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Le Sénat

Motion tendant à constituer un comité spécial sur le racisme systémique--Suite du débat

23 juin 2020


L’honorable Donna Dasko [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens au sujet de la motion de la sénatrice Bernard, telle que présentée par la sénatrice Lankin, et qui vise à créer un comité spécial chargé d’examiner la question du racisme systémique envers les Noirs et les Autochtones au Canada.

Le racisme systémique est omniprésent au Canada. J’ai écouté avec intérêt nos nombreux collègues qui nous ont fait part de leurs expériences en matière de racisme au cours des derniers jours et des dernières semaines. Je pense par exemple au témoignage de la sénatrice Moodie sur la vie d’une personne noire au Canada. Je pense également au témoignage de la sénatrice Omidvar, qui a parlé d’apparence de partialité ici même au Sénat. Enfin, je pense à la sénatrice Anderson, qui nous a parlé de sa vie en tant que Canadienne d’origine autochtone, et de la façon dont elle a élevé des enfants autochtones dans un monde où le racisme est une réalité de la vie quotidienne.

J’apprécie les conseils des aînés cris dont la sénatrice LaBoucane-Benson nous a fait part la semaine dernière. Cette colère, si elle est bien dirigée, est une alliée précieuse.

Je remercie mes collègues d’avoir fait part au Sénat de leurs expériences et de leurs points de vue. Bien qu’il s’agisse d’un sujet difficile, je suis reconnaissante d’avoir l’occasion d’écouter et de continuer à approfondir mes connaissances sur la façon dont le racisme se manifeste dans notre société.

Que peuvent ou doivent faire ceux d’entre nous qui sont issus de milieux non racialisés pour lutter contre le racisme systémique? La semaine dernière, notre collègue le sénateur Brian Francis a déclaré ce qui suit :

On ne peut pas s’attendre à ce que les Autochtones, les Noirs et les autres personnes racialisées fassent continuellement le travail émotionnel requis pour sensibiliser le grand public aux répercussions du racisme systémique.

Il a ajouté que les personnes non racialisées doivent cerner les privilèges et les avantages qu’elles ont obtenus au détriment des autres et faire le travail nécessaire. Je prends cela comme un appel à l’action pour nous tous et pour tous les Canadiens de bonne volonté.

J’ai passé toute ma carrière dans le secteur de la recherche et la recherche jouera un rôle vital à l’avenir. J’ai entendu, surtout au cours des dernières semaines, certaines personnes se demander si le racisme systémique existe et ce que cela signifie, ainsi que des personnes privilégiées et des membres du grand public exprimer des opinions sur le sujet.

Voici tout d’abord quelques faits, quelques données à propos de ce phénomène qu’est le racisme, histoire d’ajouter un nouvel angle à la discussion.

À titre d’exemple, d’après le recensement de 2016, les Canadiens noirs ont un revenu considérablement inférieur à celui des Canadiens non racialisés, et ce, peu importe depuis combien de temps leur famille est établie au Canada. Les Canadiens noirs de première génération gagnent environ 13 000 $ de moins par année que les immigrants qui ne font pas partie de minorités visibles; et les Canadiens noirs de troisième génération gagnent encore 16 000 $ de moins que les Canadiens de troisième génération qui ne font pas partie de minorités visibles. Les Canadiens noirs sont presque deux fois plus susceptibles d’avoir un faible revenu ou un fort taux de chômage que ceux qui ne font pas partie de minorités visibles.

Ce ne sont là que quelques-unes des formes que prend le racisme systémique au Canada. Ces dynamiques entrent en jeu bien avant que ces Canadiens arrivent sur le marché du travail. J’ai trouvé particulièrement frappants les résultats d’une Enquête sociale générale menée par Statistique Canada en 2016, selon laquelle 94 % des jeunes Canadiens noirs âgés de 18 à 25 ans désiraient obtenir un diplôme universitaire, mais seulement 60 % croyaient pouvoir y arriver. Par contraste, 82 % de tous les autres jeunes désiraient obtenir un diplôme universitaire et la presque totalité d’entre eux, soit 79 %, croyaient pouvoir y arriver.

