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Projet de loi concernant l'élaboration d'un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant

Deuxième lecture--Suite du débat

5 novembre 2025


L’honorable Pat Duncan [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que sénatrice du Yukon afin de présenter le point de vue du Yukon sur cette question.

En 2019, le gouvernement du Yukon a commandé une étude sur nos programmes et services sociaux et de santé. Le groupe d’experts indépendants chargé de cette étude comprenait l’ancien sous-ministre de la Santé et des Services sociaux, qui a également occupé le poste de sous-ministre des Finances.

De nombreux Yukonnais ont contribué à ce rapport, y compris des professionnels de la santé, des professionnels des services sociaux, des organismes communautaires, des fonctionnaires du gouvernement du Yukon, des organismes non gouvernementaux et des gouvernements des Premières Nations. Plus de 300 Yukonnais ont participé à des réunions publiques avec les membres du groupe d’experts et plus de 700 Yukonnais ont répondu à un sondage en ligne. À la lumière des commentaires recueillis, le groupe d’experts a formulé 76 recommandations dans son rapport, intitulé La population d’abord.

L’une des recommandations du rapport était de créer un programme pilote de revenu annuel garanti. Le gouvernement du Yukon a ensuite demandé à la Coalition anti-pauvreté du Yukon, un organisme sans but lucratif, de se pencher sur la question et elle a publié son rapport final cet automne.

Une analyse du rapport La population d’abord fait mention du projet de loi fédéral C-233, Loi visant à éliminer la pauvreté au Canada, dont nous sommes actuellement saisis, et de la version antérieure du projet de loi. Le rapport de la Coalition anti-pauvreté du Yukon fait également mention des politiques et des programmes mis en œuvre dans d’autres provinces et territoires.

Le rapport de la Coalition anti-pauvreté du Yukon fait clairement état des difficultés qui seraient rencontrées si un programme était mis en place au Yukon. Bien franchement, d’après mon expérience en tant qu’ancienne ministre des Finances, je m’y attendais. Sans surprise, la situation est plus compliquée qu’on pourrait l’imaginer.

Honorables sénateurs, entre 2015 et 2025, la population du Yukon a augmenté de 9 748 personnes, ce qui représente une augmentation impressionnante de 26 % de la population du territoire. À Whitehorse, l’augmentation atteint près de 30 %. Le 31 mars 2025, la population atteignait 47 170 habitants, un nouveau record pour le Yukon.

De ce nombre, environ 22 % sont des membres des Premières Nations. Comme je l’ai déjà dit à maintes reprises, 11 des 14 Premières Nations du Yukon sont autonomes. Or, la prestation de l’aide aux citoyens peut varier grandement d’une Première Nation autonome à l’autre, un problème qui a également été soulevé dans le rapport de la Coalition anti-pauvreté du Yukon. Mardi matin, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a entendu la grande cheffe Math’ieya Alatini, du Conseil des Premières Nations du Yukon. Elle a déclaré que les Premières Nations autonomes ne reçoivent pas un financement suffisant pour fournir des services à leurs citoyens qu’elles considèrent comme des membres, mais que le Canada ne considère pas nécessairement comme des « Indiens inscrits », pour reprendre le terme de la Loi sur les Indiens.

Il n’y a pas de réserves au Yukon. Les Indiens inscrits qui sont membres de Premières Nations non autonomes reçoivent une aide au revenu du gouvernement du Canada. Comme je l’ai mentionné, c’est compliqué.

L’une de mes premières responsabilités au Sénat a été de siéger au Comité des finances nationales. J’ai interrogé à plusieurs reprises les fonctionnaires du ministère des Services aux Autochtones sur les nombreux postes budgétaires du Budget principal des dépenses. Deux postes sont pertinents dans le cadre de cette discussion.

