Projet de loi no 2 sur l'allègement du coût de la vie (soutien ciblé aux ménages)
Troisième lecture--Débat
17 novembre 2022
Propose que le projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allégement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif. Je souhaite remercier les membres du Comité des finances nationales du travail qu’ils ont fait dans le cadre de l’étude de ce projet de loi, ainsi que les personnes ayant rendu des témoignages à ce sujet.
Honorables sénateurs, le projet de loi dont nous sommes saisis vise simplement à aider les personnes qui en ont besoin, qu’il s’agisse d’aider les Canadiens à faible revenu à composer avec la hausse des loyers ou de s’assurer que les familles à faible et à moyen revenus ont les moyens financiers d’offrir des soins buccodentaires de base à leurs enfants. Je tiens à préciser clairement que tant les prestations dentaires que celles pour le logement locatif sont censées être des mesures à court terme, et non des solutions à long terme. La prestation pour le logement locatif est une mesure à court terme visant à aider les nombreux Canadiens à faible revenu qui ont dû composer avec une hausse des loyers au cours de la dernière année. Quant à la prestation dentaire, il s’agit d’une mesure provisoire en attendant l’instauration d’un régime national permanent de soins dentaires pour les enfants. On a besoin de ces mesures maintenant. Le plus tôt le projet de loi sera adopté, le plus tôt les Canadiens ayant besoin d’aide pourront s’occuper de la santé et des dents de leurs enfants et, bien sûr, mettre un toit au-dessus de leur tête.
Aujourd’hui, j’aimerais expliquer en quoi consistent ces prestations — ce qui est tout aussi important que de définir en quoi elles ne consistent pas — et comment elles peuvent améliorer le sort des Canadiens à faible revenu et des familles de travailleurs. J’aimerais d’abord parler de la prestation pour le logement locatif et indiquer ce à quoi elle n’est pas censée servir. Il ne s’agit pas d’une solution à long terme à la pénurie de logements abordables au pays. Elle vise plutôt à offrir une aide à court terme pour répondre au grave problème de la hausse des loyers, attribuable en partie à un taux d’inflation sans précédent depuis 40 ans.
Selon le rapport publié en novembre par Rentals.ca, les loyers au Canada ont augmenté en moyenne de 100 $ par mois par rapport au niveau observé avant la pandémie, à l’automne 2019. La prestation fiscale ponctuelle de 500 $ vise à aider les locataires à faible revenu à composer avec la hausse des loyers à laquelle ils ont dû faire face. La plupart des locataires canadiens ont dû payer leur loyer plus cher. Cependant, les locataires à faible revenu ont été plus durement touchés par cette hausse. On estime que la prestation pour le logement locatif aidera 1,8 million de locataires à faible revenu dans l’ensemble du pays à composer avec la hausse des loyers à laquelle ils ont dû faire face. Selon les estimations, le nombre de locataires à faible revenu qui bénéficieront de cette aide s’élèvera à 17 000 à Terre-Neuve-et-Labrador, à 570 000 au Québec, à 60 000 au Manitoba, et à plus de 700 000 dans ma province, l’Ontario. Ce ne sont pas que des statistiques. Ce sont des gens qui peinent à composer avec la hausse des loyers et qui ont du mal à payer leur loyer mensuel.
Bien que la prestation pour logement locatif soit une mesure ciblée de courte durée, le gouvernement met aussi en œuvre, dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement, de nombreuses initiatives à long terme qui visent à concrétiser le fait que le logement doit être un droit et non un privilège au Canada et à relever les défis dans ce domaine. L’Allocation canadienne pour le logement est l’un de ces programmes; c’est cette allocation que la prestation pour logement locatif vient bonifier. L’Allocation canadienne pour le logement, un programme à long terme d’une valeur de 4 milliards de dollars, fournit un soutien direct de 2 500 $ par année, en moyenne, aux familles et aux personnes qui ont des besoins en matière de logement. Ces deux programmes faciliteront considérablement la vie des Canadiens qui ont du mal à payer leur loyer mensuel.
Parlons maintenant de la prestation dentaire qui viendra en aide à environ 500 000 enfants de moins de 12 ans dont la famille a un revenu faible ou moyen. Cette prestation ne vise pas à couvrir tous les soins dentaires dont les enfants ont besoin ni à remplacer les régimes provinciaux, territoriaux et privés qui existent actuellement. L’objectif n’est pas non plus d’en faire un programme national permanent de soins dentaires pour les enfants. La prestation actuelle servira plutôt de programme temporaire en attendant qu’un programme national permanent soit instauré. D’ici là, le gouvernement compte faire le travail nécessaire pour bâtir un programme complet et durable. Pour ce faire, il devra collaborer avec les principales parties concernées, notamment les provinces et les territoires, les organisations autochtones, les associations de dentistes et l’industrie afin de guider son approche de la mise en œuvre d’un régime canadien de soins dentaires à long terme.
L’objectif de la prestation dentaire est de faire en sorte que les enfants de moins de 12 ans des familles à faible revenu aient immédiatement accès à des soins dentaires de base qui ne sont pas fournis par les régimes de soins dentaires provinciaux, territoriaux ou privés du pays. La prestation vise également à ce que les parents qui n’ont pas la capacité de payer de leur poche les soins dentaires de leurs enfants puissent en faire la demande auprès de l’Agence du revenu du Canada avant de recevoir les soins. Je sais que certains sénateurs croient que la prestation provisoire aurait pu être améliorée. Certains envisagent des amendements pour essayer de l’améliorer. Premièrement, je veux rappeler à tout le monde qu’il s’agit d’une mesure provisoire. Je m’attends à ce que le programme final qui sera élaboré à la suite de la consultation dont j’ai parlé plus tôt non seulement influe sur la teneur du débat d’aujourd’hui, mais donne aussi un meilleur programme au bout du compte. C’est par le processus de consultation que j’invite à la fois les sénateurs et les intervenants à faire connaître leurs idées pour améliorer le programme, et non en bloquant la prestation qui peut aider les enfants maintenant.
Deuxièmement, le gouvernement souhaite que cette prestation soit prête et mise en œuvre dans deux semaines, soit le 1er décembre. Il a clairement indiqué que, pour ce faire, le projet de loi doit recevoir la sanction royale d’ici demain. Tout retard risque d’obliger les parents à attendre plus longtemps afin d’avoir accès à la prestation de soins dentaires pour leurs enfants.
Chers collègues, je voudrais utiliser un exemple très personnel pour expliquer comment cette prestation peut aider les jeunes enfants. Il y a un peu plus d’un an, mon neveu et son épouse ont perdu la vie dans des circonstances extrêmement tragiques. Ils ont laissé dans le deuil quatre garçons orphelins, tous âgés de moins de 12 ans. Comme notre famille fait son possible pour prendre soin d’eux, je sais qu’il ne sera pas facile d’élever ces quatre garçons pour qu’ils aient une vie décente. Leurs grands-parents, qui sont âgés, doivent maintenant assumer cette responsabilité. Je sais que cette prestation aura des répercussions sur leur vie et sur celle de nombreux enfants au Canada. Le fait est que, dans ma famille, nous faisons de notre mieux pour aider ces quatre garçons à devenir des adultes responsables tout en nous efforçant de répondre à tous les besoins qu’ils auront dans leur jeune vie. Ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile pour les nombreuses familles qui peinent à combler les besoins essentiels de leurs enfants.
Je suis aujourd’hui sénateur, mais je viens d’un milieu modeste. Je comprends ce que c’est que d’avoir des difficultés à subsister. Je suis convaincu que tous les sénateurs ont des êtres chers, des amis ou des collègues qui bénéficieront de cette prestation.
En terminant, j’espère que vous comprenez mieux ce que cherche à accomplir et ce que ne cherche pas à accomplir la mise en œuvre de ces deux prestations. L’Allocation canadienne pour le logement doit aider les locataires à faible revenu à faire face à la hausse de leur loyer qui résulte de la crise inflationniste aiguë — et non pas de régler le problème systémique du manque de logements abordables dans notre pays. Parallèlement, le programme de soins dentaires prévoit des prestations provisoires, et non permanentes, pour couvrir les soins dentaires de base des enfants de moins de 12 ans qui ne sont pas déjà couverts par un autre régime de soins dentaires. Entretemps, le gouvernement lancera un processus de consultations dans le but de développer une solution à long terme pancanadienne.
Chers collègues, les mesures à court terme et provisoires prévues dans ce projet de loi peuvent grandement et immédiatement améliorer la situation des Canadiens à faible ou à moyen revenus en permettant à ceux-ci d’offrir des soins dentaires essentiels à leurs enfants et en contrant les pressions financières causées par la hausse des loyers.
Honorables sénateurs, le temps des Fêtes approche. Il s’agit d’une période qui est toujours un peu plus difficile pour les personnes à qui l’abordabilité pose problème. Ces personnes s’inquiètent alors de leurs finances et du bien-être de leurs enfants. Je vous exhorte donc, chers collègues, à garder cela à l’esprit et à adopter rapidement le projet de loi afin que nous puissions aider les Canadiens qui ont besoin de notre aide.
Je répondrai volontiers aux questions. Merci beaucoup.
