Projet de loi sur les nouvelles en ligne
Deuxième lecture--Suite du débat
9 février 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-18 sur les nouvelles en ligne. C’est un projet de loi qui m’interpelle personnellement, compte tenu des nombreuses années que j’ai passées dans le monde du journalisme.
La première chose à dire, c’est que la crise est réelle. Depuis 14 ans, 469 journaux et organisations de nouvelles ont fermé au Canada. La majorité des médias qui survivent ont subi des compressions qui ont éviscéré les salles de nouvelles. En ce sens, le projet de loi C-18 n’est pas une solution à la recherche d’un problème; il y a effectivement un gros problème, et le gouvernement a raison de vouloir s’y attaquer.
Les causes de la crise sont multiples; elles trouvent presque toutes leur source dans la révolution d’Internet. Au cours des 25 dernières années, les médias traditionnels, qui détenaient jadis le monopole de la diffusion de l’information, ont perdu leur exclusivité au profit d’une multitude de concurrents : les annonces en ligne, les médias étrangers, les sites gouvernementaux, les plateformes de diffusion continue, les innombrables sources spécialisées — que ce soit la météo, les résultats sportifs ou financiers —, les plateformes de partage audio et vidéo, les blogues de nouvelles ou d’opinions et finalement, les plateformes de médias sociaux qui ont enfoncé le dernier clou dans le cercueil.
Aujourd’hui, les médias traditionnels font face à une crise profonde qui touche tant à leur rentabilité — maintenant que les annonceurs sont partis — qu’à leur valeur ajoutée, puisque tant de contenu est disponible ailleurs.
Certains disent que les médias n’ont pas su s’adapter et qu’ils sont simplement victimes des évolutions technologiques, un peu comme la machine à écrire a disparu quand les ordinateurs se sont répandus. D’autres ajoutent que les médias traditionnels sont victimes de leur inertie et de leur arrogance et qu’ils méritent leur sort.
Cela ne me fait pas plaisir de le dire, mais il y a un peu de vrai là‑dedans. Plusieurs n’ont pas vu venir la menace et ont longtemps cru que la concurrence venue des médias en ligne et des réseaux sociaux — baptisée parfois « invasion barbare » — était sans valeur et n’intéresserait personne. Habitués au confort de leur monopole, certains organes de presse ont regardé de haut les nouvelles plateformes, les modèles différents et les voies alternatives, et n’ont pas voulu se remettre en question, repenser leur offre et s’adapter.
Cependant, ce n’est pas toute l’histoire. Plusieurs médias canadiens, petits et grands, jeunes ou anciens, ont essayé des approches innovantes depuis 20 ans. Au Québec, en particulier, le paysage médiatique s’est profondément transformé, grâce à l’émergence d’organismes à but non lucratif ou de coopératives, comme dans le cas des Coops de l’information. La Presse est passée au numérique exclusivement et le modèle payant et hybride du Devoir fonctionne. Des spécialistes comme Sue Gardner et Jean‑Hugues Roy l’ont noté : il y a beaucoup d’expérimentation en cours, et même si rien n’est encore concluant, cela pourrait être la clé de la solution.
Il ne faut toutefois pas confondre les médias traditionnels et le journalisme. On peut critiquer nos médias tout en étant légitimement préoccupé par l’avenir du journalisme. Si certaines organisations ont perdu de leur aura et de leur influence, l’importance du journalisme, elle, demeure intacte et aussi grande que jamais.
Que les reportages visent la nécessité d’exposer les mensonges, les scandales, la corruption et le copinage, le caractère essentiel du journalisme n’est pas moins grand aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Dans toute société libre, le journalisme est un bien public qu’il faut protéger et soutenir. Comme le dit la maxime du Washington Post : Democracy Dies in Darkness.
Cela étant dit, le travail d’enquête ou d’analyse a la même valeur publique, qu’il soit fait par Radio-Canada ou par une nouvelle plateforme journalistique en ligne, peu importe qu’il soit diffusé à la radio, à la télévision, sur Twitter ou sur Facebook.
Ce qui compte pour la société canadienne, c’est que des organisations, quelles qu’elles soient, aient les moyens de faire un travail journalistique de qualité et que leurs contenus se rendent au public. Autrement dit, il faut que le Canada ait un écosystème d’information robuste et diversifié qui joue pleinement son rôle de chien de garde dans la démocratie.
Avec son projet de loi C-18, le gouvernement propose une réponse aux difficultés financières du journalisme au Canada. La solution que le gouvernement met de l’avant est assez simple et directement inspirée du modèle australien : puisque les médias ont perdu leurs revenus de publicité au profit des grandes plateformes comme Facebook et Google, celles-ci devront payer les médias pour rendre leur contenu disponible. C’est une solution pragmatique : on va chercher de l’argent dans les poches d’entreprises riches pour soutenir des entreprises devenues pauvres.
