Projet de loi sur le cadre national sur la publicité sur les paris sportifs
Deuxième lecture--Ajournement du débat
19 septembre 2023
Propose que le projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs.
Avant de parler du projet de loi, je prends un instant pour saluer tous mes collègues et le personnel du Sénat en leur disant « bon retour » et pour souhaiter la bienvenue tout spécialement aux deux nouveaux sénateurs. Nous sommes ravis que vos familles et vous soyez ici.
Les trois derniers mois ont été difficiles pour de nombreux Canadiens, et je ne doute pas que bien des personnes ici connaissent des gens dont la vie a été chamboulée par les inondations et les feux de forêt. J’ai vu des régions très endommagées, au Canada et à l’étranger, dans le cadre de déplacements pour le Sénat. Aujourd’hui, c’est formidable de plonger dans le travail très important que nous devons tous faire.
En ce qui concerne la mesure législative, je veux également remercier mon collègue le sénateur Cotter, qui est un important partenaire pour ce projet de loi et qui est toujours disponible pour m’offrir des conseils sur le sujet. Il y a deux ans, chers collègues, lorsqu’une majorité de sénateurs — dont je faisais partie — a adopté le projet de loi C-218, qui a légalisé les paris sur une seule épreuve sportive, nous nous sommes aventurés en terrain inconnu. J’ai hésité à voter pour le projet de loi. Si je l’ai fait, c’est principalement pour faire sortir de l’ombre le jeu illicite.
Nous avons vu les recettes qui ont été générées pendant ces deux premières années en Ontario seulement. Les fonds provenant de ces activités quittaient le Canada ou se retrouvaient entre les mains de criminels, ce qui avait parfois des conséquences dangereuses. Dans ce sens, le projet de loi a eu les effets positifs que je prévoyais. J’espérais que la légalisation des paris sur une seule épreuve sportive serait accompagnée d’efforts visant à réduire les méfaits de ces activités, mais cela ne s’est pas produit. Je n’avais pas prévu l’ampleur que prendrait la promotion, et je crois qu’elle risque de créer une génération de joueurs compulsifs.
Est-ce que je regrette mon vote? Je ne le regrette toujours pas, du moins, pas encore. Nous pouvons encore corriger le tir. C’est ce que je tente de faire aujourd’hui avec ce projet de loi.
Nous avons l’avantage de pouvoir regarder ce qui se passe dans d’autres pays. J’ai d’ailleurs rencontré des chefs de file du Royaume-Uni dans ce domaine il y a quelques semaines. Nous pouvons tirer efficacement des leçons de leur expérience. Les provinces commencent tout juste à se demander comment elles aborderont ce dossier. Beaucoup de sénateurs seront sûrement heureux d’apprendre que la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario a annoncé dernièrement quelques règles concernant la publicité pour les paris sportifs. J’y vois un point positif mais, pour des raisons que j’aborderai rapidement ici avant de les examiner davantage plus tard, ces règles ne vont pas assez loin. Il nous faut des normes nationales auxquelles les entreprises de paris devront se conformer : c’est ainsi que tous les Canadiens pourront bénéficier des mêmes protections, peu importe leur province de résidence.
Cet été, je me suis entretenue avec des collègues d’ici et de l’autre endroit, des familles d’un bout à l’autre du pays, des dirigeants autochtones et des responsables de la réglementation au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, et je n’ai jamais été aussi convaincue que le gouvernement doit agir dans ce dossier, et ce, dès maintenant.
Le fait est, chers collègues, que les Canadiens trouvent préoccupante la publicité excessive pour les paris sportifs. D’après un récent sondage Ipsos, 63 % d’entre nous sont las de voir autant de messages publicitaires pour les jeux d’argent. Si vous avez regardé la série Leafs-Panthers au deuxième tour des séries éliminatoires de la Ligue nationale hockey cette année, vous avez eu droit à neuf minutes de publicité sur les paris sportifs par match, sans compter les conseils sur les paris offerts par les panels pendant les pauses, où l’on présente maintenant les cotes en plus de l’analyse du match. N’oublions pas non plus les pauvres âmes qui décident de fréquenter les médias sociaux pendant le match, où le flot de publicité pour les jeux d’argent ne connaît pas de fin.
