Le Sénat
Motion tendant à reconnaître que les changements climatiques constituent une urgence--Suite du débat
10 février 2022
Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de prendre la parole depuis Mi’kma’ki, le territoire non cédé du peuple mi’kmaq. Je prends la parole au cours de la première semaine des travaux de 2022 du Sénat pour appuyer la motion de la sénatrice Galvez, qui nous demande de reconnaître que les changements climatiques constituent une urgence, que le Sénat déclare que le Canada se trouve en situation d’urgence climatique nationale et que nous nous engagions à agir rapidement pour mettre en œuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation.
La motion de la sénatrice Galvez nous demande aussi de reconnaître que nous, les humains, sommes responsables du réchauffement des terres, des océans et de l’atmosphère qui cause les problèmes climatiques; de reconnaître qu’à défaut de lutter contre les changements climatiques, nous nous exposons à des conséquences catastrophiques; et de reconnaître que les changements climatiques ont des effets négatifs sur notre santé et notre sécurité, en plus d’affaiblir la stabilité financière de notre pays, le Canada.
Chers collègues, comme je l’ai dit, je prends la parole pour appuyer la motion de la sénatrice Galvez et, je l’espère, pour mener ce débat jusqu’au vote. Je dois cependant souligner que je n’avais pas l’intention de parler de cette motion. Comme la sénatrice Galvez peut en attester, j’ai dès le départ exprimé une certaine hésitation à présenter cette motion.
Ce qui me préoccupait, ce n’était pas la validité des preuves soutenant les affirmations énoncées dans la motion. Nous ne manquons pas de preuves fiables et scientifiques justifiant que nous sommes en situation d’urgence climatique; et la situation ne fera qu’empirer. Nous avons entendu nos collègues débattre en détail des preuves mentionnées dans cette motion. Ce qui me préoccupait, ce n’était pas non plus de dire qu’il était urgent d’agir et que l’inaction nous coûterait beaucoup plus cher que l’action.
Ce qui me faisait véritablement hésiter, c’était les répercussions potentielles de la motion elle-même. J’hésitais, car je n’étais pas certaine que la motion aurait les effets voulus. Pourrait-elle mobiliser tous les membres de la Chambre haute du Canada autour de l’importance du changement climatique? Pourrait-elle envoyer le message au gouvernement et aux gens de tous âges, en particulier aux jeunes, dans nos régions respectives que les sénateurs prennent le changement climatique au sérieux? Pour finir, cette motion pourrait-elle nous inciter à collaborer pour mieux comprendre les défis climatiques, pour mieux appréhender collectivement l’urgence d’agir et pour nous encourager à chercher des solutions, à obliger le gouvernement à rendre des comptes et à tenir ses promesses?
Au bout du compte, chers collègues, je pense que cette motion peut remplir sa mission. C’est pourquoi je prends la parole aujourd’hui pour appuyer cette motion, et que je joins ma voix à la sénatrice Miville-Dechêne, au sénateur Forest, à la sénatrice Griffin, au sénateur Black, à la sénatrice Dasko, à la sénatrice McPhedran et à la sénatrice Galvez. Nous savons qu’une motion déclarant l’urgence climatique a été adoptée à l’autre endroit il y a presque trois ans, le 17 juin 2019. Nous savons que de nombreux pays et de nombreuses institutions, environ 2 000 au Canada et dans le monde entier, ont adopté des motions similaires concernant l’urgence climatique.
Bien évidemment, le Sénat canadien ne veut pas simplement se précipiter et prendre ce train en marche. Nous sommes après tout la Chambre de second examen objectif. Pour autant, nous savons que nous devons toujours rester à l’affût des questions capitales, en tant que parlementaires de confiance, pour mettre le Canada sur la bonne voie pour le bien de nos citoyens.
Chers collègues, une évaluation de la motion du Royaume-Uni sur les changements climatiques a conclu ce qui suit :
La déclaration [...] a le potentiel d’unifier et de coordonner les mesures à l’échelle nationale [...] Son point faible en ce moment est la relation incertaine entre les discours et le passage à l’action [...]
L’inaction du gouvernement réduit sa crédibilité [...]
C’est ce qui est dit à propos de la motion du Royaume-Uni.
Lorsque j’ai poursuivi mes lectures sur la difficulté d’inspirer la prise de mesures contre les changements climatiques, cinq grands éléments revenaient constamment : le scepticisme, la complexité, l’incertitude, l’ampleur de la tâche et, bien sûr, l’émotion. Ces défis sont bien réels et ne devraient jamais être rejetés du revers de la main. Pour rassembler les gens et faire des progrès, il faut se pencher attentivement sur toutes ces questions.
Étant donné que nous n’avons pas encore une idée claire de la nature, de l’ordre et du rythme des mesures que le Canada et d’autres États et acteurs devront prendre pour relever les défis liés aux changements climatiques, il est compréhensible que les Canadiens ressentent de l’incertitude et qu’ils soient préoccupés par toute une série de questions. Bien sûr, nous sommes préoccupés par notre capacité à maintenir notre qualité de vie. Nous voulons pouvoir nous nourrir et nous loger. Nous sommes préoccupés par l’insécurité économique générale dans nos collectivités et notre pays, par la fiabilité de notre approvisionnement énergétique et par la possibilité que certains groupes de travailleurs, des industries ou des régions soient dénigrés et désavantagés. Nous nous inquiétons de notre santé et de notre sécurité personnelles, de la myriade de répercussions qu’entraînent les phénomènes météorologiques extrêmes, de la fonte de la glace de mer et du pergélisol en Arctique, et de l’élévation du niveau de la mer. Nous nous demandons quel genre de monde et quels défis nous laisserons à nos enfants, à nos petits-enfants et aux générations futures.
