La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
25 février 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, qui est marrainé par la sénatrice McCallum.
Je vais expliquer pourquoi il est sensé d’appuyer ce projet de loi quand on comprend le rapport étroit qui existe entre la culture et le genre pour les femmes autochtones.
Ce projet de loi est nécessaire pour le Canada afin d’élaborer une politique rigoureuse et efficace et, surtout, si les Canadiens veulent vraiment opérer une réconciliation. En effet, il s’agit d’un projet de loi nécessaire qui protégera les femmes autochtones contre les torts qu’elles subissent depuis toujours à cause du colonialisme.
Le projet de loi S-209 fera de l’analyse de la culture et du genre, qui sont indissociables pour les femmes autochtones, une exigence légale pour garantir que les prochains gouvernements ne négligeront pas cet élément important lorsqu’ils étudieront, débattront et adopteront des mesures législatives.
L’analyse comparative entre les sexes est un outil qui permet aux décideurs d’harmoniser les mesures du gouvernement avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le gouvernement du Canada s’est engagé à appuyer la mise en œuvre complète de l’analyse comparative entre les sexes dans l’ensemble des ministères et des organismes fédéraux.
Actuellement, l’analyse comparative entre les sexes est effectuée à la discrétion et selon le bon vouloir du gouvernement, ce qui donne aux prochains gouvernements la possibilité de l’écarter du revers de la main s’ils le désirent. Bien sûr, les ministères qui travaillent sur des projets de loi sont susceptibles de penser aux répercussions de ceux-ci sur différentes populations et ils penseront sûrement à tous les risques. Néanmoins, les pratiques en matière d’analyse comparative entre les sexes visant à examiner des projets de loi au sein du gouvernement semblent être laissées à la discrétion du gouvernement en place.
Nous avons vu comment les analyses comparatives entre les sexes peuvent orienter la manière dont le gouvernement cerne et définit les problèmes dans ses initiatives stratégiques. Dans son rapport de 2015 intitulé La mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes, le Bureau du vérificateur général a évalué les progrès réalisés par le ministère de la Condition féminine et il a cerné un certain nombre de domaines où des améliorations étaient nécessaires. Cependant, le bureau a passé sous silence la question de la pertinence culturelle, ce qui représente une lacune considérable pour les femmes autochtones.
Le ministère de la Condition féminine a précisé que l’analyse comparative entre les sexes devrait aussi prendre en considération les multiples facteurs d’identité qui ont une incidence sur les groupes de femmes et d’hommes, y compris l’âge, la scolarité, la langue, le lieu de résidence, la culture et le revenu. Les facteurs à considérer peuvent aussi comprendre la race, l’ethnicité, la religion, et les handicaps de nature physique ou mentale. C’est ce qu’on appelle l’ACS+.
Faire en sorte que le projet de loi S-209 prenne davantage en considération les facteurs culturellement pertinents lorsqu’il s’agit de s’adapter aux réalités particulières des femmes autochtones serait un pas important vers l’implantation d’une analyse comparative entre les sexes qui soit adaptée à la culture.
Depuis 2007, l’Association des femmes autochtones du Canada est un chef de file dans la promotion et la mise en œuvre d’analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture. Cette approche lui permet de tenir compte de facteurs culturellement pertinents dans le cadre de son analyse.
Par exemple, dans le secteur de la santé — où j’ai travaillé la majeure partie de ma carrière —, la recherche en santé dans le cadre d’essais cliniques a toujours été menée sur des hommes. Au mieux, on a créé des failles, et au pire, on n’a pas réussi à répondre aux besoins en matière de santé des femmes. Ces dernières étaient ainsi exposées à de grands risques, car les résultats des essais cliniques réalisés auprès des hommes étaient considérés comme la référence absolue et appliqués à toutes les femmes, ce qui rendait les résultats erronés et parfois dangereux.
Prenons la santé cardiaque. Les considérations uniques relatives aux comorbidités cardiaques des femmes sont exacerbées pour les femmes autochtones en raison d’autres facteurs de santé qui leur sont propres et qui découlent des conséquences du colonialisme. Par exemple, le stress et la dépression liés à la perte d’identité résultant de la Loi sur les Indiens, et les effets de la violence perpétrée contre des générations de survivants des pensionnats. Cependant, l’emploi des outils prévus par le projet de loi S-209 permettrait de supprimer ou de réduire considérablement les failles afin d’avoir une idée plus réaliste du mode de vie et de l’état de santé des femmes autochtones.
L’Association des femmes autochtones du Canada a indiqué à quoi ressemblaient les rôles des femmes autochtones dans la société traditionnelle, et ceux-ci contrastent énormément avec les concepts traditionnels européens de la société canadienne. Cette réalité des femmes autochtones au Canada explique pourquoi leur l’histoire a été si différente et difficile. En fait, à l’époque où les Européens sont arrivés au Canada, les femmes étaient considérées, selon la common law, comme un bien personnel, c’est-à-dire qu’elles dépendaient d’abord de leur père, puis de leur mari.
