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Le discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

22 octobre 2024


Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom du sénateur Plett. Je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole lui soit réservé.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Il en est ainsi ordonné.

Honorables sénateurs, c’est avec un sentiment d’urgence que je prends la parole aujourd’hui. Le discours du Trône de 2021 présentait une vision ambitieuse pour bâtir une économie plus résiliente et un avenir plus sûr, plus propre et plus sain pour nos enfants et nos petits-enfants. L’engagement plus audacieux en faveur de l’action climatique était motivé par la survie de la planète, rien de moins, et la prospérité de notre pays.

Chers collègues, ce discours a été prononcé en novembre 2021, à un moment où le monde était aux prises avec les répercussions de la COVID-19. Cependant, la crise climatique n’a pas attendu que le monde reprenne son souffle.

Plus tôt au cours de cette même année, la ville de Lytton, en Colombie-Britannique, a enregistré la température sans précédent de 49,6 degrés Celsius. Un peu plus et cette ville était littéralement incinérée. Cet automne-là, la vallée du bas Fraser a été dévastée par une rivière atmosphérique, un phénomène désormais courant. Des inondations catastrophiques ont causé des dommages d’une valeur de 1 milliard de dollars et coupé l’accès à Vancouver.

Les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents et ils causent des milliards de dollars de dégâts, sans oublier les dommages apparemment sans fin aux familles, aux collectivités et aux infrastructures.

Alors que nous sommes presque à mi-chemin de la décennie actuelle, nous devons nous poser la question suivante : prenons-nous des mesures audacieuses pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en protégeant la résilience de notre économie et sa capacité de demeurer concurrentielle à l’échelle mondiale?

Selon Environnement et Changement climatique Canada, l’activité économique d’un bout à l’autre de notre pays a produit 698 mégatonnes, soit 0,7 gigatonne, d’émissions de gaz à effet de serre en 2021. Malgré la promesse d’une action climatique plus audacieuse, ce chiffre reste pratiquement inchangé aujourd’hui.

En outre, selon un article paru récemment dans la revue Nature, les émissions dues aux incendies de forêt survenus au Canada en 2023 ont fait plus que doubler nos émissions annuelles. À elles seules, les émissions dues aux incendies de forêt au Canada ont égalé les émissions totales de l’Inde en 2023; il convient de le noter, bien qu’elles ne soient pas prises en compte dans la méthodologie de l’inventaire des gaz à effet de serre.

Bref, le Canada n’est pas en bonne voie d’atteindre son objectif de réduction des émissions pour 2030, soit une réduction de 45 % par rapport aux niveaux de 2005, et l’ensemble de la planète est dans la même situation. Avec 0,7 gigatonne d’émissions, le Canada ne produit qu’une infime partie des plus de 50 gigatonnes d’émissions mondiales. Ce point sert souvent d’argument à ceux qui voudraient qu’on attende que les autres agissent avant d’agir nous‑mêmes. Mener une action climatique audacieuse n’est toutefois pas seulement une obligation : c’est aussi une occasion inégalée d’améliorer la résilience économique et la prospérité du Canada. C’est ce qui guide ma réponse au discours du Trône aujourd’hui.

Commençons par une analogie : imaginez que vous êtes enfermé dans une pièce qui se remplit rapidement de fumée. Vous essayez rapidement de bloquer la source de fumée. Cet instinct se reflète dans les efforts essentiels que nous déployons pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Même si vous parvenez à ralentir le rythme d’accumulation, l’abondance de fumée finira toutefois par avoir raison de vous si vous n’assainissez pas l’air. De même, l’humanité doit trouver un moyen d’éliminer rapidement de l’atmosphère les émissions de CO2 accumulées au fil du temps. C’est le rôle de l’élimination du dioxyde de carbone. Vous m’entendrez beaucoup parler de ce concept aujourd’hui.

