. Lorsqu’on diffuse un gazouillis, il est évident que l’on souscrit à son contenu et que l’on contribue à le promouvoir, à moins de préciser que ce n’est pas le cas. Or, la sénatrice Batters n’a pas apporté cette précision lorsqu’elle a diffusé le gazouillis.

Toutefois, si la fougue, l’engagement et les valeurs personnelles servent à justifier le comportement d’un sénateur, les violations présumées du privilège seront alors évaluées au moyen d’une norme subjective, avec pour résultat que les normes attendues d’une institution devraient s’aligner sur l’idée que se fait un sénateur de ce qui est acceptable. Si cette approche est adoptée dans cette enceinte, elle conduira à l’anarchie. N’importe quel sénateur pourrait invoquer la bonne foi pour justifier ses actions, aussi inacceptables soient-elles. Ainsi, cette approche ne peut être autorisée à régir ces questions. La norme doit être objective. Bien que cela ne soit pas explicite dans nos documents de référence, il s’agit manifestement de l’approche juste et nécessaire.

La Chambre des Lords — avec laquelle nous avons tant en commun et dont nous nous inspirons — a abordé la question de l’honneur personnel soulevée par le sénateur Plett. Je me permets de citer le code de la Chambre des Lords :

[...] l’expression « honneur personnel » est en fin de compte l’expression du sentiment de la Chambre dans son ensemble quant aux normes de conduite attendues de chacun de ses membres [...] les membres ne peuvent pas simplement s’en remettre à ce qui leur apparaît être honorable. Ils sont tenus d’agir conformément aux normes attendues par la Chambre dans son ensemble. L’« honneur personnel » est donc [...] une question qui concerne chacun des sénateurs, sous réserve du sentiment et de la culture de la Chambre dans son ensemble.

Votre Honneur, en tout respect, je considère que ce devrait être notre approche. Pour que ce soit clair, la conduite de certains sénateurs, que j’ai longuement décrite dans mon discours ce mardi, ne respectait absolument pas cette norme et, par conséquent, portait atteinte au privilège des sénateurs et jetait le déshonneur sur notre honorable institution. Votre Honneur, c’est avec le plus grand respect que je m’en remets à vous et que j’attends votre décision. Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Encore une fois, je remercie tout le monde. Conformément à l’article 2-5(1) du Règlement, je vais prendre la question en délibéré.

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