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La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion d’adoption des amendements des Communes--Suite du débat

18 mars 2019


L’honorable Robert Black [ - ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du message de la Chambre des communes portant sur le projet de loi S-228.

Ce projet de loi, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction de faire de la publicité d’aliments et de boissons s’adressant aux enfants), a été présenté par la sénatrice Nancy Greene Raine en septembre 2016. Il avait franchi toutes les étapes du processus législatif au Sénat en septembre 2017 et a été envoyé à l’autre endroit à ce moment-là.

Nous avons reçu le message dont nous sommes saisis en septembre 2018, avec deux amendements.

J’ai été appelé au Sénat en février 2018 seulement. C’est donc la première fois que j’ai l’occasion de prendre la parole au nom de l’industrie agricole à propos de cette mesure législative.

J’apporte au Sénat plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de l’agriculture. Mon travail dans ce domaine est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai été appelé au Sénat. J’examine donc toutes les mesures législatives et les dossiers dont nous traitons du point de vue de l’agriculture et des régions rurales.

Je pense aux répercussions sur les collectivités rurales, les producteurs, les transformateurs et l’ensemble du secteur agricole.

J’appuie l’objectif du projet de loi S-228. Je répète : j’appuie l’objectif du projet de loi. J’appuie également l’étude menée par le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur l’augmentation du taux d’obésité au Canada.

En outre, j’appuie sans réserve les deux amendements que l’autre endroit nous a envoyés. Le premier amendement vise à modifier la définition du mot « enfants » afin qu’elle vise désormais les personnes âgées de moins de 13 ans, plutôt que de 17 ans. Le deuxième prévoit que, dans les cinq ans suivant la date d’entrée en vigueur du projet de loi, le Parlement examine les conséquences imprévues de celui-ci.

Cependant, compte tenu de mes antécédents dans le secteur agricole, j’éprouve quelques réserves au sujet de ce projet de loi. Les confirmations que j’ai reçues de Santé Canada ont quelque peu atténué mes réserves, mais je pense tout de même qu’il serait utile que j’en fasse part au Sénat.

La tenue d’un examen parlementaire après cinq ans est une bonne idée, mais nous devrions tout mettre en œuvre pour prévenir les conséquences que nous sommes déjà en train de constater.

Comme mon honorable collègue la sénatrice Seidman l’a dit dans cette enceinte :

Le taux d’obésité a triplé au pays depuis 1980. De plus, un enfant sur trois âgé de 5 à 17 ans est en surpoids ou obèse.

Bon nombre d’entre nous ont reçu des lettres d’organismes comme la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada et la Société canadienne du cancer, qui nous demandent d’adopter le projet de loi le plus tôt possible pour protéger la santé de nos enfants. Il va sans dire que la santé de nos enfants revêt une importance primordiale. Je tiens à faire en sorte que mes petits-fils Jackson et Connor, vos enfants et petits-enfants, ainsi que tous les Canadiens, peu importe leur âge, aient de saines habitudes alimentaires et que des produits ne fassent pas l’objet de publicités inappropriées destinées aux enfants.

Cela étant dit, des problèmes ont fait surface tard au cours du processus législatif, durant une réunion tenue le 5 novembre en compagnie de fonctionnaires de Santé Canada et d’intervenants du secteur agricole. Les préoccupations soulevées devraient être consignées au compte-rendu dans cette enceinte.

La première concerne l’usage du terme « mauvais pour la santé ». Le terme revient à six reprises dans le projet de loi. Or, le terme « mauvais pour la santé » peut être trompeur lorsqu’il est employé pour qualifier un aliment en particulier. D’après ce que je comprends, ce n’est pas tant aux aliments que nous consommons qu’il faut s’attarder, mais à l’ensemble de notre alimentation. D’autres pays, comme l’Australie, l’Irlande et le Royaume-Uni, se sont dotés de lois pour encadrer la publicité visant les enfants. Cependant, ils utilisent des termes comme « habitudes alimentaires mauvaises pour la santé » ou « mode de vie mauvais pour la santé », mais sans parler d’aliments mauvais pour la santé. Je le répète, il n’est pas réaliste de qualifier certains aliments de mauvais pour la santé, puisque c’est l’ensemble de l’alimentation qu’il faut considérer.