Honorables sénateurs, les résultats de recherche sont parfois impersonnels et froids, mais ces données me montrent clairement que le racisme peut bloquer, freiner et étouffer les aspirations de nombreux jeunes pourtant motivés, comme la sénatrice Moodie l’a décrit de façon très touchante au Sénat la semaine dernière.

Voici d’autres résultats de recherche qui témoignent du racisme systémique : il y a trois ans, mes anciens collègues de l’Environics Institute ont lancé le Black Experience Project en collaboration avec des organismes communautaires de Toronto pour cibler les problèmes au sein de la communauté noire torontoise, la plus importante communauté noire au Canada. Parmi les conclusions de la vaste enquête sur la communauté, voici ce qui est ressorti : les deux tiers des habitants noirs de Toronto ont déclaré avoir subi un traitement injuste parce qu’ils étaient noirs. Voici quelques exemples : 59 % des répondants ont déclaré que les autres s’attendent à ce que leur travail soit d’une qualité inférieure; 56 % des répondants ont déclaré avoir été traités sans respect; et 54 % des répondants ont déclaré se faire observer ou suivre lorsqu’ils se trouvent dans un lieu public. Tout cela, parce qu’ils sont noirs. C’est la raison qu’ils ont donnée.

Les expériences avec les services de police étaient tout aussi désolantes. Plus de la moitié des Torontois noirs ont déclaré s’être fait interpeller par la police dans un lieu public, et, chez les jeunes hommes de 25 à 44 ans, le pourcentage passe à 79 %. De plus, 38 % des Torontois noirs se sont fait harceler ou traiter sans aucun respect par la police. Chez les jeunes Noirs, le pourcentage passe à 60 %.

Une autre enquête internationale menée en 2019 pour la Fondation canadienne des relations raciales a révélé elle aussi la même chose. La majorité des Canadiens de race noire d’un bout à l’autre du pays, soit 54 % d’entre eux, et plus de la moitié des Autochtones, soit 53 % de ceux-ci, ont vécu personnellement de la discrimination en raison de leur race ou de leur ethnicité, et ce, de temps à autre ou régulièrement. Un nombre important d’Asiatiques du Sud, de Chinois et de personnes issues d’autres groupes racialisés ont aussi vécu et rapporté une telle expérience.

La crise de la COVID n’a fait qu’aggraver la discrimination à l’égard des Canadiens d’origine chinoise. Une enquête menée par l’Institut Angus Reid la semaine dernière et relayée hier par les médias a révélé que la moitié des répondants d’origine chinoise se sont fait traiter de tous les noms ou insulter, et 43 % ont déclaré avoir été menacés ou intimidés pour des raisons liées à la pandémie.

Ce genre de résultats de recherche, et d’autres encore, montrent clairement que le racisme existe au pays.

Après avoir entendu tous ces résultats de recherche, vous pourriez peut-être conclure qu’il existe de nombreuses données fondées sur la race pour répondre à toutes nos questions sur le racisme au pays. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Dans ses recommandations détaillées sur les mesures à prendre pour lutter contre le racisme, le Caucus des parlementaires noirs a relevé de graves lacunes dans les données et il a demandé au gouvernement fédéral de se charger immédiatement de la collecte et de la gestion de données désagrégées, de données fondées sur la race concernant les interventions policières, l’emploi dans le secteur public et la racialisation de la pauvreté. Comme l’a dit le caucus des parlementaires noirs au sujet des données incomplètes, « il est difficile de changer ce que l’on ne peut pas mesurer. »

J’appuie leurs appels à l’action. La collecte de données désagrégées dans beaucoup plus de sphères de la société est un pas important vers l’élaboration de politiques sociales et économiques inclusives.

J’aimerais dire qu’il y a de bonnes nouvelles à ce sujet. En effet, Statistique Canada a considérablement étoffé sa collecte de données fondées sur la race, et d’autres améliorations sont à venir. Le recensement, bien sûr, permet d’obtenir des données ventilées sur la race depuis de nombreuses années, tout comme l’Enquête sociale générale et d’autres sondages dirigés par Statistiques Canada. Bientôt, une Enquête sociale générale portera sur les identités sociales et la discrimination au moyen de données ventilées. De plus, une nouvelle division de Statistique Canada, le Centre des statistiques sur le genre, la diversité et l’inclusion, servira de plaque tournante pour l’analyse intersectionnelle.

