Le Code criminel
Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier
14 février 2024
Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidente, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises — mais, tel qu’il est ordonné, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur. Le comité accueillera Mark Holland, c.p., député, ministre de la Santé, et Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada.
Je les invite maintenant à entrer, accompagnés de leurs fonctionnaires.
(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable Mark Holland, l’honorable Arif Virani et leurs fonctionnaires prennent place dans la salle du Sénat.)
Messieurs les ministres, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires.
C’est un plaisir d’être ici pour la première fois, pas juste à titre de ministre de la Santé, mais aussi comme député. J’ai été élu en 2004, donc il est assez remarquable que ce soit ma première fois ici.
Nous traitons d’un enjeu sensible aujourd’hui. J’apprécie grandement tous vos efforts sur cette question.
Je tiens à prendre un moment pour remercier le Sénat de ses délibérations très réfléchies sur cette question. Je sais que c’est un sujet qui suscite beaucoup d’émotions, qui nous touche tous profondément et personnellement, et je veux prendre un moment pour réellement exprimer ma reconnaissance concernant les conversations qui ont eu lieu, que ce soit au Comité mixte ou dans le cadre du débat qui s’est tenu dans cette enceinte.
Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il est indéniable qu’il y a une équivalence entre la souffrance physique et la souffrance mentale. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que ces deux souffrances sont égales. Toutefois, bien qu’elles puissent être égales, l’état de préparation de notre système et les ressources investies pour se préparer à les gérer ne le sont pas. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Il est certainement vrai que des personnes au sein du système sont prêtes et ont été formées sur cet enjeu pendant leurs études, mais le système dans son ensemble ne l’est pas. C’est une distinction extrêmement importante.
Après ma toute première conversation suivant ma nomination au poste de ministre de la Santé il y a environ six mois, j’estimais que le système était prêt. Nous avions accompli un travail important. Au cours de l’année où nous avons pris la décision de retarder le processus et d’élaborer les normes de pratique de l’aide médicale à mourir, nous avons conçu et mis en œuvre le Programme canadien de formation sur l’AMM auquel plus de 1 100 cliniciens se sont inscrits. Je me suis rendu à Charlottetown et j’ai rencontré tous les ministres de la Santé de toutes les provinces et de tous les territoires pour leur prouver que le système était prêt. Tous les ministres de la Santé de toutes les provinces et de tous les territoires ont dit le contraire. Ils étaient catégoriques là-dessus.
Ils l’étaient pour un certain nombre de raisons très importantes. D’une part, parce que, bien sûr, les provinces et leurs gouvernements élus à l’échelon provincial sont responsables de l’administration des soins de santé. Ils ont toutefois constaté que seulement 2 % des psychiatres ont reçu une formation — sur les 1 100 cliniciens que j’ai mentionnés, seulement 40 d’entre eux ont reçu un module de formation complet. Si l’on considère des provinces comme le Manitoba ou le Québec, au Manitoba, 26 cliniciens ont reçu une formation complète, et au Québec, 139 seulement.
Le Centre de toxicomanie et de santé mentale nous a dit que nous devrions aussi élaborer des normes cliniques au lieu de nous en tenir à des normes de pratique, et que cela prend du temps. Les provinces et les territoires nous ont dit eux aussi qu’ils ont besoin de mesures de sauvegarde supplémentaires. Les communautés et les dirigeants autochtones d’un peu partout au pays nous ont indiqué que les consultations auprès des Autochtones ne seraient pas terminées avant 2025, et que, selon eux, des consultations plus approfondies doivent avoir lieu avant que nous n’allions de l’avant. Les défenseurs des droits des personnes handicapées d’un peu partout au pays ont affirmé qu’ils avaient besoin de plus de temps. Toutes les personnes ayant une expérience vécue ont dit qu’elles n’étaient pas prêtes. Bref, il est apparu clairement que le système avait besoin de plus de temps pour faire face au changement.
Je tiens à signaler, sénateurs, que la Chambre a été saisie d’une motion — présentée par le député Ed Fast — qui demandait une pause indéfinie de l’élargissement. Nous avons aussi reçu une lettre provenant de 10 des 13 provinces et territoires du pays réclamant une pause indéfinie. Nous avons plutôt décidé de suspendre l’élargissement pendant trois ans. Nous avons du travail à faire. Nous devons nous préparer. Si notre intention était simplement de retarder indéfiniment l’élargissement, nous aurions souscrit à la motion d’Ed Fast ou à la lettre de 10 des 13 provinces et territoires. Nous sommes plutôt d’avis qu’il faut procéder à toute vapeur. Je vais conclure là-dessus parce que mon temps de parole tire à sa fin.
Nous devons trouver un équilibre entre deux vérités très difficiles à admettre. D’une part, il y a des personnes qui souffrent terriblement à cause d’une détresse mentale épouvantable. Je suis de tout cœur avec elles. Nous avons l’obligation, en tant que responsables de la réglementation, de nous préparer aussi rapidement que possible à répondre à leurs demandes. Toutefois, d’un autre côté, nous devons nous assurer que le système est prêt, qu’aucune erreur ne sera commise et que l’application sera uniforme et la formation suffisante, car il faut bien faire les choses. C’est de cela qu’il s’agit quand on parle d’équilibre.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer devant le Sénat et je me réjouis de répondre à vos questions. Merci.
Je vous remercie, ministre Holland.
Ministre Virani, vous pouvez faire vos observations.
Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, de nous avoir invités ici. Je me réjouis toujours de participer aux travaux du Sénat, dans cette auguste enceinte, ne serait-ce que parce que la belle moquette sur laquelle je me trouve en ce moment a été conçue dans la circonscription de Parkdale—High Park, que je représente. Je tenais à le souligner. Peut-être que le sénateur Hassan Yussuff était le seul autre à le savoir.
Je suis très heureux d’être ici pour parler du projet de loi C-62, qui propose de prolonger l’exclusion des maladies mentales de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir jusqu’au 17 mars 2027.
Trois ans, c’est le délai que nous avons jugé raisonnable, compte tenu des demandes des provinces et des territoires qui souhaitent disposer de plus de temps pour préparer leur système de soins de santé à l’élargissement de l’aide médicale à mourir, comme mon collègue vient de le mentionner.
Je voudrais aussi commencer en soulignant deux choses extrêmement importantes qui ont été abordées par le ministre Holland, soit que la maladie mentale peut causer le même niveau de souffrance que la maladie physique — il est important de souligner cela — et que le fait qu’une personne soit atteinte d’une maladie mentale ne signifie pas qu’elle n’a pas la capacité de prendre des décisions.
Soyons absolument clairs, honorables sénateurs, l’exclusion des maladies mentales n’est pas fondée sur des hypothèses ou des stéréotypes préjudiciables à l’égard des personnes atteintes d’une maladie mentale. Elle est basée sur les aspects complexes qui sont associés à l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir soumises par les personnes dont le seul problème de santé sous‑jacent est une maladie mentale.
Nous avons entendu des préoccupations concernant la difficulté à faire la distinction entre une personne qui songe à se suicider et une demande valide d’aide médicale à mourir. Par exemple, des experts médicaux nous ont dit que les pensées suicidaires peuvent être un symptôme de la maladie mentale qui pousse la personne à demander l’aide médicale à mourir. Nous avons également entendu des préoccupations quant à la manière d’établir si une maladie mentale est incurable, s’il n’existe aucun remède ni traitement, étant donné que l’évolution d’une maladie mentale est souvent moins prévisible que celle d’une maladie physique.
Enfin, j’aimerais seulement préciser que l’aide médicale à mourir est une pratique encore relativement récente au Canada; il reste donc beaucoup à faire en ce qui a trait à la recherche et à l’étude des données probantes sur les pratiques actuelles et celles qu’on pourrait adopter dans l’avenir, y compris en ce qui concerne la maladie mentale. Nous avons entendu que, selon certains, les mesures de sauvegarde actuellement prévues dans le Code criminel ne sont tout simplement pas suffisantes pour protéger les personnes qui pourraient être vulnérables.