Pour certaines personnes, le projet de loi C-18 fait tout de même fausse route parce qu’il se fonde sur une idée fictive, à savoir que Google et Facebook « nuisent » aux médias en rendant leur contenu accessible. L’experte en médias Sue Gardner résume bien cette critique :
Cette prémisse n’a [...] aucun sens. Nous le savons, parce que les éditeurs de nouvelles ont toujours eu la possibilité de ne pas apparaître dans les résultats de recherche de Google, et qu’ils ne s’en prévalent pas. Ils font plutôt tout le contraire : ils se livrent une concurrence acharnée pour renforcer leur présence sur Google et sur Facebook. Les éditeurs de nouvelles veulent apparaître sur ces plateformes, car c’est là que les gens trouvent les nouvelles.
Pour ces détracteurs, la réalité est que Google et Facebook offrent à leurs utilisateurs une très grande variété de contenu et que les médias d’information — qui ne représentent qu’une petite portion — profitent davantage du référencement des plateformes que ce que ces dernières tirent du contenu des nouvelles. C’est possible. Personne ne le sait. Les chiffres ne sont pas publics.
Selon certains experts en médias, la solution serait d’imposer les bénéfices de Google et Facebook et d’établir un fonds indépendant pour soutenir le journalisme.
Dans un monde idéal, créer un fonds serait l’option la plus simple, mais le gouvernement n’a pas choisi cette voie pour des raisons qui auraient à voir avec nos accords commerciaux. En tant que sénateurs, nous sommes appelés à voter sur le projet de loi dont nous sommes saisis. Il est possible de l’améliorer, mais il est impossible de le transformer de manière substantielle.
Je considère que nous devons aborder un certain nombre de questions dans le cadre de notre examen du projet de loi C-18.
Tout d’abord, il y a la question fondamentale des attentes des parties. Pour les grandes plateformes numériques, les négociations doivent se concentrer sur la valeur commerciale du contenu et des services qui font l’objet de transactions. En d’autres termes, quelle est la valeur du contenu de nouvelles pour Google et Facebook, et quels revenus ces plateformes rapportent-elles aux médias d’information? Pour les médias, en revanche, la logique semble différente. Certains considèrent que les grandes plateformes devraient financer jusqu’à 30 % de leurs coûts d’exploitation. Cette approche ressemble davantage à une subvention qu’à un accord commercial.
Afin d’harmoniser les attentes des parties dans le cadre de futures négociations, il serait utile de clarifier les objectifs du projet de loi.
Ensuite, il y a la question des médias admissibles. La Chambre des communes a déjà apporté des modifications visant à élargir les critères d’admissibilité afin d’inclure les petits médias communautaires et autochtones sans but lucratif, notamment ceux qui appartiennent à des journalistes. L’élargissement de ces critères signifie que le nombre d’organisations potentiellement admissibles aux termes du projet de loi C-18 est passé d’environ 200 à plus de 650. Il s’agit d’une bonne chose, car l’objectif est de soutenir le journalisme, peu importe où il est pratiqué, et non de soutenir uniquement les médias grand public. En revanche, nous devons nous assurer qu’en élargissant le champ d’application du projet de loi, nous n’ouvrons pas la porte aux individus qui ne sont pas de véritables journalistes et qui se concentrent plutôt sur le lobbying, les récits fictifs ou intimes, la croissance personnelle ou le divertissement.
Des questions se posent aussi sur les plateformes ciblées par le projet de loi C-18. Même si la définition d’« intermédiaire de nouvelles numériques » dans la mesure législative est très large, nous savons qu’elle couvre uniquement Facebook et Google pour l’instant. Cependant, nous devons aussi penser à l’avenir. Facebook menace déjà de bloquer la publication de nouvelles canadiennes sur sa plateforme si le projet de loi C-18 est adopté. Si Facebook met sa menace à exécution, le projet de loi s’appliquera-t-il seulement à Google? Dans ce cas, le nouveau mécanisme de financement pour les médias canadiens dépendra-t-il d’une seule plateforme étrangère? Ce serait bizarre.
Il sera également important de nous pencher sur l’utilisation des fonds reçus par les médias. Il s’agit là d’une question très délicate parce que le gouvernement ne veut pas trop s’ingérer dans ce qu’il décrit comme étant des négociations privées. C’est une conséquence de l’approche qu’il a adoptée. Cela dit, le projet de loi ne contribuera pas grandement à produire un journalisme pour le bien du public si les sommes reçues de Google et de Facebook sont versées à des actionnaires ou sont affectées au paiement d’intérêts, plutôt que de servir à embaucher des journalistes, à moderniser les plateformes et à mener des enquêtes. Ce projet de loi doit être bien plus transparent.
Par ailleurs, on s’interroge sur la viabilité à long terme d’une approche qui rend les médias canadiens partiellement dépendants d’entreprises privées étrangères qui peuvent changer ou disparaître à tout moment.
En conclusion, le projet de loi C-18 s’attaque à un problème réel pour la santé démocratique de notre pays.
Aujourd’hui, même les nouvelles plateformes innovantes n’arrivent pas à être rentables sans soutien public, sauf exception. Si l’on exclut CBC/Radio-Canada, plusieurs salles de nouvelles ne tiennent qu’à un fil.
