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Projet de loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard)

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Suite du débat

28 novembre 2024


L’honorable David M. Arnot [ + ]

Honorables sénateurs, je reprends aujourd’hui les thèmes que j’ai abordés hier.

Je tiens à vous rappeler que j’ai passé environ 30 minutes à présenter les trois thèmes suivants.

Premièrement, instituer un recours contre les condamnations injustifiées et les erreurs judiciaires est une nécessité. L’appel est lancé. Il n’y a aucun doute sur la nature du problème.

Deuxièmement, ce projet de loi est adapté à son objectif. Il s’inspire de pratiques exemplaires, en particulier du Royaume-Uni et de l’Écosse. Le projet de loi est solide. Tout défaut supposé n’est pas suffisamment grave pour justifier un amendement ou un rejet. Il y aura examen de la loi dans cinq ans, ce qui sera l’occasion de régler d’éventuels problèmes.

Troisièmement, ce projet de loi constitue le changement le plus novateur et le plus transformateur du système canadien de justice pénale du XXIe siècle. Il rend le système plus équitable et il fera du Canada un meilleur endroit.

Chers collègues, le projet de loi C-40 vise à transformer la façon dont les condamnations injustifiées sont examinées au Canada. Le projet de loi se veut une promesse de justice, car il vise à donner aux personnes qui ont été lésées par notre système judiciaire une chance équitable d’obtenir réparation. Il s’agit d’une étape cruciale, et bien qu’il ait suscité de nombreux débats à l’autre endroit et au Sénat, les points qui font l’objet d’un large consensus soulignent la nécessité et l’importance du projet de loi.

Je le répète : le projet de loi vise essentiellement à créer une commission indépendante pour traiter les allégations de condamnations injustifiées, une amélioration sur laquelle tout le monde peut s’entendre. Enlever cette responsabilité au ministre de la Justice pour la confier à un organisme impartial permettra de réduire au minimum toute ingérence politique et d’accroître l’accessibilité de la justice. C’est essentiel pour rétablir la confiance du public, surtout lorsque le système actuel n’a permis qu’à une trentaine d’affaires de faire l’objet de nouveaux procès ou d’être portées en appel au cours des deux dernières décennies.

Le projet de loi accentue la transparence. C’est là un autre de ses points forts. Obliger la commission à publier ses décisions en ligne assure la reddition de comptes, en plus de permettre aux Canadiens de comprendre le processus décisionnel.

Partisans comme détracteurs, tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un meilleur modèle que le système opaque actuel, qui empêche souvent les demandeurs et le public d’avoir une bonne idée des décisions qui se prennent.

L’élargissement de l’admissibilité prévue dans la mesure législative constitue une autre réforme importante. Grâce à ce projet de loi, les personnes qui n’avaient auparavant aucun recours à leur disposition — pensons par exemple à celles qui plaidaient coupables — pourront désormais réclamer justice.

De nombreuses personnes vulnérables, notamment autochtones ou racisées, qui ont plaidé coupables sous la pression pourront ainsi demander réparation. Il en va de même pour celles qui ont plaidé coupables par crainte de recevoir une peine plus sévère.

Le projet de loi C-40 tient compte de cette réalité et assure un procès équitable aux Canadiens les plus marginalisés. Il offre en outre des services de soutien essentiels aux demandeurs. Ces services sont surtout importants pour les détenus, qui ont souvent un accès limité à l’assistance juridique. Ces mesures pratiques rendront la justice plus équitable et plus accessible pour les personnes qui en ont le plus besoin.

Cela dit, certains points importants méritent discussion. Voyons de quoi il s’agit.

D’aucuns ont critiqué l’abaissement du seuil pour les enquêtes. À l’heure actuelle, il faut prouver qu’il y a « vraisemblablement eu » une erreur judiciaire, mais dorénavant, il suffira qu’il y ait des « motifs raisonnables de conclure » qu’une telle erreur a pu se produire. Bien que certains craignent que ce relâchement donne lieu à des demandes frivoles, il est absolument essentiel pour découvrir les injustices cachées qui échappent au système actuel, surtout lorsque la personne en cause n’a pas les moyens de prouver seule son innocence.

Deuxièmement, le fait qu’il ne serait plus nécessaire d’épuiser tous les recours suscite aussi un débat. Pour certains, la commission devrait demeurer un dernier recours. Rappelons toutefois que les procédures d’appel trop rigides peuvent empêcher les personnes marginalisées, surtout celles qui ont des moyens limités ou qui sont mal représentées devant les tribunaux, d’avoir accès à la justice. En accordant à la commission le pouvoir discrétionnaire de lever cette obligation, on fait en sorte que le processus de contrôle reste axé sur l’équité, et non seulement sur le respect de la procédure.

Troisièmement, en ce qui concerne la composition de la commission, d’aucuns se demandent si l’inclusion de personnes qui ne sont pas des avocats nuira à la qualité des décisions. Or, les erreurs judiciaires découlent souvent d’autre chose que de simples erreurs juridiques. Les préjugés systémiques, les erreurs d’enquête et les préjugés sociaux y sont aussi pour beaucoup. L’inclusion, au sein de la commission, de points de vue divers en plus du savoir‑faire juridique contribuera à régler ces problèmes sous-jacents.