Il ne s’agit pas seulement d’un irritant ou d’une distraction. Ces messages publicitaires ont des conséquences négatives très graves et prouvées. Un joueur compulsif qui, par le passé, arrivait à éviter le casino ou le comptoir PROLINE est maintenant assailli de tentations lorsqu’il s’assoit à la maison simplement pour regarder un match. Voilà qui présente un défi majeur pour les personnes aux prises avec une dépendance au jeu.
Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour aider ceux qui voulaient arrêter de fumer. Un alcoolique n’a pas autant de chance, mais, reconnaissant les méfaits, nous avons mis en place des restrictions importantes sur les publicités de bière et de spiritueux; grâce à un travail comme celui de notre collègue le sénateur Brazeau, il y aura peut-être bientôt des avertissements sur les étiquettes également. En revanche, aujourd’hui, un joueur compulsif ne peut plus regarder son écran sans être encouragé à jouer.
Je voudrais partager un court message que j’ai reçu d’un père au mois de juillet, après ma présentation de ce projet de loi. Il se lit comme suit :
J’ai un garçon de 7 ans, assez athlétique et assez intelligent. C’est un enfant sportif et il est futé, mais je ne le laisse plus regarder le sport à la télévision. Il adore les Blue Jays et les Canadiens. Toutefois, le flot incessant de publicités est devenu problématique. Au début, lorsqu’il m’a posé des questions sur les publicités, j’ai essayé d’adopter une approche logique et de lui expliquer l’aspect mathématique de la chose. Cela me semblait être une bonne idée. Il a compris. Cependant, j’ai éteint le téléviseur pour de bon lorsqu’il a demandé s’il pouvait parier son propre argent. Je précise que je ne suis pas une joueuse et qu’il ne m’a jamais vu jouer. Je ne fais même pas de paris bidon avec lui. Même si je lui ai expliqué les choses très clairement, il voulait quand même voir s’il pouvait gagner de l’argent. Fini la télévision.
Je suppose, chers collègues, qu’il s’agit d’une bataille qui se joue dans des salons partout au pays. Par ailleurs, il n’a jamais été plus facile de parier, ce qui est loin d’arranger les choses. En effet, il suffit souvent de manœuvres de base sur son téléphone intelligent pour parier sur une foule de résultats d’un match qu’on est en train de regarder. J’ai vu des enfants de moins de 10 ans le faire. Nul besoin d’une spécialisation en psychologie — même si je soupçonne qu’il y en aura bientôt une —pour comprendre pourquoi c’est problématique et ne fera qu’aggraver les problèmes de jeu qu’on observe déjà au Canada. Les recherches montrent effectivement que nous nous dirigeons dans la mauvaise direction.
Statistique Canada a indiqué en 2022 que deux tiers des Canadiens âgés de 15 ans ou plus ont déclaré avoir joué à des jeux d’argent au cours de la dernière année. J’ai bien dit deux tiers. Même si seulement 1,6 % de ces joueurs présentaient un risque modéré ou grave de problèmes liés au jeu, cela représente tout de même 304 000 Canadiens à risque.
Si le jeu tend à être plus répandu dans les ménages à revenu élevé, les ménages à faible revenu sont plus de deux fois plus susceptibles d’avoir un membre de leur famille présentant un risque modéré à grave de dépendance au jeu. Il est aussi important de souligner que les Autochtones ont déclaré avoir joué plus souvent au cours de la dernière année que les autres groupes démographiques, et ceux ayant joué étaient trois fois plus susceptibles de présenter un risque modéré ou grave de problèmes de jeu.
Fait important, les publicités que nous voyons aujourd’hui sont particulièrement attrayantes pour les jeunes Canadiens. L’industrie dit qu’elle fait tous les efforts pour ne pas attirer les enfants, mais il a fallu leur dire de retirer des célébrités de leurs publicités, et malgré cela, les recherches indiquent que ce déluge de publicités a encore beaucoup d’influence sur les jeunes Canadiens.
Une analyse documentaire souvent citée qui a été faite en 2014 par l’Université de Göteborg révèle que les enfants retiennent bien les publicités sur les paris et les marques. Les enfants et les jeunes étaient les plus conscients du lien entre la publicité et les sports, ce qui est perçu comme quelque chose qui banalise les paris.
