Le Sénat
Motion tendant à demander au gouvernement d'accélérer la mise en œuvre des solutions numériques qui transforment l’expérience des Canadiens en matière de prestation des services publics--Suite du débat
24 octobre 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion du sénateur Colin Deacon, qui demande au gouvernement du Canada de réformer ses systèmes de prestation de programmes et de technologie de l’information en accélérant, de toute urgence, la mise en œuvre de solutions numériques axées sur les usagers qui transforment l’expérience des Canadiens en matière de prestation des services publics, tout en réduisant les coûts. J’appuie la motion du sénateur Colin Deacon, chers collègues, et j’imagine que c’est aussi le cas de la majorité d’entre vous.
J’aimerais parler cet après-midi du contexte de la réforme des services publics en général et vous faire part de ma propre expérience en matière de réforme des services publics, en tant qu’ancien chef de la fonction publique de l’Ontario. Je vais d’abord donner un exemple de réforme de la prestation des services publics, puis offrir quelques conseils qui me semblent importants dans le cadre de la motion du sénateur Deacon.
Peu de temps après sa première élection en 2003, l’ancien premier ministre de l’Ontario Dalton McGuinty m’a chargé de résoudre certains problèmes urgents dans la prestation des services publics, par exemple en réduisant les délais d’attente pour d’importantes procédures de soins de santé comme des chirurgies cardiaques et des chirurgies contre le cancer; en améliorant les résultats des élèves aux tests standardisés et en réduisant le taux de décrochage dans les écoles secondaires; et en éliminant l’énorme arriéré dans la délivrance de certificats de naissance. J’ai fini par accomplir toutes ces choses. Aujourd’hui, je vais me concentrer sur la délivrance de certificats de naissance parce qu’elle montre directement les avantages de la numérisation.
Honorables collègues, en 2004, il fallait attendre neuf mois pour obtenir un certificat de naissance en Ontario, ce qui a amené les gens à établir certaines analogies; vous savez ce que je pourrais dire à propos d’une soirée romantique. Cependant, le premier ministre de l’Ontario de l’époque n’y voyait évidemment rien d’amusant. La prestation des services publics était devenue un enjeu politique. L’équipe de la fonction publique, dirigée par une sous-ministre de l’époque, Michelle DiEmanuele, qui est actuellement à la tête de la fonction publique de l’Ontario, s’est penchée sur le processus de délivrance des certificats de naissance et s’est rendu compte que tout se faisait sur papier. Les demandes arrivaient par la poste à Toronto, puis étaient transportées dans un fourgon jusqu’à Thunder Bay pour y être traitées. On renvoyait ensuite la documentation au sud, à Toronto, pour finalement expédier les certificats aux demandeurs. Le resserrement des protocoles de sécurité à la suite des attentats du 11 septembre, survenus deux ans plus tôt, n’avait fait qu’aggraver la situation.
L’équipe a vite conclu que la numérisation du processus permettrait de réduire le temps de traitement de plusieurs mois à quelques jours et de réduire les coûts de plusieurs dollars à quelques cents par transaction. Le coût initial était d’environ 5 $ ou 6 $ par transaction. Cette proposition de refonte permettait aussi de réaffecter des employés à des tâches ayant une plus grande valeur ajoutée. « Faisons-le », ai-je dit. Après une discussion avec le premier ministre de la province, le processus a été lancé.
Le nouveau système a été lancé moins d’un an plus tard après deux ou trois essais de fonctionnement hors ligne.
Le délai pour la délivrance d’un certificat de naissance en Ontario est passé de 9 mois à 14 jours, avec l’option d’un service accéléré de 7 jours qui était assorti d’une garantie de remboursement si le délai n’était pas respecté. Il est facile de comprendre que ce service est devenu très populaire — je n’exagère pas — et les lettres de réclamation ont rapidement été remplacées par des lettres de remerciement, ce qui est très rare dans la fonction publique.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette expérience?
Premièrement, c’est plus facile si une priorité de transformation est aussi une priorité pour le premier ministre provincial ou fédéral, car elle devient automatiquement une priorité pour le chef de la fonction publique.
Deuxièmement, comme dans toute organisation, l’une des tâches clés des dirigeants consiste à cerner les principaux problèmes et à les régler, ou à cibler les grandes occasions et à les saisir.