Le Comité des transports et des communications, dont je fais partie, aura du pain sur la planche. Il faudra comprendre les implications du projet de loi et ses limites, et peut-être proposer des améliorations. Tout comme pour le projet de loi C-11, le projet de loi C-18 est une incursion législative dans l’univers d’Internet, un monde en constant bouleversement. À moyen terme, il est difficile d’évaluer les effets des mesures mises de l’avant. Il y aura inévitablement un processus d’essais et d’erreurs, et des ajustements nécessaires. Toutefois, à mon avis, cet effort est certainement plus méritoire que l’inaction.
Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?
Certainement.
Merci. Je tenterai de regrouper mes trois questions, comme nous en avons déjà parlé. En ce qui me concerne, j’estime qu’il est trop tôt pour se prononcer sur ce projet de loi. Je suis sensible à l’objectif du gouvernement. Je pense que nous comprenons tous combien la liberté de la presse est importante pour notre démocratie.
Mes trois questions sont les suivantes. Premièrement, que répondriez-vous aux détracteurs du projet de loi qui affirment que les journalistes ont le choix de publier leurs articles en ligne et sur le Web ou de ne pas le faire?
Deuxièmement, nous disposons déjà de lois sur le droit d’auteur, bien sûr, qui protègent les créateurs de contenu si quelqu’un s’approprie leur travail.
La troisième question porte sur une analogie que le sénateur Harder n’a pas aimée, mais peut-être obtiendrai-je une meilleure réponse de votre part. Je pense que ce qui est proposé dans ce projet de loi, c’est comme si quelqu’un sautait dans un Uber, se rendait dans un restaurant pour manger, et que le propriétaire du restaurant disait : « Je veux aussi un pourcentage du montant facturé par le chauffeur Uber, parce que si je n’étais pas là, il ne serait pas en affaires. »
J’aimerais avoir votre avis sur ces trois points de vue qui, bien sûr, sont ceux des détracteurs du projet de loi.
Sénateur Housakos, d’abord, les journalistes ont le choix de publier ou non leurs articles en ligne.
Je sais que vous êtes très attaché au principe du choix individuel. Cependant, on parle ici d’un changement total de paradigme. Cela veut dire que si les organes de presse ne permettent pas le partage de leurs articles, ils perdent énormément de lecteurs. C’est un paradoxe, en quelque sorte, parce que la survie du journalisme passe en partie par des contenus extrêmement solides, un journalisme qui se distingue de ce qui circule sur les médias sociaux.
Nous savons que les médias seuls et isolés ne pourront pas rejoindre suffisamment de monde. Ils sont donc obligés, dans ce nouvel univers, de rendre disponibles leurs articles en acceptant de les partager. Le véritable problème est qu’on ne connaît pas la valeur de ce contenu journalistique pour une plateforme comme Google. Google, bien sûr, ne nous donne pas ses chiffres. Par conséquent, il est extrêmement difficile d’appliquer un projet de loi comme celui-ci, qui prétend attribuer une valeur au contenu journalistique, puisqu’on n’a aucune idée non seulement de la valeur de ce contenu pour les plateformes, mais de ce qu’il rapporte aux médias individuels.
Nous savons qu’ils n’ont plus de publicité parce que tout le marché publicitaire a été récupéré par les plateformes, mais nous ne savons pas si cela peut faire une différence sur le plan de la circulation. Des gens du quotidien La Presse, par exemple, m’ont dit que les revenus publicitaires étaient convenables pour eux, que ce n’était pas la manne, mais qu’ils avaient ce qu’il fallait pour vivre. C’est pour cette raison que tout le monde tient à être sur les médias sociaux. Je crois que vous aviez une autre question?
Et qu’en est-il de la protection du droit d’auteur?
À ma connaissance, depuis que cette crise existe, la Loi sur le droit d’auteur n’a pas été appliquée par rapport aux articles qui sont partagés; en effet, on partage souvent des liens. Je crois que la Loi sur le droit d’auteur n’est pas le bon véhicule pour protéger le journalisme. Je sais que cette méthode est utilisée en France. Nous nous sommes bien davantage inspirés du modèle australien, qui a quand même réussi jusqu’à un certain point à calmer la crise. Nous avons remarqué qu’en Australie...
Sénatrice, demandez-vous cinq minutes de plus?
Oui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
L’Australie n’est certainement pas un modèle parfait, mais nous avons remarqué qu’on y avait embauché des journalistes après les ententes secrètes que Google et Facebook ont malheureusement conclues avec les médias. Nous avons aussi remarqué, selon certaines sources, que les grands médias ont plus d’argent que les petits médias, mais que de petits médias communautaires ont reçu certaines sommes.
Pour ce qui est d’Uber, qui vous amène au restaurant, je suis plutôt d’accord avec le sénateur Harder dans la mesure où je ne suis pas certaine que cette image correspond à ce qui se passe vraiment. Il y a un échange, mais nous ne savons pas exactement si cet échange est ou égal ou inégal entre la valeur du journalisme pour les plateformes et la valeur qu’apporte aux journalistes le fait d’être diffusés sur les plateformes.
