La Loi sur les aliments et drogues
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
3 décembre 2024
Propose que le projet de loi C-252, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction — publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture en tant que marraine au Sénat du projet de loi C-252, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction — publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants), également connu sous son titre abrégé de Loi sur la protection de la santé des enfants.
Le projet de loi C-252 modifie la Loi sur les aliments et drogues afin d’interdire la publicité d’aliments prescrits auprès des enfants de moins de 13 ans, c’est-à-dire des aliments dont la teneur en sucres, en graisses saturées ou en sodium est supérieure à la limite prescrite. Le terme « publicité » est défini de manière large dans la Loi sur les aliments et drogues pour inclure :
[...] la présentation, par tout moyen, d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument en vue d’en stimuler directement ou indirectement l’aliénation, notamment par vente.
Le projet de loi C-252 sert de loi habilitante. Les détails des aliments prescrits, des seuils et du champ d’application seront déterminés par les règlements d’application, qui sont en cours d’élaboration depuis plusieurs années. Cette orientation politique fait l’objet d’un engagement du ministre de la Santé depuis 2015. Santé Canada a mené de vastes consultations entre 2016 et 2019, ainsi qu’au printemps 2023, une fois les restrictions proposées disponibles. On a consulté les intervenantsde l’industrie du secteur de la santé et les membres du public. D’autres consultations seront menées si ce projet de loi est adopté.
Le projet de loi C-252 est une mesure importante que le pays doit prendre pour protéger la santé et le bien-être de ses plus jeunes citoyens. Dans sa préface, le projet de loi reconnaît l’incidence croissante de l’obésité juvénile et ses répercussions sur la santé des enfants, et il reflète une volonté de s’attaquer à cette crise de santé publique croissante en ciblant l’une de ses principales causes : la commercialisation d’aliments ultra-transformés destinée aux enfants.
Alors que nous entamons la troisième lecture de ce projet de loi, nous bénéficions maintenant des témoignages d’un nombre important de témoins, 18 en tout, qui ont fourni au comité des renseignements précieux sur tous les aspects de ce projet de loi. Les témoins de Santé Canada et du milieu de la recherche et de la santé nous ont aidés à mieux comprendre les effets des aliments ultra-transformés et des niveaux élevés de sucres, de gras et de sodium sur la santé des enfants, ainsi que les effets puissants de la publicité sur les choix alimentaires et les habitudes de consommation des enfants. De plus, ils ont présenté et étayé les preuves selon lesquelles l’autoréglementation de l’industrie des aliments et des boissons n’a pas été efficace pour réduire l’exposition des enfants à des publicités nocives.
Je tiens à remercier tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de leur formidable participation à l’égard de ce projet de loi, et je tiens à remercier tous les témoins d’avoir comparu. De plus, je remercie infiniment la marraine du projet de loi, la députée québécoise Patricia Lattanzio, de l’avoir présenté.
Les sciences de la nutrition nous fournissent une grande quantité de données probantes sur les effets, bons et mauvais, des constituants alimentaires. Selon Santé Canada, au sujet du sodium :
[...] un excédent peut mener à de l’hypertension artérielle, qui représente un facteur de risque important pour les accidents vasculaires cérébraux et les maladies du cœur. Les maladies du cœur et les accidents vasculaires cérébraux sont les principales causes de mortalité au Canada, après le cancer.
Un peu plus loin sur la même page, on peut lire ceci :
On estime que 30 % des cas d’hypertension artérielle est causée par un apport élevé en sodium. Une teneur en sodium alimentaire élevée est liée à des risques accrus d’ostéoporose, de cancer de l’estomac et à la sévérité de l’asthme.
Pour ce qui est des gras saturés, une consommation trop importante de ces matières grasses peut provoquer une accumulation de cholestérol dans les artères. Selon la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, « [les gras saturés] sont susceptibles d’entraîner une hausse du mauvais cholestérol », lequel constitue un facteur de risque des maladies du cœur et de l’AVC.
Quant au sucre, voici ce que dit la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC :
Une consommation excessive de sucre est associée aux maladies du cœur, à l’AVC, à l’obésité, au diabète, à l’hypercholestérolémie, au cancer et aux caries dentaires.
Aucune de ces substances ne poserait problème si les Canadiens n’en consommaient que d’infimes quantités. Ce n’est malheureusement pas le cas. L’alimentation des Canadiens est composée en majeure partie d’aliments ultra-transformés, qui sont riches en sel, en sucre et en gras saturés, éléments qui sont eux‑mêmes associés à un risque accru de mortalité et qui augmentent aussi le risque de souffrir des problèmes de santé que je viens de mentionner.