Selon les résultats d’une étude plus récente effectuée en 2023 par l’Australian Institute of Family Studies, les jeunes sont plus susceptibles de faire un pari de façon impulsive ou de parier davantage après avoir vu des publicités sur les paris. D’après les résultats d’une analyse documentaire menée en 2023 par le Journal of Public Health, il y a des indices de ce qu’on appelle l’effet dose‑réponse, ce qui veut dire qu’une exposition accrue à la publicité fait croître la participation, ce qui entraîne un risque de préjudices accru, cette tendance étant plus prononcée chez les jeunes, y compris les jeunes enfants, et chez les personnes déjà vulnérables à cause de leurs habitudes de jeu actuelles.
Je cite également une entrevue donnée par Raffaello Rossi, professeur de marketing à l’Université de Bristol, qui a récemment mené un sondage auprès de jeunes Britanniques au sujet de leur réaction face aux publicités sur le jeu. Il a découvert que, entre les jeunes de 18 ans et plus et les jeunes de 11 à 17 ans, c’étaient les plus jeunes qui avaient des émotions et une réaction beaucoup plus positives que les adultes face à ce type de publicités. Il affirme que « [...] en fait, en général, les adultes détestent plutôt ce type de publicités ».
Nous nous retrouvons dans une situation similaire. Les entreprises de paris font de la publicité pour un produit que seuls les adultes peuvent utiliser, mais ces publicités plaisent surtout aux enfants. Où cela nous mènera-t-il? Pour ces enfants, le jeu finit par faire autant partie du sport qu’encourager son équipe favorite ou pratiquer soi-même le sport. Vous pouvez également avoir l’assurance que, dès qu’ils auront la possibilité de faire des paris, que ce soit au moyen de la carte de crédit de leurs parents et de la leur, ils le feront.
Toutefois, il n’est pas nécessaire de me croire sur parole, car il suffit de regarder de nouveau le Royaume-Uni pour voir où cela nous mènera. En 2005, le Royaume-Uni a légalisé les paris sur les manifestations sportives individuelles et, comme nous, n’a imposé pratiquement aucune restriction à la publicité. Aujourd’hui, à cause de cette décision, on estime qu'un tiers de million de personnes au Royaume-Uni sont des joueurs à problèmes, dont 55 000 enfants. Pour chaque joueur à problèmes, on a constaté que six autres personnes subissent une forme quelconque de dommages collatéraux, comme l’éclatement des familles, la criminalité ou la perte d’un emploi ou d’un logement. Ce qui est tragique, c’est que, en moyenne, un joueur à problèmes se suicide chaque jour.
Conscient de cette réalité, et en grande partie grâce au rapport de la Chambre des lords que je viens de citer, le Royaume-Uni commence à corriger cette erreur. L’année dernière, le pays a interdit aux célébrités et aux athlètes d’apparaître dans les publicités sur les jeux d’argent. Les publicités sur les jeux d’argent ne seront diffusées qu’après 21 heures, et les gens ne verront plus les entreprises de paris orner le maillot de leur footballeur préféré. Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à prendre de telles mesures. L’Italie, l’Espagne, la Pologne, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas ont tous récemment adopté des règlements stricts sur la publicité sur les jeux d’argent, et certains ont même interdit totalement les publicités.
Chers collègues, on voit clairement où tout cela va mener. Le Canada n’est pas l’exception internationale en la matière et il est ridicule de jouer avec la santé et le bien-être des Canadiens lorsque nous savons déjà quel sera le résultat. Il est absolument insensé d’attendre que ces problèmes surgissent pour réagir. À ce stade-là, la vie de dizaines de milliers de Canadiens aura été dévastée par le jeu compulsif. Nous disposons des outils nécessaires pour prévenir ces problèmes dès maintenant et c’est pourquoi j’ai pris la parole au Sénat pour présenter ce projet de loi.
Le projet de loi exige que le ministre du Patrimoine canadien élabore un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs. Je vous rappelle que le projet de loi est composé de trois volets. Le ministre doit d’abord définir des mesures visant à réglementer la publicité pour les paris sportifs au Canada, par exemple en limitant ou en interdisant la participation de célébrités ou d’athlètes, en restreignant l’utilisation de la publicité non diffusée, ou en limitant le nombre, la portée ou l’emplacement de ces annonces.
En second lieu, le ministre doit définir des mesures visant à promouvoir la recherche et la communication intergouvernementale sur la prévention et le diagnostic du jeu compulsif chez les mineurs, et des mesures de soutien destinées aux personnes touchées.