Si je vous ai bien compris, sénatrice, vous dites en gros que les journalistes ont besoin de ces plateformes pour amplifier la portée de leur travail et joindre plus de gens. En même temps, ils voudraient pouvoir quantifier la monétisation qui en découle pour pouvoir obtenir leur part du gâteau. C’est le problème.
C’est là où le bât blesse quant au projet de loi; je ne sais pas comment on peut arriver à un chiffre.
En ce qui a trait au droit d’auteur, d’après ce que j’en comprends — je ne suis pas un spécialiste en la matière —, dès qu’un journaliste publie son article dans la sphère publique, ce dernier fait partie du domaine public. Il est diffusé sur les différentes plateformes avec son consentement parce que, comme vous l’avez dit, le journaliste veut amplifier la portée de son article.
Dans les deux cas, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vous choisissez une voie ou l’autre — c’est ce qu’on m’a appris.
Brièvement, nous ne connaissons pas la valeur de ces contenus partagés sur Internet.
En ce moment même, beaucoup de contrats privés se nouent entre Google et certains médias canadiens. Nous ne connaissons pas la valeur de ces contrats, mais nous savons que Google, face à la « menace » de la loi qui arrive, conclut des ententes avec les médias. Donc, si Google agit ainsi, c’est qu’elle y trouve un intérêt. Dans notre monde capitaliste, peu d’entreprises privées concluent des ententes si elles ne sentent pas le besoin de le faire.
Dans un certain sens, les plateformes admettent que ce contenu journalistique a de la valeur. À cause de rumeurs, nous savons que la plupart des ententes exigent actuellement le paiement d’une valeur de 30 % de la facture liée aux journalistes, selon le nombre de journalistes que compte une entreprise.
Vous avez quand même raison de dire qu’il y a trop peu de transparence dans ce projet de loi et qu’il y a beaucoup d’inconnues. À un moment donné, le couperet tombera, et le gouvernement voudra connaître le nombre d’ententes et se demandera si ce nombre est suffisant pour que la loi ne s’applique pas, comme ce fut le cas en Australie. Ce sera alors la course, parce que Google ne veut pas de loi, ne veut pas d’arbitrage et ne veut pas non plus qu’on impose des ententes. Le pari que l’on fait, c’est que les plateformes — et Facebook ne semble pas faire cela — vont conclure des ententes avant que la loi s’applique — et, de cette façon, la loi ne s’appliquerait pas. C’est le pari que font le gouvernement de l’Australie et le gouvernement du Canada.
Merci de votre présentation, sénatrice. Ma question est très générale. Que se passera-t-il dans 10 ou 20 ans si ce projet de loi n’est pas adopté?
Je ne lis pas dans l’avenir, mais pour l’instant, le gouvernement donne des crédits d’impôt. Ces crédits d’impôt ont aidé les médias qui ont survécu à la crise à continuer de fonctionner, mais ils sont un peu à la limite. Donc, évidemment, ces accords avec les plateformes sont les bienvenus et permettent au quotidien Le Devoir, par exemple, de prospérer davantage qu’il ne l’aurait fait. Cependant, qui nous dit que Google sera encore là dans 20 ans? Je crois que je n’ai plus de temps pour vous répondre.
Honorables sénateurs, le 12 janvier, Postmedia, la plus grande chaîne de journaux au pays, a publié son bilan financier pour le premier trimestre. Par le passé, le trimestre qui débute en septembre et prend fin le 30 novembre a toujours été le plus lucratif pour les journaux canadiens, puisqu’il comprend la période de la rentrée scolaire, le vendredi fou et les semaines qui précèdent Noël. Toutefois, cette fois-ci, les chiffres de Postmedia pour ce trimestre étaient consternants : le groupe a enregistré une perte nette de 15,9 millions de dollars.
Douze jours plus tard, le couperet est tombé. L’entreprise a annoncé la mise à pied de 11 % du personnel de rédaction à l’échelle de la chaîne, laissant les salles de nouvelles déjà éviscérées avec des effectifs squelettiques.
Ces mises à pied n’ont pas été le seul coup dur. Les membres du personnel des plus importants journaux des Prairies, l’Edmonton Journal, l’Edmonton Sun, le Calgary Herald, le Calgary Sun, le Saskatoon Star Phoenix et le Regina Leader-Post, ont appris qu’ils ne mettraient plus jamais les pieds dans leur salle de nouvelles jadis si dynamique. Ces salles de nouvelles ont été fermées. Les rares effectifs toujours en poste travailleront depuis leur domicile, comme ils le font depuis le début de la pandémie.
L’immeuble qui abrite le Calgary Herald, un bâtiment emblématique situé au sommet d’une colline, a été vendu à U-Haul. C’est pratiquement trop dans le mille pour être vrai. Les bâtiments de Saskatoon et de Regina ont également été mis en vente.