De plus, au Canada, ce sont les enfants de 9 à 13 ans qui consomment le plus d’aliments ultra-transformés, qui comptent pour près de 60 % de leur alimentation, selon un mémoire présenté à notre comité par la coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants. C’est ce qui a contribué notamment à l’augmentation alarmante du taux d’obésité juvénile au pays, qui est documentée dans de nombreuses sources, y compris une étude menée en 2016 par notre propre Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui s’est penché sur la montée de l’obésité juvénile et les répercussions qu’elle peut avoir notamment sur la santé mentale et le bien-être des enfants. Je souligne en passant que le rapport du comité, appuyé par l’ensemble du Sénat, recommandait également que le gouvernement interdise la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. Quelle prévoyance de la part de cette Chambre.
J’aimerais maintenant parler de la publicité destinée aux enfants.
Comme le dit le préambule du projet de loi C-252 et comme l’ont affirmé des témoins au comité, les enfants sont particulièrement vulnérables aux publicités commerciales et susceptibles de voir leurs préférences et leurs choix alimentaires être influencés par ces publicités.
Les enfants de moins de 5 ans sont généralement incapables de faire la distinction entre la publicité et la programmation, et la plupart d’entre eux ne comprennent pas à quoi sert la publicité tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge de 8 ans. À l’âge de 12 ans, ils comprennent que les publicités sont conçues pour vendre des produits, mais ils ne sont peut-être pas conscients de l’intention persuasive de celles-ci. Plus les enfants sont exposés à la publicité sur les aliments, plus ils sont susceptibles de demander ou de consommer les aliments annoncés.
Cette situation est préoccupante, car il a été systématiquement montré par des études canadiennes et internationales que les produits alimentaires faisant l’objet d’une publicité destinée aux enfants sont en grande majorité pauvres en nutriments et riches en calories. En fait, plus de 90 % des publicités pour les aliments et les boissons que les enfants regardent à la télévision et en ligne concernent des aliments ultra-transformés ou des aliments contenant des quantités élevées de sucre, de graisses saturées ou de sodium, selon le mémoire présenté par la coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants.
Ce genre de publicités attire les enfants grâce à la conception des produits, l’utilisation de personnages de dessins animés ou autres, de l’humour, de thèmes comme ceux de l’aventure ou du merveilleux, ainsi que d’autres techniques publicitaires. Il est clair que ces techniques fonctionnent, puisque les enfants, dès l’âge de 3 ans, sont sensibles aux marques et sont capables de reconnaître ou de nommer des marques d’aliments et de boissons, selon un mémoire soumis au comité.
Le Dr Tom Warshawski, pédiatre consultant et président de la fondation Childhood Healthy Living, a déclaré au comité :
Malheureusement, les publicités d’aliments ultratransformés qui ciblent les enfants sont efficaces. Les publicités influencent les préférences alimentaires des enfants, elles les poussent à harceler leurs parents pour qu’ils achètent des produits et elles font augmenter leur consommation de ces produits.
Il y a plus d’une décennie, l’augmentation de l’obésité juvénile, la consommation croissante d’aliments ultratransformés par les enfants et l’essor des techniques de publicité omniprésente, qui incluent désormais des applications en ligne, ont suscité une grande inquiétude dans le milieu de la santé, à l’échelle internationale et nationale, et déclenché la recherche de solutions.
En 2010, l’Organisation mondiale de la santé a demandé une action mondiale pour réduire ce type de publicités auprès des enfants et elle a formulé 12 recommandations pour guider ses États membres, notamment l’autoréglementation et les approches volontaires. En juillet 2023, l’organisation a modifié ses conseils et elle demande désormais des politiques globales et obligatoires. Pourquoi ce changement? Parce que des preuves solides montrent l’incidence continue de la publicité sur les enfants et les piètres résultats des approches menées par l’industrie. Comme l’a déclaré l’Organisation mondiale de la santé en juillet dernier :
La publicité agressive et omniprésente d’aliments et de boissons riches en graisses, en sucres et en sel auprès des enfants est à l’origine de choix alimentaires malsains [...] Les demandes visant à adopter des pratiques publicitaires responsables n’ont pas eu d’incidence significative. Les gouvernements doivent mettre en place des règlements rigoureux et complets.
Au vu de ces preuves irréfutables, un certain nombre de pays ont pris des initiatives obligatoires et réglementaires pour restreindre la publicité destinée aux enfants : le Mexique, l’Argentine, le Chili, le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal et la Norvège. Par exemple, le Royaume-Uni a interdit ce type de publicité à la télévision entre 5 heures et 21 heures, ainsi que la publicité en ligne.