Quatrièmement, certains craignent que le nombre accru de demandes engorge le système au début. Toutefois, les autres pays s’étant dotés de commissions indépendantes, comme le Royaume-Uni et l’Écosse, ont réussi à gérer le nombre accru de dossiers sans sacrifier l’efficacité. Avec des ressources suffisantes, la commission canadienne saura aussi trouver l’équilibre et aider rapidement les personnes ayant été injustement condamnées. Selon les spécialistes étrangers, l’afflux initial s’équilibre rapidement.

Bref, ce projet de loi découle de l’idée admise par tous que les erreurs judiciaires sont de graves échecs moraux et qu’elles doivent être corrigées.

Aucun système n’est parfait, mais nous avons le devoir de créer des mécanismes qui nous permettent de cerner les lacunes et d’y remédier rapidement et efficacement. Le projet de loi C-40 nous offre un tel mécanisme — un processus transparent, inclusif et juste qui garantit qu’une personne qui a été victime d’une défaillance du système de justice ne le sera pas une deuxième fois.

On ne saurait exagérer l’importance d’adopter ce projet de loi. Il offre des solutions utiles à des problèmes systémiques qui existent depuis des décennies au pays. Il est temps de faire en sorte que le système de justice réponde aux besoins des Canadiens, en particulier ceux qui sont marginalisés.

J’ai eu de nombreuses bonnes discussions franches avec le ministre de la Justice, M. Virani. Je lui ai dit que j’appuyais le projet de loi parce que j’ai moi-même pu constater sa nécessité et que je ne parrainerais pas un projet de loi auquel je ne crois pas.

Honnêtement, je crois que le projet de loi C-40, tel que présenté, est l’effort le plus convaincant depuis des décennies pour offrir une solution en vue du redressement des erreurs judiciaires. Nous avons besoin de ce projet de loi afin de rendre le système judiciaire canadien plus juste, plus accessible, plus responsable et plus équitable pour tous.

Le projet de loi C-40 y pourvoit en prévoyant une voie pour traiter et atténuer de telles erreurs. Il offre à un citoyen canadien condamné pour un crime la possibilité de faire valoir que ses droits n’ont pas été respectés, que sa vie a été brisée et qu’il a droit à une réparation. Il donne à cette personne l’occasion de se faire entendre alors que, par le passé, personne ne voulait prêter l’oreille.

L’objectif global du projet de loi C-40 est de mieux détecter, réparer et prévenir les condamnations injustifiées. Ce projet de loi trace une nouvelle voie pour que le Canada traite les erreurs judiciaires de manière plus efficace et plus transparente, ce qui, en fin de compte, contribuera à renforcer la confiance du public dans notre système de justice pénale.

Tous les Canadiens doivent être convaincus que le système judiciaire est là pour les protéger — c’est le but — et qu’ils peuvent lui faire confiance.

Il s’agit de la plus importante modification du Code criminel depuis de nombreuses décennies. Si vous avez des doutes sur ce projet de loi, rappelez-vous, je vous prie, le témoignage convaincant de M. Guy Paul Morin. Il a parlé de sa douleur, de son anxiété, de ses craintes, de sa frustration, de son angoisse et de sa colère à l’égard des injustices dont il a été victime en étant accusé et condamné à tort.

Son témoignage convaincant lui a tiré des larmes, ainsi qu’à bon nombre de nos collègues sénateurs qui étaient présents dans la salle lorsqu’il l’a livré.

Ce projet de loi apporte une modification importante au Code criminel, parce qu’il corrige une lacune flagrante et connue du système de justice, une lacune qui existe depuis des décennies. Il entraînera un changement positif, novateur et transformationnel dans l’administration de la justice au Canada.

J’exhorte tous les sénateurs à appuyer l’adoption rapide du projet de loi C-40, sans amendement, pour que ces réformes importantes puissent être mises en œuvre dans l’intérêt de tous les Canadiens, en particulier des personnes qui ont peut-être été condamnées à tort et qui n’ont pas encore obtenu réparation.

Quelle que soit l’accusation portée en vertu du Code criminel, une condamnation injustifiée frappe l’administration de la justice en plein cœur, parce qu’elle ébranle la confiance du public dans le système.

Je suis fier de parrainer ce projet de loi. Je suis convaincu que cette mesure est bien conçue. À Noël, j’ai espoir de pouvoir dire à mes petits-enfants — j’en ai actuellement huit — que j’aurai joué un rôle modeste dans l’aboutissement de ce projet de loi.

Merci.

L’honorable Denise Batters [ + ]

Sénateur Arnot, la semaine dernière, au Comité sénatorial des affaires juridiques, vous, le parrain de ce projet de loi d’initiative ministérielle, avez appuyé, notamment par votre vote, l’ajout du paragraphe suivant à titre d’observation au rapport du comité sur le projet de loi C-40 :

Le comité tient à souligner que son étude du projet de loi C-40 s’est appuyée sur des mémoires et des témoignages, y compris une lettre du ministre de la Justice qui éclairera l’interprétation du projet de loi C-40 et guidera le mandat de la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, en particulier en ce qui concerne l’importance vitale de reconnaître et de corriger de manière significative et proactive les inégalités sexistes, racistes et autres inégalités systémiques, en particulier pour les femmes autochtones, en commençant par les cas identifiés dans le rapport intitulé Injustices et erreurs judiciaires subies par 12 femmes autochtones.

Un lien a été ajouté vers le rapport.

