La Loi sur l'assurance-emploi—Le Règlement sur l’assurance-emploi
Motion de sous-amendement--Ajournement du débat
25 octobre 2022
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que la motion d’amendement ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée :
1.par adjonction des mots « des témoins additionnels, y compris » entre les mots « afin qu’il entende » et « le directeur parlementaire du budget » dans le premier paragraphe;
2.par suppression du dernier paragraphe.
Honorables sénateurs, je trouve magnifique que le Sénat du Canada consacre du temps à la situation des personnes marginalisées et défavorisées de l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Cela montre que nous nous concentrons sur une partie fort importante de notre travail, soit de représenter les régions et de parler des enjeux dont on ne parle peut-être pas assez et pour lesquels le Parlement n’intervient pas toujours de façon à répondre à l’ensemble des questions.
Je veux soutenir le sous-amendement, parce que le sujet sur lequel porte le projet de loi S-236 est au cœur d’un problème national important, soit la crise du manque de main-d’œuvre qui touche les entreprises.
Je voudrais parler un peu de ce que j’ai vécu sur l’île. La première fois que j’ai travaillé là-bas, c’était dans les années 1990. Je travaillais pour un conseil et je devais parfois lui présenter les enjeux qui inquiétaient les employés ou pour lesquels ces derniers souhaitaient voir certaines améliorations afin de pouvoir mieux faire leur travail. On me répondait souvent : « Eh bien, ils ont déjà de la chance d’avoir un emploi. »
À une certaine époque, c’était un point de vue bien ancré au Canada. Les gens faisaient la file pour vous remplacer, alors vous aviez de la chance d’avoir cet emploi et si vous ne vouliez pas faire le travail comme on vous le disait, on pouvait vous remplacer.
Les choses sont différentes aujourd’hui. Vingt-cinq ans plus tard, l’Île-du-Prince-Édouard a en fait la population la plus jeune du Canada atlantique — c’est la population qui croît le plus rapidement dans tout le pays. La province a été le théâtre d’énormes changements depuis les années 1990. Je me souviens que l’ancien premier ministre, Wade MacLauchlan, était président de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, ou UPEI, et que la crise était si grave, avec une population vieillissante et l’absence d’un environnement de travail dynamique, qu’il a dit : « Est-ce que la dernière personne à quitter l’Île-du-Prince-Édouard pourrait éteindre les lumières en sortant? » C’était une période très difficile.
Pour vous donner une idée, entre septembre 2021 et septembre 2022, 2 300 emplois ont été créés à l’Île-du-Prince-Édouard, surtout dans les secteurs manufacturier et de la construction. Il s’agit d’emplois qui n’existaient pas il y a un an. Beaucoup de personnes déménagent à l’Île-du-Prince-Édouard. L’an dernier, 4 800 personnes sont venues s’installer dans l’île, ce qui représente la plus forte croissance démographique en 50 ans. Le problème, c’est que cette croissance a exacerbé une pénurie de logements qui est elle-même exacerbée par une pénurie de main-d’œuvre. En effet, 1 000 postes en construction sont à pourvoir en ce moment dans la province.
Le secteur du tourisme de l’Île-du-Prince-Édouard a travaillé vraiment fort pour créer une saison intermédiaire afin que les entreprises touristiques ne fassent pas seulement de l’argent en juillet et en août, mais plutôt à partir d’avril jusqu’en novembre. Cette saison intermédiaire a toujours été affectée par la baisse du nombre d’étudiants disponibles pour occuper des postes vu qu’ils retournent à l’école, mais la situation est encore pire maintenant, car il n’y a plus de travailleurs pour remplacer cette main-d’œuvre pendant la saison intermédiaire. Il a été très difficile pour la province de parvenir à prolonger la durée de la saison touristique.
Depuis la pandémie, les petites entreprises de l’île n’arrivent pas à embaucher le personnel dont elles ont besoin pour répondre à la demande. Les pénuries de main-d’œuvre n’ont jamais été aussi marquées. Nous nous sommes déplacés dans le Canada atlantique, et c’est aussi la réalité en Nouvelle-Écosse. Quand j’ai fait une tournée de différentes entreprises néo-écossaises, j’ai constaté que c’était un problème crucial, surtout en milieu rural. Dans bien des cas, on n’arrive pas à convaincre des gens d’aller s’installer dans ces régions, et les entreprises sont vraiment en mauvaise posture. Nous ne sommes plus dans une ère de pénuries d’emplois, mais bien dans une ère de pénuries de main-d’œuvre généralisées et croissantes. Les ententes fédérales-provinciales relatives au marché du travail sont toutefois fondées sur les pénuries d’emplois; elles supposent des pénuries d’emplois et elles sont fondées sur ce paradigme. Le réexamen dont la sénatrice Bellemare et bon nombre d’entre nous ont parlé serait donc vraiment important, selon moi.