Sénateur Yussuff, acceptez-vous de répondre à une question?
J’en serais honoré.
Merci beaucoup pour votre discours à l’étape de la troisième lecture et surtout pour avoir partagé cette histoire personnelle sur l’importance et la nécessité de la prestation dentaire canadienne.
Le milliard de dollars, environ, qui sera dépensé profitera effectivement à des centaines de milliers d’enfants. L’argent, bien sûr, servira à lutter contre la carie dentaire, même s’il n’y a pas d’argent prévu pour les soins dentaires préventifs. Cela ne fait pas partie de ce projet de loi — et je ne suis pas sur le point de proposer un amendement pour inclure les soins dentaires préventifs — mais pouvez-vous nous expliquer comment vous envisagez le plan à long terme, le plan de soins dentaires permanent, et si ce plan pourrait inclure quelque chose d’aussi fondamental et bénéfique que la fluoration de l’eau? Environ 60 % des Canadiens n’ont pas accès à de l’eau fluorée, y compris dans ma ville natale, Vancouver. Aux États-Unis, c’est l’inverse, seulement 40 % des Américains n’ont pas accès à de l’eau fluorée.
Je me demande si le gouvernement fédéral peut, dans son plan à long terme, réfléchir à un moyen d’inciter les municipalités à investir dans la fluoration, car il s’agit autant d’un investissement dans la santé que d’un investissement dans les infrastructures.
Merci, sénateur Woo. Je pense que vous avez soulevé un point très important auquel nous devrions tous réfléchir.
Comme vous le savez, les données scientifiques sur la fluoration sont bien connues. Il a été démontré qu’elle peut jouer un rôle extrêmement important pour prévenir les caries et favoriser des dents saines. Nous vivons dans une fédération. Comme je le dis constamment, elle est unique au monde. Les gens des différentes régions du pays s’apprécient, mais font les choses différemment. J’espère que, au bout du compte, alors que le gouvernement établit un programme national, en collaboration avec les provinces, les territoires et les organisations autochtones, cette question sera étudiée avec sérieux. Après tout, la responsabilité d’en faire une mesure obligatoire relève exclusivement des provinces. Le gouvernement fédéral ne peut pas l’imposer, mais il peut encourager les provinces à adopter cette approche. De plus, je pense qu’il est important que nous veillions à ce que les Canadiens soient informés de ce qu’est la fluoration.
Il y a encore des gens qui font valoir que la fluoration ne devrait pas être utilisée de façon régulière dans les réseaux de distribution d’eau. Pourtant, les données scientifiques sont très claires. J’espère que, au moment où le gouvernement fédéral élabore un programme national en collaboration avec les provinces et les territoires, cette question fera partie du débat qui pourrait certainement faire du Canada un meilleur endroit pour nous tous, prévenir la carie et aider les jeunes enfants à avoir un avenir meilleur.
Merci de votre discours, sénateur Yussuff.
Il y a eu un très bon article d’opinion publié cette semaine dans le Hill Times par un groupe canadien de cartes de crédit prépayées, qui disait qu’une carte de crédit prépayée pour la prestation permettrait de restreindre l’utilisation des fonds aux soins dentaires et d’éliminer le besoin d’effectuer la vérification sur papier qui avait été promise pour l’avenir. J’ose espérer que cet outil de technologie financière a été étudié lors de la conception du programme. Si ce n’est pas le cas, pourriez-vous, à un moment donné, demander aux responsables pourquoi ils ne l’ont pas fait? Y a-t-il d'autres raisons, mis à part qu'ils qu’ils considéraient que c’était plus compliqué et qu’ils ne se sont pas donné la peine de se pencher la question? Ce serait une façon de prévenir la fraude très facilement. C’est une critique sur un très bon programme. Je vous saurais gré de bien vouloir communiquer avec les responsables pour savoir si cet outil a été envisagé.
Merci, sénateur Deacon, de votre question.
Comme vous le savez, on veut mettre ce programme sur pied et débloquer les fonds nécessaires le plus rapidement possible pour les parents qui en ont besoin et qui cherchent à obtenir de soins dentaires de base pour leurs enfants. Pour ce faire, bien entendu, le gouvernement a fait appel à l’ARC, en raison de l’expérience qu’elle a très rapidement acquise dans le cadre du versement de la Prestation canadienne d’urgence, la PCU, aux Canadiens qui en avaient besoin. Vous soulevez un bon point, et il faudrait en tenir compte à l’avenir dans la prestation du programme, en collaboration avec les provinces et les territoires. Je ne manquerai pas de le soulever auprès de la ministre et de son personnel pour qu’ils y réfléchissent dans le cadre du futur programme, car je crois sincèrement que l’ARC peut le faire. Des procédures sont en place pour éviter la fraude. Comme vous le savez, toute personne déterminée à frauder peut le faire, quelles que soient les mesures que l’on met en place.
Dans le contexte de l’ARC, il est également question de verser cette prestation aux parents pour les aider à répondre aux besoins de leurs enfants. Des sanctions sont prévues si quelqu’un décide de commettre de la fraude dans ce cas.
Je reconnais que vous soulevez un point important qui devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie, et j’espère que le gouvernement y réfléchira. Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-31, Loi no 2 sur l’allègement du coût de la vie, proposé par le gouvernement afin d’offrir un soutien ciblé aux ménages à revenu faible et moyen en période de forte inflation.
Tout d’abord, je félicite et remercie le sénateur Yussuff pour son discours personnel aussi perspicace et émouvant. Merci beaucoup.
La partie 1 du projet de loi C-31 propose une prestation pour soins dentaires non imposable à l’intention des parents d’enfants de moins de 12 ans dont le revenu du ménage est inférieur à 90 000 $ et qui n’ont pas accès à une assurance dentaire. La partie 2 du projet de loi autorise une prestation unique pour logement locatif à l’intention des demandeurs admissibles qui ont payé un loyer pour leur résidence principale en 2022.
Ce fut un honneur pour moi d’étudier ce projet de loi au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Dans le cadre de nos travaux, le comité a tenu quatre réunions avec des témoins. Vingt‑cinq témoins ont comparu devant nous, y compris des fonctionnaires, le directeur parlementaire du budget, et des représentants d’associations dentaires et du secteur du logement. Nous avons aussi eu le privilège de recevoir trois ministres.
Aujourd’hui, je prendrai quelques instants pour aborder quatre sujets qui ont été explorés pendant nos réunions.
Le premier problème dont je veux parler est l’inflation. À mon avis, les sommes injectées dans l’économie dans le cadre du projet de loi C-31 ne devraient pas avoir d’effet notable sur l’inflation. J’en ai parlé lorsque j’ai livré mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-30, le remboursement de la TPS, et je maintiens ces commentaires.
Selon le directeur parlementaire du budget, la prestation pour soins dentaires coûtera environ 703 millions de dollars et le supplément unique à l’Allocation canadienne pour le logement augmentera les dépenses fédérales d’environ 940 millions de dollars. Dans une économie de 2,8 billions de dollars, l’injection d’un montant supplémentaire de 1,6 milliard de dollars est minime.
Comme je l’ai indiqué il y a quelques semaines, le doublement du crédit d’impôt pour la TPS prévu dans le projet de loi C-30 et les mesures prévues dans le projet de loi C-31 représentent des coûts additionnels équivalant à 0,1 % du PIB du Canada. Ces dépenses ne sont pas négligeables, mais elles ne sont qu’une fraction du PIB national.
Je reconnais que ces mesures augmentent les dépenses gouvernementales à un moment où l’austérité financière s’impose. Cependant, j’estime que la prestation dentaire pourrait permettre de désengorger les urgences et, au final, de réaliser des économies. Certains témoins ont affirmé au comité que 1 % des visites dans les urgences pour des problèmes dentaires non urgents ont coûté 1,8 milliard de dollars au système de santé en 2017.
Cette prestation dentaire permettra non seulement aux enfants de recevoir des soins dentaires adéquats, mais elle favorisera aussi une meilleure santé buccodentaire globale ainsi que la prévention. On sait que plus d’un Canadien sur cinq n’a pas reçu de soins dentaires faute d’en avoir les moyens. On prévoit que cette prestation provisoire permettra à quelque 500 000 enfants de recevoir enfin des soins buccodentaires de base.
Comme l’a si bien dit la sénatrice Mégie, en matière de santé, mieux vaut prévenir que guérir. Mme Lynne Tomson, sous-ministre adjointe à Santé Canada, a également souligné l’importance de la prévention qui, à terme, permettrait de réaliser des économies considérables. La prévention et des soins plus précoces auront aussi un coût moindre sur l’ensemble du système. De plus, le ministre Duclos reconnaît que le report des soins dentaires ou leur évitement complet peuvent entraîner des conséquences graves sur la santé des individus.
Ceci peut, à son tour, accroître la dépendance du public dans des secteurs coûteux, comme les services de cardiologie, de cancérologie et d’urgence.
La deuxième question sur laquelle je souhaite me pencher est celle du risque de déplacement. Il faut se demander si cette prestation dentaire financée à même les deniers publics incitera les employeurs à annuler ou à réduire les programmes d’assurance dentaire fournis aux employés. Il s’agit d’une question importante qu’on ne peut passer sous silence.