Postmedia a un contrat de location compliqué, qui fait en sorte que le groupe ne peut pas se défaire facilement de ses installations d’Edmonton. Pour l’instant, l’élégant bâtiment de cinq étages, situé dans l’un des quartiers les plus historiques du centre-ville d’Edmonton, est vide et abandonné, rappel fantomatique de l’époque où les journaux étaient des forces puissantes au service de la communauté et de la démocratie.
Bien sûr, ce ne sont pas seulement les journaux des Prairies qui se trouvent en difficulté. Les journaux de Postmedia à St. Thomas, Sarnia et Owen Sound, en Ontario, ne sont plus publiés que trois jours par semaine. Cette semaine encore, on a annoncé parallèlement que les principaux journaux du Nouveau-Brunswick, c’est-à-dire le Telegraph-Journal, le Times & Transcript de Moncton et le Daily Gleaner de Fredericton, ne seraient plus des quotidiens, mais qu’ils seraient désormais publiés trois fois par semaine.
Ces journaux, comme tant d’autres dans le monde, ont vu leur modèle économique bouleversé par les perturbations numériques. Leurs annonceurs, petits et grands, ont migré vers des sites en ligne comme Craigslist, Kijiji, AutoHebdo, Instagram, TikTok, Twitter, Google et Facebook. De plus, leurs abonnés ont cessé de payer, soit parce qu’ils sont heureux d’obtenir gratuitement les nouvelles en ligne, soit parce qu’ils ne voyaient plus l’intérêt de payer de plus en plus cher pour des journaux qui se réduisaient comme peau de chagrin chaque année. Qui plus est, les journaux locaux sont confrontés à une concurrence en ligne féroce pour attirer l’attention du lectorat. Il fut un temps où les journaux avaient des monopoles régionaux, non seulement sur la publicité, mais aussi sur notre temps et notre intérêt.
Aujourd’hui, les Canadiens peuvent accéder aux nouvelles du monde entier en temps réel, que leurs goûts aillent vers The Guardian, Le Monde et The Washington Post, ou vers Fox News et le Daily Mail. Il y a des sites de nouvelles pour tous les goûts. Aujourd’hui, on n’est plus limité à lire les nouvelles dans les journaux ou à les entendre à la radio ou à la télévision locale au téléjournal de 18 heures.
Entretemps, de nouveaux concurrents font leur apparition sur la scène numérique partout au Canada pour servir les lecteurs intéressés par des sujets ou des points de vue particuliers. Bon nombre de ces nouveaux joueurs publient des articles primés sur le climat, le Parlement et les enjeux sociaux et technologiques. Toutefois, la portée et la force de rassemblement de ces sites ne se comparent pas à celles des quotidiens grand format.
À certains égards, les Canadiens n’ont jamais eu tant de choix pour s’informer. Nous avons de l’information de partout dans le monde littéralement à portée de la main. Cependant, à d’autres égards, nous n’en avons jamais su si peu sur ce qui se passe dans nos villes et nos localités faute de journalistes sur place pour couvrir les réunions des conseils municipaux et des conseils scolaires, faute de journalistes d’enquête pour se pencher sur les scandales locaux et faute de rédacteurs d’articles de fond pour raconter les histoires de chez nous.
Nous sommes maintenant saisis du projet de loi C-18, qui vise à sauver les petits et les grands diffuseurs d’information en difficulté partout au Canada. Au départ, la situation est d’une simplicité trompeuse et déroutante. Google et Facebook ont énormément d’argent. Comme la sénatrice Miville-Dechêne l’a dit, ces grands joueurs ont de l’argent plein les poches. Ils dominent le secteur publicitaire canadien. Le gouvernement estime que, à elles seules, ces deux entreprises occupent 80 % du marché publicitaire canadien, et qu’elles partagent certainement des liens avec des diffuseurs d’information canadiens — liens pour lesquels elles ne paient pas. Alors, pourquoi ne pas leur demander de payer pour soutenir les journaux, les diffuseurs d’information et les sites de nouvelles dont les recettes publicitaires se sont évaporées?
Le projet de loi exige que Facebook et Google entament des négociations avec les médias d’information, des grands journaux aux tout petits journaux publiés par des propriétaires-exploitants, en passant par les stations de radio autochtones et étudiantes. Si les entreprises parviennent à conclure des accords privés, elles seront exemptées des dispositions du projet de loi. Cependant, si ces exemptions ne sont pas accordées, les entreprises seront tenues de se soumettre à l’arbitrage exécutoire des propositions finales.
C’est une proposition tentante, surtout lorsque le gouvernement promet que le projet de loi C-18 obligera Google et Facebook à payer de 20 à 30 % des coûts d’exploitation des salles de presse canadiennes, voire 35 %, comme l’a laissé entendre le sénateur Harder cette semaine; c’est la première fois que j’entends ce chiffre. Selon le directeur parlementaire du budget, qui a peut-être fait preuve de plus de retenue, le programme devrait rapporter environ 329,2 millions de dollars par an.