Je tiens à dire clairement qu’en tant que question de politique sociale, le gouvernement est d’avis que l’admissibilité à l’aide médicale à mourir devrait être élargie pour inclure les maladies mentales. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons cru primordial de proposer cet élargissement lors de la présentation de l’ancien projet de loi C-7. Toutefois, nous pensons que cela doit se faire de manière prudente et mesurée. Cette prolongation de trois ans donnerait plus de temps pour examiner certaines de ces complexités.
L’adoption et la mise en œuvre de la norme de pratique en matière d’aide médicale à mourir et du programme de formation accrédité sur l’aide médicale à mourir pourraient également accroître les connaissances dans ce domaine et permettre aux praticiens et au public de se sentir plus à l’aise. Toutefois, il faut du temps pour que ces ressources soient intégrées dans les systèmes de santé provinciaux et territoriaux. Le ministre Holland vient de mentionner exactement cela.
Nous reconnaissons qu’il y a des experts qui croient que nous sommes prêts pour l’élargissement, d’autres qui croient que nous ne sommes pas prêts et d’autres encore qui s’opposent totalement à l’élargissement. Nous ne pouvons pas convaincre tout le monde de soutenir ce projet.
Il y aura toujours des opinions divergentes à ce sujet.
Nous ne pouvons pas non plus ignorer les préoccupations qui ont été soulevées. Cette absence de consensus démontre qu’il nous faut encore du temps. Nous voulons prendre le temps de répondre à certaines d’entre elles, afin de garantir que l’aide médicale à mourir puisse être fournie en toute sécurité dans ces circonstances complexes.
En ma qualité de ministre, madame la présidente, je terminerai en évoquant la Charte canadienne des droits et libertés qui est au cœur d’une grande partie du débat sur cette question depuis le début.
La Cour suprême du Canada a été claire — et je suis d’accord avec elle — sur le fait qu’il y a des intérêts contradictoires des deux côtés de cette question complexe. Il y a, d’une part, l’autonomie et la dignité des personnes qui cherchent à obtenir l’aide médicale à mourir et, d’autre part, la nécessité de protéger les personnes qui pourraient être vulnérables et exposées à des risques dans un régime permissif.
Dans tous les arrêts qu’elle a rendus dans cette affaire, la Cour suprême a reconnu la difficulté pour le Parlement de trouver un équilibre entre ces intérêts contradictoires. Elle a également invité les tribunaux à faire preuve d’une grande retenue à l’égard de l’équilibre trouvé par le Parlement dans sa réponse.
Je pense que la Charte ne dicte pas de réponse particulière à cette question très difficile. Tant l’autorisation que l’interdiction de l’aide médicale à mourir dans ces circonstances s’inscrivent dans l’éventail des solutions raisonnables qui s’offrent au gouvernement fédéral en vertu de la Charte. La semaine dernière, j’ai présenté un énoncé concernant la Charte qui décrit les considérations relatives à celle-ci selon que l’on permet ou interdit temporairement l’aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est la seule condition sous-jacente.
Je m’arrêterai là. Merci, madame la présidente.
Merci. Messieurs les ministres, avant que nous passions aux très nombreuses questions, je vous rappelle que les sénateurs apprécient énormément les réponses directes et succinctes à leurs questions.
Bienvenue, messieurs les ministres. Ma première question s’adresse au ministre Holland.
J’ai été déçu de vous entendre dire, dans vos observations, que seuls le système et les psychiatres ne sont pas prêts. Vous n’avez pas mentionné que les Canadiens ne sont pas prêts.
Monsieur le ministre, la plupart des provinces et des territoires demandent au gouvernement fédéral de reporter indéfiniment — et vous en avez déjà parlé — votre décision d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir aux Canadiens dont le seul problème de santé invoqué est un trouble mental. Vous avez parlé de la motion d’Ed Fast. Vous avez répondu à leur demande en repoussant encore la date au lieu de faire ce qui s’impose et de mettre ce plan dangereux et insensé en veilleuse indéfiniment, comme il se doit.
Monsieur le ministre, vous y avez fait allusion, mais je ne suis pas satisfait et j’espère que vous pourrez donner un peu plus d’explications. Pourquoi ne faites-vous pas ce que la majorité des provinces et des territoires — qui, comme vous l’avez dit, sont chargés de mettre cela en œuvre — vous demandent, soit de reporter indéfiniment l’élargissement de l’aide médicale à mourir dans les cas où le seul problème de santé invoqué est un trouble mental? Pourquoi n’écoutez-vous pas les provinces, monsieur le ministre, lorsqu’elles disent qu’elles ne sont pas prêtes, que ce sont elles qui sont chargées de mettre cela en œuvre et qu’elles veulent que vous fassiez cela? Pourquoi continuez-vous à foncer tête baissée?
Je vous remercie de votre question, sénateur. Tout d’abord, mes commentaires portent tous sur le fait que les provinces ne sont pas prêtes et que nous respectons leur demande de sursis. Les provinces ont présenté leurs demandes pour des raisons différentes et certaines ont demandé un sursis d’une durée indéterminée et d’autres non. Elles souhaitent un sursis d’une durée indéterminée afin de pouvoir fixer leur propre échéancier.
Cependant, comme je l’ai dit au début, il y a des gens — et nous devons le reconnaître, même si c’est profondément malaisant de le faire, sénateur — qui, après des décennies de véritable supplice à souffrir de maladie mentale, demandent l’aide médicale à mourir, de leur propre gré, dans des circonstances irrémédiables.
Je comprends que vous estimez qu’une personne qui souffre de cette manière et qui subit pareil supplice ne devrait pas avoir la possibilité de faire ce choix. Je respecte votre position, mais je dirais que ce n’est pas celle que la plupart des provinces ont adoptée. Leur position consiste plutôt à faire en sorte que tout ait été fait...
Je comprends, monsieur le ministre. Je suis désolé. Comme l’a dit madame la présidente, notre temps est limité. J’aimerais obtenir des réponses directes. Je ne veux pas que vous me disiez ce que les provinces disent. Je vous demande pourquoi vous n’avez pas fait une certaine chose.
Je veux être bien clair, monsieur le ministre : je suis non seulement en désaccord avec cette partie du projet de loi, mais je suis aussi en désaccord avec l’ensemble du projet de loi sur le suicide assisté. Je suis conscient que nous avons une divergence d’opinions et je vous suis reconnaissant de me respecter.
Or, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, de combien de prolongations votre gouvernement a-t-il encore besoin? Votre gouvernement s’accroche encore une fois à une idéologie au lieu de faire ce qui est juste. Il n’y a pas de consensus médical au Canada, comme l’ont dit à maintes reprises les experts et les comités parlementaires. Il n’y a pas de consensus social, comme le démontrent plusieurs sondages, et enfin, il n’y a pas de directives juridiques de la part de la Cour suprême.
Votre gouvernement a dit que le projet de loi C-14 ne rendrait admissibles à l’aide médicale à mourir qu’un petit nombre de personnes. Vous avez dit la même chose au sujet du projet de loi C-7. Au lieu de s’engager sur une pente glissante, votre gouvernement a lancé le Canada dans le précipice en devenant le chef de file mondial en matière de suicide assisté, monsieur le ministre.
Quand votre gouvernement cessera-t-il de suivre son idéologie et commencera-t-il à faire preuve de bon sens en freinant l’expansion du suicide assisté?
Puis-je répondre?
Oui, s’il vous plaît.