La semaine dernière, j’ai rencontré des représentants de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes. Celle-ci partage mes préoccupations par rapport au risque de déplacement. Prenez en considération les statistiques suivantes : en 2021, les assureurs de personnes du Canada ont fourni une couverture à plus de 29 millions d’assurés et ont versé plus de 30 milliards de dollars de prestations d’assurance maladie complémentaires, dont 9,5 milliards de dollars pour les soins dentaires.
Comme moi, l’association craint que les employeurs ne choisissent de réduire ou d’annuler leur couverture, étant donné que l’État est prêt à intervenir. Ce serait imprudent que ces sommes d’argent soient transférées au public. Bien entendu, cette question devra être réglée lorsque le gouvernement entreprendra de bonifier la prestation dentaire actuelle ou de créer un programme permanent.
Santé Canada ne prévoit pas de déplacement pour l’instant, mais a reconnu que c’est un élément de préoccupation qui sera pris en compte lors de la conception du programme à long terme.
J’encourage vivement le gouvernement à envisager des moyens d’inciter les entreprises à conserver leur couverture actuelle. Il n’est pas réaliste de pénaliser les entreprises qui abandonnent leurs régimes. L’incitation est la voie à suivre.
Le troisième point que je veux aborder est la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur. Naturellement, on s’attend à ce que la prestation de soins dentaires permette enfin à certains de nos enfants de recevoir des soins dentaires adéquats. Je suis sûr que c’est un énorme soulagement pour de nombreux parents qui n’ont pas les moyens de payer les frais dentaires. J’espère que ces enfants prendront bientôt leurs rendez-vous et recevront les soins qu’ils méritent.
Mais le secteur sera-t-il capable de gérer un afflux de nouveaux patients? La réponse courte est oui. Mais ce ne sera pas nécessairement facile. Des défis en matière de ressources humaines existent également dans le secteur, notamment en ce qui concerne les hygiénistes dentaires et les assistants dentaires.
La Dre Lynn Tomkins, présidente de L’Association dentaire canadienne, a assuré à notre comité qu’il n’y a pas de pénurie de dentistes. Il s’agit plutôt d’un problème de répartition. L’association aimerait que davantage de jeunes dentistes aillent dans les régions éloignées et rurales. Mais comme elle l’a dit, nous ferons de notre mieux pour gérer l’afflux de nouveaux patients.
Je suis aussi rassuré par le fait que, dans les définitions du projet de loi, « services de soins dentaires » signifie les services qu’un dentiste, un denturologiste ou un hygiéniste dentaire est légalement autorisé à fournir. Ondina Love, chef de la direction de l’Association canadienne des hygiénistes dentaires, a rappelé à notre comité que son secteur compte plus de 30 000 hygiénistes dentaires et qu’ils trouvent des moyens novateurs d’offrir des soins, notamment dans des cliniques autonomes, des cliniques communautaires, des garderies, des écoles et des cliniques mobiles.
Malheureusement, même si les hygiénistes dentaires sont visés par le projet de loi, les 10 écoles de médecine dentaire du pays ne le sont pas. Le Dr Walter Siquiera, doyen de l’École de médecine dentaire de l’Université de la Saskatchewan et président de L’Association des facultés dentaires du Canada, a l’impression qu’elles ont été oubliées.
Les écoles de médecine dentaire reçoivent environ 350 000 patients par année et elles pourraient contribuer à absorber l’augmentation du nombre de patients. Il a par exemple expliqué que les cliniques de l’École de médecine dentaire offrent 80 % des soins dentaires dans le Nord de la Saskatchewan.
Les écoles de médecine dentaire ont déjà un réseau de cliniques et des programmes conçus pour les personnes visées par le projet de loi C-31. Comme nous l’a dit le Dr Siqueira, avec le soutien approprié, les écoles de médecine dentaire pourraient recevoir deux fois plus de patients, car elles sont bien placées pour devenir un élément central d’un réseau beaucoup plus vaste de cliniques communautaires et institutionnelles offrant des soins dentaires à ceux qui en ont le plus besoin.
Il est clair que le gouvernement doit collaborer avec ces écoles à mesure qu’il étend et développe le programme permanent. Le ministre Duclos semble être ouvert à cette idée.
Enfin, la dernière question que je voudrais aborder est justement ce programme permanent de soins dentaires que le gouvernement souhaite mettre sur pied. Je tiens à rappeler que le gouvernement a proposé de faire à cet égard un investissement de 5,3 milliards de dollars sur cinq ans dans son budget de 2022. Il propose que la prestation, celle que nous étudions actuellement, couvre d’abord les personnes de moins de 12 ans. L’intention est de bonifier cette prestation et de l’étendre aux jeunes de moins de 18 ans, aux aînés et aux personnes en situation de handicap en 2023. Enfin, la mise en œuvre complète d’un nouveau régime permanent est prévue pour 2025.
Alors que le gouvernement amorce cette étude de même que ses travaux pour concevoir et mettre en œuvre ce programme, quelques éléments clés doivent faire l’objet d’une réflexion plus approfondie. La collecte des données sera un élément essentiel pour évaluer le succès de cette prestation temporaire.
Le gouvernement devra évaluer le taux de participation, identifier qui sont les prestataires, cibler les lacunes éventuelles et déterminer dans quelle mesure les montants de la prestation correspondent aux coûts des soins dentaires. Tout ce travail pourrait être difficile à accomplir, sans compter les facteurs relatifs à la vie privée dont il faudra tenir compte. Cependant, toutes ces questions doivent être examinées attentivement avant de lancer un programme à long terme plus complet et, souhaitons-le, qui prendra appui sur des données probantes.
Lors de son témoignage devant le comité, le ministre Duclos a affirmé que son ministère suivra de près les effets sur la santé et d’autres résultats, et qu’il augmentera les prestations s’il y a lieu. Par ailleurs, Santé Canada a confirmé que l’Agence du revenu du Canada lui fournira des statistiques sur la participation dans chacune des provinces.
L’Association canadienne des hygiénistes dentaires demande au gouvernement de chiffrer l’accès aux soins dentaires et la prestation des services de santé buccodentaire afin de savoir quel est le rendement sur l’investissement de ce nouveau programme de soins dentaires.
De son côté, le Dr Siqueira croit fermement que les données ont une grande valeur. Voici ce qu’il a écrit au ministre Duclos :
Pendant que le gouvernement élabore et met en place les divers éléments de ce nouveau programme national de soins dentaires, les chercheurs des écoles de médecine dentaire pourraient évaluer les résultats et fournir de l’information sur les changements précis à apporter.
Puisque le coût de la vie augmente rapidement, le gouvernement devrait aussi prévoir un suivi des hausses du prix des soins dentaires.
Pendant les travaux du comité, certains se sont dits préoccupés par une possible hausse des frais. Bien que ces inquiétudes soient légitimes, je ne m’attends pas à de telles hausses. Comme l’a dit le directeur parlementaire du budget, le projet de loi cible des segments précis de la population, ce qui atténue les effets que pourrait avoir une recherche de profits excessifs.
Selon le Dr James Taylor, dentiste en chef à l’Agence de la santé publique du Canada, si les frais augmentent, ce sera à cause du coût des matériaux et de la main-d’œuvre, et non pas simplement à cause de l’offre et de la demande.
L’Association dentaire canadienne a aussi soumis un mémoire dans lequel elle fournit des renseignements sur le coût moyen des traitements pour chaque visite :
Parmi les demandes de règlement soumises pour un patient de moins de 12 ans, la médiane était de 150 $ par visite. La moitié des demandes de règlement se situaient entre 92 $ et 233 $ [et] dans l’ensemble, 95,6 % des demandes de règlement étaient inférieures à 650 $.
Comme on le sait, les demandeurs dont le revenu est inférieur à 70 000 $ peuvent recevoir une prestation pour soins dentaires de 650 $ par année. Les demandeurs dont le revenu se situe entre 70 000 $ et 80 000 $ seront admissibles à un montant de 390 $, et ceux dont le revenu se situe entre 80 000 $ et 90 000 $ sont admissibles à un montant de 260 $.
Certains soutiennent que la prestation dentaire n’est pas assez généreuse. Je craignais moi aussi que 650 $ par an ne suffisent pas pour des soins dentaires de base. Cependant, maintenant que nous avons reçu ces chiffres, je suis rassuré. Bien sûr, ce ne sera pas suffisant pour tout le monde, mais c’est un excellent début. Ne perdons pas de vue ce que c’est : une prestation provisoire, un point de départ.
L’Agence du revenu du Canada devrait également tenter de vérifier que les fonds qu’elle distribue sont utilisés aux fins prévues puisque les demandeurs admissibles peuvent recevoir la prestation avant que leurs enfants ne reçoivent des soins dentaires. Comme je le dis souvent, la confiance est la base de toute relation. J’ai confiance que les parents utiliseront ces fonds pour la santé et le bien-être de leurs enfants.
Le sénateur Yussuff nous a rappelé que l’Agence du revenu du Canada :
[...] est également bien équipée pour prévenir la fraude et veiller à ce que le programme soit utilisé comme prévu.
L’Agence du revenu du Canada agira afin de mettre en œuvre des mesures de vérification et de sécurité supplémentaires dès le départ [...]
