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Le cent vingt-cinquième anniversaire de la Loi sur le Yukon

Interpellation--Suite du débat

4 juin 2024


Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Clement, et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui sur les terres de la nation algonquine anishinabe pour vous parler des terres, des gens et d’une partie de l’histoire de la Première Nation de Carcross/Tagish, des Premières Nations Champagne et Aishihik, de la Première Nation de Na–Cho Nyak Dün, de la Première Nation de Kluane, la Première Nation des Kwanlin Dün, de la Première Nation de Liard, de la Première Nation de Little Salmon/Carmacks, du Conseil Dena de Ross River, de la Première Nation de Selkirk, du Conseil des Ta’an Kwäch’än, du Conseil des Tlingits de Teslin, des Tr’ondëk Hwëch’in, de la Première Nation des Gwitchin Vuntut et de la Première Nation de White River.

Honorables collègues, je prends la parole au sujet de l’interpellation no 14 de la sénatrice Duncan, qui attire notre attention sur le 125e anniversaire de la Loi sur le Yukon, qui a eu lieu l’an dernier. La sénatrice Duncan est fière de venir du Yukon — l’avez-vous remarqué? — et le Yukon est fier d’elle, tout comme nous le sommes. De 2000 à 2002, elle a été la première et la seule femme à occuper le poste de premier ministre du Yukon. La sénatrice Duncan a signé l’entente sur le transfert des responsabilités avec le Canada. Le Yukon a été le premier territoire à signer une telle entente, qui a donné aux Yukonnais le pouvoir de gérer leurs terres et ressources naturelles ainsi que de favoriser le développement économique et la création d’emplois à leurs propres fins. La sénatrice Duncan a participé à la négociation et à la mise en œuvre d’accords sur les revendications territoriales avec les Premières Nations du Yukon et elle était première ministre lorsque l’accord d’autonomie gouvernementale avec le Conseil des Ta’an Kwäch’än a été signé.

La sénatrice Duncan m’a demandé de prendre la parole dans le cadre de son interpellation, car elle sait que je partage sa passion pour la beauté et la majesté envoûtantes du Yukon et de ses habitants. J’ai eu la chance de visiter le Yukon à de nombreuses reprises pour voir ma fille, Lauren McCarthy, son mari, Jamie, et mes petits-enfants, Jack, Amelia et Sophie, au cours des sept années où ils y ont vécu. Lauren a enseigné à l’école primaire de Whitehorse et Jamie a travaillé pour la Première Nation de Carcross/Tagish puis pour la Première Nation des Kwanlin Dün.

J’ai eu la chance de parcourir les sentiers de la forêt expérimentale avec la sénatrice Duncan et son chien. J’ai fait de la luge dans la réserve naturelle, j’ai glissé sur les collines du désert de Carcross, j’ai skié au Whitehorse Nordic Centre, j’ai fait trempette dans les eaux curatives des sources thermales de Takhini, j’ai marché sur la surface gelée du lac Kathleen dans le parc national de Kluane, je me suis régalée au Klondike Salmon & Rib, j’ai parlé à la classe de mon petit-fils à l’école primaire Elijah Smith, j’ai visité le centre culturel de Kwanlin Dün, j’ai rencontré des étudiants et des professeurs de l’Université du Yukon, j’ai parcouru les sentiers qui longent le fleuve Yukon et j’ai fait bien d’autres choses encore.

Chers collègues, j’ai également eu la chance de visiter Whitehorse en compagnie d’autres sénateurs. C’était le dernier arrêt de la mission d’information du Comité spécial sur l’Arctique.

Chers collègues, la sénatrice Duncan nous a expliqué le contexte qui entoure la Loi sur le Yukon. La première découverte d’or au Yukon a été faite en 1896 par une femme de la Première Nation Tagish, Kate Carmack — aussi appelée Shaaw Tláa —, son frère et son mari. La nouvelle de cette découverte s’est répandue comme une traînée de poudre, et, au cours de l’année suivante, Dawson City, au Yukon, est devenue la plus grande ville au Nord de San Francisco et à l’Ouest de Chicago.

Dans le contexte de la ruée vers l’or, l’adoption de la Loi du Yukon a été motivée par le désir d’affirmer la souveraineté du Canada et de réglementer la consommation d’alcool dans le territoire.