Monsieur le sénateur, dernièrement, mon oncle a reçu un diagnostic de cancer en phase terminale. Il fait partie du nombre que vous avez mentionné, c’est-à-dire qu’il est parmi les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir. Plus de 96 % de ces personnes ont reçu un diagnostic de maladie en phase terminale, comme mon oncle.
Cela a été une situation horrible pour ma famille. Quand il a vu la fin de sa vie arriver et quand son corps a commencé à subir les ravages du cancer, mon oncle a pris la décision de mettre fin à ses jours selon ses propres conditions. Ce genre de situation correspond à 96 % des cas dont nous parlons.
Je comprends que, selon vous, mon oncle et les gens qui vivent la même situation ne devraient pas pouvoir faire ce choix et que vous pensez que vous devriez...
S’il vous plaît, monsieur le ministre, ce n’est pas — je fais de mon mieux pour ne pas en faire une affaire personnelle, et je vous demanderais d’en faire autant. Vous voulez en faire une affaire personnelle — ma mère a célébré son quatre‑vingt-seizième anniversaire de naissance avant-hier. Nous avons organisé une fête en son honneur. Elle est en fauteuil roulant. Elle souffre d’arthrite invalidante depuis des années. La douleur est permanente, mais elle tient plus que tout à vivre ici, avec ses petits‑enfants, et elle prie chaque jour pour eux et ses enfants. Elle veut vivre le plus longtemps possible même si elle souffre. Elle sait où elle va aller après sa mort.
Vous voulez en faire une affaire personnelle, alors je vais en faire autant. Ce n’est pas ce que je veux. Vous parlez d’un oncle qui souffre de cancer. Ce dont il est question aujourd’hui, c’est de troubles mentaux. Votre oncle ne souffrait pas d’un trouble mental, il souffrait d’un cancer. Veuillez simplement répondre à ma question, monsieur le ministre.
Tout d’abord, je suis profondément désolé qu’un membre de votre famille se trouve dans un tel état de détresse, et je suis très fier que notre pays lui offre la possibilité de choisir. Il s’agit d’une question qui, bien sûr, est très personnelle pour chacun d’entre nous. Je ne veux pas laisser entendre que vous avez tort parce que votre opinion est différente de la mienne. Toutefois, nous vivons dans un pays où nous devons faire face à ces choix extrêmement difficiles.
Vous dites que notre pays a été lancé dans un précipice, qu’il est inapproprié qu’autant de gens aient accès à l’aide médicale à mourir. Je m’en tiens simplement au fait que plus de 96 % des gens dont vous parlez étaient dans la même situation que mon oncle.
Mon oncle a eu le choix. Bien sûr, il aurait pu se laisser emporter par le cancer. Il aurait peut-être pu vivre deux semaines ou peut-être un mois de plus au lieu de faire ce choix difficile pour lui-même.
Je crois que la raison pour laquelle nous sommes élus, c’est pour faire face à ces questions extrêmement difficiles. Je ne le dis pas pour remettre en question votre opinion, monsieur le sénateur. Vous avez tout à fait le droit à votre point de vue, et c’est un merveilleux aspect de notre démocratie. Je suis tout à fait conscient des difficultés qui affligent votre être cher.
Cependant, il faut que nous prenions une décision sur ce que nous allons faire en tant que société, lorsque des personnes éprouvent une douleur inimaginable, horrible, une douleur que, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux même pas imaginer. Voilà de quoi il s’agit lorsque je parle aux gens.
Je tiens à préciser une différence lorsqu’on parle de la maladie mentale. Il ne s’agit pas de problèmes de santé mentale ou d’idées suicidaires. Il s’agit de maladie mentale où une personne a épuisé tous ses recours possibles, où sa situation est irrémédiable, où elle est prisonnière d’un cauchemar mental et où elle implore, sur engagement, de la soulager. Monsieur le sénateur, voilà de quoi nous parlons. C’est une question extrêmement personnelle pour la personne et pour sa famille. C’est pourquoi je parle en termes directs et personnels.
Je veux dire par là que ces personnes souffrent. La souffrance d’une personne à cause d’une maladie mentale est équivalente à la souffrance d’une personne à cause d’une maladie physique et doit donc être traitée comme telle, mais nous avons besoin d’un système qui soit prêt.
Pour répondre directement à votre question de savoir combien de temps il faudra, selon nous, il faudra trois ans.
Ma prochaine question s’adresse au ministre de la Justice. L’an dernier, votre prédécesseur, David Lametti, a déclaré ici, en réponse à une question de la sénatrice Batters, que même si ni l’arrêt Carter ni l’arrêt Truchon ne traitaient de la question de la maladie mentale, nous finirions par y arriver.
David Lametti demeure catégorique : l’aide médicale à mourir devrait être étendue aux personnes atteintes de troubles mentaux. Il y a deux semaines, avant de quitter ses fonctions de député, il a dit qu’il « [...] n’aurait personnellement pas peur d’aller de l’avant […] »
Monsieur le ministre, David Lametti a-t-il, en raison de ses croyances personnelles, aveuglément induit en erreur le gouvernement et les Canadiens en s’engageant sur la voie dangereuse qu’est l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de troubles mentaux?
Je répondrais un non catégorique, sénateur Plett. Ce que David Lametti a fait, lorsqu’il occupait mon poste, c’est de s’assurer que nous donnions suite à la jurisprudence de la Cour suprême et à celle d’autres tribunaux du pays, dans le cas de la décision Truchon.
Il répondait également à une question qui émanait du Sénat. Si vous vous rappelez bien, au début du parcours du projet de loi, l’idée d’ajouter une disposition de caducité à l’exclusion de la maladie mentale, est venue du Sénat. M. Lametti, qui était alors ministre, s’est efforcé d’y donner suite.
En réponse à ces propos, monsieur, lors de vos échanges avec le ministre Holland, vous avez indiqué que vous étiez en désaccord avec l’ensemble de la disposition qui existe depuis 2016. Je vous répondrais, monsieur, que dans un pays où l’on respecte la primauté du droit, nous sommes tenus de respecter les directives de la Cour suprême, et lorsqu’elle conclut que la loi n’est pas conforme à la Charte, nous devons nous y conformer. C’est ainsi qu’une démocratie fonctionne.
Je ne conteste pas cela, monsieur le ministre. Je comprends cela. Je vous ai fait part d’une opinion personnelle. Le ministre Holland a parlé d’une expérience personnelle; j’ai fait de même. Personnellement, je m’oppose à cette idée, quoi qu’en dise la Cour suprême. Je ne nie pas que c’est néanmoins la réalité, alors soyons clairs, je ne conteste pas ce que vous dites. Le projet de loi initial a été présenté pour donner suite à un arrêt de la Cour suprême. J’en suis conscient, je le reconnais et je respecte le gouvernement de l’avoir fait.
Nous passons maintenant au prochain bloc de 10 minutes.
Monsieur le ministre Holland, aujourd’hui, je pense à mon défunt mari, Dave Batters. Dave a siégé à vos côtés à la Chambre des communes de 2004 à 2008. Malheureusement, il s’est suicidé en 2009. Par conséquent, cette question est très personnelle pour moi, et cela fait huit ans que je lutte contre la légalisation du suicide assisté pour les personnes atteintes de maladie mentale.
Monsieur le ministre, aux élections de 2021, la plateforme électorale libérale promettait d’établir un transfert canadien en matière de santé mentale et de le financer à hauteur de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Selon l’échelonnement précisé dans sa propre plateforme, le gouvernement devrait déjà avoir investi 2,5 milliards de dollars dans les soins de santé mentale en ce moment, mais en réalité, il n’y a pas consacré un seul cent.