J’aimerais vous donner un aperçu des risques qui planent au‑dessus des entreprises d’un bout à l’autre du pays, évidemment, mais de manière plus prononcée en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard. Dans une région rurale de ma province, l’un des principaux employeurs est une entreprise très lucrative et très respectée dont 30 % de la main-d’œuvre est âgée de plus de 55 ans. Il n’y a aucune relève. Il faut résoudre le problème de la pénurie de travailleurs dans notre pays. À mon avis, le défi que l’on constate à l’Île-du-Prince-Édouard est révélateur des défis qui touchent le pays dans son ensemble, compte tenu du fait que notre système repose sur le manque d’emplois plutôt que sur le manque de travailleurs. Le système fait en sorte qu’il est plus avantageux pour les gens de la seconde zone de demeurer à la maison et de travailler moins. C’est le résultat concret.
Je respecte les inquiétudes qui ont été soulevées par mes honorables collègues. Je crois fermement qu’il faut trouver des solutions pour chacune d’elles. Toutefois, j’aime bien que le sénateur Black ait proposé un sous-amendement qui nous permet d’examiner la question parce que dans les régions agricoles et rurales, le défi est énorme. Il est absolument essentiel de déterminer comment revoir les programmes qui soutiennent les personnes sans emploi.
En conclusion, j’espère que nous voterons en faveur du sous‑amendement et que nous donnerons au Comité de l’agriculture et des forêts la latitude et le temps dont il a besoin. Le fait que le comité se penche sur cette question me semble très logique. Les petites entreprises doivent relever un défi de taille. Elles ont besoin d’aide pour pourvoir les emplois et elles ne veulent pas que l’on incite les gens à rester chez eux.
Comme nous le savons tous, le succès des entreprises repose sur la qualité et la fiabilité de la main-d’œuvre, mais le projet de loi S-236 s’attaque au problème de la pénurie de main-d’œuvre sur l’île. Comme le comité l’a entendu lors de son étude, en mai dernier, la situation est pire dans les régions rurales. Il est beaucoup plus difficile pour certaines entreprises qui s’y trouvent d’attirer des gens et d’avoir la capacité de créer la valeur qu’elles pourraient offrir à leurs clients.
Chers collègues, j’espère que vous étudierez cet aspect de la question avec sérieux parce qu’il a des répercussions négatives sur les entreprises qui tentent de se remettre sur pied après les difficultés vécues au cours de la pandémie de COVID. Merci beaucoup, chers collègues.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Il fut une époque où je travaillais au Conseil économique du Canada, à la fin des années 1980 et au début des années 1990. À cette époque, nous avions mené une vaste étude; étiez-vous au courant des résultats de cette étude?
Cette étude démontrait clairement, en raison de l’importante pénurie d’emplois et de la façon dont fonctionnait le programme d’assurance-emploi, que, dans plusieurs régions, au Québec comme dans les Maritimes, les entreprises — pas les travailleurs — intégraient dans leurs procédures de gestion des ressources humaines la notion de partage de l’emploi. Cela ne venait pas tant des personnes, mais les entreprises avaient vraiment intégré le partage de l’emploi dans leurs propres pratiques.
C’est donc un des éléments qu’il faut changer, c’est-à-dire les pratiques des entreprises, afin d’assurer plus de stabilité dans l’emploi et de conserver la main-d’œuvre.
Étiez-vous au fait de cette étude?
Je ne suis pas du tout étonné que vous ayez participé à une initiative aussi novatrice à cette époque. Je vous remercie de la question, sénatrice Bellemare. Elle va au cœur même de ce que la sénatrice Pate a proposé. Cherchons d’autres façons d’élargir les débouchés pour tous, que ce soit en mettant en œuvre un programme pilote de revenu de subsistance garanti ou en mettant en place un programme de travail partagé. Nous pouvons nous pencher sur différentes solutions, mais nous devons trouver une façon d’assurer la prospérité des entreprises dans nos collectivités. C’est une idée très novatrice qui, dans le cas qui nous occupe, ne pourra pas s’appliquer tant que la deuxième zone encouragera les gens à rester chez eux et à toucher des prestations d’assurance-emploi ou à n’occuper que des emplois à temps plein. Merci.