Troisièmement, le ministre doit établir des normes nationales relatives à la prévention et au diagnostic du jeu compulsif et de la dépendance au jeu, et relatives aux mesures de soutien destinées aux personnes touchées.
Pour ce faire, le ministre du Patrimoine canadien doit consulter le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, le ministre de la Justice, le ministre de la Santé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, le ministre de la Santé mentale et des Dépendances, le ministre des Services aux Autochtones et tout autre ministre qui, de l’avis du ministre du Patrimoine canadien, a des responsabilités pertinentes.
Il faut consulter des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux, notamment ceux responsables de la protection du consommateur, de la santé, de la santé mentale et des dépendances. Il faut aussi consulter divers intéressés, notamment des auto-intervenants, des prestataires de services et des représentants des milieux de la santé et de la recherche et d’organisations œuvrant dans les secteurs de la publicité et des jeux de hasard qui, de l’avis du ministre, possèdent une expérience et une expertise pertinentes en ce qui concerne le jeu pathologique et la publicité sur les jeux de hasard comme facteur pouvant y contribuer. Il faut également consulter les communautés autochtones et les organisations dirigées par des Autochtones, ainsi que toute autre personne ou entité que le ministre estime indiquée.
Enfin, cette mesure législative s’adresse également au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC. Voici ce qu’on peut lire à l’article 6 du projet de loi S-269 :
Le [CRTC] procède à l’examen de ses règlements et politiques afin d’en évaluer la pertinence et l’efficacité pour réduire l’incidence des préjudices résultant de la prolifération de la publicité sur les paris sportifs.
Le CRTC doit remettre ses conclusions et ses recommandations au ministre au plus tard au premier anniversaire de la date de sanction royale de la présente loi. À son tour, le ministre :
[...] fait déposer le rapport devant chaque chambre du Parlement dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant la date de sa réception.
Honorables sénateurs, je dois admettre que ce cadre ne va pas aussi loin que je le voudrais; vous êtes d’ailleurs nombreux à me l’avoir dit. De prime abord, comme bien des Canadiens, je voulais que les publicités sur le jeu soient complètement interdites. Heureusement, nous vivons dans un pays où on ne peut pas faire taire quelqu’un parce que ce qu’il dit nous déplaît. La restriction des droits garantis par la Charte ne peut être considérée comme constitutionnelle que si elle se fait dans des limites raisonnables pouvant se justifier dans une société juste et démocratique.
Je rappelle aux sénateurs qu’il a fallu près de 20 ans de luttes judiciaires par les différents gouvernements, et de multiples tentatives législatives, pour adopter un cadre restreignant la publicité sur le tabac. Je n’irais pas jusqu’à m’imaginer que je peux accomplir la même chose au sujet de la publicité sur le jeu, ni même qu’il est raisonnable de le tenter.
Quoi qu’il en soit, le jeu est une question préoccupante et très concrète pour certaines personnes qui sont nécessairement exposées à ces publicités. Tout comme les restrictions qui s’appliquent à l’alcool, il devrait y avoir certaines limites quant à ce qui peut être dit ou fait dans ces publicités. Selon le Code de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées du CRTC, les messages publicitaires ne peuvent pas, par exemple :
tenter d’inciter les non-buveurs de tout âge à boire ou à acheter des boissons alcoolisées; […]
[...] contenir l’endossement, directement ou indirectement, d’une façon personnelle ou par implication, d’un produit par toute personne, tout personnage ou tout groupe qui est susceptible d’être un modèle de comportement pour les mineurs du fait d’une situation passée ou actuelle lui valant la confiance du public, d’une réalisation spéciale dans tout secteur d’activité, de ses liens avec des organismes de charité et/ou de ses activités de sensibilisation au profit des enfants, de sa réputation ou de son exposition dans les médias [...]
Et, en dernier lieu, pour appuyer mon propos, les messages publicitaires ne doivent pas :
[...] faire allusion aux sensations et à l’effet causés par l’alcool ni donner l’impression, par le comportement des personnes dépeintes dans le message, qu’elles sont sous l’influence de l’alcool [...]
Il y a beaucoup à apprendre.
