Les défis et possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes
Interpellation--Suite du débat
30 mai 2023
Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole dans le cadre de l’interpellation attirant l’attention du Sénat sur les défis et les possibilités auxquels doivent faire face les municipalités canadiennes, et sur l’importance de comprendre et de redéfinir les relations entre les municipalités du Canada et le gouvernement fédéral.
Je remercie ma collègue la sénatrice Simons d’avoir lancé cette interpellation. En l’écoutant, ainsi que d’autres sénateurs, je suis devenue plus inquiète par rapport au problème en question, c’est‑à‑dire le besoin de veiller à ce que les municipalités aient les ressources financières et politiques nécessaires afin d’assurer au Canada un avenir plus prospère et favorable aux relations et à l’innovation.
Il y a près de six ans, lorsque j’ai été assermentée en tant que sénatrice, j’ai choisi de représenter la région de Waterloo. La décision allait de soi. J’ai décidé de représenter sept villes et municipalités qui sont interreliées, et j’ai établi que l’approche régionale était la meilleure stratégie. Cela m’a aussi poussée à assumer rapidement la responsabilité de bien comprendre les divers besoins de ces municipalités. Mes connaissances sur ces questions ont certainement été mises à l’épreuve à plusieurs reprises.
Comme nous tous, je me suis donné comme priorité de mieux connaître les collectivités de ma région, leurs divers besoins, les défis qu’elles ont en commun, mais surtout, le rôle que chaque municipalité doit assumer et la façon dont ces municipalités sont interreliées. J’ai beaucoup appris lors de mes rencontres avec sept maires et avec des organisations — petites et grandes — bien connues. Mes visites de 32 entreprises et organisations pendant la pandémie de COVID-19 ont été des plus éclairantes.
La région de Waterloo englobe trois villes et quatre cantons : les villes de Cambridge, de Kitchener et de Waterloo, ainsi que les cantons de North Dumfries, de Wellesley, de Wilmot et de Woolwich. Cette collectivité de taille moyenne est située au cœur de la ceinture de verdure sud-ouest de l’Ontario. Ce que j’adore, c’est que nous avons les commodités d’un grand centre urbain tout en maintenant le charme et le caractère d’une collectivité rurale plus petite.
Imaginez ceci. Je peux sortir de chez moi et en quelques minutes de marche ou de vélo, je peux me rendre à plusieurs campus universitaires, à des sentiers qui me mèneront jusqu’à Guelph à l’ouest ou jusqu’à Brantford ou Hamilton au sud et creux dans les collectivités agricoles au nord. Tout cela réuni dans un superbe réseau de sentiers panoramiques qui crée une communauté de collectivités connectées par des services de transport en commun de grande qualité ainsi que par des pistes cyclables et des sentiers de randonnée, le tout traversé par la captivante rivière Grand.
En quelques kilomètres, je peux visiter des carrefours d’innovation technologique se targuant d’avoir les talents les meilleurs et les plus brillants venant de partout dans le monde ou encore des groupes de réflexion tels que le l’Institut Perimeter pour la physique théorique et le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale. Si je pédale un peu plus loin, je peux remonter dans le temps et passer rapidement d’œuvres architecturales primées à un paysage rural paisible où chevaux et bogheis circulent sur les routes de terre dans le monde des mennonites. Je peux même acheter des fleurs fraîchement coupées, des saucisses artisanales, du sirop d’érable, du beurre de pomme, du fromage ainsi que des meubles et des courtepointes mennonites en bordure de route ou dans les grands marchés.
La rivière Grand serpente dans la majeure partie de la région, sur une superficie totale de 365 hectares. Vous pouvez la parcourir en canoë ou en empruntant le chemin de fer de Cambridge à Paris. On trouve dans cette région des théâtres, des musées et le plus long marché fermier du Canada.
Kitchener, dans la zone centrale, est la plus grande ville de la région; l’industrie, la collaboration et l’esprit d’entreprise sont au cœur de cette ville. De nombreux festivals, y compris des amuseurs publics, animent les rues pendant l’été.
Le musée local, le musée de Kitchener et le Centre in the Square accueillent des talents, des artisans et des artistes du monde entier. À quelques minutes de là, le centre de ski Chicopee ski Hill permet de faire du ski en hiver, de la descente en chambre à air et de la randonnée en été.
J’aimerais également mentionner nos quatre plus petites communes. Natasha Salonen est maire du canton de Wilmot. Elle est très fière de sa collectivité :
Ce sont les habitants de Wilmot qui me rendent le plus fière de notre canton. Il ne s’agit pas seulement d’une petite ville aux racines rurales, mais d’une communauté qui se soutient mutuellement et qui fait de Wilmot un endroit merveilleux pour vivre, travailler, se divertir et élever une famille.
