Le Code criminel
Rejet de la motion d'amendement
17 juin 2021
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-218 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 1 par adjonction, après la ligne 11, de ce qui suit :
« 2.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 207.1, de ce qui suit :
208 (1) Commet une infraction quiconque :
a) soit triche au jeu;
b) soit fait quelque chose en vue de permettre à autrui de tricher au jeu ou de l’aider à commettre un tel acte.
(2) Pour l’application du paragraphe (1), n’est pas pertinent le fait que la personne qui triche :
a) améliore ou non ses chances de gagner quoi que ce soit;
b) gagne ou non quoi que ce soit.
(3) Pour l’application du paragraphe (1), constitue de la tricherie tout acte ou tentative de supercherie ou d’obstruction concernant :
a) le déroulement d’un jeu;
b) un événement ou un processus réel ou virtuel, notamment un jeu ou une course, auquel le jeu se rapporte.
(4) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. ».
Sénateur White, il vous reste trois minutes et demie. Il y a quelques sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Acceptez-vous de répondre à une question?
Absolument, Votre Honneur.
Sénateur White, j’ai passé en revue les délibérations du Comité sénatorial des banques qui portaient sur le projet de loi, qui modifie le Code criminel. J’ai noté qu’un seul témoin ayant des notions de droit a été reçu dans le cadre de l’étude de ce projet de loi. Pendant son témoignage, il a été question de l’arrêt Riesberry de la Cour suprême au sujet d’accusations portées aux termes de l’article 209 et d’accusations de fraude concernant une course de chevaux truquée. C’était un cas d’épreuve truquée, mais pouvez-vous expliquer pourquoi les infractions prévues au Code criminel ne sont peut-être pas la solution dans d’autres cas d’épreuves truquées?
Merci de la question. C’est intéressant. Dans les cas impliquant un entraîneur, une seringue et un cheval, il est facile de prouver qu’il s’agit d’une fraude grâce à la clarté des éléments de preuve. Comme j’ai travaillé dans la police pendant 32 ans, dont 8 où ma seule responsabilité était les cas de fraude, je dois dire que je n’ai jamais déposé d’accusations de fraude parce qu’elles sont trop difficiles à prouver. En fait, comme mon éminent collègue le sénateur Dalphond l’a mentionné, dans un match de soccer, il est presque impossible de prouver qu’un gardien de but savait que, s’il laissait un écart de points se creuser, une personne ou le public perdrait de l’argent. En fait, s’il avait été approprié de déposer des accusations de fraude dans l’affaire de la Ligue canadienne de soccer quand la police et la GRC ont mené leur enquête, je crois qu’on en aurait au moins déposé une, mais il n’y en a eu aucune. En réalité, il n’y en a jamais eu au Canada, à l’exception du cas de l’entraîneur, de la seringue et du cheval.
Sénateur White, quels éléments de l’infraction relative au trucage de matchs, pour laquelle certains ont exprimé des préoccupations, sont plus difficiles à prouver? S’agit-il des infractions qui portent expressément sur les matchs ou celles qui portent sur les personnes qui tentent de les truquer?
Merci beaucoup de la question. Je pense que le fait de préciser les éléments d’une infraction liée au trucage d’épreuve éliminerait toute ambiguïté quant à la possibilité de porter d’autres accusations. Quand j’ai regardé — on m’a pris le texte de loi, donc je ne l’ai plus. Les éléments sont très clairs concernant le fait que toute personne qui participe au changement ou à la manipulation d’une épreuve peut être reconnue coupable d’une infraction criminelle. C’est beaucoup plus difficile lorsqu’on utilise uniquement la fraude et, en fait, je dirais que c’est impossible aux termes de l’article 209 lorsque la tricherie au jeu concerne un jeu de hasard et non une épreuve sportive. Je pense donc que les précisions que nous apporterait le trucage d’épreuve élimineraient toute ambiguïté et feraient de cette infraction un délit manifeste. De plus, si nous devons assister à une augmentation des paris sur une seule épreuve pour tous les sports et tous les âges, je pense que nous devons également nous assurer de disposer des outils nécessaires pour que les forces de l’ordre puissent faire leur travail.
