La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Motion d'amendement--Débat
23 novembre 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’amendement de la sénatrice Moncion au projet de loi C-234.
Cet amendement empêcherait le gouvernement de prolonger, par l’entremise du gouverneur en conseil ou de motions présentées à la Chambre des communes et au Sénat, au-delà de l’échéance prévue les exemptions de la taxe sur le carbone accordées aux exploitations agricoles.
Bien que je dise qu’il s’agit de l’amendement de la sénatrice Moncion, est-ce bien le cas? Lorsque j’ai demandé à la sénatrice, dans la foulée de son intervention, s’il s’agissait du même amendement que le sénateur Woo avait proposé au Comité de l’agriculture, elle m’a répondu : « Je crois qu’il est semblable. » Or, voici, le libellé de l’amendement en question. Le sénateur Woo avait proposé :
Que le projet de loi C-234 soit modifié à l’article 2 :
a) à la page 2, par substitution, aux lignes 24 à 36, de ce qui suit :
« saire de l’entrée en vigueur de la présente loi. »;
b) à la page 3, par suppression des lignes 1 à 10.
Qu’en est-il de l’amendement de la sénatrice Moncion? Il n’est pas semblable : il est parfaitement identique, mot pour mot.
D’où vient donc cet amendement? Apparemment, sa marraine au Sénat ne connaissait pas assez bien son propre amendement pour s’apercevoir qu’il est identique à celui-là. De plus, la sénatrice Moncion n’a que très sommairement expliqué cet amendement, ne prononçant que trois phrases à son sujet dans son intervention ce soir-là.
Cependant, au comité, le sénateur Woo avait expliqué en ces termes son raisonnement pour présenter cet amendement :
[...] nous ne devrions pas, en tant que Chambre de second examen objectif, permettre que la prolongation de ces exemptions soit si facile.
C’est bien de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas, honorables sénateurs? Le gouvernement ne veut pas que les agriculteurs bénéficient d’un allégement de la taxe sur le carbone, et surtout pas avec facilité. Des amendements comme celui-là font partie de sa stratégie visant à retarder, à paralyser, à vider de sa substance et finalement à torpiller toute mesure qui aiderait les agriculteurs.
L’amendement du sénateur Woo avait été rejeté par le comité, mais la sénatrice Moncion l’a ramené pour tenter de nouveau de bloquer le projet de loi.
On nous a dit que le Cabinet ne veut pas de ce projet de loi. Ce n’est pas une surprise de la part d’un gouvernement Trudeau qui appartient à l’élite laurentienne et qui est complètement déconnecté des agriculteurs canadiens. C’est ce gouvernement qui a récemment fait construire à Rideau Hall une prétendue grange de 8 millions de dollars qui est chauffée, qui comporte deux étages, qui est carboneutre et qui est dotée d’un garage. À mon avis, cela n’évoque pas une grange, mais plutôt ce qu’on peut en extraire à la pelle.
Honorables sénateurs, l’un des principaux objectifs du Sénat consiste à défendre les intérêts des régions du Canada dans le processus législatif; c’est donc ce que je fais ici aujourd’hui. Comme la plupart des gens qui ont grandi en Saskatchewan, j’ai toujours eu conscience de l’importance de l’agriculture. Mon père a vendu de l’équipement agricole pendant des décennies. Lorsque j’étais toute jeune, j’allais au magasin de mon père pour prendre un exemplaire de tous les dépliants en papier glacé montrant les toutes nouvelles machines agricoles, y compris des tracteurs, des moissonneuses-batteuses et, bien sûr, des séchoirs à grains. J’en mettais partout dans ma chambre à coucher, puis j’appelais mes petites sœurs pour qu’elles viennent faire du magasinage parce que le magasin d’équipement agricole était ouvert.
Honorables sénateurs, vous venez pour la plupart de grands centres urbains. Il n’arrive probablement pas souvent que des agriculteurs viennent vous parler, mais pour tous ceux qui, comme moi, représentent une province en grande partie rurale, cela arrive toutes les fins de semaine chez eux. D’ailleurs, cette semaine, l’exposition agricole annuelle de l’Ouest canadien a lieu à Regina, où ce projet de loi est un sujet brûlant. Les agriculteurs sont consternés que certains sénateurs tentent de faire de l’obstruction pour empêcher l’adoption de ce projet de loi plein de bon sens qui vise à offrir aux producteurs agricoles un répit par rapport à une taxe sur le carbone injuste qui, dans certains cas, menace carrément leur gagne-pain.