Il est essentiel de recueillir des données sur le genre, l’invalidité, l’origine ethnique, le statut d’immigrant, la langue et les mesures socioéconomiques afin de comprendre la corrélation entre le racisme et les autres aspects. Dès cet été, l’excellente Enquête sur la population active, un exercice mensuel, comprendra des mesures fondées sur la race, et ce, 75 ans après sa création. Ces données s’ajouteront aux autres mesures sur la rémunération, l’activité sur le marché du travail ainsi que toutes les autres caractéristiques qui sont déjà examinées grâce à l’Enquête sur la population active.

Manifestement, Statistique Canada déploie déjà des efforts sur ce plan, mais il lui reste beaucoup de travail à faire. Statistique Canada a encore des données à recueillir et à ventiler. Cela pourrait être une bonne nouvelle, mais je vais maintenant vous parler d’une nouvelle un peu moins bonne.

La crise de la COVID, en particulier, a révélé un grave manque de données fondées sur la race en matière de santé publique. Au cours des trois derniers mois, nous avons très souvent entendu des gens demander qu’on recueille des données supplémentaires. Une grande partie de ces données manquantes, appelées « données administratives », sont du ressort des provinces — la plupart, mais pas toutes. La plupart des provinces sont très réticentes à recueillir ces données, pour une raison ou une autre. Cette réticence se répercute sur les données dans d’autres domaines, dont l’éducation, les services sociaux et la police.

Le laisser-faire qui persiste dans ces secteurs nuit à tout le monde. Nous devons nous efforcer de changer cette situation, et je pense que le comité spécial contribuera à maintenir la pression. Comme nous avons pu le constater au cours des derniers mois, la pression exercée sur ces organisations, les provinces et d’autres responsables, pour qu’ils recueillent les données nécessaires, les a amenés à faire certaines promesses en ce sens. Nous avons appris qu’il faut maintenir la pression, sinon elle va disparaître et les autorités n’apporteront pas les changements qui s’imposent. Par conséquent, le comité spécial va nous être très utile pour maintenir la pression dans ce domaine et ailleurs.

Chers collègues, en conclusion, je soutiens la motion présentée par la sénatrice Lankin au nom de la sénatrice Bernard, qui vise à créer un comité spécial sur le racisme systémique envers les Noirs et les Autochtones au Canada. À mon avis, la mise en place de ce comité est le meilleur moyen de traiter de nombreux problèmes, qu’il s’agisse des données ou d’autres points soulevés par des parlementaires noirs dans leur déclaration à propos du racisme anti-Noirs. Ces enjeux ont également été abordés ici-même par nos collègues sénateurs.

J’ai hâte d’étudier le travail de ce comité spécial, au fur et à mesure qu’il proposera des mesures pour mettre fin au racisme systémique qui sévit sous de nombreuses formes au Canada. Je vous remercie.

La sénatrice Martin [ + ]

Je propose l’ajournement du débat sur la motion.

Son Honneur le Président [ + ]

Je crois qu’une autre sénatrice souhaite se joindre au débat avant son ajournement.

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer la motion no 54, présentée par la sénatrice Bernard et la sénatrice Lankin, qui vise à créer un comité spécial sur le racisme. C’est un honneur pour moi de prendre la parole sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine.

Le Caucus des parlementaires noirs a fait, la semaine dernière, une déclaration percutante dans laquelle il a demandé au gouvernement de prendre certaines mesures concrètes. Malheureusement, la sénatrice Mégie a demandé la permission de déposer cette déclaration au Sénat, la semaine dernière, mais, même si la demande était appuyée haut et fort par la majorité des sénateurs, la permission a été refusée. Je sais que plusieurs d’entre nous avons trouvé ce refus à la fois décevant et irrespectueux.