Mais c’est assurément une chose qu’il faut surveiller.
En conclusion, honorables sénateurs, le projet de loi C-31 est un bon projet de loi. Je crois qu’il est approprié et opportun que le gouvernement investisse pour les Canadiens qui ont le plus de mal à joindre les deux bouts, notamment pour deux besoins humains fondamentaux : le logement et les soins de santé.
Je vais voter en faveur du projet de loi C-31, mais je crois qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. La mise en œuvre d’un programme permanent de soins dentaires sera une entreprise colossale.
Si le gouvernement souhaite aller de l’avant avec cette initiative, il devra faire le nécessaire pour mener ce projet à bien, y compris mener de vastes consultations, prévoir un budget en conséquence et présenter un cadre législatif comportant toutes les mesures nécessaires pour rendre des comptes et faire preuve de transparence. Le moment venu, je suis convaincu que le Sénat sera prêt à prendre le temps nécessaire pour étudier tout programme de soins dentaires qui lui sera soumis.
Merci, meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-31. Je ne vais parler que des mesures qui portent sur les soins dentaires pour les enfants.
Le sénateur Yussuff et, avant lui, la sénatrice Lankin, ont fait preuve de leadership à l’égard de ce projet de loi, et je les en remercie. Je tiens également à remercier le sénateur Loffreda de ses observations éclairées et détaillées sur le projet de loi. Je vais parler de manière un peu plus générale des soins dentaires et de ce projet de loi.
Au début de novembre, à l’étape de la deuxième lecture, quelqu’un a dit l’une des choses les plus remarquables que j’ai entendues au Sénat. Lorsqu’elle a parlé des prestations de soins dentaires auxquelles elle avait droit, la sénatrice Simons a dit ceci :
Aussitôt que l’Edmonton Journal m’a embauchée, je me suis précipitée chez le dentiste pour compenser toutes ces années sans nettoyage ou examen dentaire [...]
J’ai 72 ans, et c’est la première fois de ma vie que j’ai entendu une personne dire avec un enthousiasme débordant qu’elle s’est précipitée chez le dentiste. Sénatrice Simons, avec cette seule phrase, vous pourriez devenir la tête d’affiche des dentistes et des hygiénistes dentaires de tout le pays.
En matière de dentisterie — et je dis cela humblement —, je m’y connais. Je viens d’une famille qui compte une pléthore de représentants des professions dentaires. Ma sœur a ses qualifications d’infirmière dentaire et d’hygiéniste dentaire. Elle a étudié à Regina avec la sénatrice McCallum il y a de nombreuses années. Elle a été pendant des années présidente de la Saskatchewan Dental Hygienists’ Association. Mon beau-frère est dentiste. Mes nièces sont respectivement hygiéniste dentaire et thérapeute dentaire. Ma bru est dentiste en Allemagne et mon père était dentiste et professeur en dentisterie. Ils sont légion.
Certains d’entre vous ont regardé la télésérie Ted Lasso. On y chante une petite ritournelle à propos d’une personne nommée Roy Kent. Je vais faire abstraction d’un mot qui, je crois, n’est pas permis au Sénat, mais voici les paroles : « Roy Kent! Il est ici, il est là, il est [partout]. » Eh bien, dans ma vie, les dentistes sont partout.
Mon père était la meilleure personne que j’aie connue de toute ma vie, sauf pour une chose : quand j’étais enfant, de temps à autre, le samedi matin, alors que j’aurais préféré être n’importe où ailleurs, il m’emmenait avec lui à son cabinet dentaire pour subir quelques traitements douloureux.
Il n’est probablement plus permis de prodiguer des soins à ses propres enfants, mais c’était il y a longtemps, il me semble peu après l’invention de la dentisterie. Il utilisait des techniques de gestion de la douleur intéressantes et désormais désuètes. Par exemple, je me souviens qu’il avait l’habitude de tirer fortement sur ma joue, de manière si douloureuse que je ne remarquais pas l’aiguille d’anesthésie qui me piquait. C’était une technique intéressante : provoquer de la douleur pour détourner l’attention de la douleur. Je pense que mon aversion pour la dentisterie et la profession dentaire est justifiée.
Afin de modérer ces points de vue peu charitables, j’ajouterai un commentaire et une histoire. Tous les représentants de la profession dentaire que je connais ont à cœur leur travail, qu’ils aiment beaucoup. Ils savent qu’ils améliorent la vie de leurs patients. C’est le cas de nombreux métiers et professions. Il n’y a pas seulement les dentistes, mais aussi les charpentiers, les psychologues, les peintres ou les plombiers. C’est la noblesse de faire quelque chose d’honorable pour aider son client ou son patient.
Je veux en donner un exemple en racontant une histoire de dentiste. Elle n’est pas très ragoutante, mais elle est très belle.
Vers la fin de sa carrière, mon père s’est spécialisé dans la prosthodontie et la chirurgie maxillo-faciale. Ce sont des expressions bien savantes, mais la première désigne essentiellement les fausses dents et l’autre, la reconstruction de la mâchoire et du visage. À l’époque, il était peut-être le seul spécialiste de ce domaine en Saskatchewan.
Il a été appelé à venir en aide à un patient qui avait vécu un grave cancer du visage. Pour vaincre le cancer, il avait fallu procéder à l’ablation de son nez et d’une partie de sa mâchoire. On a demandé à mon père d’effectuer la reconstruction de la mâchoire et du nez, ce qu’il a fait. Il a dû reconstruire la mâchoire, puis construire un nouveau nez. C’est une histoire plutôt troublante, je dois l’admettre.
Il a façonné le nez et l’a renforcé au moyen de certaines techniques. Il a réussi à reproduire la forme et le teint du nez original. Il a toutefois remarqué que le résultat n’était pas parfait selon la photographie du patient dont il disposait.
J’ai ri lorsque j’ai écrit ce passage. Je m’excuse.
Il semble que l’homme entretenait une relation étroite avec l’alcool et qu’il avait un nez aux veines apparentes. Mon père s’est rendu à un magasin de matériel d’artiste pour y acheter de la peinture et un pinceau à un seul poil. Il s’est ensuite installé à la table de la cuisine pour peindre avec précision les veines sur le nouveau nez de l’homme. Puis, pour obtenir les meilleurs résultats possible — je suis désolé de vous transmettre ce détail —, il s’est arraché des poils dans le nez pour les coller, un par un, dans le nouveau nez de l’homme.
Cette opération a sauvé la vie de l’homme, mais la reconstruction — du nez et de la mâchoire — lui a rendu sa vie. Cette histoire est plutôt troublante, mais elle est aussi très belle.
Je reviens à mon point principal : que je souhaite aller chez le dentiste ou non, j’obtiens des soins dentaires, tout comme la sénatrice Simons a fini par en obtenir. En fait, tous les sénateurs et leur famille reçoivent des soins dentaires, et c’est aussi le cas — comme le sénateur Loffreda l’a signalé — de millions de Canadiens. Cependant, bon nombre de nos concitoyens n’en reçoivent pas.
Tel que le sénateur Yussuf l’a souligné dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, environ 25 % de la population canadienne n’a pas accès à des soins dentaires. Ce manque de soins a des conséquences. Nous savons tous ce que c’est que d’avoir mal aux dents et comment une telle douleur, dans une si petite partie de notre corps, peut nous accabler, à quel point elle peut être débilitante. Cependant, ce n’est pas tout. Les soins dentaires sont étroitement liés à notre santé à long terme.
Permettez-moi de vous donner un exemple. J’ai rendu visite à mon dentiste récemment, sans beaucoup d’enthousiasme, et il a commencé à me dire à quel point la santé de mes gencives est importante. Il a précisé que si on n’en prend pas bien soin, cela peut entraîner des maladies du cœur et causer la mort. Cela me semblait un peu extrême, comme si un vendeur d’automobiles disait aux gens d’acheter sa voiture la plus chère s’ils ne veulent pas mourir dans un accident de voiture. J’ai donc fait des recherches, et mon dentiste avait effectivement raison. De bons soins dentaires revêtent une importance fondamentale pour la santé générale.