L’agriculture n’a jamais été un moyen facile de gagner sa vie. Les agriculteurs sont soumis à toutes sortes d’impondérables indépendants de leur volonté : l’imprévisibilité des conditions météorologiques, les marchés internationaux et les accords commerciaux, les insectes, les mauvaises herbes et les maladies, sans oublier, bien sûr, le gouvernement à Ottawa qui leur est souvent insensible.
Par exemple, le gouvernement Trudeau s’accroche désespérément à sa politique de taxation du carbone pour inciter les Canadiens à faire des choix plus écologiques. Or, les agriculteurs n’ont pas de leçon à recevoir de la part du gouvernement Trudeau sur la façon d’être de bons gardiens de la nature. Les agriculteurs prennent très bien soin de la nature parce que c’est dans leur propre intérêt économique de le faire.
L’agriculture est un puits de carbone. Des pratiques comme l’ensemencement sans labour et la rotation des cultures ont des effets bénéfiques sur l’environnement. Au fur et à mesure que la technologie évolue, les exploitations agricoles évoluent avec elle. Le gouvernement Trudeau préfère toutefois oublier certaines réalités propres au monde agricole. Tant que la technologie n’aura pas évolué, les agriculteurs continueront d’avoir besoin de carburants tels que le propane et le gaz naturel pour certaines de leurs activités, comme le séchage du grain ainsi que le chauffage et la climatisation des étables et des serres. Il n’existe pas encore de véritable solution de rechange, et ces activités sont absolument essentielles à la réussite des entreprises agricoles. Rappelons que sans fermes, il n’y a pas d’aliments. Si les fermes canadiennes ne tiennent pas le coup, la sécurité alimentaire du Canada sera compromise, ce qui aura un effet néfaste sur tous les Canadiens.
Comme on pouvait s’y attendre, les solutions que propose le gouvernement Trudeau coûtent très cher. J’ai vérifié les prix récemment. Un séchoir à grains neuf conçu pour les fermes coûte 300 000 $, et il faut ajouter de 100 000 $ à 150 000 $ pour les accessoires requis.
Il s’agit d’un investissement massif, et cette nouvelle pièce d’équipement réduirait la consommation d’énergie d’environ 30 % seulement, comme l’a récemment admis le sénateur Dalphond lui‑même. Ainsi, les économies réalisées seraient dérisoires par rapport aux près d’un demi-million de dollars dépensés pour acheter ce séchoir à grains. Puis, il y a le coût de la taxe sur le carbone quand on fait sécher le grain. J’ai vu les factures de SaskEnergy de Kenton Possberg, un agriculteur de Humboldt, en Saskatchewan. Lorsqu’il s’est servi du séchoir à grains, la taxe sur le carbone et la TPS en sus lui ont coûté 6 400 $ un mois et environ 4 000 $ un autre mois. L’hiver, lorsqu’il ne se sert pas du séchoir à grains, la taxe sur le carbone lui coûte seulement 135 $ par mois. La différence de 5 000 $ par mois est stupéfiante.
Les agriculteurs de la Saskatchewan sont particulièrement affligés par la taxe sur le carbone parce que notre province est située à l’intérieur des terres. Ian Boxall, président de l’association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, a déclaré :
Les exploitations agricoles de la Saskatchewan vont payer plus de 40 millions de dollars de taxe sur le carbone rien que pour acheminer leurs produits au port. Cet argent sort directement de la Saskatchewan rurale.
Partout au pays, les producteurs agricoles partagent les mêmes préoccupations. Hessel Kielstra, producteur de volailles de l’Alberta, a expliqué l’incidence de la taxe sur le carbone sur son exploitation dans ces mots :
Nous n’avons pas les moyens de payer la taxe paralysante sur le carbone. Si le gouvernement permet à la taxe d’atteindre 170 $, nous devrons fermer boutique, ce qui serait très douloureux pour notre famille [...]
Le coût pour nous est le suivant :
120 000 $ en 2022;
180 000 $ en 2023;
480 000 $ par an lorsque la taxe sur le carbone atteindra 170 $.
Comme vous pouvez le constater, la taxe sur carbone est prohibitive pour nous.
Le directeur parlementaire du budget a évalué le projet de loi C-234 et a déterminé que les exemptions de taxe sur le carbone prévues dans le projet de loi permettraient aux agriculteurs d’économiser 1 milliard de dollars d’ici 2030. Il s’agit d’une somme importante pour de nombreux producteurs agricoles. Dans bien des cas, cela pourrait sauver leurs gagne-pain.