La sénatrice Duncan nous a expliqué que la loi avait été modifiée à plusieurs reprises au fil des ans. La dernière version a d’ailleurs reçu la sanction royale le 13 juin dernier. La sénatrice a aussi fait allusion à un autre anniversaire important dans l’histoire du Yukon et, en particulier, des Autochtones des 14 nations que j’ai mentionnées plus tôt. C’est sur ce point que je souhaite m’attarder davantage.

Aujourd’hui, environ 25 % de la population du Yukon est autochtone, 11 des 14 Premières Nations sont signataires des traités modernes. Les revendications territoriales du Yukon :

[...] ont été présentées dès 1901 et 1902, lorsque le chef Jim Boss, de la nation actuelle des Ta’an Kwach’an et des environs, a écrit des lettres au surintendant général des Affaires indiennes à Ottawa et au commissaire du Yukon.

Au tournant du siècle, il avait soulevé les préoccupations de son peuple :

[...] en ce qui concerne l’aliénation des terres et des ressources dans leurs territoires traditionnels et de leur besoin d’avoir leur mot à dire à l’égard de leurs propres affaires et de leur gouvernance.

La ruée vers l’or du Klondike attiré de nombreux colons au Yukon, mais la plupart sont partis quand tout fut terminé. Cependant, la construction de la route de l’Alaska en 1942 a changé la vie au Yukon pour toujours. De plus en plus de colons se sont installés sur une terre pour y construire une maison le long des 892 kilomètres du tronçon de la route qui traverse le Yukon, et bien au‑delà. Dans les années 1960, les peuples autochtones ont été repoussés plus loin de leurs terres en raison de l’exploitation des ressources.

En 1968, la Fraternité des autochtones du Yukon, sous la direction du chef Elijah Smith, a été fondée dans le but de :

« [...] protéger les droits civils de tous les Indiens du Yukon et d’aider tous les Indiens dans la détermination de leur statut juridique en ce qui concerne les ressources naturelles du Canada. »

En janvier 1973, plus de 100 communautés des Premières Nations du Yukon se sont réunies pour mettre au point le document intitulé Together Today for our Children Tomorrow. Le mois suivant, soit le 14 février 1973, le chef Elijah Smith et une délégation de chefs du Yukon se sont rendus à Ottawa pour présenter ce document historique au premier ministre de l’époque, Pierre Trudeau, et au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque, Jean Chrétien.

Beaucoup de ces chefs sortaient pour la première fois du Yukon. Le document intitulé Together Today for our Children Tomorrow dépeint la façon dont les Autochtones du Yukon se perçoivent, ainsi que les expériences qu’ils ont vécues depuis la colonisation. Il propose des droits fonciers, des redevances et un règlement financier. Il demande au gouvernement fédéral de créer un comité chargé d’étudier le document et de rédiger un projet de loi sur la base de celui-ci.

L’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau s’est engagé à agir rapidement et il a accepté de constituer un comité de négociation et un processus de modernisation des traités. Après deux décennies de négociations — on repassera pour la rapidité —, l’Accord-cadre définitif entre le Canada, le Yukon et le Conseil des Premières Nations du Yukon a été finalisé. Il porte sur les terres, l’indemnité pécuniaire, l’autonomie gouvernementale et la création de conseils, de comités et de tribunaux pour permettre aux Premières Nations d’assurer une gestion conjointe dans certains domaines. Le leadership sur ces questions est maintenant fermement entre les mains des « enfants de demain », comme l’avaient envisagé ceux qui se sont réunis en 1973.

Cinquante ans plus tard, des leaders représentant les Premières Nations du Yukon, le Yukon et le Canada ont tenu une rencontre de gouvernement à gouvernement dans le cadre du forum intergouvernemental organisé en décembre dernier, à Ottawa, pour mettre de l’avant des priorités en commun, notamment en ce qui concerne le logement, l’itinérance, la santé et le bien-être mental, l’aménagement du territoire, la revitalisation des langues, la préparation aux situations d’urgence, les ententes financières et le déclin des stocks de saumon.

Honorables collègues, la Loi sur le Yukon a permis d’affirmer la souveraineté du Canada sur ce territoire. L’entente sur le transfert des responsabilités entre le Canada et le Yukon, signé par notre collègue la sénatrice Duncan, a accordé aux Yukonnais des pouvoirs à l’égard des terres, des ressources et des débouchés.