On peut donc se poser la question : pourquoi tous les Canadiens n’ont-ils pas accès aux soins dentaires? C’est un problème dans les régions rurales et éloignées du pays, comme l’a souligné le sénateur Loffreda, entre autres. Or, la principale raison qui explique ce problème d’accès est le coût des soins dentaires. Prodiguer ces soins coûte cher. Pour les dentistes, du moins, les études sont longues, difficiles et coûteuses. À l’Université de la Saskatchewan, le programme de médecine dentaire exige des frais de scolarité qui comptent parmi les plus élevés de tous les programmes universitaires au Canada. Il faut le reconnaître, les professionnels du secteur gagnent bien leur vie. D’ailleurs, mon père a probablement contribué à cette situation, sans le vouloir, lorsqu’il enseignait la médecine dentaire. Lorsqu’il aidait des étudiants à fabriquer de fausses dents à la clinique — des dentiers pour les dents du haut et pour les dents du bas —, il croyait leur donner des conseils sur la façon d’être un dentiste. Ce qu’il leur disait, c’était : « Une fois que vous aurez fabriqué les dentiers, le patient vous demandera assurément : “Alors, c’est combien?” Vous pourrez alors répondre “700 $” et faire une pause. Si votre patient ne réagit pas, vous ajouterez : “Pour le dentier du haut.” »
La réalité est qu’aujourd’hui encore, la demande de professionnels dentaires est énorme. La plupart des services dentaires fonctionnent à plein rendement et les dentistes ont des difficultés à trouver des hygiénistes dentaires pour assurer le fonctionnement à temps plein des cabinets dentaires. Les forces du marché ne suffiront donc pas à résoudre le problème de l’accès. Dans ce contexte apparaît ce projet de loi. Il marque la naissance d’un régime d’assurance dentaire qui améliorera considérablement les soins dentaires pour des millions de Canadiens à revenu faible ou modeste qui, principalement pour des raisons de coût, sont tout simplement dans l’impossibilité d’accéder à des services dentaires de base. Trop de familles, que ce soit en ces temps quelque peu inflationnistes ou autrement, sont obligées de consacrer leurs maigres ressources à la nourriture, au loyer, aux vêtements ou à d’autres besoins de leur famille, et les besoins en soins dentaires des enfants passent à la trappe. Le programme d’assurance dentaire, dont ce projet de loi marque le commencement, permettra de combler les premières lacunes en matière de services.
Ce projet de loi est axé sur les soins dentaires pour les enfants exclusivement — comme nous l’avons entendu, la couverture sera élargie —, mais, pour la santé dentaire des enfants et pour alléger le fardeau financier des Canadiens à revenu faible ou modeste, c’est un bon début. Je pense que cette initiative est excellente, et je l’appuie. Toutefois, comme l’a fait remarquer le sénateur Loffreda, il y a encore beaucoup à faire, et je voudrais insister sur un aspect en particulier.
Je dirais qu’on assiste à un effet d’entraînement du programme, à commencer par le projet de loi. Comme les chefs de file dans la profession, en particulier ceux qui enseignent dans ce domaine, l’ont dit au Comité des finances, le programme nécessitera une augmentation importante du nombre de professionnels dentaires pour qu’il soit possible de les consulter et de le faire à un prix abordable, car il faudra répondre à un bond important de la demande pour des services dentaires. C’est bel et bien ce que nous espérons. Lors de la réunion du comité, le Dr Siqueira, doyen du Collège de médecine dentaire de l’Université de la Saskatchewan, a souligné ce point et la façon dont, par exemple, l’Université de la Saskatchewan est bien placée pour relever ce défi puisqu’elle a regroupé une gamme complète de formations pour la profession dentaire — les dentistes, les spécialistes en dentisterie, les hygiénistes dentaires et les thérapeutes dentaires — sous un même toit au sein de sa faculté. Il faut toutefois souligner — et je pense que ce point aura de l’importance — que presque tous les programmes d’enseignement qui seront envisagés pour répondre à la hausse nécessaire et considérable de la demande en professionnels dentaires relèvent de la compétence provinciale en matière d’éducation. Dans les prochaines années, il sera essentiel que le gouvernement du Canada ait un plan pour travailler avec les provinces et les territoires dans un esprit de collaboration et de respect et pour éventuellement les appuyer financièrement afin d’atteindre l’objectif d’une santé dentaire abordable et de bonne qualité pour tous les Canadiens.
Dans l’esprit du fédéralisme coopératif qui a été la voie à suivre pendant la majeure partie de l’histoire du Canada, j’ai bon espoir que de tels partenariats seront établis et prospéreront et que les Canadiens en bénéficieront. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif.
Vous avez peut-être déjà entendu l’expression « Parfois, plus je m’empresse, plus j’accuse de retard ». Quiconque a déjà tenté de confectionner un cadeau à la main avant une certaine date — Noël s’en vient — ou d’assembler un lit dans l’intention d’y dormir le soir venu reconnaîtra sans doute la véracité de cet énoncé. Autrement dit, parfois, il faut faire les choses un peu plus lentement ou à tout le moins respecter la limite de vitesse pour arriver à destination.
Honorables sénateurs, il a déjà été dit plusieurs fois au Sénat et il sera sans doute répété maintes fois encore qu’il faut viser le bon plutôt que la perfection. J’ai également entendu une comparaison entre la légifération et la fabrication de saucisses : il vaut mieux ne pas connaître tous les ingrédients et tous les efforts qu’il a fallu déployer pour rendre le produit final alléchant.
Les législateurs savent sans doute également ce que sont les projets de loi correctifs, ces projets de loi qui doivent être présentés lorsqu’une renumérotation s’impose ou qu’il faut corriger une nuance dans la version française ou anglaise ou apporter un petit changement de nom. On les appelle parfois les projets de loi d’ordre administratif. Ni l’opposition ni le gouvernement n’aiment ces projets de loi.
De toute évidence, le projet de loi C-31 a été élaboré plutôt rapidement, car de nombreux détails doivent être réglés. On nous a informés qu’il s’agissait d’une mesure provisoire. Le projet de loi C-31 n’est pas aussi bien ficelé que les sénateurs l’auraient souhaité, mais s’il est adopté, il aidera les Canadiens qui consacrent une portion substantielle de leur revenu au loyer et fournira de l’argent pour les soins dentaires des enfants canadiens dont la famille ne bénéficie pas d’un régime d’assurance dentaire. Cette mesure législative vise un objectif absolument essentiel et, en cette période difficile, il est nécessaire que l’argent soit versé aussitôt que possible. J’appuie le projet de loi et son adoption immédiate. Mon intervention sera brève et je me concentrerai uniquement sur les dispositions concernant les soins dentaires.
Honorables sénateurs, en toute bonne conscience, je ne peux pas voter pour le projet de loi C-31 sans faire état publiquement d’une sérieuse préoccupation ou, pour utiliser une expression courante en politique, faire la lumière sur le problème.
À maintes reprises, les médias et les témoins qui se sont présentés devant le Comité sénatorial des finances nationales ont indiqué que le programme de soins dentaires s’inspirera du Programme des services de santé non assurés. Permettez-moi de donner brièvement quelques précisions.
Comme l’a dit en l’an 2000 le premier ministre du Manitoba de l’époque, Gary Doer, pendant une discussion des premiers ministres de l’Ouest qui portait — ô surprise — sur l’augmentation des transferts en santé, le Canada est le 14e territoire ou province à la table fédérale-provinciale-territoriale sur les soins de santé. Le Canada a une obligation fiduciaire à l’égard de la santé des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Le gouvernement fédéral a aussi d’autres responsabilités, notamment celles qui concernent les Forces armées canadiennes. Je me concentrerai aujourd’hui sur les Autochtones qui reçoivent des services de santé fournis par l’entremise du Programme des services de santé non assurés. Permettez-moi d’expliquer très concrètement la situation du Yukon.
Si vous avez plus de 65 ans, votre carte-santé du Yukon vous donne droit à plusieurs services qui vont au-delà de ceux qui sont généralement financés par les gouvernements; elle couvre, par exemple, les lunettes d’ordonnance, les dentiers et certains médicaments. Ces dépenses sont toujours approuvées et payées par les services de soins de santé du gouvernement du Yukon — sauf si vous êtes membre d’une Première Nation. Dans ce cas, c’est plutôt le Programme des services de santé non assurés, le PSSNA, qui approuve et paie les frais relatifs aux médicaments, aux lunettes et aux soins dentaires. Cela nous amène à la première grande préoccupation que soulève le projet de loi à l’étude. Les enfants des Premières Nations du Yukon ont déjà accès à des soins dentaires. Le projet de loi ne s’applique pas aux enfants autochtones du Canada, mais, aux fins de l’administration de ce programme temporaire, tous les services qui vont au-delà de ceux qu’offre le PSSNA et sont payés par les parents peuvent être remboursés jusqu’à concurrence de 650 $ ou conformément à tout autre rajustement apporté par le gouvernement. Je me dois d’envoyer des signaux d’alarme, puisque le gouvernement entend employer le PSSNA ou un système semblable comme modèle, même de façon temporaire, pour fournir ces soins dentaires essentiels.
Honorables sénateurs, voici un autre exemple que j’ai déjà présenté à mes collègues du Comité des finances nationales. Le barème de frais de la Colombie-Britannique prévoit 87,30 $ pour un examen dentaire complet; le PSSNA couvre 65,94 $. En Alberta, les frais sont de 77,18 $ et le PSSNA couvre 74 $. Au Yukon, les frais sont de 118 $ et le PSSNA couvre 95,97 $. C’est donc dire que le Programme des services de santé non assurés couvre 76 % des frais en Colombie-Britannique, 96 % en Alberta et 81 % au Yukon. Comme le montre l’exemple de ces deux provinces et de ce territoire, la couverture qu’offre le PSSNA diffère d’une région à l’autre du pays.
Plutôt que de simplement accepter mon point de vue dans le cadre du présent débat, j’invite les sénateurs à lire la soumission de l’Association canadienne des hygiénistes dentaires à l’intention du Comité des finances nationales. Leur lettre, qui remonte au 1er novembre, indique que la plateforme du PSSNA comporte son lot de défis que le gouvernement devrait — je dirais même qu’il doit — régler afin d’harmoniser et de simplifier le processus établi pour les professionnels de la santé buccodentaire autorisés qui participent au programme.