Bien entendu, l’exemple le plus important d’initiative obligatoire est celui du Québec, qui dispose depuis 1980 de la Loi sur la protection du consommateur, une loi qui interdit la publicité à but commercial pour tous les biens et services destinés aux enfants de moins de 13 ans. Il est tout à fait remarquable que le Québec, en 1980, ait été si en avance sur les développements qui ont eu lieu des années plus tard. Quelle clairvoyance de la part de cette province!
Les dispositions législatives du Québec ont résisté à d’importantes contestations judiciaires. Dans une décision historique rendue en 1989, la Cour suprême du Canada a conclu que les dispositions législatives du Québec qui imposent des restrictions à la publicité destinée aux enfants étaient valides et justifiées selon l’article premier de la Charte des droits et libertés.
La Cour a aussi dit ceci :
L’objectif de réglementer la publicité commerciale destinée à des enfants est conforme au but général d’une loi sur la protection du consommateur, [c’est-à-dire] de protéger un groupe qui est très vulnérable à la manipulation commerciale. Les enfants n’ont pas les capacités des adultes pour évaluer la force persuasive de la publicité. [J]usqu’à l’âge de treize ans[,] les enfants peuvent être manipulés par la publicité commerciale [...]
Notez les mots « manipulés par la publicité commerciale ». Chers collègues, gardons à l’esprit ces mots du plus haut tribunal de notre pays pendant nos délibérations sur le projet de loi.
À l’extérieur du Québec, les restrictions sur la publicité destinée aux enfants ont été guidées par l’autoréglementation de l’industrie. De 2007 à 2020, les entreprises d’aliments et de boissons ont établi un programme à participation facultative pour restreindre la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants, programme qui a été remplacé par un nouveau code en 2023.
Ces initiatives ont fait l’objet de nombreux commentaires de la part des témoins qui ont comparu devant notre comité. Permettez-moi de citer la professeure Monique Potvin Kent de l’Université d’Ottawa, une experte renommée en la matière. Le 20 novembre, elle a déclaré ceci au comité :
Depuis 2005, j’ai également mené un très grand nombre de recherches […]
— elle a parlé de plus de 60 études —
[…] qui ont évalué l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants, qui est le code d’autorégulation récemment démantelé. Dans chaque étude, j’ai conclu que ce code ne protège pas suffisamment les enfants contre la publicité d’aliments malsains. Les recherches réalisées dans le monde — aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande — sont parvenues à des conclusions similaires. L’autorégulation n’est pas efficace pour réduire l’exposition des enfants à la publicité d’aliments malsains.
Dans une grande étude sur l’exposition des enfants à la publicité télévisée, Mme Potvin Kent a constaté que les entreprises qui participaient à cette initiative de l’industrie, qui avaient signé le code restrictif, étaient plus susceptibles de faire de la publicité pour des aliments moins sains destinée aux enfants que les entreprises qui ne participaient pas au programme de l’industrie.
Plus précisément, 80 % des aliments et des boissons annoncés par les entreprises participant à l’initiative étaient moins sains en ce qui a trait à la teneur en matières grasses, en sucres, en sodium, etc., contre 55 % des aliments annoncés par les entreprises qui ne participaient pas à l’initiative.
Ces résultats sont vraiment inquiétants, car nous parlons d’enfants vulnérables.
La conclusion est sans appel : les recherches menées au Canada et dans le monde ont montré à maintes reprises que l’autoréglementation de l’industrie ne permet pas de protéger efficacement les enfants contre l’exposition aux publicités sur certains aliments et boissons.
Chers collègues, d’après ce que j’ai vu et entendu de la part de la communauté des professionnels de la santé et d’après ma propre étude sur ce sujet, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le code nouvellement adopté par l’industrie — un code mis en œuvre l’année dernière, intitulé Code des pratiques responsables en matière de publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants —, obtienne de meilleurs résultats que les efforts précédents, malgré l’enthousiasme en sa faveur exprimé par les représentants de l’industrie qui ont témoigné devant le comité la semaine dernière.
Permettez-moi de faire quelques remarques sur ce code de l’industrie, en m’appuyant sur le code lui-même et sur les témoignages des représentants du secteur de la santé et des experts entendus par le comité. Tout d’abord, le nouveau code ne tient pas compte de la santé des enfants, comme le fait le projet de loi C-252. En fait, le code ne mentionne pas une seule fois la « santé des enfants ». Nous devons donc supposer que le code de l’industrie a d’autres objectifs qui n’ont rien à voir avec la santé des enfants.
Le champ d’application du code exclut de nombreuses techniques de marketing...