D’autres sénateurs souhaitent poser des questions, mais votre temps de parole est écoulé, sénateur White.
Je vous remercie de soulever ce point, sénateur White.
Là encore, je pense qu’il est important de souligner que la Cour suprême du Canada a maintenu que les épreuves arrangées sont spécifiquement couvertes par les dispositions sur la fraude. Je trouve intéressant que le sénateur White ait parlé du Paul Melia, que j’ai cité dans mon discours et qui appuie cette mesure législative dans sa version actuelle. Cependant, j’aimerais apporter quelques précisions.
Honorables collègues, comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, le comité a entendu le témoignage d’experts qui ont insisté sur le fait qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter une disposition sur les épreuves arrangées dans le Code criminel, et que cela pourrait même s’avérer nuisible.
Le sénateur White a parlé des dangers entourant les épreuves arrangées. J’estime aussi qu’il s’agit d’un élément important. Lors des réunions du comité, nous avons entendu Donald Bourgeois, un expert dans le droit sur le jeu dont j’ai aussi parlé précédemment. Il a parlé de l’affaire Riesberry qui n’aurait pas été présentée devant les tribunaux si la réglementation actuelle avait été différente. Alors, honorables collègues, voilà l’élément crucial. Ce que nous faisons, c’est-à-dire inclure les paris sur une seule épreuve sportive dans le cadre législatif existant, nous permettra de mettre un terme aux épreuves arrangées ou aux tentatives du genre.
L’ajout de règlements et de mesures de protection permettrait de débusquer plus de cas et de porter des accusations en conséquence, ce qui protégerait l’intégrité du sport. En fait, les règlements auraient un effet très dissuasif contrairement à la situation actuelle, où il est possible que des épreuves arrangées aient lieu. Nous ne le savons pas parce que rien dans le régime réglementaire du Canada ou des provinces n’encadre cette pratique en ce qui concerne les paris sur une seule épreuve sportive.
Comme je l’ai dit dans mon discours plus tôt, les épreuves arrangées sont tout simplement illégales au Canada selon les articles 209, 380 et 465 du code. Tous ces articles généraux le disent. Ainsi, avoir une disposition très pointue — comme l’a dit la sénatrice Batters, qui a parlé de l’expert juridique au comité — pourrait en fait être un obstacle parce qu’il faudrait prouver des éléments précis. Je donnerai l’exemple suivant : s’il est illégal de voler dans une épicerie et qu’une personne vole à un étal de fruits, comme le vol est illégal, ce cas de figure serait couvert sous la même rubrique.
C’est tout, chers collègues. Je n’appuie pas l’amendement. Je pense que les affirmations du sénateur White ne sont pas fondées et je vous exhorte à rejeter l’amendement.
Sénateur White, avez-vous une question?
Si le sénateur le veut bien, oui.
Bien sûr.
Êtes-vous en train de dire que nous pouvons accuser de fraude une personne qui vole une fruiterie? Il s’agirait alors d’un vol. Vous semblez dire que nous ne devrions pas utiliser une infraction propre aux épreuves arrangées, mais plutôt tenter de les inclure dans la définition d’une autre infraction criminelle avec d’autres éléments. Je ne suis pas sûr que votre analogie m’a aidé.
Merci, sénateur White. Il faut utiliser les différents articles du code, comme cela a été fait dans l’affaireRiesberry. Il faut avoir recours à l’article sur la fraude, sur la triche au jeu. Ce sont des choses qu’il serait plus facile à prouver, en faisant appel à toute une série de dispositions qui existent déjà.
Votre Honneur, j’aurais une autre question à poser.
