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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

19 avril 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels). Il incombe aux sénateurs de jeter un regard critique sur les projets de loi. Or, la seule critique que je peux formuler sur cette mesure législative, c’est qu’elle n’augmente pas les peines d’emprisonnement des personnes ayant perpétré ces crimes odieux contre des enfants, mais je m’écarte du sujet.

C’est un honneur pour moi de pouvoir parler de ce projet de loi et d’y exprimer mon appui. Je tiens tout d’abord à saluer le travail des députés Frank Caputo et Mel Arnold, deux représentants de ma province, la Colombie-Britannique, qui ont relevé le défi de parrainer cet important projet de loi d’initiative parlementaire ayant récemment obtenu l’appui unanime de l’autre endroit.

Bien sûr, je veux aussi féliciter notre collègue, la sénatrice Denise Batters, d’être devenue la marraine de ce projet de loi au Sénat. Elle l’a présenté ici, et elle a prononcé un discours convaincant et exhaustif à son sujet le 30 mars. J’espère que nous nous assurerons qu’il reçoit l’attention qu’il mérite, que nous le renverrons au comité et que nous le piloterons à l’étape de la troisième lecture très bientôt.

Je voudrais aussi saluer les courageux membres des forces de l’ordre, à tous les niveaux, qui consacrent leur vie à protéger les enfants contre les mauvais traitements et l’exploitation, qui sont des actes odieux.

Chers collègues, enquêter sur les abus et l’exploitation pédosexuels sur Internet n’est pas un travail facile. Il faut du courage pour s’exposer à du matériel d’abus sexuel en ligne d’une horreur sans nom pour protéger la sécurité et l’innocence des enfants. Les enquêtes sur ce type de crimes exigent de faire face aux aspects les plus hideux de l’humanité et nécessitent de passer du temps dans les recoins les plus sombres d’Internet. Ce travail a un énorme coût personnel pour la santé et le bien-être.

Ce matériel est devenu de plus en plus envahissant. Tout est maintenant facilement accessible : des actes de bestialité à la pénétration digitale et pénienne d’enfants de tous les âges, y compris de jeunes enfants et des nourrissons. Il est impossible d’oublier les images ou les cris. Nous devons toute notre gratitude aux enquêteurs — notre dette envers eux est incalculable, je dirais. C’est la pire forme d’abus et d’exploitation des enfants, et il est ridicule de laisser entendre que ce matériel pourrait d’une quelconque façon être considéré ou défini comme de la pornographie. Même le consommateur de pornographie le plus dépravé ou le plus tolérant ne pourrait concevoir une telle chose.

Le projet de loi C-291 propose une simple modification du Code criminel, mais il revêt une grande importance, parce que le langage que nous utilisons pour parler de l’exploitation sexuelle, sous quelque forme que ce soit, est important. Il est inadmissible de laisser entendre que ce matériel est d’une certaine manière lubrique ou qu’il n’est ni dégoûtant ni dérangeant. Comme quelqu’un l’a dit plus tôt aujourd’hui et comme on le dit souvent : « les mots comptent ». Je voudrais citer la sergente Natalie Davis, responsable du Groupe de la lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet de la Colombie-Britannique, qui a consacré 10 ans de sa vie à ce travail important et difficile :

Chaque enfant est une victime et il mérite le respect et le soutien du système judiciaire pour appeler les choses par leur nom.

Modifier le Code criminel et d’autres lois pour remplacer les mots « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » peut sembler anodin, mais il s’agit d’une étape importante dans la lutte contre les abus sexuels commis sur des enfants en ligne. Comme on l’a dit, le terme « pornographie » lui-même est généralement utilisé pour décrire du contenu sexuel entre adultes consentants. Sans vouloir porter de jugement sur la pornographie, le matériel dégoûtant mettant en scène des enfants n’appartient pas à ce genre. Il ne saurait être consensuel et il n’est jamais légal. Le problème qui se pose à nous et que ce projet de loi s’efforce de résoudre est que l’expression « pornographie juvénile » risque de laisser entendre qu’il s’agit simplement d’une autre catégorie de pornographie. Pour éviter cela, le projet de loi propose une nouvelle désignation qui reflète véritablement la nature répugnante de cette exploitation.