Bien des gaz à effet de serre, mais en particulier le CO2, restent dans l’atmosphère pendant des siècles. Selon une étude menée en Norvège, il faudra peut-être 50 ans avant que tous les effets du CO2 sur le climat se manifestent. Cela signifie que les émissions des années 1970, ces années de notre jeunesse où nous faisions tous des bêtises, peuvent être à l’origine des phénomènes météorologiques extrêmes que nous connaissons aujourd’hui, de sorte que, même si nous pouvions atteindre la carboneutralité aujourd’hui plutôt qu’en 2050, nous pourrions encore subir des phénomènes climatiques de plus en plus graves pendant des décennies. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous contenter de réduire nos émissions de CO2. Il nous faut aussi travailler à éliminer le CO2 de l’atmosphère.

La bonne nouvelle, c’est que des méthodes pratiques d’élimination du dioxyde de carbone sont disponibles à grande échelle aujourd’hui, et le Canada pourrait rapidement devenir un indispensable chef de file mondial dans le déploiement de ces technologies à grande échelle. Les méthodes d’élimination du dioxyde de carbone consistent à exploiter la nature pour séquestrer le carbone dans les forêts et les sols agricoles. Depuis des décennies, les pays scandinaves prouvent que des pratiques forestières agiles soutiennent un secteur forestier très rentable tout en réduisant les incendies de forêt, en améliorant la biodiversité, en créant des emplois dans les zones rurales et isolées et en remplaçant l’utilisation de produits pétroliers. Par exemple, les systèmes de chauffage urbain suédois alimentés par la biomasse fournissent 75 % du chauffage au pays. Bien que 94 % des forêts boréales du Canada se trouvent sur des terres publiques, l’absence de gestion politique efficace a transformé les forêts en sources de carbone plutôt qu’en puits de carbone.

Dans son rapport intitulé Terrain critique, le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts montre à quel point les pratiques agricoles régénératrices peuvent améliorer la productivité des exploitations, notamment en piégeant le carbone atmosphérique et l’azote dans le sol. La plupart des autres pays développés disposent de politiques et de programmes efficaces pour encourager et récompenser ces activités, mais ce n’est pas le cas du Canada.

D’autres méthodes axées sur la nature utilisent des moyens éprouvés pour améliorer l’alcalinité des rivières et des océans. Ces méthodes neutralisent les effets désastreux de l’acidification tout en capturant et en séquestrant de manière permanente le CO2 sous forme de sel dissous dans les océans.

Depuis 20 ans, les pêcheurs de saumon de la Nouvelle-Écosse introduisent avec précaution de la chaux dans les rivières pour inverser les effets des pluies acides et améliorer l’habitat du saumon. Il s’est avéré que ce processus permettait également de séquestrer le carbone atmosphérique. La société CarbonRun, basée en Nouvelle-Écosse, est en train de mettre à l’échelle cette méthode de restauration écologique par l’élimination du dioxyde de carbone. Récemment citée dans le New York Times, CarbonRun vient d’être sélectionnée pour recevoir une avance de 25 millions de dollars sur l’achat de crédits d’élimination du carbone de la part d’un groupe de chefs de file mondiaux en matière de technologie.

L’entreprise Planetary Technologies, qui s’est associée à l’Université Dalhousie, à Nova Scotia Power et à bien d’autres, figure parmi les 20 finalistes sur, je crois, 1 600 entreprises du monde, du concours XPRIZE Carbon Removal, doté de 100 millions de dollars.

Honorables sénateurs, ces deux entreprises de la Nouvelle-Écosse sont à l’avant-garde de leur domaine, et ont un fort potentiel d’exportation mondiale de crédits d’élimination du carbone.

L’extraction directe dans l’air est une autre technologie qui évolue rapidement. Elle permet d’extraire le CO2 directement de l’air et de le stocker en permanence sous terre. Des installations à très petite échelle sont déjà opérationnelles en Islande. La société montréalaise Deep Sky attire l’attention du monde entier pour ses travaux de recherche et de mise à l’échelle des technologies d’extraction les plus prometteuses, à la fois au Québec et dans une nouvelle installation de 100 millions de dollars à Innisfail, en Alberta. Il convient également de noter qu’une entreprise britanno-colombienne, Carbon Engineering, a été la première à développer l’extraction directe dans l’air pour éliminer le CO2 de l’atmosphère.