Sénateur Arnot, comme vous avez été juge d’une cour provinciale pendant de nombreuses années, vous êtes bien conscient de l’importance de l’indépendance de la commission dans le cadre des procédures d’examen des erreurs judiciaires. En fait, je crois comprendre que vous avez défendu l’indépendance judiciaire pendant votre carrière à la cour provinciale.

Sénateur Arnot, pourquoi pensez-vous qu’il est approprié pour le Comité sénatorial des affaires juridiques, par l’entremise de ce rapport, d’indiquer aux commissaires qui se pencheront sur de possibles cas de condamnation injustifiée qu’ils devraient commencer par ces cas en particulier?

Le sénateur Arnot [ + ]

Il y avait un certain nombre d’observations, et elles avaient toutes mon assentiment. Elles sont là pour une raison, c’est-à-dire pour informer, il me semble, le ministre de la Justice et la future commission des intentions du Parlement, un principe que j’appuie à 100 %.

La sénatrice Batters [ + ]

Cela dit, sénateur Arnot, cette observation renvoie à un rapport qui recense 12 cas potentiels d’erreurs judiciaires et elle demande à la commission de commencer par ces cas. N’y voyez-vous pas un risque d’ingérence qui minerait l’indépendance de la future commission?

Le sénateur Arnot [ + ]

Une observation n’est jamais qu’une suggestion. Au bout du compte, le dernier mot reviendra à la commission. Je suis fermement convaincu que les personnes qui y seront nommées seront professionnelles, neutres et intègres. Elles ne se laisseront pas influencer et n’accepteront pas de se faire dire quoi faire. Personne ne pourra leur dire comment créer les politiques et les pratiques qui seront les leurs.

Elles seront indépendantes, j’en suis persuadé. Je serais d’ailleurs très étonné qu’elles sentent de la pression pour étudier tel cas avant tel ou tel autre.

Le rapport dont vous parlez est celui de la sénatrice Pate. Il s’agit d’un document convaincant, et la coercition patente et manifeste qui a été constatée dans les 12 cas recensés confirme que les femmes autochtones ont besoin de protection.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Arnot, le temps réservé au débat est écoulé. Je vois que la sénatrice Batters veut poser une question complémentaire. Le sénateur Carignan veut aussi poser une question.

Demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Arnot [ + ]

Une heure environ. Oui, je voudrais plus de temps, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le sénateur Arnot demande plus de temps. Avons-nous le consentement?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous avez cinq minutes de plus.

La sénatrice Batters [ + ]

Sénateur Arnot, comme vous l’avez dit dans votre intervention, le critère qui permet de déterminer qu’il y a eu erreur judiciaire a été abaissé dans le projet de loi C-40. Il suffit de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise. Comme vous l’avez aussi dit, il faut également estimer que « cela servirait l’intérêt de la justice ».

J’ai posé une question à ce sujet au ministre de la Justice lorsqu’il s’est présenté devant le comité, mais je n’ai pas vraiment eu de réponse. Je vous la pose alors à vous : dans quelles circonstances ne serait-il pas dans l’intérêt de la justice de se pencher sur une possible erreur judiciaire?

Le sénateur Arnot [ + ]

La formule « dans l’intérêt de la justice » se trouve dans le projet de loi pour donner une certaine souplesse, la possibilité de créer et une marge de manœuvre à la commission pour réagir à ce qui se présentera à elle. Voilà la raison d’être de cette formule. Elle est importante parce qu’elle s’ajoute au seuil fondamental.

Selon moi, elle permet à la commission d’aborder son mandat avec créativité, de la façon qu’elle jugera bonne. Je suis convaincu qu’il y a assez de paramètres pour que cela lui soit utile.

Merci, monsieur le sénateur. On a discuté du recours pour corriger les erreurs judiciaires pour nos militaires. J’ai entendu des témoins et j’ai participé aux audiences du comité, tout comme vous. J’ai entendu le témoignage extrêmement touchant de M. Morin, avec qui j’ai pu avoir des contacts par la suite, d’ailleurs. C’est terrible, ce qu’il a vécu.

Pourquoi priver un ou une de nos militaires qui serait victime d’une erreur judiciaire d’un recours que l’on accorde à toutes les autres personnes qui sont reconnues coupables, mais pas à nos militaires?

Le sénateur Arnot [ + ]

Sénateur Carignan, vous avez proposé des amendements en ce sens. Je crois que le sénateur Dalphond a fait remarquer à l’époque que le projet de loi C-66, qui se trouve à l’autre endroit en ce moment, serait le meilleur moyen de le faire.

Pour proposer un tel amendement, il faut avoir des preuves. Or, nous n’avions pas vraiment de preuves que cette situation pourrait se produire. Je ne dis pas que cela ne se produirait pas ou que cela ne s’est pas produit, mais les médias n’ont certainement pas rapporté qu’un soldat a été incarcéré pendant 23 ans à la suite d’une condamnation injustifiée. Je ne pense pas que cela devrait être le cas. Je pense qu’il serait approprié de soulever cette question dans le cadre du projet de loi C-66.

L’autre raison majeure pour laquelle cela ne convenait pas cette fois-ci, c’est que nous aurions dû consulter le ministère de la Défense nationale et le juge-avocat général. Nous aurions dû disposer de plus de preuves avant de pouvoir l’inclure dans un amendement, ce qui n’a pas été le cas.