Elle poursuit en décrivant l’emplacement, le long de la rivière Nith, à côté des grandes villes. La région procure les espaces verts et l’industrie agricole qui permettent aux habitants de l’Ontario de se nourrir. Ils sont fiers de leurs événements culturels qui attirent le public de loin, notamment la vente annuelle de bienfaisance des mennonites, le Moparfest et la foire d’automne de New Hamburg.
Nous nous sommes longuement entretenus sur les relations entre les administrations municipales et les gouvernements provinciaux et fédéral. Comme l’a déclaré la mairesse Salonen :
Les relations entre les municipalités et le gouvernement fédéral sont fondamentales pour que le Canada reste un pays où il fait bon vivre. Je dirais que tous les paliers de gouvernement ont pour objectif d’améliorer la qualité de vie et le bien-être de l’ensemble des Canadiens. Des relations étroites sont mutuellement bénéfiques, car elles nous permettent de nous entraider. On dit que les municipalités représentent le palier de gouvernement le plus proche de la population et que, dans l’exercice de nos mandats, les liens étroits que nous entretenons avec le gouvernement fédéral nous permettent d’apporter un éclairage unique sur les politiques et les programmes fédéraux qui pourraient être améliorés, qui fonctionnent bien, ou qui doivent peut-être être créés.
Toujours au bord de la rivière Nith, Sue Foxton est la mairesse du canton de North Dumfries, que beaucoup appellent la collectivité d’Ayr. Les maisons y sont uniques. C’est une région paisible. Les lucioles y voltigent encore pendant les mois d’été. Ayr est l’une des rares collectivités au Canada qui accueille encore chaque année une grande foire scolaire, dont 2024 marquera la 200e année.
Bien que le hockey y occupe une grande place, la mairesse Foxton est surtout fière du cœur de ses résidants. Quelles que soient les difficultés ou les réussites, c’est une collectivité qui respecte l’espace de chacun.
Récemment, Ayr avait désespérément besoin d’un nouvel aréna. L’objectif était d’amasser 1 million de dollars. La collectivité s’est mobilisée, elle a pris conscience de l’importance de ce projet pour ses enfants et elle a plutôt recueilli 2,5 millions de dollars.
Comme le dit la mairesse : « en planifiant, en se préparant et en réagissant, comme nous le faisons, nos enfants apprennent qu’ils peuvent faire quelque chose. »
En ce qui concerne le rôle des municipalités, la mairesse Foxton est très claire :
Des liens solides, ciblés et réciproques avec le gouvernement fédéral sont essentiels à l’évolution des municipalités canadiennes. Il ne s’agit pas seulement d’une question monétaire, loin de là. Nous devons voir et connaître nos dirigeants, nos représentants, savoir qui ils sont. Nous n’avons pas de sénateur depuis plus de 70 ans. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Qu’est-ce que cela peut signifier? Comment cela renforce-t-il nos collectivités et les liens importants entre nos villes, nos provinces et territoires et nos décideurs fédéraux, entre autres? Nos élus doivent se rappeler pourquoi ils ont été élus, d’où ils viennent et l’incidence de chaque décision fédérale et provinciale.
Lors de toutes mes conversations avec les dirigeants communautaires, je les ai écoutés parler de confiance, d’empathie, de communication, de consultations, de même que de l’importance suprême de se sentir lié à quelqu’un et à quelque chose de bien plus grand qu’eux et d’en être responsable.
Certains de ces propos ne sont pas nouveaux, mais les enjeux — les conséquences des mauvaises décisions, de l’information, de la désinformation et de la fatigue — n’ont jamais été aussi élevés. Être à la tête de municipalités exige de grands sacrifices, et il ne faut jamais l’oublier.
Au cours du dernier mois, j’ai eu des conversations très difficiles. Tous les maires et dirigeants municipaux avec lesquels je me suis entretenue ont pu me donner des exemples très choquants de conséquences de décisions fédérales qui ont rendu leur travail difficile ou carrément impossible. J’ai beaucoup insisté pour être sûre de bien comprendre ce que j’entendais. Dans l’ensemble, ils ont constaté avoir de meilleures relations avec les premiers ministres provinciaux et territoriaux. En général, ils croient que cette relation s’est vraiment améliorée parce qu’il s’agissait d’un élément essentiel pendant la pandémie ainsi que pour la reprise. Toutefois, la question qui se pose est de savoir si l’on s’efforcera de communiquer, de réunir les premiers ministres provinciaux et territoriaux et de faire en sorte que les maires et la Fédération canadienne des municipalités continuent d’être présents à la table de négociation ou si l’on ralentira les choses et reviendra au statu quo avec le temps.