Les technologies d’extraction directe dans l’air offrent la plus grande certitude quant au retrait permanent du gaz carbonique, mais elles sont encore très coûteuses. Comme c’est toujours le cas en matière de technologie, le cumul des améliorations d’une version à l’autre finit par changer le rapport coûts-avantages. Pensez au coût des cellules photovoltaïques des panneaux solaires qui a chuté de plus de 90 % depuis 2009 et aux batteries au lithium-ion, qui coûtent 97 % moins cher qu’en 1991.

Il convient de souligner une dernière chose : les technologies d’élimination du gaz carbonique sont différentes des technologies de captage et de stockage du carbone à la source. Ces dernières ont pour objectif de réduire les émissions de CO2 produites en continu par une activité industrielle. Pour revenir à l’analogie faite plus tôt, le captage et le stockage du carbone réduisent la rapidité avec laquelle la fumée envahit la pièce, mais ils ne nettoient pas l’air. Il s’agit de méthodes de captage du carbone à la source, à la sortie de la cheminée, qui contribuent à réduire le taux de production des émissions dans l’atmosphère, mais soyons clairs, la technologie de captage et de stockage du carbone n’est pas la même que la technologie d’élimination du gaz carbonique.

Honorables sénateurs, malgré les énormes promesses de cette solution, le savoir-faire et les technologies en matière d’élimination du gaz carbonique commencent à peine à être intégrés dans les cadres stratégiques gouvernementaux. Il faut accélérer le pas, parce que le Canada a la capacité de mettre en place une industrie à la fine pointe de ce qui se fait sur la planète en matière d’élimination de gaz carbonique, une industrie qui créera des débouchés, des emplois et de la prospérité partout au pays jusque dans les collectivités rurales.

Ce secteur industriel émergent génère des crédits d’élimination du gaz carbonique qui peuvent être vendus à des entreprises et à des pays qui n’arrivent pas à éliminer complètement leurs émissions, des crédits qui joueront un rôle crucial dans la lutte contre les changements climatiques.

Pour saisir les opportunités économiques qui en découlent, le Canada doit créer des cadres réglementaires et commerciaux qui attireront les revenus et les investissements nationaux et étrangers liés aux crédits d’émission de carbone. Ces deux éléments sont essentiels pour accélérer le travail des innovateurs de l’élimination du dioxyde de carbone. Ce type de leadership politique fort attirera l’attention du monde entier et nous permettra de créer rapidement un nouveau secteur industriel d’entreprises de l’élimination du dioxyde de carbone qui déploient, produisent et améliorent leurs technologies ici au Canada.

Nous disposons déjà d’un grand nombre d’éléments qui jouent en notre faveur. Nous avons la géologie, les forêts, les terres agricoles, les rivières et les océans nécessaires, de même qu’un système de crédit d’impôt sur le revenu — grâce au projet de loi C-59 — qui peut contribuer à couvrir les coûts de mise à l’échelle des technologies de pointe à l’échelle mondiale. La promesse de devenir le premier pays à élaborer un protocole de captage direct du carbone dans l’air, dans la foulée d’autres protocoles de premier plan au niveau mondial, est un autre atout, tout comme nos générations d’expérience en tant que destination de confiance pour les investissements. Nous sommes l’hôte de la plus importante conférence annuelle mondiale sur les investissements dans les métaux et les minéraux. Devenons le chef de file dans le marché du carbone.

Alors, comment commencer à transformer ce rêve réalisable en réalité? Tout d’abord, nos décideurs et nos politiciens doivent prendre conscience de l’importance de réduire les émissions et d’augmenter la vitesse à laquelle nous éliminons les émissions passées. En clair, nous devons tous mettre la main à la pâte si nous voulons trouver les moyens les moins coûteux et les plus efficaces de réduire la concentration de CO2 dans l’atmosphère.