Nos collègues du groupe de travail autochtone ont apporté leur appui aux sénateurs d’ascendance africaine — les sénatrices Bernard, Mégie, Moodie et Jaffer ainsi que le sénateur Ravalia —, qui ont travaillé très fort comme membres du Caucus des parlementaires noirs et qui ont présenté cette importante motion. Leurs efforts pour créer un comité spécial, conjugués au débat d’urgence animé de la semaine dernière et au débat sur le racisme devant se tenir en comité plénier cette semaine, sont des gestes concrets de nos collègues qui nous ont amenés à prendre plus de mesures pour atteindre les résultats que nous désirons tous.

Donc, pourquoi devrais-je, et pourquoi devrions-nous tous, appuyer cette motion visant à constituer un comité spécial chargé d’examiner le racisme systémique au Canada, de fixer des priorités et de formuler des recommandations relatives à l’intervention du gouvernement pour lutter contre le racisme envers les Autochtones et les Noirs et contre le racisme systémique?

La raison la plus évidente, c’est que nos collègues qui sont experts en la matière et qui sont les mieux placés pour parler d’expérience nous demandent de le faire. Nous devrions montrer que nous leur faisons confiance et donner suite à leurs recommandations, tout comme nous devrions donner suite aux demandes de leurs pairs dans l’ensemble de la société canadienne.

Honorables sénateurs, il y a tout juste trois ans, ayant terminé une très pénible série de traitements contre le cancer, je participais à une séance d’aide pour les survivants du cancer. Cela me paraît déjà une autre époque. L’une des sages personnes-ressources qui animaient la séance était un aumônier du nom de David Maginley. Le révérend Maginley nous a lancé deux défis. Le premier était de continuer à vivre la vie que nous étions parvenus à nous tailler au prix de tant de travail. Le deuxième, et c’est celui qui est pertinent dans la présente discussion, était de ne pas laisser se perdre les effets de cette crise.

Honorables sénateurs, depuis des siècles, nous composons avec des crises causées par le colonialisme, la discrimination, l’exploitation et le racisme qui en découle. En fait, la société, dans l’ensemble, a bénéficié de ces crises. Notre pays s’est bâti à partir de ces crises.

Les exemples ne manquent pas, à commencer par la Loi sur les Indiens. Les peuples autochtones ont été dépossédés de leurs terres, alors qu’ils étaient ici les premiers. Des gens sont empêchés de voter. Des milliers de femmes et de jeunes filles autochtones ont été tuées ou sont disparues. Que dire des pensionnats autochtones et de leurs répercussions? Le Canada a déjà eu des écoles qui pratiquaient la ségrégation raciale. Nous avons obligé les Africains de Nouvelle-Écosse à déménager sans tenir compte de leurs droits d’occupation. Nous avons forcé des Inuits à se réinstaller dans des endroits qui leur étaient inconnus et les avons laissés mourir sur place. Les Autochtones et les Afro-Canadiens sont nettement surreprésentés dans la population carcérale et ils sont pris pour cible par la police. Certains se font même tuer par les policiers venus vérifier qu’ils se portaient bien.

Les Autochtones et les Afro-Canadiens sont victimes de toutes sortes d’inégalités sociales et économiques. Le Canada a connu son lot de crises bien avant que George Floyd soit tué par un policier de Minneapolis, bien avant que Chantel Moore, Rodney Levi et Regis Korchinski-Paquet perdent la vie et bien avant que les manifestations les plus récentes du mouvement Black Lives Matter incitent des millions de gens du Canada, des États-Unis et du monde à descendre dans la rue.

Il ne faudrait surtout pas gâcher l’occasion que nous offre la conjonction entre la crise actuelle et l’autre, de santé publique, causée par la COVID-19. Les sénateurs qui réclament un comité sénatorial spécial sur le racisme estiment que c’est maintenant qu’il faut agir. Toutes ces crises ont déclenché une prise de conscience collective, et il faut faire quelque chose avant que les gens aient passé à autre chose.