Je n’y suis pas du tout opposé. Je pense qu’au cours des cinq années à venir, nous aurons plus d’expérience avec cette commission et il se pourrait bien qu’à ce moment-là, on accepte des personnes qui estiment avoir été condamnées à tort dans le système de justice militaire.

Ce sera pour plus tard.

Sénateur Arnot, ce n’est pas parce qu’on n’en a pas entendu dans les médias qu’il n’y en a pas eu. En Angleterre, il y a eu une douzaine de situations. Je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire qu’un cas est un cas de trop. Il n’y a aucune raison pour qu’un membre ou une membre de nos forces armées soit traité de façon moindre qu’un civil.

Le sénateur Arnot [ + ]

Comme je l’ai dit, je ne suis pas du tout opposé à cette idée. Je ne pense pas que ce soit le bon moment pour y donner suite dans le cadre de ce projet de loi. Je crois qu’il serait possible de le faire plus tard, mais cela exigerait beaucoup de travail avec les soldats canadiens, le ministère de la Défense nationale et le Cabinet du juge-avocat général. Le système de justice militaire est une entité à part entière, et nous ne l’avons pas vraiment examiné de façon détaillée.

Je sais qu’il y a effectivement eu quelques cas d’erreurs judiciaires en Écosse et quelques cas au Royaume-Uni, mais je ne suis au courant d’aucun cas au Canada.

L’honorable Réjean Aucoin [ + ]

Je remercie le sénateur Arnot de son allocution.

Honorables sénateurs et sénatrices, merci de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui pour appuyer ce projet de loi essentiel pour la justice et les droits de la personne dans notre pays.

Le projet de loi C-40, qui vise à créer une commission indépendante pour traiter des cas de condamnations injustifiées au Canada, est un projet de loi très important. Les erreurs judiciaires demeurent une réalité douloureuse et inacceptable. Des vies sont brisées et des familles sont détruites lorsqu’une personne innocente est condamnée.

Je me dois d’abord de souligner certaines préoccupations partagées par plusieurs témoins dans le cadre des travaux du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je pense notamment à l’honorable juge à la retraite Harry LaForme et au professeur de droit Kent Roach, deux experts très respectés dans le domaine de la justice canadienne.

Selon le juge LaForme, pour que cette commission puisse travailler efficacement, elle se doit d’être dotée des pouvoirs d’enquête complets et d’être véritablement indépendante du gouvernement. Il craint que la proximité de la commission avec le gouvernement limite son efficacité et remette en question son impartialité.

Le professeur Roach a exprimé ses préoccupations quant au mandat du projet de loi, qui est trop centré sur des cas individuels, ce qui limiterait la capacité de la commission de traiter de problèmes systémiques plus larges.

Pour sa part, Mark Knox, avocat canadien et défenseur des droits des personnes condamnées à tort, a souligné sa crainte sur le risque de créer un processus bureaucratique trop lourd, trop lent, qui pourrait retarder la révision de certains dossiers.

Plusieurs autres témoins ont souligné l’importance d’une composition diversifiée de la commission, y compris des experts issus de différents horizons, notamment des personnes ayant une expérience dans la défense des droits des accusés et des communautés vulnérables, comme les communautés autochtones et noires, qui forment une grande partie de la population carcérale.

Les témoignages de Guy Paul Morin, Brian Anderson et Clarence Woodhouse ont été très touchants, quand ils ont décrit à quel point leur vie demeure aujourd’hui un enfer perpétuel, même après avoir été exonérés de leur crime.

Je cite l’avocat James Lockyer :

À eux trois, ils ont attendu plus de 100 ans que justice soit faite. Il est important que nous comprenions tous que s’il y avait eu une commission sur les erreurs du système de justice il y a 50 ans, cela leur aurait épargné des dizaines d’années de vie en prison.

Malgré ces préoccupations, il est crucial de reconnaître l’importance du projet de loi C-40 dans le système judiciaire canadien. Nous avons déjà vu trop de cas où des individus, après avoir passé de longues années derrière les barreaux, ont été innocentés bien trop tard. Une telle commission pourrait accélérer le processus de révision indépendant et des centaines de cas supplémentaires pourraient être étudiés. C’est, du moins, ce qui est arrivé lorsque des commissions semblables ont été établies en Angleterre et ailleurs.

Le Canada est un pays officiellement bilingue, et notre législation reflète cette réalité. La Loi sur les langues officielles garantit à tous les Canadiens le droit de recevoir des services du gouvernement dans la langue officielle de leur choix, qu’ils soient francophones ou anglophones. De plus, la Loi sur les compétences linguistiques exige que certains postes dans la fonction publique fédérale soient occupés par des individus capables de travailler dans les deux langues officielles. Ce n’est pas le cas du présent projet de loi. Cette commission doit absolument être accessible et sensible aux réalités culturelles et linguistiques du Canada. Cela signifie qu’un nombre suffisant de commissaires doivent être bilingues, non seulement pour garantir l’équité et la transparence, mais aussi pour respecter les droits linguistiques de tous les citoyens.

Le Barreau du Québec a fait part au comité de sa crainte que les individus dont les cas seront étudiés par la commission ne puissent être adéquatement représentés dans leur langue si les commissaires ne maîtrisent pas à la fois le français et l’anglais.