Dans l’affaire Riesberry — si je peux me permettre, sénateur — , l’individu a-t-il été reconnu coupable d’avoir triché au jeu, en vertu de l’article 209?
Je ne sais pas de quoi il a été reconnu coupable, mais je sais qu’il a été...
Il n’a pas été reconnu coupable en vertu de l’article 209.
Certes, mais je sais que sa condamnation a été confirmée par la Cour suprême qui a eu recours, pour ce faire, à toute une série de dispositions du Code criminel.
L’affaire de la tricherie a été renvoyée aux tribunaux, mais il a été reconnu coupable de fraude.
J’aimerais faire une brève intervention. Par respect pour ses antécédents dans le domaine de la justice pénale, j’ai estimé qu’il était de mon devoir, comme je pense qu’il l’est de nous tous, de prendre les préoccupations du sénateur White au sérieux.
J’ai un peu d’expérience avec l’aspect juridique de la justice pénale, notamment en ce qui concerne la fraude. J’ai dû prêter une assez grande attention pour comprendre les éléments du délit de fraude en particulier. J’étais persuadé que les dispositions existantes sur la fraude couvriraient suffisamment les questions d’épreuves arrangées, mais les préoccupations du sénateur White m’ont porté à réfléchir. À cette fin, j’ai utilisé une partie du budget de mon bureau pour retenir les services d’un éminent spécialiste du droit pénal, Steve Coughlan, qui m’a été recommandé par d’éminents avocats dans le domaine du droit pénal, pour qu’il me donne son avis.
Selon l’expert — dont j’ai communiqué l’opinion, sans équivoque, au sénateur White —, le Code criminel, y compris les dispositions sur la fraude dans l’article intitulé « Tricher au jeu », suffit amplement pour gérer l’éventail des stratégies de trucage d’épreuves qui pourraient être mises en œuvre. Le tout est appuyé par l’arrêt de 2005 de la Cour suprême dont les sénateurs ont parlé. En conclusion, le professeur Coughlan estime que :
[…] les dispositions actuelles du Code criminel permettent de traiter les tentatives abusives de manipulation du résultat d’un événement sportif.
M. Bourgeois, qui a témoigné devant le Comité des banques, a donné une opinion semblable. Un avis juridique commandé par un partisan du projet de loi et préparé par un très éminent avocat de la Nouvelle-Écosse, Joel Pink, c.r., qui est souvent appelé le doyen des criminalistes de la Nouvelle-Écosse, contient des conclusions similaires.
Je me suis aussi intéressé aux travaux du professeur Hill, et j’ai pris connaissance d’une étude qu’il a menée sur les procureurs dans ces dossiers, dans l’Union européenne. Il a conclu que le plus gros défi pour intenter des poursuites n’était pas le cadre législatif des pays, mais bien l’accumulation de preuves. Quand on y réfléchit bien, la raison est évidente. Les gens qui se font escroquer commettent eux aussi des crimes, et ils ne sont pas très enclins à se manifester. La réglementation et la légalisation permettraient de détecter les crimes commis et de les catégoriser.
Par souci de courtoisie, je pense, le sénateur White m’a fait part il y a une semaine de l’amendement qu’il propose. Je lui en suis très reconnaissant, car j’ai pu demander au professeur Coughlan de le commenter. Premièrement, il a conclu que l’amendement proposé n’ajoute rien à la définition de tricherie comprise dans la common law, car le Code criminel couvre déjà le concept de fraude. Deuxièmement, le sénateur Wells a fait allusion, dans une certaine mesure, a un important point technique : le détail peut chasser le général.
L’amendement du sénateur White s’applique au jeu, car ce terme n’est pas défini dans le Code criminel. Le terme « jeu » a déjà été interprété par les tribunaux. Cela signifie que les dispositions sur le jeu que le sénateur White propose correspondent à cette notion. Dans le Code criminel, la notion de jeu s’applique au jeu de hasard ou de jeu combinant l’adresse et le hasard.