L’industrie des paris sportifs affirme qu’elle prend les moyens raisonnables pour agir de façon responsable, évidemment. Dans une entrevue, le président et chef de la direction de la Canadian Gaming Association a répondu ce qui suit aux allégations que son industrie cible les mineurs :
[...] les entreprises du secteur des jeux ne ciblent pas les mineurs. Ce n’est pas une clientèle qui nous intéresse. De plus, l’industrie ne ménage pas ses efforts pour que la publicité respecte les normes réglementaires. Il existe déjà de normes pour encadrer le recours à des célébrités ou des athlètes, ce qui porte à croire que ces personnalités laissent les jeunes plutôt froids.
Chers collègues, à l’époque où ces propos ont été tenus, il y avait peu de normes en vigueur, voire aucune, sinon je ne serais pas en train de vous parler aujourd’hui. L’industrie pourrait très bien croire qu’elle prend les mesures appropriées, mais les recherches montrent que les athlètes et les célébrités attirent presque exclusivement les mineurs. Or, l’industrie choisit toujours d’avoir recours à eux.
En ce qui concerne la promotion des avantages des jeux d’argent — comme s’il y en avait —, l’industrie vous dira qu’elle ne fait pas d’affirmations qui encouragent le jeu. Il suffit de regarder une publicité pour les jeux d’argent pour voir que ce n’est pas vrai. Au contraire, malgré leur immense talent, j’ai beaucoup de mal à croire que Wayne Gretzky et Auston Matthews soient doués pour le jeu.
Sur ce dernier point, chers collègues, contrairement à la roulette ou aux billets de loterie, les paris sportifs donnent l’illusion d’un contrôle sur le résultat. C’est la raison pour laquelle tous ceux qui ont regardé Sportsnet ou TSN dernièrement ont été bombardés d’informations sur les cotes de paris dans les segments de leur émission favorite. Les téléspectateurs se voient proposer des paris à ne pas manquer sur qui marquera le premier but ou le premier touché d’un match. Pourquoi les entreprises se priveraient-elles de promouvoir ce type de paris?
Rogers et Bell, qui possèdent respectivement Sportsnet et TSN, n’ont jamais caché le potentiel de revenus que représentent les paris sportifs, et elles ont soit conclu des partenariats avec des entreprises de jeux d’argent, soit créé leurs propres entreprises. Pour citer une offre d’emploi de Rogers datant de 2020 concernant le rôle du directeur des jeux sportifs :
C’est une occasion exceptionnelle d’être au cœur de la stratégie audacieuse de Rogers Media et de Sportsnet, qui vise à intégrer les paris sportifs à certains de nos principaux produits, et de nous aider à utiliser de nouvelles approches emballantes pour dialoguer avec les partisans.
Comme ces entreprises doivent rendre des comptes à leurs actionnaires, elles continueront d’encourager les Canadiens à perdre de l’argent au profit de cette industrie milliardaire. Seulement en Ontario, la Canadian Gaming Association estime que le marché des paris sportifs représente environ 1,4 milliard de dollars par année.
Chers collègues, vous remarquerez que les statistiques mentionnées dans cette recherche viennent surtout de l’Ontario. Ce n’est pas un hasard. Comme je l’ai dit au début de mes observations, le projet de loi C-218 a refilé cet enjeu aux provinces. Soulignons que, bien que les Canadiens d’un bout à l’autre du pays soient inondés de publicités sur les paris, l’Ontario est la seule province à avoir ouvert la porte à des entreprises privées qui acceptent des paris. Ce fait est peu connu, chers collègues, ce qui crée une certaine confusion.
Selon un sondage récent, beaucoup de Canadiens de partout au pays croient que le gouvernement et les entreprises de paris privées sont autorisés à mener leurs activités dans leur province, y compris 39 % des Britanno-Colombiens, 27 % des habitants du Canada atlantique et 42 % des Albertains. Cette situation n’a pas échappé aux organismes de réglementation des provinces en question.
C’est également la raison pour laquelle je ne pense pas que les règlements récemment annoncés par la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario, ou CAJO, changeront les choses autant qu’il le faudrait. En août, la CAJO a déclaré qu’à partir de février 2024, les célébrités et les athlètes ne seront plus autorisés à apparaître dans les publicités des entreprises de paris. Il s’agit bien sûr d’un pas dans la bonne direction, mais seulement d’un petit pas. Cela ne fait rien pour limiter le nombre considérable de publicités auxquelles les Canadiens sont exposés. On ne mentionne pas non plus les segments sur les paris qui sont présentés par des commentateurs bien connus, dont certains sont d’anciens athlètes.