Dans ma pratique de droit au sein des communautés acadiennes de la Nouvelle-Écosse et durant les trois années où j’ai été commissaire à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, j’ai pu observer à plusieurs reprises des clients accusés au criminel ou un détenu comparaissant devant la commission, et j’ai vu à quel point il était important pour ces personnes d’être bien comprises dans leur langue maternelle. Il est arrivé plusieurs fois que des juges ou des commissaires ne puissent pas comprendre les nuances qui imprègnent la langue et la culture acadiennes de la Nouvelle-Écosse.

Selon moi, il est impératif que les francophones et les anglophones de partout au Canada puissent se présenter et être compris par les commissaires en parlant leur langue. Le bilinguisme est non seulement une valeur canadienne, mais aussi une obligation légale inscrite dans nos textes de loi, la Loi sur les langues officielles garantissant ainsi un accès égal et équitable aux institutions fédérales pour les francophones et les anglophones. En veillant à ce que certains des commissaires soient bilingues, nous ne faisons pas qu’assurer l’accès équitable à la justice pour les francophones et les anglophones; nous envoyons aussi un message d’inclusion et de respect pour la diversité de nos deux communautés de langue officielle au Canada.

Encore une fois, comme je l’ai dit pour le projet de loi C-20, une simple référence à la Loi sur les langues officielles dans les critères de nomination des commissaires ne garantit aucunement que les commissaires nommés seront bilingues, car ils seront nommés à la discrétion du ministre de la Justice. Toutefois, il s’agirait d’un rappel à tous selon lequel on reconnaît que nos deux langues officielles sont importantes lors de la nomination de commissaires. Il aurait été simple et à propos d’ajouter cette référence à la loi.

Pour souligner l’importance du respect de cet article, notre collègue le sénateur Prosper et moi avons proposé une observation au comité, exhortant le gouvernement à veiller à ce que les groupes comme les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur soient représentés au sein de la commission et que celle-ci tienne compte des langues autochtones. Nous demandons également au gouvernement de respecter l’esprit et la lettre de la Loi sur les langues officielles en nommant des commissaires qui sont en mesure de parler et de comprendre couramment les deux langues officielles du Canada.

Le projet de loi C-40 représente une avancée importante pour la justice au Canada. Les critiques soulevées par de nombreux témoins doivent être intégrées comme des éléments constructifs pour renforcer la loi lors de sa révision dans cinq ans, puisque tous les témoins nous ont exhortés à adopter le projet de loi tel qu’il est rédigé actuellement. De plus, bien des personnes incarcérées faussement l’attendent avec impatience.

Honorables sénateurs et sénatrices, l’avocat James Lockyer, qui a travaillé de près sur les cas de Guy Paul Morin et David Milgaard, a témoigné en 2000 devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes avec Joyce Milgaard. Il avait alors demandé aux législateurs de créer une telle commission. Lors de sa comparution devant le comité le 30 octobre dernier, 24 ans plus tard, il nous disait ceci :

Pour l’instant, mettons en place la commission. À mon avis, il s’agira du changement le plus important dans notre système de justice pénale depuis l’entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés en 1984. Nous ne savons pas si des élections auront lieu bientôt, mais je sais que, si le projet de loi C-40 n’est pas adopté au cours de la présente législature, il faudra attendre encore 24 ans avant que je ne revienne ici pour demander l’adoption d’une mesure équivalente au projet de loi C-40.

Faisons le don de la justice aux personnes faussement incarcérées. Je vous remercie. Meegwetch.

L’honorable Lucie Moncion [ + ]

Honorables sénateurs, j’ai une question à poser.

Son Honneur la Présidente [ + ]

La sénatrice Moncion a une question. Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Aucoin?

Le sénateur Aucoin [ + ]

Bien sûr.

La sénatrice Moncion [ + ]

Je vous remercie. Si je vous ai bien compris, sénateur Aucoin, vous avez mentionné qu’encore une fois, les francophones doivent reléguer leurs droits aux oubliettes, parce qu’on demande de ne pas faire de modification à ce projet de loi. Il est important et urgent qu’on mette la commission en place, donc, encore une fois, on a mis de côté le fait qu’il serait bon d’avoir des gens qui parlent français ou qui sont bilingues à cette commission. Finalement, étant donné qu’on n’a pas inclus cette disposition dans la loi, on ne devrait pas apporter de changement, parce qu’on a besoin que cette commission soit mise en place? Vous ai-je bien compris?

Le sénateur Aucoin [ + ]

Je vous remercie de la question. Vous avez bien compris. C’est bien le cas. C’est pour cela que nous avons proposé une observation. J’accepte les nombreux témoignages de gens qui ont été faussement incarcérés, des femmes, des Autochtones, des Noirs qui sont venus devant le comité pour nous supplier d’adopter le projet de loi immédiatement, quitte à le modifier plus tard ou à l’améliorer à la prochaine révision, qui se fera dans cinq ans.

La sénatrice Moncion [ + ]

Je vous remercie de votre explication. Vous êtes probablement d’accord avec moi pour dire que si une disposition à cet effet était déjà incluse dans ce projet de loi, on ne serait pas obligé d’attendre cinq ans pour que cette reconnaissance des droits y soit et que nos droits soient reconnus dès la première journée.