Dans le Budget principal des dépenses de 2023-2024, la liste des paiements de transfert comprend des subventions visant à fournir un soutien au revenu aux personnes qui habitent dans les réserves indiennes et aux Indiens inscrits du territoire du Yukon, à hauteur de 20 millions de dollars. Bien que le Yukon soit mentionné, il s’agit en fait d’un soutien au revenu destiné aux résidants des réserves et aux Indiens inscrits de l’ensemble du Canada. Dans le Budget principal des dépenses de 2025-2026, ce montant est à nouveau de 20 millions de dollars, bien que les dépenses réelles pour 2023-2024 aient été de 10 206 192 $.

Le deuxième poste budgétaire est celui des contributions visant à fournir un soutien au revenu aux personnes qui habitent dans les réserves indiennes et aux Indiens inscrits du territoire du Yukon — encore une fois, c’est en fait pour l’ensemble du Canada. Dans le Budget principal des dépenses de 2023-2024, le montant était de 1,3 milliard de dollars. Dans le Budget principal des dépenses de 2025-2026, il était de 1,227 milliard de dollars, les dépenses réelles pour 2023-2024 ayant été de 1 398 611 442 $.

Les honorables sénateurs se souviendront du récent rapport du Bureau du vérificateur général concernant la prestation des programmes et des services par le ministère des Services aux Autochtones du Canada, ainsi que de l’engagement de la ministre à faire mieux et des valeurs d’inclusion, d’empathie et de compassion du gouvernement actuel.

Voici un point essentiel tiré du rapport de la Coalition anti-pauvreté du Yukon :

Bien que le revenu de base garanti puisse offrir des possibilités de réconciliation et de préservation de la culture, notre travail dans le cadre de ce rapport se concentre sur les avantages possibles du revenu de base garanti du point de vue de la santé et des services sociaux.

Il faut tenir d’autres consultations pour savoir si l’administration du revenu de base garanti serait conforme aux principes et aux pratiques d’autonomie gouvernementale des Premières Nations du Yukon et de quelles façons elle s’arrimerait à celles-ci.

Le reste des citoyens du Yukon reçoivent une aide au revenu du gouvernement du Yukon. Les auteurs de ce rapport ont clairement énoncé plusieurs problèmes liés au système d’aide sociale actuel de ce territoire. L’un de ces problèmes, exprimé par les participants à des groupes de discussion, est le suivant :

[...] la nécessité d’utiliser les renseignements et les processus en ligne du système d’aide sociale a été désignée comme un obstacle à la transparence et à la communication, car certains participants ne savent pas comment utiliser un téléphone ou n’ont pas les moyens de se payer un téléphone ou un accès à Internet.

Le rapport de la Coalition anti-pauvreté du Yukon et les recommandations comprises dans le rapport La population d’abord sont maintenant entre les mains du gouvernement nouvellement élu du Yukon, qui décidera des prochaines étapes.

Honorables sénateurs, j’aimerais prendre un instant pour féliciter le premier ministre élu Currie Dixon, la cheffe de l’opposition officielle Kate White et, plus particulièrement, tous ceux qui ont soumis leur candidature aux récentes élections territoriales qui, comme vous le savez, ont eu lieu le 3 novembre. J’aimerais également remercier les membres de l’Assemblée législative du Yukon qui n’ont pas demandé un nouveau mandat à la population pour le travail qu’ils ont accompli au fil des ans.

Je soumets ces informations sur le Yukon afin que mes collègues en tiennent compte aujourd’hui relativement au projet de loi S-206.

Si j’avais reçu 5 cents chaque fois que j’ai dit, ici ou ailleurs, qu’il n’existe pas, dans ce pays, de solution unique pour tout le monde, j’aurais pu contribuer de manière considérable aux paiements de transfert aux provinces. Les discussions sur un cadre pour un revenu minimum garanti doivent tenir compte des différences régionales canadiennes et du soutien régional dans l’ensemble du pays. Je comprends que l’Île-du-Prince-Édouard se trouve dans une situation différente en ce qui concerne le revenu minimum garanti. Je crois également comprendre qu’une telle mesure suscite beaucoup d’intérêt, comme en témoigne une motion adoptée à l’unanimité à l’Assemblée législative afin que cette province mette en place un tel programme.