Encore une fois, cela ne fera rien pour empêcher les publicités provenant de l’Ontario d’être diffusées dans d’autres provinces, ce qui constitue une grande partie du problème. En Alberta, par exemple, l’Alberta Gaming, Liquor and Cannabis Commission, ou AGLC, a explicitement déclaré :
À l’heure actuelle, les seuls paris sportifs légaux dans la province de l’Alberta sont ceux que nous offrons sur PlayAlberta.ca ou ceux qui sont offerts par Western Canada Lottery Sport Select.
Elle ajoute : « Il est illégal d’offrir aux Albertains des paris qui ne sont pas réglementés. »
Mais le fait est que les Canadiens en dehors de l’Ontario sont ciblés par ces publicités, et que l’on ne sera pas pénalisé pour avoir fait un pari auprès des entreprises concernées.
Selon le vice-président des jeux de hasard de l’Alberta Gaming and Liquor Commission, c’est entièrement la faute des organismes fédéraux et des radiodiffuseurs, qui diffusent des publicités pour des sites qui ne sont pas réglementés à l’extérieur de l’Ontario.
Il s’agit d’un problème national, chers collègues, qui nécessite une solution nationale. Voilà pourquoi je présente cette mesure législative aujourd’hui. Je pense que nous avons maintenant l’occasion — une occasion qui ne se présente qu’une fois par génération — de réglementer ce type de publicité dans l’ensemble du pays. Je suis encouragée par les mesures prises par l’Ontario pour réglementer ces publicités, mais un ensemble disparate de réglementations régionales ne permettra pas de protéger les Canadiens tant qu’une province appliquera des normes moins strictes qu’une autre.
Comme je l’ai dit, le Canada interdit toute publicité pour le tabac et le cannabis et impose des restrictions à la promotion de l’alcool. Il est absurde que la promotion des jeux de hasard, qui ont ruiné et continueront de ruiner rapidement un nombre incalculable de vies, soit soumise à des normes moins strictes.
Un certain nombre d’experts nous ont dit que le flot continu de publicités risque de créer une génération de joueurs compulsifs, et je pense qu’il est temps que le gouvernement fédéral prenne les devants et collabore avec les provinces pour que tous les Canadiens bénéficient du même niveau de protection contre les effets coercitifs et corrosifs des publicités que nous voyons aujourd’hui, peu importe la province ou le territoire dans lequel ils vivent.
Honorables collègues, je ne vais pas m’étendre sur le sujet aujourd’hui, faute de temps, mais j’espère que le comité se penchera aussi sur le travail qui est fait ailleurs dans le monde et qui établit un lien direct entre la légalisation des paris sur une seule épreuve sportive, les effets potentiels de la publicité et la manipulation des compétitions. En effet, honorables sénateurs, de jeunes athlètes inexpérimentés — certains vivent peut-être près de chez vous — peuvent être manipulés afin d’entrer dans ce cycle de publicités et de paris. Le Centre canadien pour l’éthique dans le sport, ou CCES, s’est penché sur la question et travaille avec le milieu du sport pour veiller à ce que les athlètes canadiens ne soient pas victimes de cette pratique. Comme vous le savez sûrement, le CCES a notamment pour mandat de prendre des mesures pour prévenir la manipulation des compétitions sportives, notamment en ce qui concerne les paris. La publicité devient un aspect important de ce problème.
Je terminerai mon intervention en faisant quelques observations sur cette publicité et sur ce secteur. Lorsque j’ai voté en faveur de la légalisation des paris sur une seule épreuve sportive, je l’ai fait avec le cœur lourd. Étant donné que cette pratique existait déjà, j’ai pensé qu’il serait judicieux de la légaliser afin d’en éliminer les aspects criminels et étrangers. Je pensais qu’il valait mieux que les Canadiens fassent leurs paris auprès de sociétés canadiennes qui respectent la loi canadienne. Bien que j’en sois toujours convaincue, ce n’est pas parce que j’ai voté en faveur de la légalisation de cette industrie que je dois nécessairement approuver ses pratiques. Je n’avais pas imaginé l’ampleur de la vague de publicité qui en découlerait.