Le sénateur Aucoin [ + ]

Évidemment, je ne serais pas ici devant vous aujourd’hui pour vous en parler si c’était déjà inclus dans le projet de loi. J’essaie de dire au gouvernement de l’ajouter dans le projet de loi. Encore une fois, je dois me fier au gouvernement pour qu’il soit sensible à l’observation et qu’il la lise, et pour qu’il nomme des commissaires et du personnel bilingues à la commission. Je vous remercie.

L’honorable Brent Cotter [ + ]

Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui du projet de loi C-40. Je n’ai pas l’intention de parler en détail du texte lui-même. D’autres l’ont fait avant moi, dont le sénateur Arnot, et je suis persuadé que d’autres après moi vont le faire aussi.

J’ai plutôt l’intention de parler, idéalement de manière humaine, de ce qui rend ce projet de loi absolument nécessaire, de souligner le travail des nombreuses personnes qui nous ont amenés jusqu’ici et de vous presser d’adopter cette mesure législative qui, bien qu’imparfaite, reste bonne. Elle améliorera le système de justice, le rendra plus juste et rendra hommage à ceux qui ont travaillé d’arrache-pied pour en arriver là.

Ce projet de loi est des plus sérieux. Il porte sur des événements tragiques d’une extrême importance et il tente d’améliorer les moyens employés pour corriger les erreurs judiciaires, qui sont des tragédies. Je me contenterai d’une seule observation que j’espère humoristique, qui servira à illustrer un de mes arguments.

Commençons par le caractère essentiel du projet de loi. Nous savons tous depuis longtemps que certaines personnes n’ayant commis aucun crime acceptent les conséquences d’un verdict de culpabilité afin d’éviter une peine plus sévère. Nous avons aussi entendu que certaines personnes se sentent en quelque sorte responsables d’événements pour lesquels elles n’ont rien à se reprocher et qu’elles avouent leur culpabilité même si elles n’auraient jamais dû le faire.

Nous avons entendu parler de situations où les policiers se sont entendus entre eux pour monter un dossier injuste contre une personne innocente. C’est ce qui est arrivé à Donald Marshall Jr.

La plupart du temps, les condamnations injustifiées sont attribuables à un très malheureux concours de circonstances, y compris, bien souvent, des témoins qui mentent et un juge des faits — qu’il s’agisse d’un juge ou d’un jury — qui ne parvient pas à distinguer le vrai du faux.

D’après les nombreux rapports d’examen concernant l’affaire David Milgaard — et je les ai tous lus —, c’est en grande partie cela, mais aussi, selon moi, l’étroitesse d’esprit de la police et la mauvaise interprétation de la preuve de la part du juge de première instance qui ont mené à la condamnation injustifiée de M. Milgaard.

J’aimerais revenir brièvement à la distinction entre le vrai et le faux pour ce qui est de la crédibilité des témoignages. En droit pénal, la plupart des affaires reposent sur l’admission par le juge du témoignage présenté par une ou plusieurs personnes et sur le rejet du témoignage d’autres personnes. Parfois, les juges ne sont pas très bien outillés sur le plan culturel pour bien interpréter les témoignages. Dans un procès au criminel, j’ai déjà défendu un Autochtone qui était probablement innocent. Il avait une explication au sujet des circonstances, mais le juge a choisi de ne pas le croire parce que, comme il l’a expliqué : « Lorsque je lui ai posé des questions, il ne me regardait pas dans les yeux. »

Selon la culture de l’accusé, le fait de ne pas fixer du regard une personne en situation d’autorité était un signe de respect, alors il baissait le regard quand il donnait ses réponses. Cette façon de témoigner son respect a mené à sa condamnation.

Cependant, la réalité, c’est que, malgré ce qu’on peut en penser, de façon générale, personne, y compris les juges, n’est très doué pour distinguer le vrai du faux.

Un bon ami à moi, un excellent avocat de la défense en Nouvelle-Écosse qui est devenu un très bon juge par la suite, avait l’habitude de dire avec cynisme, mais sans avoir entièrement tort, que la plupart des décisions se basaient sur une appréciation des parjures, c’est-à-dire sur la question de savoir qui mentait le mieux.

Il y a plus d’une trentaine d’années, j’ai assisté à une conférence, à Victoria, en Colombie-Britannique, qui était destinée aux juges de l’Ouest canadien. L’un des organisateurs était le sénateur Arnot, qui était alors juge. Ce fut une conférence extraordinaire qui portait sur une grande variété de sujets. Il a notamment été question de l’aptitude à faire la différence entre la vérité et le mensonge, qui fait partie de la trousse à outils des juges. Nous avons alors fait des simulations. Il s’avère que personne parmi nous n’était très bon pour distinguer les mensonges subtils de la vérité. Nous faisions de notre mieux, comme le font habituellement les juges, mais nous sommes tous humains et, sur ce plan, il est très facile de faire des erreurs. Selon les études, à peu près personne n’est capable de toujours départager le vrai du faux. Il n’est donc pas étonnant qu’on puisse supposer qu’un nombre important de personnes actuellement derrière les barreaux aient malheureusement été condamnées injustement, parce que, même avec la meilleure volonté du monde, les personnes qui prennent des décisions peuvent toujours se tromper.

Tout cela explique que le nombre de victimes d’erreurs judiciaires est sans doute beaucoup plus important que la trentaine de personnes dont le verdict de culpabilité a été renversé au cours des dernières décennies au Canada.

Même avec ses imperfections, le projet de loi permettra à bien plus de gens qui prétendent avoir été condamnés à tort de faire revoir rapidement leur dossier par une instance décisionnaire indépendante à partir de critères d’examen un peu moins stricts.

