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Projet de loi sur le cadre national sur l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale

Deuxième lecture--Suite du débat

15 novembre 2022


Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir pour parler du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, l’ETCAF. J’appuie fortement le projet de loi du sénateur Ravalia, et je lui suis reconnaissant de son initiative.

Avant d’être nommé au Sénat, j’étais membre et futur président du conseil d’administration du réseau Kids Brain Health, qui soutenait la mobilisation des recherches liées à l’autisme, à l’ETCAF et à la paralysie cérébrale. C’est dans ce contexte que j’ai découvert la terrible réalité associée à l’ETCAF ainsi que l’isolement, les risques, la souffrance et les traumatismes qui sont le lot de beaucoup d’enfants et de leur famille.

Mes observations s’articuleront principalement autour de quatre points : premièrement, l’ETCAF est un problème qui touche tout le monde, un problème que le jugement des autres et la honte viennent grandement alourdir. Deuxièmement, il est beaucoup plus coûteux de ne rien faire pendant toute la vie d’une personne née avec un trouble causé par l’alcoolisation fœtale que de choisir n’importe quelle autre option. Troisièmement, les diagnostics et les interventions précoces sont cruciaux si l’on souhaite réduire les coûts cumulatifs tout au long de la vie. En ce moment, toutefois, la plupart des familles n’ont pas accès à la grande majorité des approches et des outils fondés sur des données probantes. Quatrièmement, les options de prestation de services à distance sont très prometteuses. Elles pourraient permettre au Canada de devenir un chef de file mondial tout en l’aidant à répondre aux besoins des enfants, des familles, des éducateurs et de beaucoup d’autres personnes touchées par l’ETCAF. Ces options sont vraiment importantes.

Pour revenir à mon premier point, l’ETCAF est un problème qui touche tout le monde. Au Canada, environ 70 % des femmes en âge de procréer boivent, et 50 % des grossesses ne sont pas prévues. Grâce à diverses études épidémiologiques, nous savons qu’environ 30 % des foetus sont exposés à l’alcool dans une certaine mesure, le plus souvent au cours du premier trimestre de grossesse, avant même que la femme ne sache qu’elle est enceinte.

Une étude réalisée récemment par l’Université de Californie à San Francisco a révélé qu’un tiers des femmes découvrent qu’elles sont enceintes après six semaines ou plus de grossesse. Ce chiffre s’élève à près de deux tiers chez les jeunes femmes, et les femmes marginalisées sont encore plus susceptibles d’apprendre qu’elles sont enceintes après sept semaines de grossesse.

En bref, je pense qu’au comité, il sera important d’essayer de comprendre dans quelle mesure la crainte du jugement et le sentiment de honte peuvent dissuader les femmes de chercher à subir rapidement un dépistage et à obtenir un traitement pour l’ETCAF lorsque cela est possible.

J’en viens maintenant à mon deuxième point, à savoir le coût élevé de l’inaction. On a tenté à quelques reprises de calculer le coût de l’ETCAF pour l’économie canadienne. En se fondant sur une prévalence de 1 %, un chercheur du Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CTSM, a estimé que le coût direct de l’ETCAF était d’environ 1,8 milliard de dollars par an. Cependant, encore une fois, des études épidémiologiques indiquent que la véritable prévalence de l’ETCAF au Canada est plus proche de 4 %, ce qui représente vraisemblablement un coût plus proche de 6 ou 7 milliards de dollars par an.

Or, ces coûts ne se limitent pas au système de santé contrairement à ce que je croyais lorsque j’ai commencé à me renseigner au sujet de l’ETCAF. La tragique ironie de la situation est que la majeure partie des coûts liés à l’ETCAF au Canada doivent être assumés par le système de justice. Les jeunes atteints de l’ETCAF sont 19 fois plus susceptibles que les autres jeunes de se retrouver en prison. On estime que les coûts totaux liés à l’ETCAF que doit assumer le système de justice frôle les 4 milliards de dollars par année. Pensez-y : nous consacrons près de 4 milliards de dollars aux interventions de la justice pénale concernant des personnes atteintes de l’ETCAF et nous sommes contraints de le faire à cause de blessures au cerveau subies in utero qui n’avaient pas été diagnostiquées ou pour lesquelles aucune intervention n’était possible.

Lorsque le comité étudiera le projet de loi S-253, j’espère qu’il se penchera sur le coût de l’inaction pour les familles, les écoles et les enfants concernés, ainsi que sur tous les coûts que doivent assumer les services sociaux, le système de santé, le système de justice et le système correctionnel canadiens.

Enfin, plus important encore, pensez aux coûts liés aux occasions perdues en raison de toutes les vies qui ne pourront être vécues pleinement à cause de notre inaction.