Plus que jamais, les Canadiens sont incités à prendre des risques financiers lorsqu’ils ne font que s’asseoir dans leur salon pour regarder leur sport préféré. Il ne s’agit pas non plus d’un film ou d’un jeu vidéo pour lequel on paie un montant fixe pour se divertir. Après tout, ce n’est pas pour rien qu’on dit que la maison finit toujours par gagner. Sinon, pourquoi ces entreprises dépenseraient‑elles des milliards de dollars dans des campagnes publicitaires si elles n’avaient pas l’intention de les rentabiliser aux dépens des Canadiens? Ce ne sont pas les joueurs responsables qui souhaitent rendre une partie ennuyeuse un peu plus intéressante qui rapportent à ces entreprises; ce sont les joueurs compulsifs, qui ne cessent de parier dans l’espoir de gagner.
Ces pratiques détruisent des vies. C’est une industrie qui est foncièrement prédatrice. Je pense donc qu’il est raisonnable de lui d’imposer des limites. Agissons maintenant afin de ne pas avoir à le regretter, comme ceux qui ont fait un mauvais pari. Je vous remercie. Meegwetch.
La sénatrice Deacon accepterait-elle de répondre à une question?
Bien sûr.
Merci beaucoup d’avoir prononcé un discours exhaustif et d’avoir soulevé cette question importante. Je pense que c’est un sujet qui préoccupe beaucoup d’entre nous, sans compter le barrage de publicités, comme vous l’avez décrit, qui est constant ces derniers mois.
Je m’interrogeais sur la situation en Ontario parce que j’ai lu un peu sur le sujet et parce que vous en avez parlé brièvement. Pourriez-vous expliquer la différence entre ce que le gouvernement de l’Ontario propose de faire au moyen des règlements limitatifs qu’il a annoncés à la fin du mois dernier et ce que votre projet de loi ferait? Merci.
Je vous remercie de votre question, sénatrice Batters.
Depuis plusieurs mois, la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario affirme qu’elle veut reprendre le contrôle de la situation, qu’elle n’apprécie pas ce qui se passe en Ontario. Elle a fixé une date l’année prochaine, en février, et elle examine certaines solutions. L’une d’elles serait de s’assurer que les célébrités ne soient plus employées à l’écran. Il y a des critères pour définir ce qu’on entend par célébrité.
Parmi les autres solutions qui sont envisagées, mais pas autant que ce dont il est question dans le projet de loi à l’étude, il y a deux choses que l’Ontario étudie : le « qui » et le « quoi ». Le « qui » se rapporte à la volonté de s’assurer que, peu importe si on vit à Tuktoyaktuk, à Prince Rupert ou à Halifax, la norme soit la même et les attentes soient claires, soit une mesure qui s’applique à l’échelle nationale. D’autres solutions encore concernent le moment de la journée. Dans certains pays, il y a la règle du cinq avant et du cinq après, qui interdit la publicité cinq minutes avant un événement et cinq minutes après, une mesure que pourrait aussi adopter le Canada.
Il existe beaucoup de solutions qui n’ont pas été envisagées dans ce que propose l’Ontario, mais qui pourraient faire partie d’un cadre national qui resserrerait les règles. Il n’est pas question d’interdire les paris; nous étudions ce qui serait raisonnable pour resserrer les règles dans tout le pays en matière de publicité. Merci.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Je vous remercie pour la présentation de votre projet de loi; je trouve que c’est un sujet très intéressant.
J’ai lu le projet de loi tandis que vous prononciez votre discours. J’essaie de comprendre de quelle compétence fédérale cela relève. S’agit-il du droit pénal? Cela relève-t-il du pouvoir de réglementer le CRTC et la radiodiffusion? Ou s’agit-il d’autre chose? Ce n’est pas clair dans mon esprit. Merci beaucoup.
Je vous remercie de la question, sénateur Dalphond.
Le cadre national relèverait du ministre du Patrimoine canadien. Si vous consultez le projet de loi, comme vous dites être en train de le faire, vous constaterez que du travail sera également fait avec le CRTC et d’autres partenaires.
Je ne pourrais deviner. Je n’ai pas de boule de cristal pour me dire dans quelle mesure on recommandera le cadre dans une province ou un territoire, mais ce sont là les deux aspects importants sur lesquels je m’attarde dans le projet de loi.
Merci.