Lorsque j’ai mentionné l’absence totale de ce financement promis à la cheffe de la direction de l’Association canadienne pour la santé mentale, Margaret Eaton, dans une réunion du comité des affaires juridiques, celle-ci l’a confirmée. Elle a dit :
Nous sommes très déçus que le gouvernement libéral n’ait pas honoré cette promesse. Il y a également une possibilité qu’une partie des fonds transférés aux provinces dans le cadre des accords bilatéraux soit consacrée à la santé mentale, mais la beauté du transfert en matière de santé mentale, c’est que ces fonds auraient été réservés pour la santé mentale et les provinces auraient été obligées de les y affecter. Nous ignorons combien d’argent les provinces dépensent en santé mentale. Nous ne savons pas non plus si les accords bilatéraux entraîneront le genre d’augmentation des dépenses en santé mentale que nous recherchons.
Monsieur le ministre, le système de santé mentale du Canada est en pleine crise. Les Canadiens atteints de maladies mentales sont confrontés à des listes d’attente de plusieurs mois, voire de plusieurs années, pour obtenir un traitement psychiatrique, et voilà que le gouvernement Trudeau va proposer le suicide assisté aux personnes vulnérables souffrant de maladies mentales. Comme vous l’avez dit, la question n’est pas de savoir si, mais quand.
Pourquoi le gouvernement a-t-il rompu cet engagement majeur en matière de santé mentale, et pourquoi offrira-t-il aux Canadiens souffrant d’une maladie mentale la mort plutôt que le traitement et l’espoir?
Merci beaucoup, madame la sénatrice. Permettez‑moi tout d’abord de vous dire que j’admire énormément votre travail de sensibilisation et que ce fut un honneur de travailler avec Dave, dont le décès a été extrêmement tragique. J’ai parlé très ouvertement de mes propres problèmes de santé mentale, y compris d’un moment de grande noirceur dans ma vie où les choses auraient pu se passer très différemment pour moi. C’est un sujet qui me tient à cœur au moment où nous tenons ces discussions.
Dans ce contexte, il est important de faire deux distinctions. Permettez-moi d’aborder la question des investissements en matière de santé mentale.
Avec le Transfert canadien en matière de santé, j’ai constaté une augmentation de 50 milliards de dollars, soit une hausse de 9,3 %. Au cours des dix prochaines années, 200 milliards de dollars seront investis dans le système de santé, en particulier dans le domaine de la santé mentale.
En ce qui concerne les accords bilatéraux, nous en avons signé en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard. Je me trouvais hier dans les Territoires du Nord-Ouest, où nous avons annoncé — à Yellowknife — le plan territorial. Chacun d’entre eux prévoit des actions ciblées et très précises en matière d’investissement dans la santé mentale.
Nous avons également mis en place un service national d’assistance téléphonique pour la prévention du suicide afin d’apporter une aide. Il s’agit d’investissements cruciaux. Il faut toutefois prendre soin de faire la distinction entre les gens qui ont des idées suicidaires ou qui vivent une crise et ceux qui ont une maladie mentale. Dans le cas des personnes qui ont une maladie mentale, voici ce qu’on envisage de faire — lorsque le système sera prêt et non immédiatement : il faudra que les personnes se soient présentées à deux cliniciens et aient démontré qu’elles ont tout essayé. C’est l’un des points essentiels.
Dans ce genre de scénario, madame la sénatrice, il s’agira de gens qui cherchent du soulagement depuis des décennies, qui ont essayé tous les remèdes qu’ils ont pu trouver et qui ont épuisé tous les recours.
J’ai moi-même réussi à sortir du genre de situation dont nous parlons, et je peux vous assurer que je tiens, de tout cœur, à faire en sorte que tout le monde ait accès aux ressources dont il a besoin. Cela dit, il peut aussi arriver, dans le domaine de la maladie mentale, qu’une personne soit prisonnière d’une situation qui est irrémédiable, qui empire et à laquelle elle ne peut pas échapper. Je souhaiterais qu’il n’en soit pas ainsi, mais une situation comme celle-là diffère considérablement de celle d’une personne qui vit une crise.
Eh bien, nous verrons. Le caractère irrémédiable est évidemment un aspect très important. Ma prochaine question s’adresse à M. Virani.
Nous n’avons pas pu trouver l’analyse comparative entre les sexes visant le projet de loi C-62 à l’endroit habituel. Veuillez nous fournir ce document dès que possible si vous en avez bel et bien un.
Si vous n’en avez pas, je dirais que c’est probablement parce que l’analyse comparative entre les sexes visant le projet de loi C-39 l’an dernier était dévastatrice. L’analyse révélait que l’élargissement du suicide assisté aux personnes souffrant de troubles mentaux aurait des répercussions négatives disproportionnelles sur les femmes. Elle indique ce qui suit :
On peut s’attendre à ce que, si l’[aide médicale à mourir] était mise à la disposition des personnes dont l’unique trouble est une maladie mentale au Canada, nous constations une augmentation du nombre de femmes qui demandent l’[aide médicament à mourir] pour des souffrances psychiatriques et à un âge plus jeune.
Comme on l’a vu dans les pays du Benelux, des décès par aide médicale à mourir ont été controversés, et les auteurs de l’analyse notent qu’on « peut s’attendre à des cas similaires au Canada si les critères d’admissibilité étaient semblables ». L’analyse révèle que :
[...] à l’heure actuelle, les hommes sont trois fois plus susceptibles de mener leur suicide jusqu’au bout. Cependant, avec l’avènement du suicide assisté — une méthode de suicide qui réussit à tout coup —, il pourrait y avoir autant de femmes que d’hommes qui réussissent leur suicide. Or, ce n’est pas exactement le genre d’égalité entre les sexes que nous souhaitons.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire pourquoi, en dépit de ces terribles mises en garde, le gouvernement mettra la vie des Canadiennes à risque en allant de l’avant avec cet élargissement du suicide assisté?
Je vous remercie infiniment, sénatrice Batters, de la question et d’avoir souligné un aspect très important. Le premier volet de votre question porte sur l’analyse comparative entre les sexes plus. Nous vous la fournirons.
Deuxièmement, l’analyse comparative entre les sexes plus ne porte pas seulement sur le genre. Le mot « plus » se rapporte aux divers groupes en quête d’équité et aux personnes qui sont touchées de façon disproportionnée. Je vous dirais que les résultats d’études que j’ai vus au sujet du projet de loi C-39 et d’autres mesures soulignent les différentes répercussions que ceux-ci pourraient avoir sur des gens des communautés autochtones ou racialisées ainsi que de nombreux autres groupes vulnérables et marginalisés.
Certains sénateurs ayant siégé à ce comité pourraient dire que, dans le rapport que le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a publié à la fin de janvier, les députés et les sénateurs ont recommandé non seulement que le comité se réunisse un an avant le début du mois de mars 2027, mais aussi qu’il mène des consultations supplémentaires, en particulier auprès des communautés autochtones. Nous sommes tout à fait déterminés à suivre cette recommandation en vue de remédier à certaines lacunes que vous avez cernées.
Enfin, il ne s’agit pas de mettre les femmes ou les personnes autochtones ou racisées à risque. Il faut que les mesures de sauvegarde appropriées soient en place et que les documents de référence et les outils qui ont été conçus, mais qui ne sont pas suffisamment utilisés par les évaluateurs et les fournisseurs de soins soient assez solides, et que les mesures de sauvegarde soient adéquates et bien appliquées. Pour être franc, l’enjeu est très important et les conséquences sont permanentes. Nous sommes déterminés à bien faire les choses avant d’aller de l’avant.
Oui, pour ce qui est des peuples autochtones et des autres groupes, lorsque notre Comité des affaires juridiques s’est penché sur le sujet, nous avons entendu que bon nombre de groupes sont très préoccupés par leur vulnérabilité sous le régime de la loi existante.
Monsieur Virani, pendant que votre gouvernement tentait de vendre aux Canadiens l’idée de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques, votre prédécesseur, David Lametti, et d’autres représentants du gouvernement ont parfois laissé entendre que l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladies mentales était imposé par les tribunaux.