Les honorables sénateurs n’ont pas besoin qu’on leur rappelle que les élus sont ceux qui sont le plus proches des Canadiens. Ils font du porte-à-porte, et les Canadiens les tiennent directement responsables en s’exprimant aux urnes. Alors pourquoi le Canada devrait-il mettre en place un cadre? Il s’agit d’une responsabilité provinciale et territoriale. Eh bien, oui et non.

Le Canada perçoit les impôts, fournit les fonds et, dans certains cas, comme celui des Premières Nations, il fournit directement les services. Je crois que le Comité des finances nationales — un comité certes très occupé — devrait tenir compte du travail accompli dans les provinces, dans les territoires et par les gouvernements des Premières Nations.

Lorsque le Comité des finances nationales examinera le projet de loi S-206, je lui demande de reconnaître et de prendre pleinement en considération le travail accompli par d’anciens collègues, les honorables sénateurs Hugh Segal et Art Eggleton. J’espère également que le comité tiendra compte du travail accompli dans mon territoire — surtout de l’énoncé des valeurs — et de la compréhension des défis que traduisent les recommandations figurant dans le rapport La population d’abord. J’encourage également le comité à se renseigner sur l’important travail accompli dans le cadre des discussions avec le Canada en vue de la mise en place d’un programme à l’Île-du-Prince-Édouard, et à reconnaître le soutien dont jouit celui-ci. Le comité devrait savoir que ce programme reconnaît les différences qui existent au Canada et que le cadre devrait être guidé par l’une des valeurs souvent évoquées par le premier ministre — l’inclusion.

Honorables sénateurs, alors que j’arrive à la fin de mon allocution, je souhaite vous faire part d’une anecdote personnelle. Au printemps dernier, j’ai remis la Médaille du couronnement du roi Charles III à une femme qui a joué un rôle déterminant dans la création, le fonctionnement et le soutien de la Fetal Alcohol Syndrome Society Yukon.

Il y a de nombreuses années, alors qu’elle était infirmière au Yukon, elle a adopté un bébé né avec des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Cette femme, qui est aujourd’hui une personne âgée, continue d’épuiser ses ressources financières personnelles pour soutenir son enfant adoptif, qui est désormais adulte. Tous les deux peuvent toutefois bénéficier des ressources supplémentaires dont ils ont besoin pour vivre de manière autonome et en toute sécurité ailleurs au Canada.

En discutant des travaux actuels du Sénat sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et du projet de loi S-234 du sénateur Ravalia, qui prévoit l’élaboration d’un cadre national sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, avec cette femme, qui, je le rappelle, a milité toute sa vie pour la sensibilisation aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et le soutien aux personnes touchées, m’a dit : « Pat, nous n’avons pas besoin d’un cadre sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Nous avons besoin d’un revenu minimum garanti pour pouvoir vraiment aider les gens comme la personne que j’ai adoptée. »

Honorables sénateurs, lorsque j’étais ministre des Finances du Yukon, j’ai eu l’insigne honneur et le privilège de discuter avec le ministre des Finances du Canada de l’époque, Paul Martin, pour le prier de rétablir le financement qui avait été supprimé du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Ayant déjà conclu des accords sur les revendications territoriales, je comprends les difficultés auxquelles les gouvernements des Premières Nations doivent faire face lorsqu’il s’agit de gérer leurs finances avec le Canada et de répondre aux besoins et aux aspirations de leurs concitoyens afin de créer un monde de possibilités comme celui envisagé dans le document « Together Today for our Children Tomorrow ». Vingt-cinq ans plus tard, les premiers ministres des provinces et des territoires parlent encore de l’insuffisance des ressources financières pour les soins de santé et la prestation des services aux citoyens, et de l’insuffisance des transferts fiscaux d’Ottawa.

Parler d’un revenu minimum garanti pour les Canadiens n’est pas une tâche facile. Je crois que le sénateur Gignac a dit que si nous consultions trois économistes à ce sujet, nous obtiendrions quatre avis. Beaucoup ont cité l’excellent travail de notre collègue la sénatrice Bellemare.