Le sénateur Colin Deacon, dans sa question il y a quelques instants, a fait une suggestion très raisonnable qui, je l’espère, sera prise en considération par les hauts fonctionnaires chargés de ce programme.
Honorables sénateurs, je ne suis pas la première dans cette enceinte à soulever des inquiétudes à propos du PSSNA. Il n’y a pas si longtemps, le 17 mai 2022, notre collègue la sénatrice Yonah Martin s’est exprimée comme suit en parlent du projet de loi S-242, à la page 1427 des Débats du Sénat :
Selon le site Web des Services aux Autochtones Canada, les fournisseurs de services de santé mentale « doivent être inscrits auprès d’Express Scripts Canada », un outil de gestion de la santé en ligne : [...] afin de facturer le programme des [services de santé non assurés] pour les services fournis aux clients des Premières Nations et des collectivités inuites admissibles. Veuillez prendre note que les fournisseurs qui ne sont pas inscrits auprès d’Express Scripts Canada ne pourront plus soumettre de réclamation pour le programme des SSNA.
Chers collègues, je suis heureuse que l’on entre ici dans les détails administratifs du projet de loi. C’est le point critique. Nous voulons nous assurer du versement de ces prestations à ceux qui en ont besoin et de la réalisation des intentions du gouvernement avec ce projet de loi.
Les lettres de mandat des ministres contiennent l’expression « approche pangouvernementale ». Ce programme de prestations doit adopter une optique pangouvernementale pour examiner ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans certains secteurs, afin que les prestations prévues dans le projet de loi C-31 soient fondées sur les renseignements disponibles et constituent le meilleur programme possible. Pour ma part — et je crois que je peux compter sur mes collègues du Comité des finances nationales, ainsi que sur vous tous, dans nos efforts de transparence et de reddition de compte —, je suivrai la situation. Nous observerons les résultats.
Honorables sénateurs, je salue l’intention du gouvernement pour ce qui est du programme dentaire et du programme d’aide pour le loyer dont traite le projet de loi C-31, et j’attends avec impatience les résultats de rendement. J’espère qu’avec ces commentaires, après avoir attiré votre attention sur les défis liés au programme des services de santé non assurés, et compte tenu de l’attention actuelle accordée aux soins de santé au Canada, et peut-être un tant soit peu de coopération fédérale, provinciale et territoriale, il y aura un examen plus approfondi des services comme les services de santé non assurés et que les Premières Nations, les Métis et les Inuits — tous les Canadiens, en fait — puissent recevoir les services améliorés qu’ils méritent.
Je tiens à remercier sincèrement le sénateur Yussuff de parrainer ce projet de loi, ainsi que tous mes collègues qui ont fait un discours. Je veux également féliciter la Chambre et le Sénat. Je vous remercie d’avoir écouté mon discours. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif, qui a été adopté par la Chambre des communes le 27 octobre 2022. J’aimerais saluer tous mes collègues qui ont pris la parole jusqu’à présent et les remercier de leurs réflexions, et souligner en particulier le travail du sénateur Hassan Yussuff, qui a habilement parrainé ce projet de loi au Sénat.
En tant que membre du Comité des finances nationales, je considère que ce fut un privilège pour moi d’étudier ce projet de loi. Certains m’ont fait remarquer que ce projet de loi de 35 pages a été approuvé à l’étape de l’étude article par article par le Comité des finances nationales en à peine 15 minutes et qu’aucun amendement ou proposition n’ont été formulés. Je leur souligne que cela ne reflète pas tout le travail mené en amont au sujet de ce projet de loi grâce au leadership du président du comité, le sénateur Mockler.
D’ailleurs, 5 réunions spéciales ont été tenues au sujet du projet de loi et nous avons reçu près de 25 témoins, dont 3 ministres fédéraux venus témoigner ensemble, ce qui était probablement une première dans l’histoire récente de ce comité sénatorial.
Comme on l’a mentionné précédemment, le projet de loi C-31 vise à soulager les pressions actuelles auxquelles sont confrontées les personnes et les familles canadiennes à faible revenu, qui sont malheureusement les plus frappées par la poussée de l’inflation. Plus précisément, sous réserve de limites de revenu maximales, ce projet de loi fournira jusqu’à 650 $ par année pendant deux ans en soutien dentaire aux enfants âgés de moins de 12 ans et jusqu’à 500 $ en allocation de logement unique pour les Canadiens dans le besoin. Bien que de nature temporaire, les mesures contenues dans le projet de loi C-31 en matière de logement et de prestations dentaires contribueront quand même à soutenir ceux qui en ont le plus besoin.
Mes prochaines remarques seront plus spécifiques et concerneront chacune de ces deux mesures que contient le projet de loi.
En ce qui concerne la prestation dentaire temporaire, mentionnons que le Bureau du directeur parlementaire du budget estime à environ 700 millions de dollars le coût total de ce programme temporaire, en attendant la mise sur pied d’un véritable régime canadien d’assurance dentaire d’ici 2025. Lors des audiences qu’a tenues le Comité des finances nationales, j’ai soulevé trois préoccupations que j’aimerais partager avec vous.
Comme l’a expliqué la sénatrice Seidman à l’étape de la deuxième lecture, toutes les provinces ont déjà mis en place des programmes de soins dentaires, même si la couverture de ces programmes est très inégale d’une province à l’autre.
Au Québec, il existe déjà un programme de soins dentaires universel pour les enfants de moins de 10 ans. C’est notamment pour cette raison que le directeur parlementaire du budget estime que seulement 13 % des coûts de ce nouveau programme temporaire fédéral seront attribuables aux soins prodigués au Québec, même si la population de cette province représente le quart de la population canadienne.
Étant donné l’intention du gouvernement fédéral d’étendre ce programme de manière continue au cours des prochaines années aux jeunes de 18 ans et moins, aux personnes âgées et aux personnes vivant avec un handicap, et ce, dans un champ de compétence provinciale, il incombe au gouvernement de faire preuve de souplesse et d’envisager que les provinces puissent se prévaloir des dispositions de non-participation avec compensation financière, soit le fameux opting out, qui est évidemment conditionnel au respect de certaines conditions.
Du même coup, cette approche pragmatique serait plus respectueuse d’un fédéralisme décentralisé, d’autant plus que les professions de dentiste et d’hygiéniste dentaire sont réglementées par les provinces. D’ailleurs, la grille de tarifs recommandée pour la prestation de soins dentaires varie d’une province à l’autre. En bref, tout en appuyant cet objectif du gouvernement fédéral d’assurer une couverture universelle des soins dentaires d’un océan à l’autre, en particulier pour nos jeunes, je souhaite que le gouvernement fédéral — un peu comme l’a exprimé le sénateur Mockler — soit réceptif aux demandes des provinces — y compris le Québec —, qui voudront peut-être administrer elles-mêmes leur propre système dentaire avec une pleine compensation, si les conditions sont respectées, évidemment.
Comme je l’ai déjà mentionné au comité, il existe déjà assez de tensions dans les relations fédérales-provinciales dans le domaine de la santé, comme on a pu le constater à Vancouver, et il n’est pas nécessaire d’en ajouter une autre couche en établissant un régime national d’assurance dentaire sans consulter les provinces.
Ma seconde préoccupation a trait à la capacité des cliniques dentaires et de tout l’écosystème d’accepter subitement autant de nouveaux clients sans que cela engendre une hausse des coûts généralisée ou sans que cela augmente le temps d’attente pour les clients actuels, qui peinent souvent à obtenir un rendez-vous.
Nous avons appris, lors des audiences du comité, qu’il y a à la fois une pénurie d’hygiénistes dentaires au Canada et un problème d’accès à des dentistes qualifiés partout au pays, particulièrement dans nos régions plus éloignées.
Espérons que l’Association canadienne des dentistes et des hygiénistes dentaires sera en mesure de travailler avec les collèges d’enseignement universitaire partout au Canada pour relever ce défi et offrir les services nécessaires à tous les jeunes Canadiens admissibles.
Espérons aussi que les cliniques dentaires respecteront à la lettre la grille des frais proposée par leur ordre professionnel et n’en profiteront pas pour imposer une petite surcharge, étant donné la hausse subite de la demande qui risque de se produire.
Ma troisième préoccupation a trait à la facture annuelle totale que devront assumer les contribuables canadiens lorsqu’un tel régime d’assurance dentaire sera mis en place en 2025. Pour l’instant, le gouvernement prévoit que le coût annuel récurrent du futur régime d’assurance dentaire devrait atteindre 1,7 milliard de dollars à compter de 2025.
Or, cela ne tient pas compte du fait que certains employeurs pourraient en profiter pour revoir à la baisse la couverture des soins dentaires prévue dans le cadre de leur propre régime d’assurance dentaire afin d’économiser de l’argent. Sur ce point, j’ai la même préoccupation que mon collègue l’honorable sénateur Loffreda. Quel mécanisme de surveillance sera mis en place pour éviter une hausse considérable de la facture aux contribuables canadiens et pour veiller à ce que les employeurs ne se désistent pas pour être à la charge du gouvernement?