Monsieur le ministre, vous savez que c’est faux. L’an dernier, l’ancien ministre de la Justice, M. Lametti, a reçu une longue lettre à ce sujet de la part d’éminents juristes canadiens. Ceux-ci indiquaient que ni l’arrêt Carter ni l’arrêt Truchon ne jugeaient de la constitutionnalité de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladies mentales, et ni l’un ni l’autre des demandeurs n’a réclamé l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques.
Lorsque j’ai interrogé l’ancien ministre de la Justice, M. Lametti, à ce sujet l’an dernier lors de l’étude du projet de loi C-39, il a dit que j’avais raison, mais qu’il était « convaincu que [...] les choses nous pousseront dans cette direction éventuellement ».
Monsieur Virani, ce n’est pas ainsi que nous créons des lois. Puisque les tribunaux n’ont pas exigé l’élargissement du suicide assisté aux personnes atteintes de maladies mentales et puisque la science ne peut pas prouver que les maladies mentales ne sont pas irrémédiables, pourquoi votre gouvernement ne recule-t-il pas?
Merci de votre question, sénatrice Batters. Ceci va au cœur de ce que j’appelle la déférence des tribunaux. Si je peux me permettre d’entrer dans le jargon juridique, les tribunaux parlent constamment d’un dialogue entre le Parlement et les tribunaux. C’est important. C’est une interaction.
Les tribunaux disent aussi que la déférence est plus prononcée lorsque l’on a affaire à des politiques sociales complexes. Les tribunaux ont indiqué, en particulier dans l’affaire Carter, que la déférence est plus grande quand la question est aussi délicate et complexe que l’aide médicale à mourir.
Cela étant dit, je crois qu’il est important de comprendre que, bien que les tribunaux ne se soient pas prononcés dans des causes où le seul problème médical invoqué par le demandeur est une maladie psychiatrique ou mentale — c’est exact —, une tendance se dessine dans la jurisprudence depuis l’affaire Rodriguez dans les années 1990, où les normes sociales amènent progressivement les tribunaux à donner plus de poids à l’autonomie et la dignité, ce qui influe sur leur interprétation de la Charte. Je crois que c’est que David Lametti voulait dire dans sa réponse à votre question. Je vous dirais que nous veillons à...
Merci, monsieur le ministre, mais nous devons respecter le temps alloué.
Monsieur le ministre Holland, on se retrouve donc aujourd’hui avec des gouvernements qui disent ne pas être prêts, d’un côté; de l’autre côté, il y a une majorité des évaluateurs et des prestataires qui se disent prêts. La plupart des organismes de réglementation et des ordres professionnels se disent aussi quand même prêts. Il est raisonnable de croire que ces divergences ne changeront pas d’ici 2027. Dans ce contexte, comment justifier que des personnes continuent de souffrir? Comment justifier que leurs droits continueront d’être bafoués? La loi prévoit actuellement des mesures de sauvegarde que l’on dit solides. Les mesures de ce second volet ne sont-elles pas suffisantes ou adéquates pour permettre aux professionnels qui se disent prêts d’effectuer correctement leur travail?
Merci beaucoup pour votre question, sénatrice. C’est une bonne question et je comprends pourquoi vous la posez.
Mon premier point est le suivant. Deux choses se sont produites en même temps. Des individus, des médecins et des infirmières praticiennes se sont dits prêts. Toutefois, le système, de façon générale, ne l’était pas. Je me suis entretenu lundi avec le ministre Dix, de la Colombie-Britannique, sur cette question. Il était clair, dans nos conversations, que le ministre a besoin de temps afin de préparer le système de soins de santé et de s’assurer que le niveau de préparation est suffisant pour qu’il n’y ait aucune erreur possible. Toute erreur dans ce domaine est très sérieuse. Si une partie du système n’est pas prêt, il y a une possibilité que de graves conséquences se produisent.
Il ne fait aucun doute que certaines personnes souffrent énormément et cela m’inquiète beaucoup. Toutefois, il est important de ne pas créer d’autres problèmes qui auraient de graves conséquences. Il faut s’assurer que le système est prêt, et nous continuerons de nous préparer pour que ce soit le cas aussi rapidement que possible.
Monsieur le ministre Holland, ma question s’adresse à vous et fait suite à celle qu’a posée la sénatrice Petitclerc au sujet du degré de préparation du système. J’ai reçu — comme un grand nombre d’entre-nous, j’imagine — une lettre signée par 127 médecins et infirmières praticiennes de partout au pays, qui disent que les critères à respecter pour l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale grave ont tous été atteints. D’ailleurs, ils sont catégoriques : le gouvernement fédéral n’a plus rien d’autre à faire.
Vous dites que vous n’êtes pas prêts. Je comprends que cette réponse repose en partie sur une lettre que les provinces et territoires ont écrite. Quelles sont les données et les analyses que vous avez utilisées pour évaluer la validité des affirmations des provinces et des territoires, quand ils disent ne pas être prêts? Les avez-vous simplement crus sur parole?
Merci, madame la sénatrice. Ce n’était certainement pas la lettre. Comme je l’ai indiqué, quand je me suis rendu à Charlottetown pour assister à la réunion des ministres de la Santé, je pensais que le système était prêt à ce moment-là, d’après certaines conversations que j’avais eues. Je venais d’être nommé ministre de la Santé quelques mois auparavant. Je n’ai pas discuté avec un seul ministre de la Santé, mais bien avec tous mes homologues. Certains faisaient partie d’un gouvernement néo‑démocrate, comme celui d’Uzoma Asagwara, ou d’un gouvernement libéral, comme celui de Tom Osborne à Terre‑Neuve-et-Labrador, ou encore du gouvernement de la CAQ dans le cas du ministre Dubé. Ils m’ont expliqué en détail leurs préoccupations. Par la suite, j’ai eu des entretiens avec des organisations de premier plan, comme le Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui m’ont également fait part de leurs vives inquiétudes quant à l’uniformité. Ces entretiens ont également mené à des échanges avec des leaders de la communauté des personnes handicapées, de la communauté des personnes ayant une expérience vécue et des communautés autochtones, qui ont tous dit qu’ils avaient besoin de plus de temps.
Aucune de ces objections n’était de nature idéologique. Toutes avaient trait au degré de préparation. Comme je l’ai dit, il est certain que nous n’arriverons jamais à un point où tout le monde sera d’accord pour dire que le système est prêt. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Cependant, quand aucune province ni aucun territoire ne se dit prêt, que des organisations de premier plan comme le Centre de toxicomanie et de santé mentale affirment qu’elles ne sont pas prêtes et que des communautés qui comptent des populations vulnérables comme les Autochtones, les personnes ayant une expérience vécue et les personnes handicapées affirment qu’elles ont besoin de plus de temps, cela retient mon attention à coup sûr.
Plus j’ai creusé la question, plus j’ai constaté qu’il fallait plus de temps. Le report est de trois ans parce que cela nous donne deux ans pour mettre le paquet afin de préparer le système, de travailler avec les provinces et les territoires, d’appliquer les normes cliniques, de nous assurer — comme la sénatrice Batters le mentionnait dans sa question — qu’il n’y a pas d’erreurs dans le traitement des personnes atteintes de maladie mentale, que nous nous occupons des cas les plus graves, des personnes qui ont des troubles intraitables, des troubles irrémédiables. Nous voulons bien faire les choses. Nous aurons l’occasion de procéder à un examen parlementaire dans deux ans pour nous en assurer.
Monsieur Holland, cette question s’adresse à vous. Nous avons entendu différents points de vue à ce sujet. Au cours des trois dernières années, les professionnels de la santé, les organismes de réglementation, les représentants du gouvernement et de nombreux intervenants ont travaillé avec diligence pour respecter les critères et le délai fixés par le gouvernement. Nous avons également participé à de nombreuses tables rondes pour entendre parler de ce travail. Ces personnes ont travaillé de bonne foi sous la direction de vos ministères, sachant qu’elles élaboraient des procédures et des mesures de sauvegarde clés pour une prestation équitable des soins de santé.