Cependant, l’idée que nous puissions ou devrions forcer deux géants du Web américains à financer les médias d’information indépendants sur lesquels les Canadiens comptent est une erreur de raisonnement et d’éthique. Le projet de loi semble reposer sur une proposition fondamentale selon laquelle les médias imprimés ont perdu leurs revenus parce que Google et Facebook volent en quelque sorte les nouvelles et les monnaient ensuite pour vendre des publicités. Il trahit toutefois une incompréhension fondamentale du fonctionnement des marchés publicitaires numériques.
L’algorithme de Facebook privilégie le contenu qui génère de l’engagement, et un article au sujet du conseil scolaire de Kamloops ou d’un débat au Sénat n’est pas suffisamment séduisant ou juteux pour cela. C’est malheureusement le cas. En 2021, une étude effectuée pour Nieman Lab a révélé que moins de 4 % des publications regardées sur le fil de presse de Facebook avaient des liens avec des nouvelles. Depuis, Facebook a modifié son algorithme afin de présenter encore moins de nouvelles aux gens, préférant se tourner vers les vidéos pour contrer TikTok.
Selon Jean-Hugues Roy, professeur en journalisme et économique des médias à l’Université du Québec à Montréal, les revenus de Facebook provenant de contenus journalistiques canadiens se seraient élevés à 198,8 millions de dollars en 2022, en baisse par rapport à 210 millions de dollars en 2021.
Selon le professeur Roy, une portion d’environ 99,4 millions de dollars de cette somme pourrait être partagée avec l’industrie canadienne des nouvelles. Toutefois, même cette estimation plutôt positive sera loin d’être suffisante pour subventionner les salles de nouvelles partout au pays, surtout si ce montant ne cesse de diminuer.
Pour sa part, Google ne diffuse aucune publicité sur son site de nouvelles. Google News ne fait pas d’argent. Il s’agit en fait d’un produit d’appel destiné à garder les gens sur le site plus longtemps.
Google et Facebook ne bénéficient pas beaucoup du partage de nouvelles. Le bénéfice économique direct qu’ils obtiennent en partageant des nouvelles est minime, voire inexistant.
Google et Facebook sont des mastodontes de la publicité qui dominent Internet et les marchés publicitaires; leur domination est sans égale et sans précédent. Selon le Transnational Institute, Google a été le site Web le plus visité dans le monde en 2021, avec 92,5 milliards de visiteurs par mois. YouTube, qui appartient à Google, occupe le deuxième rang des sites Web les plus visités, avec 34,6 milliards de visiteurs par mois, suivi de Facebook, avec 25,5 milliards de visiteurs par mois.
Devinez quel est le seul site Web canadien qui se classe parmi les 20 premiers rangs? C’est Pornhub, avec 3,3 milliards de visiteurs par mois. Fait intéressant à noter, il attire plus de visiteurs que Reddit ou Bing.
Oui, Google et Facebook ont la mainmise sur les yeux des utilisateurs et sur les coffres des annonceurs. Je ne vous demande pas d’être empathiques à leur égard. Je vous demande s’il est pertinent d’exiger d’eux qu’ils soutiennent les médias canadiens, notamment les journaux, les magazines, les diffuseurs et les sites d’information, y compris les petits sites Web dont le contenu n’est pratiquement jamais partagé ou indexé dans les plateformes de ces mastodontes des médias sociaux.
En fait, je vous demande si c’est sage de le faire. Dans quelle mesure les médias d’information canadiens seront-ils indépendants s’ils sont tant à la merci de la volonté et de la réussite économique de deux sociétés étrangères?
En juin 2021, quand nous débattions du projet de loi du sénateur Carignan, le projet de loi S-225, qui a des éléments en commun avec le projet de loi C-18, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications avait entendu le témoignage d’Edward Greenspon, ancien rédacteur en chef du Globe and Mail, qui occupait à ce moment les fonctions de président et chef de la direction du Forum des politiques publiques.
Voici ce que M. Greenspon nous a dit en 2021 :
[...] le fait d’inviter les plateformes à négocier des accords avec des éditeurs particuliers pourrait gravement fausser le marché de l’information. Depuis des décennies, les gens s’inquiètent du fait que les annonceurs influencent les programmes d’information. En fait, il était difficile de trouver un annonceur qui possédait une part de marché suffisante pour le faire, c’est‑à-dire un annonceur qui contribuait à plus de 1 ou 2 % des revenus totaux d’un éditeur. En revanche, je peux très bien imaginer que les revenus versés par une plateforme en vertu de ce système puissent représenter 10 % ou plus des revenus d’une agence de presse. Ces plateformes ont leurs propres gigantesques programmes de politiques publiques, notamment en matière de politique fiscale, de surveillance réglementaire, de données, et cetera.
Il nous a ensuite mis en garde en ces termes : « Vous êtes ici pour renforcer la presse indépendante, et non pour créer de nouvelles dépendances. »
Nous devrions maintenant suivre ses conseils. Le projet de loi C-18 vient renforcer la dépendance économique qui existe déjà; Google et Facebook auront plus que jamais le pouvoir de déterminer ce que nous lisons, ce que nous voyons et même ce que nous pensons.