Je suis reconnaissante de cette discussion et de l’intervention du sénateur Klyne hier. Tout cela souligne que cette discussion n’est pas terminée. Chers collègues, cette discussion n’est pas facile. Nous sommes convoqués à Ottawa pour traiter de questions graves et ardues. Les sénateurs sont reconnus depuis des années pour leur capacité à mener des enquêtes et à étudier les dossiers.

Ce que je demande, c’est que l’étude du projet de loi S-206 par le Comité des finances tienne compte du fait que le Canada est plus que la somme de toutes ses parties, et que, lorsqu’un gouvernement dûment élu d’une province ou d’un territoire ou un gouvernement des Premières Nations souhaite adopter une approche transformatrice en matière de soutien du revenu qui soit conforme aux valeurs canadiennes, cette demande soit examinée de manière approfondie et équitable par le Canada.

Merci, chers collègues. Shäw níthän. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh.

La sénatrice Duncan accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Duncan [ - ]

Certainement.

Sénatrice Duncan, si j’ai bien compris votre discours, vous soutenez...

Son Honneur le Président intérimaire [ - ]

Sénatrice Duncan, le temps qui vous était alloué est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Duncan [ - ]

Oui, avec le consentement du Sénat.

Son Honneur le Président intérimaire [ - ]

Le consentement est-il accordé?

Si j’ai bien compris votre discours, je crois que vous prévoyez voter pour le renvoi du projet de loi au comité, ce qui signifie que vous appuierez cette mesure à l’étape de la deuxième lecture. J’aimerais juste en obtenir la confirmation.

De plus, lorsque vous apparaissez à l’écran, vous êtes désignée comme « agente de liaison adjointe du gouvernement au Sénat » au sein du bureau du représentant du gouvernement. Si vous appuyez effectivement le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, est‑ce que ce vote refléterait l’opinion du gouvernement sur cette mesure législative?

La sénatrice Duncan [ - ]

Je suis ravie d’avoir l’occasion de répondre à cette question, sénatrice Batters.

Je ne suis pas au Sénat depuis aussi longtemps que vous, sénatrice, mais je crois comprendre qu’à l’étape de la deuxième lecture, nous votons sur le principe du projet de loi. Cela ne veut pas nécessairement dire que nous appuyons le projet de loi dans son intégralité.

Le principe d’un revenu garanti suffisant intéresse les gens du Yukon. Ils aimeraient qu’un tel programme soit créé. Ils sont conscients que c’est compliqué. Je m’exprime aujourd’hui en tant que sénatrice représentant le Yukon.

Effectivement, voter pour un projet de loi à l’étape de la deuxième lecture signifie qu’on en appuie le principe, donc vous dites que vous appuyez le concept d’un revenu garanti suffisant. J’aimerais simplement que vous me confirmiez qu’il s’agit de votre intention de vote personnelle. Malgré le titre qui apparaît à l’écran lorsque vous prenez la parole, votre intention de vote à l’égard de ce projet de loi n’indique pas nécessairement que le gouvernement a l’intention de l’appuyer ou de s’y opposer, n’est-ce pas?

La sénatrice Duncan [ - ]

Sénatrice Batters, j’ai déjà précisé que je m’exprimais en tant que sénatrice du Yukon. Tout comme les habitants du Yukon, je m’intéresse au principe d’un revenu garanti suffisant. Ce principe m’intéresse.

En ce qui concerne les détails du projet de loi, je voterai à l’étape de la troisième lecture. Nous ne savons pas si le Comité sénatorial des finances le renverra dans sa forme actuelle. Ce que je voulais dire très clairement aujourd’hui, c’est que je parle au nom des Yukonnais et que je représente leurs opinions.

Je prends également la parole en tant que sénatrice, ayant siégé ici pendant plus de sept ans, pour souligner l’importance d’écouter l’ensemble du Canada, y compris toutes les régions. Il faut être à l’écoute des souhaits de la population canadienne. C’est ce que je demande au Canada de faire. Quant au projet de loi lui-même, nous verrons bien quand il sera renvoyé ici.

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