À ce stade-ci, personne n’a vraiment été en mesure de nous fournir des réponses. Avec la poussée de l’inflation et l’incertitude entourant le comportement des employeurs face à ce régime national d’assurance dentaire, vous me permettrez, chers collègues, d’exprimer une certaine inquiétude et un peu de scepticisme quant à l’évaluation du coût de 1,7 milliard de dollars par année pour ce futur programme, à compter de 2025.
Comme on dit, restez à l’écoute.
Mes prochaines remarques porteront sur le second volet du projet de loi C-31, soit la création d’une prestation unique de 500 $ à l’intention des locataires canadiens à faible revenu. Si ce projet de loi est adopté, rappelons que les personnes ayant consacré au moins 30 % de leur revenu à leur loyer en 2022, et dont le revenu est inférieur à 20 000 $ pour une personne seule ou inférieur à 35 000 $ pour une famille, seront admissibles à cette prestation. Le directeur parlementaire du budget estime que le coût de cette mesure ponctuelle devrait atteindre près d’un milliard de dollars.
Tout comme nous l’avons fait pendant l’étude du projet de loi C-30, nous avons soulevé, devant le comité, le fait qu’en moyenne, 10 % des Canadiens ne produisent pas de déclaration de revenus pour diverses raisons — surtout les plus démunis —, et il s’agit d’un ratio encore plus élevé au Nunavut, comme le sénateur Patterson l’a déjà mentionné. Du même coup, ces personnes ne toucheront pas cette prestation unique de 500 $, à moins qu’ils ne produisent finalement leur déclaration de l’année précédente. La ministre du Revenu, lors de son témoignage devant le comité, a tenté de nous rassurer et nous a dit qu’elle faisait tout en son pouvoir pour inciter les Canadiens à faible revenu à produire les déclarations de revenus afin d’avoir accès à ce programme.
En conclusion, honorables sénateurs, ces programmes ciblés prévus dans le projet de loi C-31 et contenus dans le récent projet de loi C-30 pour aider les Canadiens à faible revenu sont d’excellentes initiatives qui méritent notre appui.
Toutefois, comme l’a souligné le sénateur Cotter, le gouvernement fédéral doit consulter les provinces pour déterminer en toute bonne foi quel ordre de gouvernement est le mieux placé pour fournir ces services dentaires, étant donné que ceux-ci sont réglementés par les provinces.
Pour l’instant, le gouvernement fédéral a pu lancer de nombreuses nouvelles initiatives au cours des 12 derniers mois tout en réduisant sensiblement les déficits, notamment grâce à l’inflation, car celle-ci aide le gouvernement à générer des recettes.
Un jour, et peut-être un jour pas si lointain, les sources de revenus fédéraux seront moins abondantes et plus limitées, peut-être à cause d’une récession ou du contexte géopolitique. Nous devons éviter de répéter l’expérience des années 1990, lorsque ce sont les provinces qui ont subi les contrecoups de l’assainissement des finances fédérales, attribuables aux réductions massives des paiements de transfert aux provinces versés par Ottawa, en raison des dépenses effrénées qui avaient été faites au cours des années précédentes.
En terminant, je tiens à remercier tous mes collègues du Comité sénatorial permanent des finances nationales pour leurs réflexions et leur engagement. J’ai déjà hâte d’entreprendre avec eux l’étude du prochain projet de loi C-32 lié à l’énoncé économique du 3 novembre dernier qui promet d’être assez costaud avec ses 172 pages. J’aurai, à ce moment-là, beaucoup plus de choses à dire sur les diverses initiatives du gouvernement fédéral au sortir de cette pandémie et surtout sur les risques qui pèsent sur nos finances publiques en cas d’une détérioration potentielle de l’économie.
Entre-temps, chers collègues, j’appuierai le projet de loi C-31.
Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole au sujet du projet de loi C-31. Avant de commencer mon intervention, j’aimerais remercier le sénateur Yussuf, qui est le parrain du projet de loi, la sénatrice Seidman, qui est la porte-parole pour cette mesure législative, et tous mes collègues qui sont intervenus à son sujet.
Le projet de loi prévoit une aide financière pour deux programmes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Le premier est un programme de soins dentaires destiné aux enfants de moins de 12 ans dont les familles répondent aux critères définis dans la loi. Le deuxième est un programme d’aide pour le loyer, qui fournirait une aide financière aux personnes et aux familles locataires répondant aux critères définis dans la loi.
Puisque les deux programmes n’ont aucun lien entre eux, je parlerai d’abord du programme de soins dentaires pour les enfants de moins de 12 ans. Ce programme énoncé dans le projet de loi C-31 est la première phase d’un programme dentaire national, qui a été annoncé dans le budget de 2022. Le budget propose d’accorder un financement de 5,3 milliards de dollars sur cinq ans, en commençant par 300 millions de dollars cette année, et de 1,7 milliard de dollars par année par la suite pour offrir des soins dentaires aux Canadiens.
Le programme couvrira d’abord les personnes de moins de 12 ans cette année, puis sera élargi l’année prochaine aux moins de 18 ans, aux aînés et aux personnes en situation de handicap.
La mise en œuvre complète du programme dentaire national aura lieu en 2025. Pour cette année, le programme de soins dentaires est réservé aux familles dont le revenu annuel est inférieur à 90 000 $, et les familles dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $ ne paient pas de quote-part.
Des représentants de Santé Canada ont déclaré au Comité des finances que le programme destiné aux enfants de moins de 12 ans devrait permettre de fournir des services dentaires à un demi‑million d’enfants dans tout le pays.
Dans le budget de 2022, on prévoyait que le coût du programme de soins dentaires pour les enfants de moins de 12 ans au cours du présent exercice financier serait de 300 millions de dollars, comparativement au coût estimé de 247 millions de dollars communiqué par le directeur parlementaire du budget.
Toutefois, le directeur parlementaire du budget nous a dit, en parlant de l’estimation du coût du programme de soins dentaires, qu’il serait à l’avantage des législateurs d’avoir des projections beaucoup plus solides que celles que nous avons actuellement en ce qui concerne non seulement le projet de loi C-31, mais aussi le programme de soins dentaires dans son ensemble. Il a dit que le projet de loi C-31 n’est qu’une mise de fonds sur un programme qui est censé être beaucoup plus vaste et permanent. Pour insister sur ce point, il a poursuivi en disant qu’à son avis, il n’est pas normal que nous ne disposions pas de meilleures informations.
Une autre question importante qui fait l’objet de discussions au comité, c’est l’harmonisation du programme de soins dentaires avec les programmes existants, ou devrais-je dire, le manque d’harmonisation. Lors des témoignages entendus au Comité des finances nationales, nous n’avons pas pu obtenir de description claire de la façon dont le programme fédéral de soins dentaires qui est proposé sera harmonisé avec les programmes provinciaux et les régimes d’assurance privés.
Une étude réalisée en 2019 par l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, l’ACMTS, a trouvé plus de 80 programmes publics de santé buccodentaire de responsabilité fédérale, provinciale ou territoriale, avec des variations importantes entre ces programmes du point de vue des critères d’admissibilité, des services couverts et des taux de remboursement.
Bien que cela indique que le secteur public finance les soins dentaires au Canada, la plupart des frais dentaires sont payés soit par une assurance dentaire privée, soit directement par les Canadiens ou leur famille.
M. Giroux, le directeur parlementaire du budget, a déclaré dans son témoignage qu’il ne voyait dans le projet de loi aucune disposition visant à harmoniser un nouveau programme de soins dentaires avec les programmes existants. Au contraire, les enfants dont les parents ont une assurance dentaire privée n’y sont pas admissibles, et ceux qui sont couverts par un régime provincial n’y sont admissibles que dans la mesure où ils doivent payer eux‑mêmes les frais. Les provinces et les régimes privés sont les premiers payeurs, et le programme fédéral vient ensuite. Il a affirmé ne pas avoir constaté l’intention d’harmoniser ce programme avec les autres.
Dans son témoignage, l’Association canadienne des hygiénistes dentaires a dit craindre que les employeurs canadiens abrogent les régimes d’assurance dentaire privés pour se décharger de la couverture sur le programme fédéral. De même, on craint que les programmes provinciaux soient réduits une fois le programme fédéral mis en œuvre. Cependant, le ministre de la Santé, M. Duclos, a assuré au comité qu’on ne s’attend pas à ce que des régimes déjà en place soient transférés ou supplantés.
Au Comité sénatorial des finances, le Dr Walter Siqueira, doyen du College of Dentistry de l’Université de la Saskatchewan, a dit que les étudiants des 10 écoles de dentisterie du pays offrent des soins dentaires professionnels à de nombreux patients, y compris certains patients qui bénéficieront du programme de soins dentaires proposé. Ces services sont offerts à moindre coût, et les étudiants en dentisterie peuvent acquérir une expérience pratique avant d’obtenir leur diplôme. Le Dr Siqueira a indiqué que ces étudiants craignent de perdre certains patients en raison du nouveau programme, et ce serait une grande perte pour les étudiants et les écoles de dentisterie.