Peut-on dire qu’un morceau de fromage est mauvais pour la santé? Non, puisque nous n’avons pas de contexte. Toutefois, si je consomme quelques morceaux de fromage à chaque repas, on pourrait sans doute me dire qu’il s’agit d’une habitude alimentaire malsaine.

Qualifier un certain aliment de « mauvais pour la santé » pourrait lui donner mauvaise réputation dans les marchés canadiens et étrangers.

Dans une lettre adressée à mon bureau, la Fédération canadienne de l’agriculture indique que l’utilisation du terme « mauvais pour la santé » :

[...] donne aux concurrents étrangers une raison de dénigrer indûment les produits agroalimentaires canadiens.

Non seulement cela créerait de la confusion chez les Canadiens, mais les répercussions sur la réputation de l’industrie agricole canadienne en tant qu’industrie de calibre mondial pourraient nuire grandement, sur le plan économique, à toute la chaîne d’approvisionnement agricole, tant au Canada qu’à l’étranger.

Heureusement, des représentants de Santé Canada m’ont donné, ainsi qu’à mon bureau, l’assurance que le terme « aliment mauvais pour la santé » n’apparaîtra pas dans la réglementation et le document de référence. Ils ont dit qu’ils sont disposés à changer la terminologie. C’est un signe positif, mais l’idée que le terme demeure dans la loi me préoccupe, et la seule façon de changer la terminologie est d’amender ce projet de loi.

Le deuxième aspect qui me préoccupe et qui est relié étroitement au premier, c’est la limite de 5 p. 100 imposée par le projet de loi en ce qui concerne la teneur en sodium, en sucre et en gras saturés. On interdirait de faire de la publicité destinée aux enfants pour tout aliment dont la teneur en sodium, en sucre ou en gras saturés dépasse les 5 p. 100. Ce qui me pose problème, c’est que ce pourcentage me semble arbitraire. Je n’ai entendu aucun bon argument pour justifier cette limite de 5 p. 100. Personne n’a été en mesure de m’expliquer précisément pourquoi on a choisi ce pourcentage.

Ce chiffre a également soulevé des craintes dans l’industrie agricole, notamment parmi les producteurs laitiers et les producteurs de grain. Les aliments, comme le fromage, le yogourt, le pain, les céréales et la viande — que l’on considère généralement comme faisant partie d’une alimentation saine — dépasseraient la limite prévue. Encore une fois, Santé Canada m’a quelque peu rassuré à ce sujet.

Comme l’a dit la sénatrice Petitclerc dans son discours le mois dernier, la première question à poser sera : « Ce produit est-il destiné aux enfants? » Si ce n’est pas le cas, Santé Canada nous dit que les pourcentages ne seront pas pris en considération et que l’industrie pourra continuer de faire de la publicité comme avant. Si un produit est clairement destiné aux enfants, il sera soumis à la limite de 5 p. 100. Je suppose que je peux m’en accommoder.

Ces produits ne pourront pas faire l’objet de publicités en ligne et à la télévision s’il est déterminé que les enfants représentent 15 p. 100 ou plus de l’auditoire. Par ailleurs, pour ce qui est de la publicité dans les lieux physiques, la loi ne s’appliquera que s’il s’agit d’un endroit prévu pour les enfants. À titre d’exemple, les produits dépassant la limite de 5 p. 100 ne pourraient faire l’objet d’aucune publicité dans les zones destinées aux enfants d’une foire ou d’une exposition. D’après les fonctionnaires de Santé Canada, ils pourraient toutefois être annoncés hors de ces zones, pourvu que la publicité ne cible pas directement les enfants, par exemple au moyen de personnages de dessins animés ou d’une mascotte dansante. Cette règle s’appliquerait, peu importe la proportion d’enfants sur les lieux.

Je ne m’y oppose pas. Nous avons toutefois constaté une certaine confusion parmi les intéressés. Certains ont encore l’impression que la limite de 15 p. 100 s’appliquera aussi aux lieux physiques. J’espère, comme tous les honorables sénateurs, que Santé Canada expliquera ce point très clairement dans la version finale du document de référence et acceptera de tenir compte du point de vue de l’Association canadienne des foires et expositions, des organisateurs du Stampede de Calgary et d’autres groupes.