Pour que l’amendement qui interdit spécifiquement la tricherie et la supercherie concernant un jeu puisse fonctionner, il doit s’appliquer seulement aux types de jeux qui supposent, pour reprendre l’expression de la Cour suprême du Canada, un « recours systématique au hasard », comme c’est le cas de nombreux jeux pour lesquels on lance les dés ou distribue des cartes, par exemple. Dans cette affaire de course de chevaux truquée, la Cour a dû conclure que la course de chevaux est un jeu dans lequel se mêlent le hasard et l’adresse : l’adresse est celle du cheval et le hasard sert à déterminer à quel emplacement le cheval commencera la course, ce qui fait fait que cette activité est considérée comme un jeu.
Les types de sports dont nous discutons ne sont pas des jeux. La Cour suprême elle-même a déclaré que les activités de ce genre ne sont pas des jeux. Ils ne sont pas fondés sur des « impondérables qui peuvent occasionnellement faire échec à l’adresse ». Voici ce qui rend ce problème épineux : comme la plupart des sports sont définis comme des jeux d’adresse et non des jeux dans lesquels se mêlent le hasard et l’adresse, les dispositions sur le jeu proposées dans l’amendement ratent leur cible en ce qui concerne les sports.
Ce petit exemple — qui n’était pas intentionnel de la part du sénateur White et des gens qui l’ont aidé à rédiger le texte — montre qu’on peut rater la cible quand on cherche à être trop spécifique. Je dois dire, très respectueusement, que ce n’est pas le processus à suivre pour bâtir le droit pénal.
Il faut reconnaître le mérite de ceux qui ont examiné tout cela. Le statu quo est adéquat. Par conséquent, j’encourage vivement les sénateurs à rejeter l’amendement.
Honorables sénateurs, j’aimerais intervenir, très respectueusement, au sujet de l’amendement. Je ne m’exprime pas en tant qu’avocate ou spécialiste du droit pénal, mais en tant que personne qui a été témoin de cas flagrants de trucage de matchs et qui a travaillé sans relâche pour résoudre un éventail de problèmes connexes.
Je ne pourrai jamais remercier assez le sénateur White d’avoir présenté au Sénat toute la question du trucage de matchs et de compétitions. Malheureusement, il s’agit d’un gros problème au pays et à l’étranger. Avoir l’occasion de travailler avec des athlètes qui aspirent à se surpasser, c’est vraiment quelque chose, de même que tous les aspects des conséquences de cela. Donc, bien que je reconnaisse l’attention, l’intérêt et le souci du sénateur White envers le trucage des matchs, l’intention et l’expertise de ses observations aujourd’hui, je ne peux pas appuyer l’amendement.
Mon travail m’a amenée à m’impliquer internationalement afin de tenter de comprendre le problème du trucage des matchs et son ampleur dans les sports professionnels et amateurs — mais surtout dans les sports amateurs, et comme l’a indiqué le sénateur White, dans le sport de deuxième niveau. Nous ne pouvions pas attendre la signature d’un traité international. Il fallait y travailler diligemment. Lorsque l’on s’assoit à la table et étudie les lois, le Code criminel et les règles dans d’autres pays, on constate que le Canada est rigoureux et que la question est couverte par diverses dispositions du Code criminel.
J’ai trouvé stupéfiant de voir les lacunes et les échappatoires que d’autres grands pays avancés n’avaient pas. Je me suis sentie rassurée. Personnellement, en tant que femme, ce fut un projet plutôt risqué à assumer à l’international, mais je tiens beaucoup à bien légiférer à l’égard de tout ce qui touche la manipulation et à tenter de faire mieux. Toutefois, je n’appuierai pas cet amendement ce soir.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t-il entente au sujet de la sonnerie?
Oui, Votre Honneur, 15 minutes.
Le vote aura lieu à 20 h 21. Convoquez les sénateurs.