Ces mêmes professionnels ont affiché, comme vous l’avez dit, un degré de préparation variable : nous sommes prêts, nous pensons que nous sommes prêts, nous savons que nous sommes prêts. Toutefois, à ce stade-ci, nous ne voulons pas que leur travail soit en vain.
Ma question est la suivante : que feront au juste vos ministères au cours des trois prochaines années pour qu’on soit mieux outillé, mieux informé et engagé dans une démarche progressiste? Que faut-il dire? Après tout, nous sommes des serviteurs et des messagers. Que dire aux fournisseurs de soins déjà débordés pour justifier la décision de retarder ce travail?
Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Tout d’abord, passons en revue très rapidement ce qui a été fait au cours de l’année. Vous avez tout à fait raison, toutes les parties se sont efforcées de bonne foi de respecter le délai d’un an. Comme je l’ai dit, il y a eu l’élaboration des normes de pratique; il y a eu l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme national de formation sur l’aide médicale à mourir reconnu, auquel 1 100 cliniciens se sont inscrits; il y a eu une révision du règlement sur la surveillance pour recueillir davantage de données sur les demandes d’aide médicale à mourir, notamment des données désagrégées; de vastes consultations auprès des Autochtones ont commencé; et il y a eu un échange de connaissances lors de tables rondes qui ont réuni des praticiens et des cliniciens. Ainsi, des efforts considérables ont été déployés.
Néanmoins, comme je l’ai dit, si vous allez au-delà de ces chiffres, même les 1 100 cliniciens dont j’ai parlé, beaucoup d’entre eux n’ont pas eu l’occasion de terminer la formation. Comme je l’ai mentionné, seulement 40 des 1 100 cliniciens ont eu l’occasion de terminer la formation, pas par manque d’intérêt, mais par manque de temps. Je parlerai plus particulièrement des conversations que j’ai eues avec Uzoma Asagwara, ministre de la Santé du Manitoba, ou avec Adrian Dix, ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, des personnes qui comprennent la situation, qui comprennent la souffrance des gens et qui veulent vraiment collaborer avec nous pour que nous atteignions notre objectif. Toutefois, elles disent qu’elles ne disposent pas d’assez de personnes formées.
Par ailleurs, je pense que nous devons nous pencher sur la question soulevée par le Centre de toxicomanie et de santé mentale : avons-nous besoin de lignes directrices cliniques? L’avantage des lignes directrices cliniques est qu’elles permettent d’uniformiser l’expérience à l’échelle du Canada. On craint beaucoup que certaines provinces soient prêtes à s’atteler à la tâche et que d’autres ne participent pas de la même manière ou aussi équitablement. Si nous décidons d’aller de l’avant avec les lignes directrices cliniques, nous aurons besoin de temps pour les élaborer et former les gens à ce sujet.
J’espère que cette conversation vous montre que je suis quelqu’un, tout d’abord, qui est entré en fonction avec le désir de voir cette option se concrétiser — parce que je suis tout aussi préoccupé par les personnes qui sont piégées dans ces circonstances horribles —, mais qui comprend que les provinces déploient des efforts très sérieux, et que nous voulons être le vent dans leurs voiles. En même temps, nous voulons faire tout ce que nous pouvons dans le domaine des maladies mentales — comme je l’ai dit, nous parlons de maladie mentale et non de santé mentale — pour continuer à travailler et à faire des recherches avec les provinces afin de trouver des solutions aux problèmes insolubles des maladies mentales. Je poursuivrai plus tard.
Nous passons à la prochaine période de 10 minutes.
Merci, messieurs les ministres, d’être parmi nous. Je partagerai mon temps de parole avec les sénateurs Cotter et Duncan. Je poserai deux questions et je demanderai à chacun d’entre vous d’y répondre en tenant compte du peu de temps dont nous disposons.
Ce projet de loi a changé les règles du jeu pour les personnes qui attendent depuis trois ans de présenter une demande. J’ai entendu de nombreux témoignages de personnes qui se sentent abandonnées et qui considèrent que leur seule option est de se suicider ou de se rendre dans un autre pays où cette pratique est autorisée.
Je veux d’abord poser une question au ministre Virani. Monsieur le ministre, peut-on faire quelque chose pour rendre service au tout petit nombre de personnes qui attendent cette aide depuis si longtemps? Peut-on leur offrir une solution ou leur accorder une exemption?
Je me tourne maintenant vers le ministre Holland. Vous nous dites qu’il y a des choses qui n’ont pas été faites dans les systèmes. Ces déclarations contredisent ce que nous ont dit les cliniciens sur le terrain. Pourriez-vous nous préciser aujourd’hui ce qui n’a pas été fait dans chaque système? Quelles sont les lacunes qu’on vous a signalées et qui ne nous ont pas été mentionnées par les cliniciens?
Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir soumis cette question au Parlement. En effet, c’est le travail accompli à l’origine dans cette enceinte à l’égard du projet de loi C-7 qui a donné lieu à la disposition de caducité pour la maladie mentale. C’est le fruit de votre travail et cela a donné lieu à une partie du travail accompli par le ministre Holland à ce jour, je pense entre autres au programme de formation et à la norme de référence.
En ce qui concerne les personnes qui souffrent en ce moment, j’aimerais brièvement faire écho aux sentiments du ministre Holland : nous comprenons la nature de cette souffrance, nous mesurons l’ampleur de cette souffrance, nous savons qu’elle équivaut à de la souffrance physique et nous comprenons que les personnes qui souffrent de troubles mentaux peuvent avoir la capacité de prendre la décision. Nous n’avons pas changé d’avis et nous nous en tenons à ce que nous savions déjà. Notre position ne repose pas sur de mauvais préjugés envers ces gens.
En ce qui concerne l’idée d’apporter un amendement très limité au projet de loi, je vous dirais que le texte indique de manière non équivoque que la disposition finira par entrer en vigueur. Une disposition prévoit que ce sera dans trois ans. Le projet de loi ne dit pas que ce ne sera jamais, mais bien que la décision que nous sommes appelés à prendre porte sur le moment de l’entrée en vigueur. Mais ce qui est plus important encore, c’est que nous voulons traiter cet enjeu maintenant et à l’avenir en prenant les mesures de soutien en santé mentale que des personnes comme la sénatrice Batters réclament pour ceux qui souffrent. Il faut veiller à ce que le financement accordé par le gouvernement fédéral serve à soulager les personnes qui souffrent en raison d’un problème de santé mentale.
Merci. Tout d’abord, je fais écho aux propos du sénateur Kutcher. Je vous remercie du travail que vous avez accompli dans cette enceinte, et de votre engagement. Je suis bien au fait de vos convictions, de votre point de vue et de ce qui vous motive, et j’ai énormément de respect pour cela. J’ai aussi du respect pour les discussions que nous avons eues.
Je dirais qu’il faut se demander ce qui n’a pas été fait. Je suis d’accord avec vous. Il y a des cliniciens qui sont tout à fait prêts, qui sont bien formés, qui ont bien assimilé le programme et qui ont terminé leur formation. Je n’ai rien à redire là-dessus. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas assez nombreux. Quarante personnes, ce n’est pas suffisant. Seulement 2 % des psychiatres, ce n’est pas suffisant.
Il est inacceptable qu’une personne puisse trouver du personnel qui est prêt à intervenir dans une région du pays, mais que dans une autre région, ou même dans la même province, cette personne puisse tomber sur des intervenants du réseau qui ne sont pas prêts et qui pourraient commettre une terrible erreur.