Dans le discours du Trône qu’elle a prononcé au début de la 43e législature, la gouverneure générale, Julie Payette, a dit ceci :

Que nous soyons nés ici ou ayons choisi d’y venir, nous voulons vivre librement, en paix et en harmonie. Cette quête est une des pierres d’assise de notre nation et elle nous guide dans presque tout ce que nous faisons.

Votre rôle dans le processus démocratique constitue à la fois un privilège et une responsabilité.

Nous sommes au service de tous les Canadiens et Canadiennes quels que soient leur genre, leur confession, leurs langues, leurs coutumes ou leur couleur de peau.

Si nous mettons nos cerveaux, notre intelligence et nos capacités altruistes à contribution, ensemble nous pouvons faire beaucoup de bien. Nous pouvons contribuer à améliorer la vie de nos communautés et réduire les écarts et les inégalités, ici et ailleurs.

Chers collègues, à titre de sénateurs, nous avons la responsabilité de veiller à ce que tous les Canadiens aient la possibilité de contribuer à bâtir le pays et de profiter de l’abondance que plusieurs parmi nous tiennent pour acquise. Pour y arriver, nous devons une bonne fois pour toutes comprendre ce que signifient « black lives matter » et « Indigenous lives matter » et trouver des façons efficaces de mettre en œuvre les promesses qu’impliquent ces énoncés. Nous devons écouter. Nous devons suivre. Nous devons insister sur la nécessité d’agir. Nous devons nous tenir responsables de nos actes et tenir les autres responsables de leurs actes.

La sénatrice Lankin et d’autres sénateurs ont souligné l’abondance d’études et de rapports de qualité qui regorgent de recommandations, d’appels à l’action et d’appels à la justice auxquels on n’a toujours pas donné suite. Il s’agira de ressources cruciales pour le comité sénatorial spécial.

Dans sa lettre du 18 juin dernier, notre collègue la sénatrice Mary Jane McCallum se prononçait sur le fait que nous avons besoin de changement, d’un vrai changement. À son avis, le racisme qui afflige les populations autochtones et les communautés noires ne devraient pas être mis dans le même panier. Elle disait qu’aborder le racisme avec une approche universelle pour toutes les minorités ne ferait que causer plus de souffrances.

Par la même occasion, il sera important de bien marquer les distinctions à même les divers groupes. C’est une leçon que nous avons retenue avec l’adoption l’année dernière de la Loi sur les langues autochtones. Bien qu’il s’agissait d’un pas dans la bonne direction, elle ne reconnaissait pas la réalité totalement distincte des Inuits et de leur langue, l’inuktut.

Nous savons que les réalités des Néo-Écossais d’origine africaine qui vivent dans les trois colonies rurales historiques de mon coin de la Nouvelle-Écosse sont fort différentes des réalités des populations immigrantes majoritairement noires de Montréal ou de Toronto. Il faut faire la distinction.

Ibram Kendi, titulaire de la bourse Guggenheim, directeur fondateur du Antiracist Research and Policy Center de l’université américaine et auteur de Stamped from the Beginning: The Definitive History of Racist Ideas in America, prend le contrepied de ce dialogue vers les origines du racisme et les solutions pour y remédier. Il dit :

L’éducation, l’amour et les personnes noires exemplaires ne délivreront pas les États-Unis du racisme. Les idées racistes découlent des politiques discriminatoires, et non l’inverse.

Eh bien, ce n’est pas tout le monde qui partage l’avis de M. Kendi. Selon moi, ce n’est pas de deux choses l’une. Notre collègue, le sénateur Murray Sinclair, ancien président de la Commission de vérité et réconciliation, a déjà dit : « [...] c’est l’éducation qui nous a mis dans ce pétrin et c’est elle qui nous permettra d’en sortir. »

Toutefois, Ibram Kendi poursuit en disant :

Le but, c’est de cerner les inégalités, de cerner les politiques qui créent et qui entretiennent ces inégalités, et de proposer des mesures correctrices [...]