Gunter Jochum, un producteur de grain du Manitoba et le président de la Western Canadian Wheat Growers Association, a dit ce qui suit :
Au rythme actuel, la taxe coûte à mon exploitation environ 40 000 $. Le gouvernement veut toutefois l’augmenter, ce qui coûterait à mon exploitation pas moins de 136 000 $ par année d’ici 2030. Cela va compromettre sa viabilité et sa durabilité.
Dernièrement, le premier ministre Trudeau a créé une exemption à la taxe sur le carbone. Il est ainsi allé à l’encontre de la politique phare de son propre gouvernement. Cette exemption se limite toutefois aux Canadiens qui se chauffent au mazout. Cet allégement fiscal cible donc surtout les gens des provinces de l’Atlantique et ce, de toute évidence, pour des motifs bassement politiques, dans le but de renflouer les fortunes libérales déclinantes de la région. La ministre du Développement économique rural du cabinet Trudeau, Gudie Hutchings, l’a directement admis. Elle a dit que cette exemption découlait de pressions exercées par les députés libéraux de l’Atlantique et que, si les provinces de l’Ouest voulaient une exemption semblable, elles devraient peut-être élire plus de libéraux dans les Prairies.
Cela prouve que les libéraux de Trudeau ne comprennent à peu près rien aux gens de l’Ouest. Cela en dit long, aussi, sur l’ancien ministre libéral Ralph Goodale, le seul représentant de la Saskatchewan au sein du Cabinet lors de la création et de la mise en œuvre de la taxe sur le carbone. Pendant des années, il aurait pu se porter à la défense des agriculteurs de l’Ouest qui réclamaient alors cette exemption, mais il n’en a rien fait.
Avec sa volte-face partielle à propos de la taxe sur le carbone, le gouvernement Trudeau admet que cette taxe coûte trop cher et que l’État ne devrait pas imposer ce genre de taxe quand les prix montent en flèche et qu’il n’est pas possible d’utiliser d’autres sources d’énergie, ce qui est précisément le cas de bien des agriculteurs.
Puisque les libéraux ont déjà accordé une exemption à l’Est du Canada, il est carrément injuste qu’ils en refusent une aux agriculteurs de l’Ouest sur le gaz naturel et le propane.
La Saskatchewan paie la taxe sur le carbone depuis déjà quatre ans et demi. Au cours de cette période, le gouvernement Trudeau a défendu différentes positions sur l’allégement de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs. Il a d’abord dit que les agriculteurs n’avaient pas besoin de cet allégement parce que les exploitations agricoles et les activités agricoles normales seraient « complètement exemptées de la tarification du carbone ».
Le gouvernement Trudeau a évidemment rompu sa promesse en imposant la taxe sur le carbone sur le séchage du grain. Il est stupéfiant que le gouvernement libéral ait mis autant de temps à comprendre que le séchage du grain fait partie des activités agricoles normales. Le gouvernement a ensuite changé son fusil d’épaule en prétendant que l’allégement de la taxe sur le carbone accordé aux éleveurs de volaille allait compenser pour le « faible » coût du séchage du grain. Il n’est pas nécessaire de préciser que c’était tout simplement faux. Bien des agriculteurs doivent débourser des dizaines de milliers de dollars à cause de la taxe sur le carbone, mais les remboursements qui leur sont accordés ne sont que des miettes. Le remboursement ne couvre que de 7 % à 10 % de ce que coûte la taxe sur le carbone aux agriculteurs. Ce sont donc les agriculteurs et, en fin de compte, les consommateurs qui doivent assumer le reste de la facture.
Les aliments ne tombent pas du ciel. Ils n’apparaissent pas par magie sur les tablettes de Whole Foods. L’agriculteur qui cultive les aliments et les camionneurs qui les transportent paient tous les deux la taxe sur le carbone, ce qui veut dire que le consommateur qui achètent ces aliments la paient aussi. Le coût du carburant fait grimper le prix de tout. Les prix augmentent dans tous les secteurs et avec chaque participant de la chaîne, puisque tout le monde augmente ses prix pour tenir compte de la hausse des coûts de production. Résultat : les consommateurs canadiens doivent payer la note, et les agriculteurs canadiens sont désavantagés sur la scène mondiale.