C’est exactement pour cette raison que le Centre national contre l’exploitation d’enfants de la GRC et d’autres organismes canadiens n’emploient pas le terme « pornographie juvénile », mais plutôt « matériel d’exploitation sexuelle d’enfants », un terme déjà employé ailleurs dans le monde. En tant qu’organisme qui fait figure de chef de file à l’échelle nationale et internationale, le Centre national contre l’exploitation d’enfants agit comme point de contact central pour les enquêtes concernant l’exploitation sexuelle d’enfants en ligne dans les affaires où la victime ou le délinquant sont canadiens. Il a beaucoup de succès pour ce qui est de faire traduire les délinquants devant la justice et même, parfois, pour ce qui est de secourir les victimes les plus vulnérables en temps réel.

Le caporal James Jenkins, du Groupe de la lutte contre l’exploitation des enfants sur Internet du détachement de la GRC de Kelowna, en Colombie-Britannique, a expliqué que les objectifs du groupe sont :

[...] de s’assurer que les enfants ne font pas activement l’objet d’infractions; de trouver et de retirer les images sur Internet; et de poursuivre avec succès les personnes qui consomment et produisent ce matériel et celles qui en font le trafic.

Dans la province voisine, l’Alberta, ce service effectue un travail similaire. Il s’est récemment mis à utiliser les réseaux sociaux pour mettre en garde tous les Canadiens contre les dangers des salons de clavardage anonymes en ligne, une activité insidieuse qui cible les enfants et qui est facilitée par les réseaux sociaux. Les enquêteurs ont également tiré la sonnette d’alarme : des prédateurs tentent de convaincre des enfants de tous âges, dans ces salons de clavardage anonymes, d’envoyer des images sexuellement explicites ou de se livrer à des actes sexuels sur des applications de réseaux sociaux telles qu’Instagram ou Snapchat. Une fois qu’ils ont reçu les photos explicites, les prédateurs les diffusent ou menacent de les montrer aux amis et à la famille des enfants s’ils ne leur offrent pas une compensation en échange de la confidentialité de ces images. Cette pratique cible de manière disproportionnée les enfants vulnérables, qui sont souvent encore en train de développer leur identité sexuelle et leur confiance en eux.

Ces terribles cas de sextorsion peuvent avoir de véritables conséquences. Vous vous rappelez peut-être le décès tragique d’Amanda Todd, une adolescente de Port Coquitlam, qui s’est suicidée en 2012 après avoir publié sur YouTube une vidéo crève‑cœur où elle utilisait des cartes éclair pour raconter comment elle avait été victime d’extorsion sexuelle en ligne pendant des années. Dans les Prairies, pas plus tard que l’été dernier, un jeune Manitobain s’est suicidé trois heures après avoir été victime d’extorsion sexuelle en ligne.

Ces cas tragiques d’exploitation d’enfants ne sont pas rares. Les statistiques nationales dépeignent une sombre réalité. Un rapport de Statistique Canada révèle en effet que, de 2019 à 2021, le nombre de cas d’abus sexuel et de matériel d’exploitation sexuelle d’enfants rapportés à la police avait augmenté de 31 % à l’échelle du pays. En Colombie-Britannique, en 2022 uniquement, plus de 8 000 cas d’exploitation d’enfants ont été signalés. Cette année, la Colombie-Britannique en a déjà signalé 5 700 et nous ne sommes qu’en avril. Cette tendance inquiétante souligne la nécessité d’une intervention à tous les paliers de gouvernement. À titre de parrain du projet de loi C-291, Mel Arnold a déclaré dans son discours à l’autre endroit que cette mesure législative est un petit pas important dans la bonne direction.

Je pense, chers collègues, que nous avons maintenant l’occasion de poursuivre ce travail ensemble. L’adoption du projet de loi C-291 représente une avancée significative pour lutter contre les abus et l’exploitation pédosexuels et pour traduire en justice ceux qui commettent ces crimes répugnants. Je suis convaincue que le fait de modifier la terminologie et, par conséquent, l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce problème contribuera à mieux structurer les discussions nécessaires à la lutte contre les abus et l’exploitation pédosexuels. Comme je l’ai déjà dit, les mots comptent.

J’espère que vous appuierez cet important projet de loi pour qu’il soit renvoyé au comité et qu’il passe à l’étape de la troisième lecture le plus rapidement possible, afin que nous puissions saisir cette occasion d’obtenir des résultats concrets pour les membres les plus vulnérables et les plus à risque de notre société. Je tiens à vous remercier, honorables sénateurs, du temps que vous m’avez accordé. Meegwetch.

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