Ce que je dirais aux gens qui ont attendu toute leur vie, et qui, dans bien des cas, souffrent depuis des décennies, c’est que je suis profondément désolé pour les souffrances qu’ils doivent endurer. Nous essayons de combler les lacunes du système le plus rapidement possible. J’espère qu’ils peuvent comprendre que nous ne pouvons pas nous permettre de commettre des erreurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire fausse route. Les conséquences seraient trop graves.
C’est pourquoi nous proposons un délai de trois ans, et nous tâchons d’avancer le plus rapidement possible.
Je remercie les ministres de leur présence, en particulier M. Holland pour les efforts particuliers qu’il a déployés afin d’être présent ce soir. J’ai deux questions à poser, mais nous n’aurons pas assez de temps pour poser la deuxième au ministre Virani. Permettez-moi donc de vous poser celle-ci, monsieur le ministre Holland.
Vous avez indiqué à plusieurs reprises que vous étiez attentif aux besoins du système pour qu’il soit prêt et qu’il protège les personnes vulnérables qui souffrent de troubles mentaux, qu’il s’agisse de services, de mesures d’aide ou du processus lui-même.
Cependant, il y a trois ans, en 2021, votre gouvernement n’était pas du tout attentif à ce même type de question pour les personnes atteintes d’un handicap physique grave lorsque nous avons adopté le projet de loi C-7. Or, ces personnes étaient tout aussi vulnérables, voire plus. Pourquoi ce changement?
Merci, sénateur.
Comme vous le savez sans doute, le temps que vous passez dans cette enceinte vous expose aux histoires et à la souffrance des gens. Votre compréhension de ce qui est la bonne chose à faire change constamment. C’est certainement le cas ici.
Par exemple, je peux dire que, avant que le Sénat ne soulève la question de la maladie mentale comme seule condition sous-jacente à l’accès à l’aide médicale à mourir, je n’en avais pas beaucoup entendu parler. Je n’avais pas parlé à beaucoup de cliniciens qui avaient vécu cette situation, parce que c’est très rare. Ma compréhension n’était pas aussi bonne qu’elle aurait dû l’être.
L’une des forces de notre démocratie, c’est qu’elle est à l’écoute de la population. Parfois, nous avons l’occasion de comprendre des choses que nous n’avions pas saisies plus tôt.
Merci d’être ici, messieurs les ministres. Ma question s’adresse au ministre Holland.
Monsieur le ministre, nous avons parlé de la lettre signée par les ministres de la Santé et du Mieux-être et les ministres de la Santé mentale et des Dépendances de l’ensemble du pays. Il s’agit d’un argument convaincant en faveur du projet de loi C-62.
Cette lettre indique que l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale nécessite un travail fédéral-provincial-territorial supplémentaire et que l’exhaustivité et la réalisation des examens de capacité mentale ne sont pas uniformes.
Les ministres ont réclamé une pause indéfinie, mais le projet de loi C-62 prévoit uniquement une pause de trois ans. Aucun échéancier ni aucune date limite n’ont été fixés afin de faire ce travail de collaboration pour les Canadiens. Nous avons parlé du fait que les Canadiens souffrent et sont incapables d’accéder à des soins.
Quelle assurance pouvez-vous donner aux Canadiens qui souffrent que le type de travail collaboratif demandé par les ministres sera réalisé au cours des trois prochaines années?
Je vous remercie de votre question.
En matière de santé, les Canadiens s’attendent à juste titre à ce que nous mettions de côté nos différends et notre partisanerie afin de collaborer dans le but de trouver une solution.
Notre système de santé est confronté à des défis énormes, mondiaux, issus de la pandémie. Tous les systèmes de santé sont en train de crouler sous le poids du surmenage et des arriérés.
Ce que je peux vous dire — et cela démontre à quel point cette réunion à Charlottetown a été constructive —, c’est que les ententes bilatérales ont été constructives et qu’elles nous ont permis de collaborer afin de trouver des solutions. Toutes mes discussions ont été extrêmement productives.
Je vais être clair. Certaines administrations ne veulent rien savoir. Comme le sénateur Plett, certaines provinces pensent qu’il ne faudrait jamais franchir ce pas. Les voilà, les défis. Toutefois, ce ne sont pas toutes les provinces qui sont de cet avis. La plupart parlent plutôt de l’état de préparation.
Si ce délai de trois ans est si important, c’est en partie parce qu’il tient compte des provinces, du fait que ce sont elles qui doivent gérer ces systèmes. Il leur offre un échéancier fixe et nous permet de poursuivre nos efforts.
Pour ce qui est du volet parlementaire, nous savons qu’il ne reste que deux ans avant l’examen des progrès accomplis et que le Parlement devra revenir devant le Sénat pour parler de ce qui a été fait. Je m’attends à ce que les sénateurs me demandent alors, pendant la période des questions ou à un autre moment, de rendre des comptes et de leur dire où nous en sommes, comment les choses évoluent et où en sont les conversations.
Je suis absolument résolu à ce que nous fassions les choses correctement et à ce que nous utilisions efficacement le temps dont nous disposons. Ce que nous avons fait au cours de la dernière année le montre bien — je vois que madame la présidente me regarde alors que mon intervention tire à sa fin. Nous avons réalisé d’énormes progrès au cours de la dernière année, mais ce n’était tout simplement pas suffisant.
Il vous reste une minute et demie.
Très bien.
Puis-je ajouter quelque chose, madame la présidente?
Oui, monsieur Virani.
Sénatrice Duncan, vous avez mentionné la lettre. Il est aussi important de souligner les notes incluses dans cette lettre. L’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse disent que leur niveau de préparation est plus avancé que celui d’autres provinces. Il y a déjà des différences à cet égard, ce qui illustre une fois de plus que, grâce aux paramètres et aux échéanciers que nous avons mis en place, de nombreuses étapes ont déjà été franchies.
Je vous remercie. Votre argument, selon lequel nous ne pouvons pas aller de l’avant parce que certains intervenants ne sont pas prêts, me laisse un peu perplexe.
Nous savons tous que le système de santé canadien manque de spécialistes du diabète, d’oncologues, de médecins ou de personnel infirmier. Nous ne refusons pas des soins aux gens parce que certains ne sont pas prêts. Les personnes qui ont besoin de soins se font soigner.
Le critère de préparation a été respecté. Il s’agit d’un critère que vous avez établi et qui a été évalué par des experts que vous avez nommés et qui ont témoigné devant les membres du comité mixte. Vous changez encore une fois les règles du jeu. Pour faire suite à ce que disait le sénateur Kutcher, quel est le nouveau critère? Quel est le point cinq ou six que vous allez maintenant établir pour conclure que le système de santé est prêt?
Je ne veux pas entendre l’argument concernant les provinces, car cela n’a rien à voir avec la prestation du régime d’aide médicale à mourir. Il s’agit de décisions. Les ministres de la Santé peuvent décider qu’ils sont pour, qu’ils sont contre ou qu’ils ne permettront jamais que cela se produise.
Il est question du niveau de préparation de ceux qui sont prêts à offrir l’aide médicale à mourir au pays. Un grand nombre d’intervenants sont prêts à l’offrir dès maintenant. Pourquoi ne l’offririons-nous pas?
Merci, madame la sénatrice, de vos efforts soutenus dans ce dossier. Je sais que vous m’avez dit de ne pas parler des provinces, mais je le ferai un instant.
On ne peut pas rejeter du revers de la main le fait que les gouvernements de toutes les provinces et de tous les territoires, peu importe leur allégeance politique, disent qu’ils ne sont pas prêts. J’aurais du mal à trouver un autre exemple d’une telle unanimité dans la Confédération.
Les provinces sont responsables de l’administration des systèmes de santé.