Le gouvernement Trudeau aime se targuer d’avoir doublé récemment le supplément pour les régions rurales de manière à aider davantage les agriculteurs, mais je peux vous dire que le fait de doubler ce supplément ne rapportera que 11 $ par mois au résident d’une région rurale de la Saskatchewan. Combien de temps faut-il pour dépenser 11 $? Il faut seulement 11 secondes pour mettre 11 $ d’essence dans la voiture. Je l’ai chronométré. Quelle distance peut-on parcourir avec 11 $ d’essence? On peut seulement faire de 70 à 80 kilomètres environ. Beaucoup de Canadiens des régions rurales doivent faire plus que 70 ou 80 kilomètres pour aller à un rendez-vous médical ou à l’épicerie, ou pour aller reconduire leurs enfants à des activités parascolaires. Ils doivent décidément parcourir une distance encore plus grande quand ils vont acheter des pièces pour leurs machines agricoles.
Beaucoup d’agriculteurs font un trajet de plus que 70 ou 80 kilomètres pour aller à leur deuxième emploi, car ils ont souvent besoin d’un deuxième emploi pour avoir les moyens de payer toutes les factures de la famille.
Le gouvernement Trudeau dresse les régions du pays les unes contre les autres, et voilà maintenant qu’il fait tout ce qu’il peut pour que les agriculteurs n’obtiennent aucun allégement de son écrasante taxe sur le carbone, ce qui m’amène au débat d’aujourd’hui.
Les agriculteurs ont eu une lueur d’espoir avec le projet de loi d’initiative parlementaire C-234 lorsqu’il a été adopté à la Chambre des communes avec l’appui de députés de tous les partis — même trois députés libéraux. Mais, maintenant que ce projet de loi est arrivé au Sénat indépendant, le gouvernement Trudeau, y compris son leader et sa leader adjointe au Sénat, prend des mesures extrêmes afin de retarder, affaiblir et torpiller ce projet de loi. Cela explique l’avalanche de coups de téléphone paniqués de la part des ministres Guilbeault et Wilkinson à certains sénateurs.
Le ministre Guilbeault a admis dans une récente entrevue qu’il n’avait parlé qu’à la poignée de sénateurs libéraux restants. Même le ministre admet que l’indépendance du Sénat n’est pas totale.
Je connais au moins un sénateur indépendant à qui on a dit que la taxe sur le carbone ne coûte que 900 $ par année aux agriculteurs. C’est faux. Le gouvernement Trudeau induit intentionnellement les sénateurs en erreur.
Honorables sénateurs, ne vous laissez pas berner par un gouvernement qui agit uniquement en fonction de son propre intérêt partisan et non dans l’intérêt des Canadiens.
L’amendement de la sénatrice Moncion est une autre façon pour le gouvernement de nuire aux agriculteurs canadiens, de les pénaliser parce qu’ils n’ont pas voté pour les libéraux. Le fait d’amender le projet de loi à ce stade-ci pourrait essentiellement le torpiller. C’est ce qu’a déclaré le sénateur indépendant Brent Cotter au Comité sénatorial de l’agriculture :
[...] chaque amendement que nous proposons au projet de loi met en péril la probabilité que l’exemption voie le jour sous quelque forme que ce soit, et cela me semble triste et paradoxal puisque, d’après la conversation de jeudi dernier, le comité appuyait un volet de l’exemption proprement dite, plus particulièrement en ce qui concerne le séchage du grain.
Donc, à mes yeux, il n’est pas justifié d’ajouter à cela une disposition relativement insignifiante et un amendement relativement insignifiant, et je voterai contre cet amendement.
Si le projet de loi C-234 est amendé et qu’il retourne à la Chambre des communes, il est probable que le gouvernement ne le présentera pas à nouveau et qu’il le laissera mourir au Feuilleton lors du déclenchement des prochaines élections. Malheureusement, les agriculteurs n’ont pas le luxe d’attendre la défaite du gouvernement actuel. Il leur faut un allégement de la taxe sur le carbone dès maintenant.
Le projet de loi C-234 est un plan sensé visant à apporter aux agriculteurs l’aide dont ils ont tant besoin. Il a été adopté par la Chambre des communes il y a plusieurs mois. Des milliers de Canadiens ont contacté nos bureaux pour nous exhorter à adopter ce projet de loi sans amendement. Cinq premiers ministres vous ont écrit au nom de leur province pour vous demander de faire de même.
Honorables sénateurs, si le Sénat n’adopte pas le projet de loi C-234, vous démontrerez que vous êtes terriblement déconnectés de la réalité des Canadiens.
Je vous demande de faire ce qu’il faut au nom des Canadiens. Votez contre cet amendement et cessez de donner des réponses évasives sur la suppression de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs qui nourrissent notre pays et la planète. Merci.
Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.
Souhaitez-vous ne pas tenir compte de l’heure?
Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. En conséquence, la séance est suspendue, et je quitte le fauteuil jusqu’à 20 heures.