Ma dernière préoccupation, et peut-être la plus grave, c’est que l’industrie agricole n’a pas été suffisamment consultée à propos du projet de loi. J’ai eu des commentaires des Producteurs laitiers du Canada, du Conseil des viandes du Canada, de la Fédération canadienne de l’agriculture, de 12 organismes du secteur du grain, de Produits alimentaires et de consommation du Canada, de Restaurants Canada et de Ferrero Canada, entre autres. Tous partagent le même avis : ce n’est pas bon pour l’agriculture, la réputation de certains produits agricoles importants sera entachée et l’industrie agricole et les principaux intervenants n’ont pas été suffisamment consultés.

D’après ce projet de loi, plus de 91 p. 100 des produits laitiers sont considérés comme étant « mauvais pour la santé », tout comme la plupart des pains et des fromages.

En compagnie de quelques-uns de mes collègues sénateurs, j’ai récemment rencontré des représentants des producteurs laitiers de l’Ontario, du Québec et de l’Île-du-Prince-Édouard. Ceux-ci nous ont assurés qu’ils ne s’opposaient pas au principe du projet de loi et, comme je l’ai dit, je ne m’y oppose pas non plus. Le problème que nous avons concerne l’emploi de l’expression « mauvais pour la santé ».

Nous avons discuté de la question à la séance du 6 décembre du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Nous avons entendu des parties intéressées de l’industrie céréalière, l’Association canadienne de la boulangerie, Producteurs de grains du Canada et la Canadian National Millers Association. La discussion a surtout porté sur la teneur en sodium, puisque la plupart des pains commercialisés aujourd’hui dépasseraient la limite de 5 p. 100. Des représentants de Santé Canada étaient également présents à la réunion, et ils ont assuré au comité qu’ils rencontreraient les parties intéressées de l’industrie de l’agriculture au cours des semaines suivantes. En février, ils ont bel et bien tenu une réunion avec la Fédération canadienne de l’agriculture. Toutefois, je crains que la consultation de l’industrie agricole n’aille toujours pas assez loin. Même si le projet de loi est adopté, j’exhorte Santé Canada à continuer de recueillir la rétroaction des principaux producteurs et des autres pour permettre à ces groupes d’avoir leur mot à dire dans l’élaboration des règlements et du guide.

Bien qu’un examen parlementaire après cinq ans demeure utile, je crois que Santé Canada doit déployer tous les efforts pour entendre les membres de l’industrie maintenant, ce qui pourrait réduire les conséquences imprévues au cours des cinq prochaines années.

Comme je l’ai dit, j’ai des préoccupations par rapport au projet de loi. Je suis quelque peu moins inquiet à la suite des promesses formulées par Santé Canada comme quoi l’expression « mauvais pour la santé » ne sera pas employée dans les règlements et le guide, et comme quoi l’industrie de l’agriculture sera consultée tout au long du processus d’élaboration des règlements.

Honorables collègues, j’ai travaillé avec le Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre pour discuter des options qui permettraient de remédier à mes préoccupations. La première option consistait à amender le projet de loi au Sénat. La deuxième consistait à renvoyer le message au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et à essayer de l’y amender. Toutes les possibilités envisagées supposaient des motions qui pourraient être ajournées, débattues et modifiées, ce qui signifie que, selon le calendrier parlementaire courant, il nous faudrait plus de temps. Toutefois, comme vous le savez, nous sommes à la onzième heure et je ne voudrais pas faire échouer involontairement le projet de loi. Par conséquent, j’ai rejeté ces options.

Je vous remercie d’avoir écouté mes préoccupations qui reflètent celles que j’ai entendues de nombreuses personnes dans le secteur agricole. Si ce projet de loi est adopté, je vais continuer à suivre sa progression pour m’assurer que Santé Canada tient sa promesse de mener de véritables consultations auprès des principaux intéressés, y compris les producteurs primaires. Merci.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

J’ai une question, si le sénateur Black veut bien y répondre.

Le sénateur R. Black [ - ]

Absolument.