Les traités modernes et la réalisation de la vision des 14 Premières Nations du Yukon, énoncée dans le document historique intitulé Together Today for our Children Tomorrow, permettent de rendre aux premiers habitants de ce territoire leurs droits à l’égard des terres, des ressources et de la gouvernance. Honorables collègues, ce que tous les Yukonnais ont en commun, c’est leur amour pour ce magnifique territoire

Honorables collègues, dans son discours, la sénatrice Duncan a récité un passage du poème intitulé L’envoûtement du Yukon. Je vais conclure mon discours d’aujourd’hui en récitant le reste de ce poème, qui est une lettre d’amour de Robert Service à ce territoire :

Je voulais de l’or et je l’ai cherché,

Tel un esclave, de peine et de misère.

Famine et scorbut ne m’ont pas découragé,

J’ai envoyé ma jeunesse au cimetière.

Je voulais de l’or et je l’ai obtenu.

Cet automne, j’ai gagné beaucoup,

Mais la vie n’est pas comme je l’avais prévue

Et il se trouve que l’or, ce n’est pas tout.

Non! Il y a aussi cette terre. (L’avez-vous vue de vos yeux?)

Jamais on n’en vit de plus désolée,

De ses montagnes, aux sommets vertigineux,

Jusqu’au creux de ses mornes vallées [...]

On dit qu’il vaut mieux éviter cette terre immonde.

Mais on trouve aussi de ceux

Qui, comme moi, ne l’échangeraient pour rien au monde.

On y va pour y faire fortune (c’est une fichue de bonne raison);

On a d’abord l’impression d’être en exil,

On maudit cette terre infernale toute une saison,

Et on s’y sent comme l’être le plus vil.

Comme certains vices, elle nous attire,

Transforme le méchant en gentil.

Cela semble ne jamais finir,

Comme s’il en avait toujours été ainsi.

Happé par ce vide colossal

Rempli de silence à ras bord,

J’ai vu le soleil qui étale

L’or et le vermeil, et s’endort,

Puis les reflets nacrés de la lune sur les sommets

Et un tourbillon d’étoiles par-dessus le marché.

On se dit que ça ne peut pas être vrai,

Que la paix règne sur le monde entier.

L’été y est des plus doux;

Dans les bois ensoleillés, tout reprend vie.

L’ombre de rivière frétille partout,

Sur la colline, le mouflon s’alanguit.

Voir la vie se déployer avec vigueur,

Entendre en pleine nature le cri du caribou,

L’éloignement, la liberté, la fraîcheur...

Bon Dieu! J’en raffole, j’en suis fou.

Et l’hiver! Cet éclat aveuglant,

Cette terre recouverte d’un blanc manteau,

Cette peur qui vous suit sans cesse et vous glace le sang,

Ce silence assourdissant à vous rendre marteau.

Ces neiges qui remontent à avant notre ère,

Ces bois qui jettent des ombres à l’aspect curieux,

Au clair de la lune, cette tranquillité, ce mystère,

Je n’ai pas la force de leur dire adieu.

Dans cette terre aux montagnes sans nom,

Où les rivières coulent Dieu sait où,

Il y a des gens qui errent sans raison

Et que la mort suit partout.

Il y a des épreuves qui passent inaperçues,

Des vallées tranquilles et inhabitées.

L’appel de cette terre, je l’ai bien entendu,

Je veux la retrouver, je la retrouverai.

J’arrive au bout de mes économies,

Je ne trouve plus le champagne aussi bon,

Quand je n’aurai plus un rond, Dieu merci,

Je retournerai enfin au Yukon.

Je me battrai sans relâche, croyez-moi.

C’est un endroit infernal, mais que j’ai déjà fréquenté,

Et j’aime cent fois mieux être là-bas,

Alors, auprès de toi, Yukon, je retournerai.

L’envie de l’or, cette obsession,

Continue de me hanter, de m’envoûter.

Ce n’est pas tant l’or qui en est la raison,

Mais l’endroit où je vais le chercher.

C’est, à perte de vue, l’immensité,

Les forêts où le silence a ses habitudes;

C’est l’extase devant tant de beauté,

Le calme qui m’emplit de quiétude.

Honorables sénateurs, alors que l’an passé marquait le 125e anniversaire de la Loi sur le Yukon et le 50e anniversaire du document intitulé Together Today for our Children Tomorrow, joignons-nous à la sénatrice Duncan pour célébrer cet endroit remarquable qui, dans les mots de Robert Service, suscite « l’extase devant tant de beauté » et dont le « calme m’emplit de quiétude » alors qu’il « m’interpelle encore et encore, je veux y retourner — et je le ferai ». Merci. Wela’lioq.

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