M. Kendi mentionne six domaines à cet effet : la justice pénale, l’éducation, la science économique, la santé, l’environnement et la politique. Le livre de M. Kendi soutient que le fondement réel du racisme n’est pas l’ignorance ni la haine, mais plutôt l’intérêt personnel, en particulier sur les plans économique, politique et culturel. Bien qu’il parle surtout des fondements du racisme anti-Noirs aux États-Unis, il y a certainement des comparaisons pertinentes à faire avec le Canada qui valent la peine d’être examinées.

Dans un même ordre d’idée, mais sous un angle passablement différent, pensons à la métaphore d’une rivière. Visualisez une rivière. Imaginez-vous au bord de la rivière des Outaouais, derrière l’ancienne enceinte historique du Sénat sur la Colline du Parlement. Vous apercevez soudainement un enfant gesticulant qui se noie dans les eaux de la rivière. Immédiatement, vous sautez dans l’eau et remorquez l’enfant jusqu’à la berge. Avant que vous n’ayez eu le temps de reprendre votre souffle, vous apercevez un autre enfant se noyant qui passe à la dérive, et vous replongez dans la rivière pour le sauver lui aussi. Puis un autre enfant en détresse passe à la dérive, puis un autre, puis un autre. Au bout d’un moment, on ose l’espérer, toute personne intelligente finira par se demander « mais qui peut bien continuer de jeter tous ces enfants dans la rivière » et ira en amont pour le découvrir.

C’est l’image qu’utilise l’institut Upstream, ou « En amont », qui s’est récemment associé au Centre canadien de politiques alternatives, pour illustrer la situation. Dans le cas du Canada, nous devons nous demander de qui sont tous les bébés qui se noient dans la rivière. Ce ne sont pas les petits bébés roses et blancs comme les miens et ceux de la classe moyenne. Pourquoi ces bébés se retrouvent-ils dans cette rivière, et pourquoi y sont-ils en si grand nombre? Enfin, qu’allons-nous faire pour régler ce problème?

Alors que nous formons un comité sénatorial spécial sur le racisme systémique, veillons à ne pas continuer d’être affligés par ce que l’institut appelle la pensée en aval. Aidons plutôt l’ensemble de la société à penser en amont. Même s’il ne faut pas ignorer la réalité en aval, parce que de trop nombreux Canadiens racialisés y sont relégués, nous devons demander au comité de se pencher sur les politiques et les investissements urgents et intelligents qui peuvent être mis en place en amont. Rappelons que la sénatrice Omidvar a soulevé un point important au sujet de l’importance de suivre l’argent.

Honorables collègues, alors que nous nous permettons de commencer à penser à la vie après cette période de confinement, le premier ministre, d’autres leaders dans la société et de nombreux Canadiens parlent de rebâtir une société meilleure, plus écologique et plus équitable.

Le racisme, et ses nombreuses manifestations implacables dans notre société, est une honte pour le Canada et ne peut plus être toléré si nous voulons un pays meilleur et plus équitable. Les Canadiens noirs, les Autochtones et les autres personnes racialisées au pays nous disent qu’ils en ont assez du statu quo. Ils n’en peuvent plus de porter ce fardeau. Ils en ont assez. En tant que parlementaires, n’en avons-nous pas tous assez, nous aussi?

La création d’un comité sénatorial spécial sur le racisme systémique, à qui l’on confie un solide mandat et auquel siégeront certains de nos compétents collègues, est une mesure importante qui, espérons-le, jouira de l’appui de tous les sénateurs.

Moses Coady, l’homme qui a inspiré le nom de l’institut pour lequel je travaillais, a déjà dit ceci : « Dans une démocratie, les gens ne sont pas assis dans les gradins socio-économiques; ils sont tous sur le terrain ».

Honorables collègues, appuyons la motion présentée par la sénatrice Lankin et la sénatrice Bernard. Assurons-nous une fois pour toutes que tout le monde participe à la démocratie et en bénéficie équitablement, peu importe la couleur de sa peau ou l’identité de ses ancêtres. Nous devons exercer nos privilèges et assumer nos responsabilités. Ne laissons plus de bébés flotter à la dérive et se noyer. Honorables sénateurs, il ne faut pas gaspiller cette crise. Nous devons faire ce qui s’impose, chers collègues. Merci. Welalioq.

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