La sénatrice Wallin [ - ]

Merci. Je partage vos vives préoccupations au sujet du projet de loi sur trois fronts : les emplois, les coûts et les promesses politiques. Il y a 65 000 producteurs de grain au Canada. C’est beaucoup d’emplois. Les boulangeries sont une industrie de 7,2 milliards de dollars. Cela représente beaucoup d’emplois. Voilà le premier point que nous devons examiner.

En ce qui concerne les coûts, la désignation « mauvais pour la santé » rend des produits de base beaucoup plus coûteux — par exemple, le pain pour faire des sandwiches aux enfants qui vont à l’école. C’est un point assez fondamental.

Ma question pour vous est la suivante : ne devrions-nous pas cibler les ingrédients et non le produit final?

Mon troisième point — je vais énumérer tous mes points maintenant et ensuite vous laisser répondre, si c’est possible — porte sur les promesses politiques. Je suis préoccupée par le fait qu’il est impossible d’annuler par des moyens réglementaires détournés ce que nous avons fait ouvertement par voie législative avec l’expression « mauvais pour la santé ». Le système ne fonctionne pas ainsi. Ce qui est écrit dans la loi est dans la loi. Le projet de loi comporte des lacunes. Je ne pense pas que nous devrions croire qu’il est possible de clarifier et d’améliorer la situation à l’aide de règlements.

J’aimerais savoir ce que vous pensez de ces trois points.

Le sénateur R. Black [ - ]

Merci, sénatrice Wallin. Pour ma part, je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites, alors je vous remercie de l’avoir mentionné.

En ce qui a trait aux promesses qu’on nous a faites, que j’ai entendues de la part de Santé Canada, nous savons maintenant qu’on n’utilisera pas le terme « mauvais pour la santé » dans la réglementation et le document d’orientation. Je dois m’en réjouir au moins un peu parce que, à un moment donné, le terme se trouvait aussi partout dans ce document.

Vous avez raison : la mesure législative contient six fois le terme « mauvais pour la santé ». Selon moi, nous devrions tous être préoccupés par cette situation et surveiller ce qui se passe au cours des prochaines années à mesure qu’on rédige la réglementation.

L’honorable Douglas Black [ - ]

Monsieur le sénateur, merci beaucoup de l’énorme travail que vous avez accompli relativement à cette mesure législative.

Ma question porte sur un organisme que vous avez mentionné dans vos observations, soit le Stampede de Calgary, qui, comme tous les sénateurs le savent, est le plus grand spectacle extérieur au monde. Ce projet de loi importe pour le Stampede de Calgary.

Selon vos recherches, pouvez-vous m’assurer que le stampede sera capable d’offrir le type d’activités et de produits qu’il offre depuis les 100 ou 120 dernières années?

Le sénateur R. Black [ - ]

Merci, sénateur Black. Cela me préoccupe également. Il existe plus de 800 foires et expositions au Canada. Il ne s’agit pas juste du Stampede de Calgary; elles sont toutes touchées. En ce qui a trait au Stampede de Calgary, Santé Canada nous assure depuis la réunion du 6 décembre que la commercialisation sera interdite si l’événement comprend un coin ou une zone pour enfants. La commercialisation générale sera permise à l’extérieur de cette zone, tant qu’elle ne cible pas les enfants de moins de 13 ans. Cela comprend les mascottes dansantes, les clowns et les dessins animés. Mais on m’assure en général qu’ils seront permis.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

La sénatrice Deacon aimerait poser une question, mais votre temps est écoulé.

Le sénateur R. Black [ - ]

Puis-je avoir encore cinq minutes de plus, s’il vous plaît?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Honorable sénateur, vous avez parlé de Santé Canada et de certains groupes que vous avez pu rencontrer. J’aimerais revenir sur la surveillance et l’examen. Très précisément, que cherchez-vous à obtenir — à part changer un mot ou reformuler — de la part des organes comme Santé Canada pour garantir que les intérêts et les préoccupations dont vous avez parlé aujourd’hui ne tombent pas dans l’oubli, de quelque façon que soit?

Le sénateur R. Black [ - ]

Je surveillerai la situation et je demanderai aux intervenants que je connais de me dire si la loi a eu une incidence négative sur la vente de produits primaires dans les marchés canadiens et étrangers. C’est là-dessus que nous axerons notre attention. Nous allons voir si Santé Canada insère le terme « mauvais pour la santé » un peu partout.

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