Sénateur, accepteriez-vous de répondre à une autre question?
Absolument.
Sénateur Deacon, je viens d’une région rurale où les hivers sont très rudes. Je dirais que de 30 % à 35 % des entreprises y sont saisonnières — le sénateur Mockler pourra peut‑être le confirmer —, et les entreprises saisonnières ont besoin d’employés saisonniers. J’aimerais que vous expliquiez au Sénat pourquoi vous avez dit à quatre reprises dans votre bref discours que les travailleurs saisonniers qui reçoivent des prestations d’assurance-emploi sont encouragés à rester chez eux. Au cours de mes nombreuses années en tant que parlementaire et de mes discussions avec les gens de ma région rurale, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aime rester à la maison et devoir survivre grâce aux prestations d’assurance-emploi. Pourriez-vous préciser pourquoi ce projet de loi inciterait selon vous les gens à rester à la maison?
Merci beaucoup, sénatrice Ringuette. Si l’on doit travailler 100 heures de moins pour être admissible à l’assurance-emploi et que quelqu’un de l’autre côté de la rue doit travailler 100 heures de plus, on est fortement incité à travailler strictement le nombre d’heures requis. Voilà ce à quoi je fais référence. Si l’on se trouve dans une situation où il y a beaucoup d’emplois, et beaucoup d’emplois non pourvus, il faut faire en sorte de changer le système d’une manière ou d’une autre, de façon à ce que les gens aient une raison de continuer à chercher un emploi au lieu d’abandonner plus tôt dans la saison.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Absolument.
Sénateur Deacon, je comprends très bien le problème que vous avez évoqué, à savoir qu’il n’y a pas assez de personnes pour occuper les emplois disponibles au pays. Il me semble cependant que c’est un peu exagéré, car vous n’avez pas l’ombre d’une preuve pour suggérer que les travailleurs de la zone dont il est question sont incités à rester à la maison. Le régime d’assurance-emploi le prévoit et beaucoup de données indiquent que si un travailleur n’accepte pas un emploi disponible, il perdra les prestations de l’assurance-emploi.
Je comprends qu’il n’y a pas assez de personnes pour occuper les emplois disponibles dans certaines régions du pays, mais il faut aussi comprendre que dans certains secteurs de ce pays, il existe des économies régionales. Ce n’est pas seulement le cas à l’Île-du-Prince-Édouard, mais c’est le cas dans de nombreuses régions du pays, et le régime d’assurance-emploi a dû être adapté pour composer avec cette réalité. Dans certaines parties du Québec, on retrouve une économie régionale. Il y existe une zone d’assurance-emploi qui englobe la région en question en y reconnaissant une économie régionale.
Je veux être bien honnête parce que je ne pense pas que c’est ce que vous vouliez dire. Les travailleurs dont il est question, en grande partie, vivent des situations difficiles. Il n’est pas juste de laisser entendre qu’ils sont en quelque sorte paresseux ou qu’ils ne veulent pas travailler. J’en connais beaucoup. Toute ma vie, je les ai représentés. Je comprends qu’il faut faire en sorte que les travailleurs aient les compétences et la capacité nécessaires pour accepter les emplois disponibles afin qu’ils continuent à travailler, mais je ne pense pas qu’il est juste de laisser entendre que les gens de cette région en particulier, à l’Île-du-Prince-Édouard, sont encouragés à rester à la maison. Sénateur Deacon, vous pourriez peut-être clarifier votre point de vue au moyen de données statistiques qui m’aideraient à être plus à l’aise avec votre déclaration.
Merci, sénateur Yussuff. C’est la raison principale pour laquelle je recommande que la question soit étudiée par le Comité de l’agriculture. Je suis déçu de ne plus y siéger. J’aimerais faire partie des discussions sur le sujet parce qu’il est crucial. Lorsqu’il y a deux zones et qu’il y a des emplois disponibles dans l’une d’entre elles seulement — dans un endroit aussi petit que l’Île-du-Prince-Édouard —, je ne pense pas que nous créons les circonstances nous permettant de gérer un système qui fait en sorte que tous les emplois sont pourvus pour que l’économie soit aussi forte que possible.