J’en viens maintenant à mon lien personnel avec la question des condamnations injustifiées. Le sénateur Arnot a parlé avec bienveillance de mon rôle dans l’affaire David Milgaard. Je n’avais pas l’intention d’en parler en détail, mais je vais en parler un peu.

J’ai été nommé sous-procureur général de la Saskatchewan en août 1992. À ce moment-là, la condamnation de M. Milgaard avait été annulée par la Cour suprême du Canada et les procureurs de la Saskatchewan avaient décidé de ne pas refaire le procès de M. Milgaard. Celui-ci se trouvait donc dans un état d’animation suspendue — dans les limbes en quelque sorte — puisque sa condamnation avait été annulée, mais que son nom n’avait pas été blanchi.

En fait, le ministre de la Justice de l’époque — un homme bon — a déclaré publiquement dans des entrevues que, selon lui, David Milgaard était coupable.

J’ai commencé à travailler le 9 août 1992. Dès mon premier jour de travail, j’ai reçu un appel téléphonique d’une avocate très respectée, qui, si je puis dire, faisait partie de ce que l’on appelle le « regroupement des avocats des personnes injustement condamnées ». Dans les années 1980, en Nouvelle-Écosse, j’avais joué un petit rôle en aidant les avocats qui s’efforçaient de disculper Donald Marshall Jr., et je crois que cette avocate m’a téléphoné parce qu’elle était au courant de cela.

Elle m’a appelé et m’a demandé avec insistance de me pencher sérieusement sur le cas de M. Milgaard. Peu après, Joyce Milgaard, aidée par les avocats Hirsch Walsh et David Asper, m’a fait part d’allégations d’actes répréhensibles dans l’affaire de David Milgaard. Il y en avait 69 en tout.

J’ai examiné ces allégations d’actes répréhensibles et, après une nuit blanche — la seule nuit blanche de toute ma vie —, j’ai informé le ministre de la Justice que j’allais entamer une procédure d’examen de ces allégations d’actes répréhensibles.

Permettez-moi d’insister sur le mot « informé ». C’est la première de deux décisions que je qualifierais d’honorables que j’ai prises dans l’affaire de M. Milgaard. Il était essentiel que je ne suive pas les conseils d’un ministre dans cette affaire; je devais prendre moi-même les décisions, à titre de chef permanent du ministère de la Justice.

C’était particulièrement important parce que Mme Milgaard alléguait, entre autres choses, que le premier ministre de la Saskatchewan avait commis des actes répréhensibles à l’époque où il était procureur général et où M. Milgaard avait été traduit en justice pour le meurtre de Gail Miller.

À la décharge du ministre de la Justice et du premier ministre, personne n’a tenté de m’influencer ni d’intervenir dans ma décision. Le premier ministre lui-même s’est soumis à des interrogatoires de police concernant une allégation assez incroyable à son endroit.

J’ai retenu les services du sous-procureur général de l’Alberta de l’époque et d’un procureur de la Couronne chevronné et respecté de l’Alberta pour mener l’examen. Celui-ci a duré 14 mois et 14 policiers à temps plein y ont participé. Ils ont passé en revue les 69 allégations d’inconduite en lien avec le cas de M. Milgaard.

J’ai lu tous les documents originaux concernant l’affaire et le rapport d’examen de 250 pages. Dans l’ensemble, aucun point relevé dans l’examen n’a fait bouger les choses en ce qui concerne la culpabilité ou l’innocence de David Milgaard.

J’en arrive maintenant à la deuxième décision importante que j’ai prise dans ce dossier. En ma qualité de sous-procureur général, j’avais un pouvoir décisionnel en ce qui concerne la preuve matérielle liée au procès de David. En fait, elle était toujours en notre possession, si je peux m’exprimer ainsi. Il s’agissait, notamment, des vêtements de Gail Miller, qu’on croyait contenir une petite quantité de preuve matérielle très dégradée, fort probablement l’éjaculat sécrété par la personne qui l’avait violée et tuée. Vingt-cinq ans s’étaient écoulés depuis le meurtre, et on croyait généralement qu’il était très probable, les estimations étaient de plus de 80 %, que les preuves matérielles étaient trop dégradées pour obtenir des résultats d’ADN positifs. On m’a fortement conseillé de ne pas faire tester le matériel et d’envisager de tout simplement le jeter.

J’ai refusé de les écouter. De concert avec les avocats de M. Milgaard, j’ai autorisé qu’on teste l’échantillon dans un laboratoire indépendant d’excellente réputation. Il s’avère qu’il y avait bien assez d’ADN pour obtenir un résultat — heureusement — positif, un résultat qui pointait sans aucun doute possible vers Larry Fisher. Sans la possibilité d’obtenir des échantillons des agresseurs, Larry Fisher n’aurait jamais été reconnu coupable du meurtre de Gail Miller, justice n’aurait pas été rendue à son égard et David Milgaard serait resté dans des limbes juridiques le reste de sa vie. Il n’aurait jamais été équitablement dédommagé, ou du moins aussi équitablement dédommagé qu’il soit possible de le faire dans des circonstances aussi tragiques. Surtout, pour en revenir à la question d’aujourd’hui, il n’aurait jamais pu contribuer à la justice de ce pays de la manière que l’on peut voir dans le projet de loi C-40.