Troisièmement, la compétence des dirigeants des ressources humaines est cruciale. C’est un aspect dont on a souvent trop peu reconnu la valeur dans le passé, ce qui est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui selon moi, alors qu’il faudrait en faire grand cas. Il s’agit d’un facteur de réussite déterminant en matière de direction et de gestion du changement. La décision la plus importante que nous avons alors prise en matière de ressources humaines a été de ne pas avoir recours à des cabinets d’experts-conseils, mais plutôt d’embaucher un gestionnaire des TI chevronné de l’un des plus grands fournisseurs de services de téléphonie du Canada, qui avait chapeauté la numérisation de la prestation des services à la population.
Quatrièmement, il fallait que les bonnes personnes se penchent sur ces priorités. Ce n’était pas une tâche comme une autre. Nous avons donc choisi des gens innovateurs enthousiastes qui voyaient l’occasion de transformer les services publics pour les améliorer. Il faut me croire : dans tous les ordres de gouvernement, y compris au fédéral, un nombre incalculable de fonctionnaires ont ces compétences et attendent qu’on leur demande de les utiliser. Il suffit qu’on le leur demande et qu’on leur confie cette tâche.
Si on a pu réaliser ce projet, pourquoi ne pourrait-on pas réformer les processus de demande et d’accès pour les enregistrements des naissances à l’échelle municipale, ce qui est nécessaire pour les certificats de naissance, les permis de conduire, les renouvellements de carte d’assurance-maladie et les numéros d’assurance sociale du fédéral, des documents qui servent à leur tour à l’obtention d’un passeport, bien sûr, et à d’autres services du gouvernement fédéral?
Chers collègues, bon nombre de ces services sont maintenant accessibles en ligne ou dans des centres de services intégrés comme Service Nouveau‑Brunswick, Service BC, Service Alberta et ServiceOntario. D’autres provinces et des territoires ont des centres de services similaires.
Chers collègues, le fait d’amener le Canada à cette table a permis de regrouper la prestation de services par des moyens numériques et par l’intermédiaire de centres de services à guichet unique regroupés et a constitué le dernier obstacle à la création de ce système intergouvernemental.
À la suite d’une réunion franche entre le chef de la fonction publique de l’Ontario de l’époque et un ministre de premier plan représentant le gouvernement fédéral de l’époque, le principal obstacle à la collaboration entre le gouvernement fédéral, la province et les municipalités a été éliminé. Tous auraient leur drapeau sur le toit et leur nom sur la porte. C’est ce qu’il a fallu faire à un moment donné parce que l’enjeu en était un de visibilité — une préoccupation compréhensible.
Qu’avons-nous appris de ces initiatives de réforme? Comme partout ailleurs, l’exercice du leadership et la définition des attentes par les dirigeants politiques constituent un important moteur de changement. De bonnes initiatives de réforme visant à améliorer les services publics attirent des partisans et des militants au sein des organisations de la fonction publique, et des percées sont réalisées. La gorge de la serrure se bloque, la combinaison se met en place, la serrure s’ouvre et le changement se produit.
Comme nous l’avons entendu, la numérisation réduit le coût de chaque transaction, le faisant passer de quelques dollars à quelques cents.
Surtout, l’amélioration de la prestation des services publics accroît la confiance des citoyens dans le gouvernement, ce qui est prouvé. Les chiffres importent moins que les attentes et les expériences des consommateurs, des clients et des citoyens au cœur de la prestation. Ils se demandent : combien de temps dois-je attendre au téléphone ou en ligne pour obtenir un service public ou un traitement du cancer? Ai-je confiance en mes enseignants? L’école de mon enfant est-elle propre? Combien de temps dois-je attendre pour obtenir d’autres services médicaux? J’ai parlé des chirurgies cardiaques, mais qu’en est-il des chirurgies de la hanche, du genou et de l’œil?
Chers collègues, l’amélioration des services publics est la voie à suivre.
Enfin, je tiens à aborder un point qui est très important, surtout lorsque nous examinons les organisations nationales fédérales. C’est vrai non seulement pour le Canada, mais aussi pour d’autres pays, et c’est certainement vrai pour d’autres fédérations.
De toute évidence, l’échelle a de l’importance. Lorsque nous avons créé ServiceOntario, une organisation de prestation de services autonome, j’ai voulu savoir pourquoi le Nouveau‑Brunswick avait une longueur d’avance sur nous. Pourquoi le Nouveau‑Brunswick, à l’instar de quelques autres petites administrations, nous a-t-il devancés dans ce domaine? Il m’a fallu beaucoup de temps pour obtenir des réponses à cette question. Le Nouveau‑Brunswick avait évidemment des dirigeants audacieux, mais il nous a devancés en partie parce qu’il est relativement petit et, plus une province est petite, plus un changement peut être mis en œuvre rapidement et facilement.