En ce moment, il y a un énorme problème de pénuries de main‑d’œuvre qui s’aggrave en raison du manque de logements, de travailleurs de la construction et de travailleurs qui font vivre les entreprises. J’espère vraiment que les questions que la sénatrice Ringuette et vous avez posées seront étudiées par le Comité de l’agriculture parce que c’est important.
Souhaitez-vous poser une question, sénateur Downe?
Oui.
Le temps de parole du sénateur Deacon est écoulé.
Sénateur Deacon, demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à d’autres questions?
Si c’est la volonté du Sénat.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Merci. Je tiens moi aussi à critiquer les remarques faites plus tôt par le sénateur Deacon. Je sais qu’il connaît bien l’Île-du-Prince-Édouard parce qu’il y a vécu de nombreuses années, mais ses connaissances ne sont peut-être pas tout à fait à jour. Nous avons les salaires les plus bas et le taux d’inflation le plus élevé du pays. Ces deux facteurs combinés incitent les gens à ne pas chercher d’emploi, alors que leurs revenus sont si faibles parce que nous avons les plus bas salaires au Canada. Nous devons être très conscients de la situation économique générale.
Sénateur Deacon, comme vous, j’appuie le sous-amendement. Je pense qu’il élargit la gamme d’options qui nous sont offertes et nous donne le temps de nous livrer à une réflexion plus approfondie. Je n’étais pas au courant du rapport du directeur parlementaire du budget avant que la sénatrice Ringuette en parle, et je l’en remercie parce que c’est important. Le directeur parlementaire du budget, comme nous le savons, fait un excellent travail. Sénateur Deacon, en plus du directeur parlementaire du budget, quels autres témoins suggéreriez-vous pour cet examen, si c’est vous qui deviez choisir?
Je recommanderais de parler aux chambres de commerce et aux associations des secteurs de la construction, du tourisme et de la restauration pour savoir ce qui se passe en première ligne dans les entreprises de l’île afin de bien comprendre les effets concrets de la pénurie de main-d’œuvre dans la province. Ainsi, nous pourrions aller au cœur du problème et savoir si ces questions y sont liées de quelque manière que ce soit — elles ne le sont peut-être pas, là n’est peut-être pas le problème. Je considère qu’il y a un élément à prendre en compte ici. Il est certain que les personnes qui ont témoigné en mai devant le Comité de l’agriculture ont dit que la pénurie de main-d’œuvre était largement à l’origine de leur désir de voir ce changement. J’encourage le comité à tenir compte de ce type de témoignages.
Comme l’a mentionné la sénatrice Ringuette un peu plus tôt, nous avons une économie hautement saisonnière. Une grande partie de notre prospérité découle de cette économie saisonnière. Cependant, personne ne récolte de pommes de terre en février, personne ne pêche le homard en mars et personne que je connaisse ne veut me rendre visite en avril parce qu’il fait toujours plus beau ailleurs. Nous avons des industries qui dépendent fortement d’une période de 14 à 16 semaines pour contribuer au PIB de l’Île-du-Prince-Édouard. Comme vous l’avez mentionné dans vos observations, la province a connu une croissance extraordinaire au cours de la dernière décennie, non seulement en termes de population, mais également en termes de prospérité.
C’est en partie grâce à l’assurance-emploi. C’est un revenu de contrepartie pour les personnes qui ne peuvent pas travailler dans les domaines de l’agriculture, de la pêche ou du tourisme en hiver. En plus des témoins que vous avez suggérés, j’ajouterais, pour équilibrer un peu les choses, que nous devons entendre des représentants de syndicats, des travailleurs et des travailleurs saisonniers dont la voix est marginalisée dans la société civile en ce qui a trait, notamment, à l’emploi et aux salaires.
Merci. Absolument, sénateur Downe. Je ne crois pas que l’objet du débat soit de déterminer si oui ou non on devrait offrir de l’assurance-emploi aux habitants de l’île. Ce que nous débattons réellement, c’est la question de savoir si le fait de devoir travailler plus d’heures pour être admissible à l’assurance-emploi constitue un problème pour les habitants de la province. Vos suggestions de témoins sont importantes. J’espère que vos voisins de banquette et le comité directeur du Comité de l’agriculture en tiendront compte lorsqu’ils choisiront les témoins. Vous soulevez des points très importants.