J’ai pris la bonne décision dans cette affaire. Le sénateur Arnot a gentiment laissé entendre que c’était honorable, voire héroïque. Je ne vois pas les choses ainsi. J’ai pris la bonne décision et j’ai fait en sorte qu’il soit possible de corriger un grave préjudice. C’était mon travail.

Pour terminer, ou presque, je tiens maintenant à parler des véritables héros de cette histoire. Pour ce faire, je prendrai la liberté, pour la première et la seule fois au Sénat, de me citer moi‑même. Il s’agit des observations que j’ai faites au début de l’examen du projet de loi par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles :

Pendant des années, avant d’être nommé sénateur, j’ai donné un cours de droit en éthique juridique. Chaque jour, j’essayais de raconter l’histoire d’un avocat aux étudiants. Mes histoires favorites étaient celles d’avocats qui avaient travaillé, souvent dans l’anonymat [...]

 — et souvent sans rémunération —

[...] au nom de clients cherchant à renverser des condamnations injustifiées. À mon avis, ce sont des héros. Je pense à des avocats comme Clayton Ruby, Archie Kaiser, Felix Cacchione, Steven Aronson, Anne Derrick et d’autres qui ont défendu Donald Marshall fils.

Plus près de chez nous, en Saskatchewan, en ce qui concerne David Milgaard, je me souviens de Hersh Wolch — qui nous a quitté — et de David Asper, qui a décrit son expérience de la représentation de M. Milgaard dans un livre intitulé In Search of the Ethical Lawyer, un recueil d’essais sur la pratique du droit et l’éthique.

Fait plus important et plus pertinent dans le contexte de notre discussion d’aujourd’hui, nombre des personnes qui ont été condamnées à tort par notre système de justice, mais en particulier M. Milgaard et M. Marshall, n’ont jamais été amères, même si une grande partie de leur vie a été gâchée en raison de condamnations injustifiées. Je suis convaincu que toute leur vie, elles se sont consacrées à améliorer le système de justice pour les autres.

Il y a quelques années, M. Milgaard a pris la parole à notre faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan devant un auditoire bondé d’étudiants en droit et d’avocats pour décrire son expérience et son engagement. Il a reçu l’ovation la plus importante, la plus forte et la plus longue que j’aie jamais entendue ou vue dans une faculté de droit canadienne — un petit témoignage de gratitude pour son immense contribution. Au cours de l’heure qu’il a passée avec eux, je crois que M. Milgaard a inspiré plus d’étudiants à poursuivre la justice avec intégrité que je ne l’ai fait en 30 ans d’enseignement. Son héritage, ainsi que le travail de ces avocats remarquables, nous rappelle la profonde responsabilité que nous avons dans l’examen de ce projet de loi et de ses répercussions sur notre système de justice.

J’arrive maintenant à la fin. Pendant l’étude du projet de loi au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, nous avons entendu deux séries de témoignages dont je veux parler. L’un des témoins était James Lockyer, dont il a été question tout à l’heure. Il s’agit du doyen des avocats qui se consacrent à la défense des victimes d’erreurs judiciaires et d’un véritable héros qui cherche depuis longtemps à obtenir justice pour un grand nombre de personnes vulnérables de la société. M. Lockyer, qui préconise vivement la création d’une commission indépendante depuis plus d’une vingtaine d’années, admet que le projet de loi pourrait être amélioré, mais dit que nous sommes à un moment où nous devrions adopter tel quel le projet de loi le plus rapidement possible. Ce message me touche, je le prends au sérieux et j’espère que c’est aussi ce que vous ferez.

Nous avons entendu le témoignage de trois personnes qui ont été injustement reconnues coupables d’un crime et qui ont ensuite été blanchies : Guy Paul Morin, Clarence Woodhouse et Brian Anderson. Leurs témoignages étaient extrêmement poignants. Bon nombre des personnes présentes, y compris parmi les sénateurs — et jusqu’à la présidente —, ont été émues aux larmes.

Il y a peu de moments ici au Sénat qui marquent pour la vie. Le premier discours du sénateur Adler était de ceux-là. La réunion de ce matin aussi.

Le titre informel du projet de loi rend hommage à Joyce et à David Milgaard, ce qui est juste et bon. J’aimerais toutefois que vous vous souveniez d’un certain nombre d’autres victimes, qui vous sont et qui me sont inconnues, mais qui ont dû mettre une croix sur de larges pans de leur vie parce qu’elles ont été injustement reconnues coupables d’un crime. Nous ne les connaissons pas, nous ne les connaîtrons jamais et nous ne pourrons jamais corriger l’injustice qu’elles ont subie. Si nous adoptons ce projet de loi, nous pourrons toutefois honorer leurs voix anonymes, ne serait-ce que parce que nous pourrons corriger les erreurs judiciaires de demain.

Comme le disait Martin Luther King, le long cours de l’histoire penche en faveur de la justice — des mots qui s’appliquent parfaitement à la situation actuelle, selon moi. Ce projet de loi permettra de faire pencher l’histoire du Canada en faveur de la justice et des David Milgaard et Donald Marshall Jr de demain. Chers collègues, nous sommes à l’aube d’un grand jour pour la justice canadienne, et c’est un honneur pour moi d’avoir fait ma petite part. J’espère que c’est un honneur pour vous aussi. Je vous remercie.

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