Deuxièmement, les organismes de réglementation doivent créer des cadres économiques crédibles et axés sur l’acheteur qui attirent les acheteurs de crédits d’élimination du carbone. Ces organismes de réglementation devront accorder la priorité aux besoins des acheteurs de crédits du carbone, des innovateurs et des investisseurs avec des certificats canadiens d’actions étrangères. Pour réussir, nous avons besoin d’une réglementation qui catalyse l’investissement dans les certificats canadiens d’actions étrangères.

Honorables sénateurs, peu importe le niveau de succès du Canada en matière de réduction des émissions, nous devrons quand même éliminer les émissions de gaz à effet de serre du passé. Le Canada peut saisir cette occasion en or en envoyant un signal de demande fort et constant aux innombrables groupes qui commencent déjà à investir des milliards de dollars à l’étranger.

Pour réussir, il faudra de la volonté politique, du leadership et de la mobilisation, ainsi qu’une capacité éprouvée de faire ce qu’il faut pour respecter cet engagement, mais, comme pour toute autre chose importante dans la vie, les détails seront très importants. Voici donc certains détails sur lesquels nous devons nous concentrer si nous voulons réaliser des progrès fiables.

Premièrement, il faut rassembler les talents, les capacités, l’expérience et les réseaux pour que les responsables de la réglementation au Canada puissent apporter une certitude et donner confiance aux acheteurs sur le marché mondial de l’élimination du carbone et aux investisseurs dans l’élimination du dioxyde de carbone en créant et en mettant à jour des protocoles centrés sur le marché. Deuxièmement, il faut réduire la complexité. Il nous faut un groupe identifiable responsable de l’élaboration des politiques, de l’exécution des programmes et de la coordination des réglementations, tant au Canada qu’à l’échelle mondiale. Troisièmement, il faut utiliser le pouvoir du gouvernement en matière d’approvisionnement pour envoyer un signal du côté de la demande. L’engagement pris dans le budget de 2024 d’inclure la décarbonation dans le Programme d’approvisionnement de combustibles à faible teneur en carbone est un très bon début, tout comme l’engagement récemment annoncé par la ministre Anand d’acheter 10 millions de dollars de crédits d’élimination du carbone. Quatrièmement, il faut intégrer les crédits d’élimination du carbone dans le système fédéral de tarification du carbone, ce qui contribuera à créer une source de revenus fiable qui stimulera la demande à long terme de ces technologies. Cinquièmement, il faut adopter une approche nationale en matière de certification de l’élimination du dioxyde de carbone et de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre qui s’appuie sur les meilleures normes volontaires, les reconnaît, les certifie et les intègre dans le marché réglementé du carbone au Canada. Enfin, sixièmement, il faut intégrer l’article 6 de l’Accord de Paris dans les cadres stratégiques du Canada. Des organismes de premier plan, comme l’Association internationale pour l’échange de droits d’émission, encouragent le Canada à finaliser ce cadre. Cela offrirait une certitude en ce qui concerne le marché pour les acheteurs de crédits d’élimination du carbone et les investisseurs dans l’élimination du dioxyde de carbone. Transposer l’article 6 libérera le plein potentiel de cadres de marché harmonisés à l’échelle mondiale pour que les capitaux aillent aux technologies les plus fiables et les plus rentables.

Enfin, le Canada est l’hôte de la réunion du G7 en 2025. Faisons de l’élimination du dioxyde de carbone un thème central pour souligner l’importance de l’harmonisation et de la coordination sur le marché mondial.

Chers collègues, alors que des élections se déroulent dans tout le pays, les nouveaux gouvernements ont une occasion unique non seulement de miser sur les efforts actuels pour réduire les émissions de CO2, mais aussi de mettre en œuvre des stratégies efficaces pour éliminer le CO2 de notre atmosphère. Le Canada doit veiller à mettre en place des politiques cohérentes au cours des prochaines décennies s’il souhaite atteindre ses objectifs de prospérité et de décarbonation. Un leadership constant nous permettra de devenir un pôle d’attraction mondial pour les investissements nécessaires visant à attirer et à étendre le savoir-faire et les technologies d’élimination du dioxyde de carbone au Canada, et pour les entreprises qui élimineront le dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Le Canada peut aider le monde à se sauver. Merci, chers collègues.

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