Projet de loi relative au cadre national sur les cancers liés à la lutte contre les incendies
Deuxième lecture--Suite du débat
27 avril 2023
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-224, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur la prévention et le traitement de cancers liés à la lutte contre les incendies. J’espère qu’il bénéficiera de votre appui à toutes les étapes des travaux du comité et du Sénat.
Avant de présenter mes observations, je souhaite encourager les sénateurs et les membres du personnel à regarder un documentaire canadien produit récemment, BURNED: Protecting the Protectors. Le film présente cette histoire beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Il offre un examen percutant et émouvant des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques, ou SPFA, utilisées dans les dispositifs de protection des pompiers.
Quand on pense aux produits chimiques que les pompiers inhalent et à ceux qui les recouvrent chaque fois qu’ils entrent dans un immeuble enflammé, il n’est pas étonnant que les risques de cancer soient si élevés parmi les gens qui font ce travail. Cela dit, quand nous pensons aux pompiers et aux services des incendies, nous avons tous des images différentes en tête. Il y a de petites équipes de pompiers volontaires et de grandes équipes urbaines, des services qui doivent lutter contre des incendies fréquents et parfois simultanés et des équipes en zone rurale où l’accès aux lieux pose d’énormes défis. Certains d’entre nous ont même des pompiers dans leur famille. Nous sommes tous conscients du rôle immensément important qu’ils jouent dans nos collectivités. Nous avons besoin d’eux.
Je suis la première sénatrice à venir de la région de Waterloo en 71 ans. Je considère qu’il est prioritaire pour moi de passer du temps avec les pompiers et les premiers intervenants pour bien comprendre les besoins de notre collectivité, qui regroupe sept cantons différents. Au plus fort de la pandémie, je me suis rendue dans les casernes de pompiers lorsque c’était possible et j’ai fait des conférences sur Zoom avec les pelotons pour entendre quels étaient leurs défis.
Il y a quelques semaines, grâce aux efforts de dernière minute de notre huissier du bâton noir et de son collègue Chasse Helbin, nous avons eu le privilège d’offrir une visite guidée unique du Sénat à un groupe de huit pompiers de Waterloo. Ils étaient ici pour participer à la Conférence législative de l’Association internationale des pompiers. Ces visiteurs sont retournés à Waterloo avec une compréhension approfondie du Sénat et ils ont été très touchés par le travail que nous accomplissons. J’ai saisi toute l’importance de ce projet de loi pour eux.
Ce projet de loi porte sur le cancer professionnel, une maladie à laquelle les pompiers sont beaucoup plus à risque. J’aimerais vous faire part de ce qu’ils m’ont appris lors de leur visite.
Premièrement, l’un des pompiers a communiqué avec moi peu de temps après son retour à Waterloo. Je le cite :
Après avoir milité à Ottawa pour élargir la couverture afin d’inclure le cancer, un de nos membres est décédé d’un cancer professionnel dans la semaine qui a suivi mon retour à la maison.
Un autre pompier m’a écrit ce qui suit :
Il arrive souvent dans nos services que si les membres atteints d’un cancer professionnel se rendent à la fin de leur carrière, ils meurent soit dans l’exercice de leurs fonctions, soit peu de temps après avoir pris leur retraite.
Les pompiers meurent, et meurent jeunes, de cancers professionnels. Ces cancers peuvent résulter d’années d’exposition à des produits chimiques toxiques et à des gaz issus de la combustion. Dans certains cas, le cancer peut être directement lié à un incident, comme l’incendie d’Horticultural Technologies à Kitchener. Il s’agissait d’un incendie de produits chimiques dans une grande structure, survenu en 1987.
Chers collègues, réfléchissons un instant aux répercussions de l’incendie dont je viens de parler sur la vie de ceux qui l’ont affronté. Les expériences personnelles suivantes ont été décrites par Ed Brouwer, un instructeur qui a fait des recherches approfondies sur l’effet dévastateur de cet incendie sur la vie des pompiers en service, des années après que les flammes ont été éteintes. Au sujet de Dave Ferrede, il écrit :
[...] un passionné de conditionnement physique et de santé, il se faisait souvent taquiner parce qu’il grignotait des noix et des baies. Grand amateur de cyclisme, il conduisait son vélo en hiver avec des pneus à crampons. Ferrede [...] a joué au sein de la Ligue de hockey des pompiers du Sud de l’Ontario [...] En avril 1989, lors d’un match de championnat de division, vers la fin de la troisième période, Dave a marqué le but gagnant qui a permis de décrocher le titre de division. Deux semaines plus tard, alors qu’il n’avait que 32 ans, Dave a été mis en congé de maladie. On lui a alors diagnostiqué un cancer du foie primaire et il est décédé dans les six semaines qui ont suivi.