Parlons maintenant de mon troisième point : le diagnostic et l’intervention précoces. À l’heure actuelle, les lignes directrices canadiennes recommandent ou bien le diagnostic ou bien la désignation « à risque » des nourrissons dès l’âge de six mois. Toutefois, la réalité, c’est que la plupart des centres de diagnostic ne verront pas l’enfant avant l’âge de six ans, et les enfants qui s’adonnent à être aiguillés vers ces centres pour une évaluation attendent habituellement plus de deux ans avant d’être vus en raison des capacités de diagnostic inadéquates.

Les enfants de moins de six ans sont ceux qui bénéficient le plus des interventions qui atténuent de manière éprouvée les conséquences à long terme de l’exposition prénatale à l’alcool. Pourtant, à ce jour, nous fermons systématiquement la porte à cette possibilité pour pratiquement tous les enfants et toutes les familles.

Le dépistage précoce permet l’intervention précoce. Le Réseau pour la santé du cerveau des enfants a fait valoir et a cofinancé des techniques qui ont permis à des enfants ayant reçu un diagnostic de troubles causés par l’alcoolisation fœtale de se voir offrir de véritables soutiens en bas âge de sorte qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel et jouir d’une qualité de vie nettement supérieure. Un avenir beaucoup plus brillant, plus sécuritaire et moins coûteux attend ces enfants et ces familles qui choisissent d’avoir recours à ces techniques.

J’espère que le comité consacrera également du temps à trouver des solutions pour surmonter les barrières systémiques qui empêchent le diagnostic efficace et économique ainsi que certaines stratégies de traitement de devenir la norme de soins dans l’ensemble du Canada.

Les obstacles systémiques existent à cause des préjugés, des ressources limitées et de l’accès limité aux technologies et à la connectivité, notamment le cloisonnement qui résulte du fait que le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale n’est la responsabilité d’aucun corps ou groupe, ni au sein de ni parmi les pouvoirs publics. Ce trouble est la responsabilité de tout le monde, ainsi, ce n’est la responsabilité de personne.

Quatrièmement, je veux parler de l’importance d’exploiter au mieux le soutien à distance pour les éducateurs, les parents et les enfants. Divers systèmes de soutien et de services à distance existent déjà. L’institut des familles solides en est un bon exemple. Établis en Nouvelle-Écosse, ils offrent des services à distance dans cette province ainsi que dans plusieurs autres provinces et territoires. Des services comme ceux-ci ont formé des paraprofessionnels qui offrent aux familles des programmes d’encadrement à distance, afin de les aider à faire face à des problèmes tels que l’inattention, l’impulsivité, la non-conformité et l’agressivité, à la maison ou à l’école, des problèmes très courants chez les enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux comme les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.

En tant qu’entrepreneur ayant dirigé une entreprise qui offrait une intervention en lecture efficace, économique et fondée sur des données probantes, en tant qu’entrepreneur commercialisant des recherches universitaires et en tant que bénévole au sein du Réseau pour la santé du cerveau des enfants, j’ai vu beaucoup trop de connaissances susceptibles d’améliorer la vie des gens qui n’ont jamais connu une application pratique. Vous m’avez entendu dire d’innombrables fois que le Canada possède un moteur de recherche phénoménal, mais que nous n’avons pas encore construit la transmission fiable qui convertira l’excellence de cette recherche en possibilités, en emplois et en prospérité.

Dans le cas des troubles neurodéveloppementaux, cela signifie que les enfants, les familles et les collectivités souffrent inutilement et que la société paie un coût beaucoup plus élevé. Partout au Canada, les enfants, les parents et les familles ont désespérément besoin d’un accès économique à des outils de diagnostic et d’intervention efficaces et fondés sur des données probantes.

Pour conclure, lors de son étude, j’espère que le comité se montrera sensible au besoin de ne pas forcer par inadvertance divers groupes de personnes handicapées sous-financés et mal desservis à se disputer de trop rares ressources. Cela me fait penser au projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme, que le Sénat a adopté à l’étape de la troisième lecture au printemps, et qui a depuis été présenté à l’autre endroit. C’est un projet de loi formidable, mais on peut comprendre la colère accumulée par les familles qui, malgré les besoins immenses, ne reçoivent que peu d’attention et de ressources. Ce ressentiment est d’autant plus grand quand, en répondant aux besoins de certains groupes de personnes handicapées, on se trouve à exclure ceux qui vivent avec d’autres handicaps.

Par conséquent, lorsque le projet de loi S-253 sera étudié au comité, j’espère qu’on trouvera des façons de mieux inclure l’ensemble des handicaps pour aider les enfants et les parents à composer avec les effets des troubles neurodeveloppementaux. Merci, chers collègues.

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