Les mécanismes proposés dans le projet de loi C-18 nous rendent encore plus vulnérables aux décisions de ces entreprises, des décisions sur lesquelles les Canadiens n’auront aucunement leur mot à dire.
Tandis que nous assistons au lent effondrement de Twitter, qui s’est accéléré cette semaine, il m’apparaît naïf, voire imprudent, d’imaginer Google et Facebook comme des poules aux œufs d’or dont les œufs d’or pourront assurer la viabilité éternelle de notre presse libre. Qu’arrivera-t-il le jour où Google et Facebook ne seront plus populaires, branchés et fiables?
J’ai beaucoup d’autres questions concernant le projet de loi, alors que nous nous apprêtons à le renvoyer au comité. Soyons réalistes. Dans quelle mesure les stations de radio et les journaux à faible diffusion, ruraux, ethnoculturels ou autochtones seront-ils avantagés par ce programme, même s’ils négocient collectivement? Dans quelle mesure voulons-nous subventionner de grands joueurs comme Rogers ou Bell Média, ou encore des entreprises traditionnelles en difficulté comme Postmedia, surtout si cela rend plus difficile pour les jeunes entreprises novatrices de soutenir leur concurrence?
Quelles garanties avons-nous que les entreprises se serviront de leurs subventions pour augmenter de façon nette la couverture médiatique, plutôt que pour rembourser leur dette ou récompenser leurs cadres? Est-il raisonnable que, selon les estimations du directeur parlementaire du budget, l’organisation CBC/Radio-Canada — qui est déjà financée par le gouvernement — touche, et de loin, la plus grande part de ces nouveaux fonds? Est-ce que le fait que le projet de loi C-18 écarte de façon plutôt cavalière les protocoles traditionnels de protection du droit d’auteur aura une incidence sur notre capacité de respecter la Loi sur le droit d’auteur, les principes d’utilisation équitable et nos obligations aux termes de la Convention de Berne?
Sommes-nous à l’aise avec l’idée de conférer de nouveaux pouvoirs réglementaires sans précédent au CRTC, qui lui permettront d’intervenir dans les activités de la presse écrite et d’imposer aux médias des codes de déontologie, étant donné que la presse libre n’a jamais auparavant été soumise, d’aucune façon, à l’autorité du CRTC?
Mes amis, j’ai exercé pendant 30 ans la profession de journaliste au Canada. Je crois qu’un journalisme responsable est essentiel à la vitalité d’une société civile. Il est facile d’observer la crise qui sévit dans le milieu journalistique canadien et de dire qu’il faut faire quelque chose pour la régler.
Eh bien, le gouvernement a fait quelque chose en présentant cette mesure, mais quels seront ses effets? Je crains qu’ils ne soient pas ceux que nous souhaiterions.
Merci, hiy hiy.
Ma voisine de pupitre aurait-elle l’obligeance de répondre à une question?
Je serais ravie de répondre à une question. Nous allons avoir l’air de diablotins qui sortent de leurs boîtes.
Je me demande si vous avez réfléchi aux nouvelles plateformes en ligne comme The Logic ou BetaKit, ou encore aux plateformes de journalisme d’investigation qui diffusent des baladodiffusions, comme Canadaland. Quelle place occuperont-elles dans le monde envisagé par le projet de loi C-18, étant donné qu’elles semblent mener leur propre combat dans un paysage médiatique radicalement différent? Je me demande simplement si vous y avez réfléchi. Merci.
J’y ai longuement réfléchi. Voici le défi. Beaucoup de ces petits sites indépendants se battent pour obtenir des parts de marché, sur le plan tant des lecteurs que des annonceurs, parce qu’ils sont en concurrence avec des dinosaures, si je puis dire.
Il y a de bonnes raisons de penser que si on soutient les journaux grand format traditionnels dont le modèle d’affaires périclite, on empêche de nouveaux concurrents de percer le marché. D’un autre côté, comme je l’ai dit dans mon discours, certains de ces nouveaux concurrents servent plutôt des créneaux particuliers sans assurer la vaste couverture communautaire qu’offrait un quotidien local. Je suis très partagée et je pense que certaines de ces entreprises le sont aussi. Certaines d’entre elles ont d’abord critiqué plutôt vertement le projet de loi C-18 et l’idée qu’elles devront se regrouper d’une manière ou d’une autre parce qu’il n’y a pas de syndicat de journaux au pays. Elles devront trouver d’autres entreprises dans la même situation et se regrouper pour négocier ensemble avec Facebook et Google.
Comment parviendront-elles à se regrouper ainsi? Ont-elles accès aux ressources juridiques nécessaires pour affronter deux des plus grandes sociétés du monde? C’est une question très intéressante.
Certains de ces petits éditeurs de publications ont déjà conclu avec succès des accords avec Google — plus avec Google qu’avec Facebook — pour présenter leur travail. Ces accords vont-ils être déchirés? Google et Facebook seront-ils moins enclins à soutenir ces publications? Ce sont de bonnes questions. Nous ne le savons pas encore.