En ce qui concerne tous les sénateurs, cette interpellation nous rappelle des questions que nous nous posons peut-être sans cesse : comment rendons-nous des comptes, tant individuellement que collectivement, aux municipalités et sur les municipalités? Comment veillons-nous à représenter les besoins des collectivités et des municipalités canadiennes? Est-ce que nous effectuons des consultations et sollicitons de la rétroaction qui mènent à un bon processus d’examen et de suivi des projets de loi? Honnêtement, je crois que nous ne remplissons pas la promesse faite aux Canadiens, mais nous pouvons vraiment remédier à ce problème ensemble.
D’après les discussions que j’ai eues avec ma municipalité, le logement, l’itinérance, le traitement des personnes âgées, les soins de fin de vie et les soins de longue durée, l’accueil des nouveaux Canadiens, les récentes annonces concernant les garderies et les services tels que les banques alimentaires ont tous donné lieu à des histoires incroyables de personnes qui essaient de faire de leur mieux malgré des ressources limitées ainsi que des annonces et des projets de loi imprévus.
Il y a quelques semaines, j’ai visité la Maison Sophia Reception House, une maison d’accueil de ma région qui gère l’accueil de centaines de réfugiés afghans, de nouveaux Canadiens et d’autres personnes. Le simple fait que l’établissement, l’hôtel où ils séjournent et la direction ne soient pas en mesure d’obtenir un engagement de la part d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pendant plus de quatre mois met leur succès en péril.
Un système de soins de santé déjà en difficulté est poussé au bord du gouffre, car nous savons que les nouveaux Canadiens les plus vulnérables arrivent avec de nombreux besoins en matière de santé physique et émotionnelle. La promesse d’accueillir des centaines de milliers de nouveaux Canadiens sans prévoir un soutien fédéral homogène, avec des communications bien rodées, condamne parfois les familles et les collectivités à l’échec.
Il s’agit là de quelques petits exemples qui mettent en évidence ce qui fonctionne bien dans les collectivités, mais aussi qui montrent comment les choses peuvent déraper très rapidement. À l’heure actuelle, les défis liés au logement en sont un excellent exemple.
La fin de semaine dernière, plus de 1 500 élus municipaux se sont réunis à Toronto dans le cadre du congrès annuel de la Fédération canadienne des municipalités. Cet événement m’a rappelé les défis communs que nos municipalités canadiennes doivent relever en raison de la croissance rapide de notre pays. L’un des principaux éléments que les municipalités ont en commun est d’établir une nouvelle feuille de route pour améliorer le fonctionnement du pays. C’est une priorité. Le cadre fiscal doit faire l’objet d’une refonte, car il n’est plus adéquat.
Les élus municipaux veulent agir comme chefs de file pour fournir les outils qui permettront d’accroître l’offre de logements adéquats, de lutter contre l’itinérance, de renouveler les infrastructures de base et de combattre les changements climatiques. Par ailleurs, les participants ont profité de l’occasion pour dire haut et fort aux autorités gouvernementales fédérales et provinciales qu’elles doivent continuer de collaborer avec les administrations municipales de tout le pays afin de concevoir un nouveau cadre fiscal. Les outils fiscaux actuels sont tout simplement dépassés et ils n’aident pas les municipalités à relever les défis modernes de notre société.
En tant que parlementaires, nous ne ménageons pas nos efforts pour accorder à nos collectivités respectives toute l’importance qu’elles méritent. Nous essayons de faire connaître les liens essentiels, la nature de nos travaux et la raison pour laquelle nous faisons ce travail. Cependant, cette interpellation porte sur les municipalités. Celles-ci doivent pouvoir compter sur des moyens fiscaux et politiques adéquats pour prospérer tout en étant efficaces et efficientes. Peu importe la taille d’une municipalité — ou de nos collectivités respectives —, la solution est la même : que toutes les instances gouvernementales unissent leurs efforts de manière respectueuse.
Les municipalités sont véritablement les intervenants de première ligne sur le plan politique. C’est à cette échelle qu’on gère des dossiers dans ce pays. Ce sont les moteurs économiques qui innovent au sein de notre confédération. Ne l’oublions jamais. Tâchons de démontrer que nous comprenons que nous avons tous ont un rôle important à jouer par rapport aux réussites et aux défis que nous observons au quotidien dans l’ensemble du pays.
Merci, meegwetch.