Le décès de Dave a été suivi par celui du capitaine John Edward Stahley qui :
[...] après avoir reçu un diagnostic de cancer primitif du foie, est décédé en juillet 1990 à l’âge de 57 ans.
Au cours de l’été 1989 [...]
— tout cela à quelques années d’intervalle —
[...] le sergent Lloyd MacKillop du service de police régional de Waterloo, qui était l’agent de police chargé de la supervision lors de l’incendie, a été atteint d’un cancer. Il est décédé en mai 1990, à l’âge de 48 ans.
Le pompier John Divo, qui était le président du syndicat local, s’est vu diagnostiquer un cancer en phase terminale du poumon et de la colonne vertébrale. Il est décédé en avril 1990, à l’âge de 46 ans.
La maladie de Parkinson a été diagnostiquée chez le pompier Henry Lecreux, qui est décédé en février 1993, à l’âge de 52 ans.
Au printemps suivant, William Misselbrook, qui était le chef de peloton de l’équipe de jour lors de l’incendie, est décédé d’un cancer du foie. Il avait 64 ans.
Plusieurs autres pompiers qui ont combattu l’incendie sont atteints d’un cancer de la peau, d’un cancer de la prostate, de la maladie de Parkinson ou de nombreux autres problèmes de santé.
Les renseignements trouvés sur le site Web des pompiers atteints de la maladie de Parkinson montrent que 23 des 69 pompiers appelés pour éteindre l’incendie ont été atteints d’un cancer ou de la maladie de Parkinson. Le site indique également que les deux pompiers de Kitchener, un agent de la police régionale de Waterloo et une ambulancière ont tous donné naissance à des enfants atteints de malformations congénitales après être intervenus lors de cet incendie.
Chers collègues, sur une note internationale, l’été dernier, le Centre international de recherche sur le cancer, l’agence spécialisée sur cette maladie de l’Organisation mondiale de la santé, a classé l’exposition des pompiers dans le groupe 1 des agents cancérigènes, ce qui signifie qu’il a relevé suffisamment de preuves pour associer le travail au risque de développer certains cancers. Il n’y a que cinq métiers qui ont reçu cette désignation. Si cette annonce a confirmé ce que disaient les pompiers, il a fallu des dizaines d’années de lobbying pour obtenir la présomption ouvrant droit à des indemnisations des accidents du travail. Le régime ne va pas encore assez loin.
L’an dernier au Canada, 95 % des décès en service de pompiers canadiens étaient liés au cancer. En 2018, une étude a découvert que les pompiers canadiens étaient environ trois fois plus susceptibles de mourir d’un cancer que la population en général.
Quelle est la plus grande forme d’exposition qui cause les risques les plus élevés? Les pompiers sont exposés régulièrement à un certain nombre de substances cancérigènes : les produits chimiques qui sont rejetés lors d’incendies, la fumée et la suie, l’amiante, le gaz d’échappement et l’équipement du pompier. Oui, l’équipement qu’ils portent est cancérigène. On peut voir les petits changements si on sait où regarder. Vous rappelez-vous quand vous ou vos enfants preniez des photos avec les pompiers en uniforme? Cette pratique est révolue parce que les pompiers portent leur équipement de protection le moins possible.
Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui demande au ministre d’élaborer un cadre national destiné à sensibiliser la population aux cancers liés à la lutte contre les incendies, dans le but d’améliorer l’accès des pompiers aux services de prévention et de traitement du cancer. Ce cadre devrait être le résultat d’une consultation rigoureuse et inclusive. Enfin, grâce à ce projet de loi, le mois de janvier deviendra le Mois de la sensibilisation au cancer chez les pompiers .
Pour conclure, je me souviens de mes propres expériences et de ma curiosité dans ma jeunesse. À l’âge de 9 ans, aux petites heures d’un matin neigeux de décembre, une odeur de fumée et une sensation de chaleur m’ont réveillée. J’ai couru de ma chambre située au deuxième étage et j’ai essayé de réveiller mes frères et de les faire sortir de la maison. Alors que nous regardions la ferme que nous avions louée s’embraser, nous attendions l’arrivée des pompiers ruraux locaux. Après l’incendie, nous avons essayé de récupérer certains objets, mais même après un nettoyage industriel, l’odeur de la fumée était restée si forte que nous avons dû jeter la plupart des objets que nous avions récupérés. Durant les années qui ont suivi, en tant que jeune personne curieuse, je me suis toujours demandé ce que c’était de lutter contre les incendies et quel était l’incidence de la fumée et des toxines. Aujourd’hui, j’en ai une bien meilleure idée.
Honorables sénateurs, je demande votre aide pour renvoyer ce projet de loi à un comité le plus tôt possible afin que nous puissions offrir du soutien à ceux qui en ont le plus besoin. Merci. Meegwetch.