Chers collègues, comme nous le savons, ces préoccupations et ces craintes sont bien sûr exacerbées pendant la pandémie mondiale de COVID-19, qui a été très difficile pour tant de gens. Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, a déclaré ce qui suit publiquement :
Pour ce qui est de la mortalité humaine liée aux changements climatiques, elle sera équivalente à celle d’une crise de coronavirus chaque année, à partir du milieu du siècle, et chaque année [...]
Il est difficile d’imaginer vivre chaque année toute la dévastation vécue pendant la pandémie. Chers collègues, est-il trop tard pour une motion comme celle-ci ou y a-t-il de bonnes raisons de l’adopter maintenant?
Le climatologue principal d’Environnement Canada, David Phillips, a dit ce qui suit au sujet des dômes de chaleur, des feux de forêt, des sécheresses, des inondations, des tornades et des ouragans survenus au Canada en 2021 :
Cette année, nous avons vu comment les changements climatiques peuvent exacerber et amplifier les événements météorologiques extrêmes que le Canada a l’habitude de connaître et en faire des événements dangereux et destructeurs.
Il a ajouté :
J’espère que cette année sera un moment charnière et une confirmation pour une majorité de Canadiens en ce qui concerne le danger clair et immédiat que présentent les changements climatiques et les événements météorologiques extrêmes. Cette année, les gens ont bien réalisé ce qui se passe.
Honorables sénateurs, je vais répéter ses paroles : « Cette année, les gens ont bien réalisé ce qui se passe. » Il espère qu’il s’agira d’un moment charnière.
Chers collègues, nous sommes en 2022. Les Canadiens sont plus conscients que jamais des dangers des changements climatiques. Pour beaucoup, ces dangers les talonnent. Il ne reste que huit petites années d’ici 2030, un jalon important des engagements du Canada et d’autres pays en matière de lutte contre les changements climatiques. Le mois prochain, le gouvernement publiera son plan de réduction des émissions, qui énoncera comment le Canada s’y prendra pour atteindre son objectif de réduire de 40 % à 45 % les gaz à effet de serre d’ici l’an 2030. Il est tenu de publier ce plan conformément à la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, que le Sénat a adoptée en juin dernier. La loi l’oblige également à inclure dans ce plan un objectif provisoire de réduction des émissions pour 2026, soit d’ici quatre ans seulement.
L’automne prochain, le gouvernement publiera par ailleurs sa première stratégie nationale d’adaptation, qui établira une vision et une orientation pour la résilience aux changements climatiques au Canada.
Ainsi, oui, chers collègues, j’estime que le moment est opportun pour adopter cette motion au Sénat du Canada. Je crois qu’il est temps de montrer que nous sommes unis à l’égard de cet enjeu majeur et j’encourage tous les Canadiens à faire de même. Vu l’indépendance des sénateurs, leurs liens avec les régions qu’ils représentent et leur capacité à voir plus loin que les cycles électoraux et à agir sans égard à ces derniers, le Sénat du Canada est particulièrement bien placé pour intervenir.
J’espère que nous voterons bientôt au sujet de cette motion. Je crois que le moment est venu pour le Sénat de prendre une position ferme au sujet de ce problème majeur que constituent les changements climatiques. Il est également temps de veiller à ce que le Canada agisse rapidement et clairement afin de trouver les meilleures solutions et les mettre en pratique. Cela renforcera la crédibilité de cette motion, de même que notre crédibilité en tant que parlementaires engagés.
Chers collègues, alors que je m’apprête à conclure mes observations, je tiens à souligner que je crois que cette urgence d’agir au sujet des changements climatiques est aussi une occasion pour le Canada. C’est en tout cas un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de nous étendre au cours de la présente législature.
Honorables sénateurs, il est temps de faire preuve de leadership. Ce mot, « leadership », est si important. Les leaders voient et poursuivent des occasions lorsque c’est la bonne chose à faire. Je crois que l’adoption de cette motion à ce moment-ci est la bonne chose à faire. C’est l’un des nombreux gestes que nous pouvons poser.
Chers collègues, lorsqu’elle s’est adressée aux autres dirigeants mondiaux lors de la COP26 qui s’est tenue à Glasgow, en novembre dernier, la première ministre Mia Mottley des Barbades a posé la question suivante :
Allons-nous agir dans l’intérêt de nos concitoyens, qui dépendent de nous, ou allons-nous laisser la cupidité et l’égoïsme semer les graines de notre destruction commune?
Ce sont les leaders d’aujourd’hui, et non ceux de 2030 ou de 2050, qui doivent prendre cette décision.
La décision nous revient. Nos concitoyens et notre planète en ont besoin.
Honorables sénateurs, en tant que leaders actuels, saisissons cette occasion et unissons-nous afin d’adopter cette motion pour le bien de nos concitoyens et de notre planète. Montrons-leur qu’ils peuvent compter sur nous, et mettons-nous au travail.
Merci, wela’lioq.