Le statut inférieur qui était accordé historiquement aux femmes dans la société européenne tranchait nettement avec celui accordé aux femmes autochtones, qui commandaient le plus grand respect au sein de leur communauté en tant que procréatrices de la vie et gardiennes des traditions, des pratiques et des coutumes de leur nation. Les femmes étaient vénérées pour leur capacité non seulement d’engendrer une nouvelle vie mais aussi, par extension, de tisser de nouvelles relations avec le créateur. Les femmes prenaient les décisions essentielles au sujet de la famille, des droits de propriété et de l’éducation. Elles exerçaient un pouvoir politique considérable au sein de leur peuple.
De nos jours, des hypothèses patriarcales et masculines continuent d’influer sur nos lois et nos politiques. Par exemple, comme je l’ai mentionné, une vision centrée sur les hommes a eu des effets négatifs à long terme sur la santé des femmes autochtones. Certaines lois et politiques du mouvement colonialiste s’attaquaient au pouvoir qu’avaient les femmes autochtones en tant que piliers de la famille. Le féminisme et les traditions juridiques occidentales ont contribué à compenser les injustices, mais ces concepts ne reflètent pas pleinement les perspectives des Autochtones. Par exemple, dans la société autochtone, l’équilibre ne peut pas être mis sur le même pied que l’égalité. L’équilibre est plutôt assimilable au respect des lois et des relations que les femmes autochtones entretiennent avec le droit autochtone et l’ordre écologique de l’univers.
Comment un projet de loi comme le projet de loi S-209 peut-il contribuer à la création d’une société plus équilibrée et plus juste pour toutes les femmes? Avec des outils législatifs perfectionnés, nous pourrions, par exemple, lorsque l’on examine un projet de loi de nature environnementale qui entraîne généralement l’établissement de camps de travailleurs masculins du secteur de l’extraction des ressources dans des régions rurales éloignées, appliquer une analyse comparative entre les sexes adaptée aux réalités culturelles qui tient compte des besoins propres aux femmes autochtones. La sénatrice McCallum a abordé le sujet de manière éloquente dans son discours.
Une analyse comparative entre les sexes adaptée aux réalités culturelles permet d’évaluer les risques à l’étape de la rédaction et des amendements d’un tel projet de loi et met en lumière la nécessité de prendre en considération la violence qui pourrait menacer les femmes autochtones dans les régions éloignées.
J’ai parlé au Sénat de la stérilisation forcée des femmes autochtones. Cette question me préoccupe encore beaucoup. À l’heure actuelle, mon bureau s’emploie à indiquer sur la carte du Canada où se trouvent les populations de femmes autochtones qui ont été stérilisées de force. Nous superposerons sur cette carte un calque indiquant l’emplacement des hôpitaux pour Autochtones et des sanatoriums pour tuberculeux afin de voir s’il existe une corrélation entre les phénomènes. D’autres cartes et calques permettront de superposer les emplacements des pensionnats autochtones, des pénitenciers, des corridors de trafic, des centres de soins de santé mentale et des camps d’extraction de ressources, afin de mieux comprendre les liens qu’il pourrait y avoir avec les cas de stérilisation forcée. On pourrait concevoir des cartes et des calques semblables pour les quelque 5 000 femmes et filles autochtones assassinées ou portées disparues.
Voilà quelques exemples de la manière dont une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture nous permettra de franchir l’étape la plus importante de la mise en place de stratégies politiques correctives et atténuantes pour les femmes autochtones.
Une fois ces cartes achevées, nous souhaitons entreprendre des projets semblables avec d’autres secteurs cernés pendant la brève étude entreprise à ce sujet par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Par exemple, l’étude a permis de souligner qu’on avait contraint des Néo-Écossaises d’origine africaine, des personnes intersexuées, des personnes handicapées et d’autres personnes vulnérables de la société canadienne, à subir une hystérectomie de force.
Le projet de loi S-209 nous amènera à réfléchir au rôle important que jouent la culture et le genre dans l’élaboration des politiques et le traitement réservé à certains Canadiens — qui est souvent inéquitable.
Dans une société multiculturelle comme le Canada, une analyse adaptée à la culture peut tenir compte d’un certain nombre de facteurs qui se recoupent. Dans le cadre de notre engagement à l’égard de la réconciliation, nous avons fait un premier pas pour reconnaître d’autres réalités et préjugés culturels qui sont intégrés dans les pratiques actuelles du processus législatif et de l’élaboration des politiques.
Le projet de loi S-209 constitue une mesure positive et importante pour la protection des réalités particulières des femmes autochtones. Le gouvernement s’est engagé à la réconciliation, et cela exige une approche fondée sur les distinctions qui garantira que les droits, les intérêts et les circonstances uniques des Premières Nations, des Métis et des Inuit sont reconnus, confirmés et mis en œuvre. C’est exactement ce que fait le projet de loi C-209.
Le renvoi du projet de loi C-209 au comité et son adoption éventuelle représentent une étape importante pour le Canada et, en fait, pour l’avenir de tous les Canadiens
Merci, meegwetch.