L’échelle tend également à jouer un rôle important sur le plan international, les petits pays et les gouvernements sous-nationaux progressant plus vite que les gouvernements nationaux. Par exemple, les États australiens, tout comme les provinces canadiennes, font preuve d’esprit d’entreprise par rapport à leurs homologues au niveau national. Ce sont deux pays vers lesquels fonctionnaires et les dirigeants politiques du monde entier se tournent pour trouver des exemples de réussite dans le domaine de l’administration publique. Cela est également vrai au niveau fédéral, chers collègues.
Il en va de même en Europe. Les petits pays qui se sont modernisés récemment sont souvent en avance sur leurs plus grands homologues. La Lituanie en est un excellent exemple, tout comme l’Albanie.
Cela dit, le Royaume‑Uni a également parcouru un long chemin — il s’agit d’un grand pays doté d’un imposant gouvernement national —, notamment en numérisant le processus de renouvellement des passeports et en automatisant, pendant une longue période, le traitement de l’impôt sur le revenu pour les personnes ayant un emploi régulier.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, les travailleurs réguliers qui perçoivent des revenus horaires et les salariés peuvent choisir de ne pas remplir de déclaration de revenus. Ces dernières sont par ailleurs automatisées et on reçoit tout simplement un remboursement ou un ordre de payer l’impôt dû.
Ainsi, chers collègues, oui, nous devons attendre davantage de notre gouvernement fédéral, et nous savons qu’il est capable de répondre à nos attentes. Nous l’avons vu avec le déploiement de l’Allocation canadienne pour enfants, qui a permis à près de 400 000 enfants de se sortir de la pauvreté depuis 2016.
Voici une autre anecdote. Quand je travaillais dans la fonction publique, nous avions l’habitude de dire que la pauvreté était un problème insoluble — un problème trop complexe, trop vaste pour que nous puissions y remédier —, jusqu’à ce que la pauvreté devienne trop coûteuse. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à chercher des solutions. L’Allocation canadienne pour enfants est un exemple parfait de mesure qui permet de sortir un grand nombre de démunis de la pauvreté. Le Supplément de revenu garanti pour les aînés en est un autre exemple. Il y a une multitude d’exemples.
Enfin, il est important de souligner le travail de l’Institut des services axés sur les citoyens, créé il y a des décennies par un groupe de fonctionnaires fédéraux et de fonctionnaires de l’Ontario, qui produit encore des rapports comparatifs périodiques sur des éléments clés de la prestation de services publics. Certains de mes anciens collègues du fédéral ici savent de quoi je parle.
Chers collègues, nous pouvons être fiers des fonctionnaires de tous les ordres de gouvernement au pays. Ils travaillent aussi fort et font preuve du même esprit d’entreprise que les travailleurs des autres secteurs de l’économie, mais ils travaillent dans un milieu qui a peur du risque — ce qui est probablement compréhensible. Chers collègues, nous devons envoyer les bons messages. Il suffit de laisser libre cours à cet esprit d’entreprise et, dans un laps de temps relativement court, nous arriverons à atteindre ce que souhaite le sénateur Deacon.
Pour chacune des histoires de réforme réussie des services publics dont j’ai parlé ce soir, il y en a d’innombrables autres, mais il reste encore beaucoup à faire. Je remercie le sénateur Deacon d’avoir lancé cette importante discussion. Merci.
Sénateur Dean, je vous remercie de nous faire profiter de votre excellente expérience. Je me demande si vous pourriez nous parler brièvement de la nécessité de modifier les politiques, les règlements et les pratiques pour réaliser de tels gains d’efficience. On ne peut pas numériser les vieilles habitudes; il faut changer la façon dont on fait les choses. Pouvez-vous nous en parler? Merci.
Merci, sénateur Deacon. J’ai vu des organisations dont les systèmes de réglementation sont extrêmement lourds, et il est remarquable de voir comment ils peuvent être dissous — quoique peut-être temporairement — lorsque un premier ministre du Canada ou un premier ministre provincial et un chef de la fonction publique demandent à des fonctionnaires d’atteindre rapidement un certain objectif. De tels obstacles peuvent être éliminés. Je ne voudrais pas donner l’impression qu’il faut passer par une longue période de modification de la myriade de règles qui existent dans les organisations de la fonction publique pour atteindre rapidement l’objectif.
Ces choses doivent être faites, mais je conseillerais de ne pas s’empêtrer là-dedans. Définissons clairement les objectifs, donnons‑leur du poids politique, obtenons l’appui des dirigeants de la fonction publique et affectons aux bons postes les bonnes personnes ayant les bons antécédents et ayant déjà réussi une telle entreprise, et nous ferons avancer les choses.