Sénatrice Simons, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à plus de questions?
J’aimerais demander cinq minutes de plus, avec l’indulgence des sénateurs.
Sommes-nous d’accord pour accorder cinq minutes de plus?
Je serai brève. J’admire votre vision assez puriste du journalisme. Vous avez raison de dire qu’il y a des dangers à recevoir de l’argent de grandes plateformes extrêmement puissantes, mais il me semble que le débat a déjà dépassé ce stade, puisque le journalisme au pays reçoit de l’argent du gouvernement. Or, le gouvernement est sans doute l’entité qui est la plus critiquée au Canada, et maintenant il donne de l’argent aux médias.
En quoi serait-ce différent sur le plan des principes que d’accepter de l’argent des plateformes qui gagnent quand même un peu d’argent avec le journalisme?
C’est une très bonne question. Je voudrais bien y répondre en français, mais je crois que ce sera mieux pour tout le monde si je réponds en anglais. Ce sera plus facile pour moi comme pour vous.
Vous avez raison. J’ai également critiqué l’idée que le gouvernement finance le journalisme au moyen du fonds pour le journalisme local.
Il est très difficile pour une presse indépendante de dépendre des subventions du gouvernement, quel que soit le degré d’autonomie dont elle dispose.
Il est également très problématique que les journaux soient si dépendants de deux entreprises au lieu de la base traditionnelle d’abonnés et des annonceurs traditionnels.
J’ai parlé avec des universitaires comme Vivek Krishnamurthy, de l’Université d’Ottawa, qui estime que le modèle le plus approprié aurait été celui des crédits d’impôt, des crédits d’impôt très robustes et généreux, de sorte que si vous vous abonnez à une publication canadienne, en ligne ou sur papier, vous récupérez de l’argent. Si vous êtes un annonceur et que vous placez une publicité dans un journal hebdomadaire local ou un quotidien local, ou à une station de radio locale, vous pourriez également obtenir une subvention en retour. Cela permettrait aux consommateurs de nouvelles et aux acheteurs de publicité de voter par leurs gestes, et d’établir une corrélation directe entre ce que les gens veulent lire et ce qu’ils veulent soutenir, tout en obtenant de l’argent de la part du gouvernement, de sorte que l’argent se retrouve blanchi, pour ainsi dire, comme Ponce Pilate s’est lavé les mains.
Nous nous sommes enfoncés dans une impasse. Récemment, j’ai parlé à des éditeurs de journaux communautaires de petites localités, qui sont désespérés : dans leur marché, la publicité qu’achetaient les municipalités dans le journal du coin était l’une des principales sources de revenus. Pour organiser une audience sur un règlement ou annoncer un changement municipal, les villes dépensaient de l’argent dans le journal du coin. Elles ne le font plus. Elles achètent des publicités en ligne beaucoup moins chères ou délaissent carrément la publicité en se contentant d’utiliser Facebook. Par conséquent, si nous ne soutenons pas les médias locaux, ils meurent. Si notre pays choisit de ne pas se soucier des nouvelles locales, c’est exactement ce qui se passera. Ce sera la fin des nouvelles locales.
Il y a quelques semaines, j’ai aussi rencontré Jordan Bitove, le nouveau propriétaire et éditeur du Toronto Star, un incontournable dans le milieu des affaires torontois. Il m’a raconté qu’il cogne à la porte des grandes banques et des grands constructeurs automobiles pour leur dire ceci : « Hé, recommencez à acheter de la publicité dans le journal. Sinon, le journal disparaîtra. »
Nous avons, nous aussi, des choix à faire, et je ne suis pas certaine que nous avons pris les bonnes décisions.
J’aimerais simplement faire une brève observation en réponse à certaines choses que vous avez dites. Évidemment, nous en discuterons en long et en large au comité.
J’ai parlé aux journaux locaux de ma région, et l’une des choses qui les préoccupent, c’est que d’une part, le gouvernement est prêt à les subventionner, ce qui compromet leur indépendance, mais d’autre part, il a entièrement mis fin à ses achats d’espaces publicitaires dans ces journaux locaux, ce qui représentait pourtant pour eux une véritable source de revenus qui ne compromettait pas leur indépendance. Bref, si le gouvernement voulait soutenir les médias d’information des petites collectivités, il a le mécanisme pour le faire.
Ce que me disent les petits éditeurs, c’est qu’ils aimeraient une réduction des tarifs postaux pour qu’il leur soit plus facile de faire acheminer leurs hebdomadaires. Ils sont également très frustrés que Postes Canada leur livre une si forte concurrence dans le domaine de la distribution de circulaires. Je le sais, les circulaires ne sont pas très passionnantes, mais elles financent en grande partie bon nombre de journaux, petits et grands. Or, ce que me disent les éditeurs de journaux, c’est que Postes Canada offre des tarifs si avantageux que les journaux sont incapables de soutenir sa concurrence. Évidemment, Postes Canada a le droit de se tailler une place sur le marché, mais encore là, il faut songer aux conséquences de toutes ces décisions.