Plusieurs sénateurs souhaitaient déterminer quels seraient les résultats du programme de soins dentaires, notamment en faisant une étude comparative du coût du programme et des économies dans les programmes de santé, qui devront s’occuper des problèmes découlant de la mauvaise santé dentaire chez les enfants. J’ai passé beaucoup de temps à étudier les rapports sur les résultats ministériels, et ils révèlent que bon nombre de ministères et d’organismes gouvernementaux ne sont même pas en mesure de respecter la moitié des normes de rendement qu’ils s’imposent, alors je doute qu’une analyse comparative des coûts et des économies soit effectuée.
M. Giroux, en répondant à une question sur le sujet, a dit ce qui suit d’une façon beaucoup plus éloquente que je ne le ferai. Il a dit qu’il était essentiel d’essayer de mesurer les avantages et les effets significatifs. Cependant, selon lui, rien n’indique que le gouvernement a l’intention de mesurer les avantages du programme dentaire. Il a ajouté que, si le passé est garant de l’avenir, il doutait qu’une telle évaluation se fasse. Il a conclu « qu’il est peu probable, malheureusement, [que le gouvernement] mesurera les effets du projet de loi [C-31] ».
D’ailleurs, Santé Canada, dans son rapport sur les résultats ministériels de 2020-2021, indique que le ministère n’a atteint que 42 % de ses indicateurs de rendement alors que l’Agence de la santé publique du Canada affiche un taux de 29 %.
Honorables sénateurs, je suis en faveur d’un programme dentaire pour les enfants, qu’il soit fédéral ou provincial, ou les deux à la fois. En tant qu’ancienne enseignante au primaire, j’ai pu constater par moi-même les conséquences d’une mauvaise hygiène dentaire chez les enfants de moins de 12 ans. Je ne parle pas seulement du mauvais état de leurs dents, mais de la douleur et de l’inconfort qu’ils doivent endurer lorsqu’ils ont des problèmes dentaires et qu’ils n’ont pas accès aux services nécessaires. Les chirurgies dentaires d’un jour pour les enfants ne sont pas rares. Dans un pays comme le Canada, tous les enfants devraient avoir accès à un dentiste et recevoir régulièrement des soins dentaires.
Il est malheureux que le gouvernement fédéral ne propose pas un véritable programme de soins dentaires. Il s’agit d’une occasion ratée de veiller à ce que les enfants reçoivent vraiment des soins dentaires. Avec le projet de loi C-31, le gouvernement propose une aide financière aux familles à faible revenu sans aucune garantie que les enfants vont vraiment recevoir les soins dentaires dont ils ont besoin. Même l’Agence du revenu du Canada a été incapable de nous dire comment on fera pour s’assurer qu’un enfant a effectivement reçu les soins dentaires une fois l’argent versé.
Mes derniers commentaires sur le programme dentaire portent sur la pertinence du financement fourni. Il y a deux périodes de prestations : du 1er octobre 2022 au 30 juin 2023, puis du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024. Les prestations seraient de 650 $ par enfant si le revenu familial net modifié est inférieur à 70 000 $; de 390 $ par enfant si le revenu familial net modifié se situe entre 70 000 $ et 80 000 $; et de 260 $ par enfant si le revenu familial net modifié se situe entre 80 000 $ et 90 000 $.
Il y a eu des discussions concernant la pertinence du financement et les recours de la famille si le montant approuvé était insuffisant.
L’Association dentaire canadienne nous a informés que, selon un échantillon représentatif de plus de 109 000 demandes de règlement électroniques soumises en mars 2022 dans l’ensemble des provinces et territoires, le coût médian des demandes de règlement était de 150 $ par visite pour les patients de moins de 12 ans. Toujours selon l’association, 95,6 % des demandes de règlement soumises pour des enfants de moins de 12 ans étaient inférieures à 650 $. Ce pourcentage était relativement stable d’une région à l’autre, puisqu’il allait de 91 % à 99 %. Il semble donc que la prestation prévue sera suffisante pour la plupart des enfants. Par contre, qu’arrive-t-il si un enfant a besoin de soins dentaires qui coûteront plus que la somme prévue par la loi? Ce problème n’a pas été résolu.
Le programme dentaire décrit dans le projet de loi C-31 n’est pas vraiment un programme dentaire : c’est plutôt un programme d’aide financière géré par l’Agence du revenu du Canada, qui a pour tâche première de gérer les lois fiscales pour le Canada et la plupart des provinces et territoires et de percevoir des taxes et impôts. Le programme dentaire n’est même pas géré par le ministère de la Santé ni par le ministère du Développement social.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-31 propose également d’offrir un programme d’aide de 500 $ aux locataires qui répondent aux critères prévus par la mesure législative. Les loyers ne cessent d’augmenter, et l’augmentation des taux d’intérêt par la Banque du Canada aura des répercussions sur le marché locatif. D’après la chambre immobilière régionale de Toronto, rien qu’à Toronto, les loyers ont augmenté de 20 % par rapport à l’année dernière. L’objectif du programme d’aide aux locataires du gouvernement est d’aider les locataires à faible revenu en leur accordant une aide financière de 500 $. Le gouvernement estime que ce programme bénéficiera à 1,8 million de locataires.
Pour y être admissibles, les locataires devront satisfaire plusieurs critères, bien que des représentants de l’Agence du revenu du Canada nous aient indiqué qu’elle ne vérifiera pas la conformité à tous les critères avant d’émettre les chèques. Ils nous ont dit que les plafonds de revenu net rajusté de 20 000 $ pour les particuliers et de 35 000 $ pour les familles peuvent être vérifiés par le biais du système fiscal, et que le demandeur devra fournir des renseignements indiquant que le loyer payé en 2022 représentait au moins 30 % de son revenu net rajusté. Ainsi, comme ils l’ont indiqué, il y aura une validation initiale de ce calcul, mais il n’y aura pas de vérification du loyer payé. L’Agence du revenu du Canada a plutôt l’intention de mettre en place des mesures de vérification et de contrôle de la conformité après l’émission des chèques, bien que les fonctionnaires n’aient pas été en mesure de nous donner quelque renseignement que ce soit sur la vérification et le contrôle de la conformité à ce stade.
Dans son budget de 2022, le gouvernement a indiqué que cette prestation de 500 $ coûterait environ 475 millions de dollars. Il a depuis augmenté cette estimation à 1,2 milliard de dollars, soit plus du double de l’estimation initiale. Je le mentionne parce qu’il s’agit d’une augmentation assez importante et je me demande comment le gouvernement a pu se tromper à ce point. Le directeur parlementaire du budget a estimé le coût de ce programme à 940 millions de dollars, mais il a été incapable de faire concorder son estimation de 940 millions de dollars avec l’estimation initiale de 475 millions de dollars ou l’estimation révisée de 1,2 milliard de dollars du gouvernement.
Dans son mémoire au comité, la fondation Maytree, un organisme de bienfaisance privé, a recommandé de supprimer l’obligation pour les demandeurs de payer au moins 30 % de leur revenu, car le plafond du revenu net ajusté de 20 000 $ pour une personne seule et de 35 000 $ pour une famille est si bas que toute proportion consacrée au loyer constituerait un fardeau financier. Elle a également affirmé que la section de la loi qui permet aux demandeurs qui vivent dans des habitations multifamiliales d’utiliser seulement 90 % de leur revenu pour déterminer s’ils consacrent au moins 30 % de leur revenu à leur loyer est injuste. Si la détermination est fondée sur 90 % du revenu des demandeurs, cela les empêchera peut-être tout juste d’être admissibles à l’allocation.
Si le gouvernement a prévu une aide financière pour les locataires dans le budget de 2022, il ne fait rien pour répondre au problème des taux d’intérêt et de l’augmentation des paiements hypothécaires des propriétaires. Le budget de 2022 compte un certain nombre d’initiatives visant à inciter les gens à acheter une maison. Ces initiatives s’appuyaient sur l’assurance donnée par la Banque du Canada que les taux d’intérêt n’augmenteraient pas. D’ailleurs, en juin 2020, la banque avait même dit de ne pas s’inquiéter de la possibilité que les taux d’intérêt augmentent.
En terminant, je voudrais parler en général de l’aide financière apportée aux particuliers et aux familles. Un projet de loi a récemment été présenté concernant l’augmentation des remboursements de la TPS. Le projet de loi à l’étude concerne les soins dentaires et l’aide aux locataires. J’ai bon espoir que d’autres mesures seront mises en œuvre, notamment celles de l’Énoncé économique de l’automne 2022. Chacun de ces programmes a ses propres critères, ses propres plafonds et, dans certains cas, des paliers quant à la hauteur de l’aide.
Le gouvernement a-t-il déterminé qui bénéficie de chacun de ces programmes pris individuellement, mais également pris dans leur ensemble? Y a-t-il des particuliers ou des familles qui auront accès à l’ensemble des programmes et, si c’est le cas, pourquoi ne pas les avoir regroupés sous un seul programme, voire deux? Chacun des programmes cible-t-il des groupes de particuliers ou de familles distincts? Si c’est le cas, s’agit-il des familles les plus démunies? Finalement, y a-t-il des particuliers ou des familles qui auraient besoin d’aide et que le gouvernement laisse tomber en raison des critères employés par les différents programmes? Merci, honorables sénateurs.