Je comprends que la prestation générale est une question de compétence. Vous parlez d’un nombre suffisant d’évaluateurs et de prestataires dans le système; il n’y en aura probablement jamais assez, tout comme il n’y aura jamais assez de médecins et d’infirmiers. Nous en sommes conscients.
Étant donné que des intervenants se sont dits prêts — nous sommes à tout le moins au courant d’une liste de 127 personnes à l’échelle du pays — et qu’ils ont accès à la formation, si tout cela est en place, pourquoi ne pas aller de l’avant?
Je vais vous donner trois raisons précises. D’abord, 40 n’est pas un nombre suffisant. Il faut plus que 40 médecins pleinement formés à l’échelle du pays.
Ils seront 50 le mois prochain, puis 60 le mois d’ensuite.
En effet, mais ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Nous avons une date limite le 17 mars et des gens y ayant accès le 17 mars. Il n’y a pas assez de praticiens — 2 % de psychiatres, ce n’est pas assez.
Mon deuxième point concerne les provinces, avec lesquelles nous travaillons en étroite collaboration. Il serait extrêmement difficile pour le Sénat et l’autre endroit de dire aux provinces : « Nous connaissons vos systèmes. Nous pensons qu’ils sont prêts », puis les ignorer toutes.
Ce n’est pas vous qui dites qu’ils sont prêts. Ce sont les praticiens qui disent qu’ils sont prêts. Le comité mixte a reçu des listes et des témoignages qui l’indiquent expressément et directement.
Il y en a, mais le Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui est, en tout respect, l’autorité en matière de maladie mentale et de santé mentale dans ce pays, a dit très clairement que le système n’est pas prêt, de même qu’un grand nombre de cliniciens, de psychiatres et d’autres professionnels de la santé mentale. En ce qui concerne le fait que certains affirment que le système est prêt, je les crois sincères, et je crois qu’ils sont prêts, mais nous ne vivons pas dans un pays où nous pouvons faire en sorte que les gens s’adressent seulement à ce petit nombre de personnes qui se disent prêtes. L’ensemble du système doit être prêt, car les conséquences...
Après votre réponse, le ministre Virani souhaite intervenir.
Tout d’abord, je vous remercie de votre travail au sein de ce comité mixte, sénatrice Wallin. Ensuite, il y a une différence qualitative entre un manque de professionnels de la santé — qui fournissent des soins de santé généraux, y compris pour le diabète, aux Canadiens —, de façon générale, et les personnes qui évaluent et qui prodiguent l’aide médicale à mourir. Je sais que c’est assez évident pour tout le monde dans cette salle, mais je tiens à souligner que nous parlons d’intérêts importants qui ont trait à la façon dont les gens décèdent. Les conséquences sont, par définition, permanentes. Je dirais que les enjeux sont beaucoup, beaucoup plus élevés que dans n’importe quel autre service ou secteur de prestation de soins de santé au pays. Par conséquent, compte tenu de cet impératif, nous sommes déterminés à faire en sorte que le nombre d’évaluateurs et de fournisseurs — qui sont suffisamment formés et prêts à mettre en œuvre les mesures de sauvegarde — soit plus qu’adéquat. Nous devons bien faire les choses avant d’aller plus loin.
Je pense que ce que je veux savoir, c’est à quel point votre engagement est ferme. Nous savons que toute la question de l’élargissement de l’accès à l’aide médicale aux cas où un trouble mental est le seul problème médical invoqué était une priorité de votre gouvernement. Vous auriez pu choisir la question des demandes anticipées, qui me tient à cœur. Vous avez dit que c’était un enjeu prioritaire et que vous alliez y travailler sans attendre pour vous assurer que cette question soit réglée — parce que les tribunaux ont dit qu’ils n’allaient pas commencer à trancher les cas d’aide médicale à mourir. Il est question du droit des Canadiens d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. Par la suite, vous avez dit qu’il faudrait un an. Puis, la date butoir du 17 mars arrive à grands pas — si nous avons le temps, nous pourrons en discuter, parce que je pense que vous avez prévu des mesures de sauvegarde dans le système, alors je ne crois pas que nous soyons aussi pressés par le temps que vous le dites. Or, c’est vous qui avez dit qu’il s’agissait d’un enjeu prioritaire.
Or, votre gouvernement dit maintenant qu’il va repousser cette question de trois ans, c’est-à-dire après les prochaines élections. L’autre jour, j’ai dit que ce dossier est un enjeu politique, et c’est ce que je crois. Nous pouvons tous lire les sondages d’opinion publique et en déduire que, si des élections étaient déclenchées sous peu, les conservateurs seraient fort probablement élus. Évidemment, votre chef a dit très clairement que cela ne se produira jamais sous sa gouverne. Si votre gouvernement était réellement engagé à l’égard de cet enjeu et déterminé à respecter la promesse qu’il a faite aux Canadiens — à savoir qu’il s’agit d’une question prioritaire —, alors je ne comprends pas pourquoi votre gouvernement veut attendre trois ans de plus, après les prochaines élections, où tout peut arriver.
Je vous remercie, madame la sénatrice. Vous avez tout à fait raison — personne ne peut prédire ce qui va se passer. Aux prochaines élections, je ferai inscrire mon nom sur un bulletin de vote pour la neuvième fois...
Je n’en doute pas une seconde.
... et je peux vous dire qu’on a prononcé de nombreux pronostics sombres sur mon avenir politique. En 2011, ces pronostics avaient raison, mais je suis ensuite revenu, ce qui en a rendu certains heureux, mais d’autres, pas tant. Même lorsque votre nom se retrouve 12 fois sur un bulletin de vote — il y en a eu un tas d’autres à l’échelon municipal —, vous ne savez pas ce qui va se passer. Cependant, je vais vous dire ce qu’il ne faut pas faire : vous n’élaborez pas des politiques en essayant de deviner quel gouvernement sera élu à l’avenir. Je pense que nous devons élaborer des politiques en fonction de ce qui est bon, raisonnable, juste et dans l’intérêt de la population.
Pour terminer, je dirai que je défends cette cause. En ce qui concerne le fait que nous continuons de travailler sur cet enjeu, si nous avions voulu le faire disparaître, nous aurions voté pour le projet de loi d’Ed Fast et aurions reporté le tout indéfiniment. Si cela avait été notre intention secrète, nous aurions simplement voté pour le projet de loi d’Ed Fast, nous l’aurions fait disparaître indéfiniment et nous aurions obtenu ce que vous dites.
Après avoir été nommé ministre de la Santé, je me suis retrouvé dans une salle avec mes homologues de partout au pays et j’ai fait valoir pourquoi je considérais que le système était prêt. Après les avoir écoutés tous les 13, j’ai toutefois commencé à me poser des questions. Ce n’est pas à ce moment-là que j’ai changé de direction, mais je me suis posé des questions; j’ai commencé à examiner les enjeux de façon beaucoup plus approfondie, et de nouvelles préoccupations ont surgi. J’aborde ce dossier en tant qu’allié, comme quelqu’un qui a les mêmes inquiétudes que vous. Comme vous, je suis préoccupé par tout ce que l’élection d’un gouvernement conservateur pourrait signifier pour le Canada. Comme vous, je suis préoccupé par l’effet que pourrait avoir Poilievre sur beaucoup de choses qui me tiennent vraiment à cœur. Cela dit, nous ne pouvons pas prendre une décision en pensant à ce qui pourrait arriver si jamais Poilievre et le genre de politique qu’il représente l’emportaient. Nous ne pouvons pas non plus adopter à toute vitesse des mesures qui ne sont pas prêtes et dont les conséquences peuvent être très graves. Le ministre Virani l’a dit avec beaucoup d’éloquence, je crois. On ne parle pas ici d’un dossier comme les autres. Ici, si nous faisons des erreurs, elles seront permanentes et auront d’énormes conséquences.
Cependant, les experts à qui vous avez demandé de se prononcer sur cette question ont dit que vous ne courez pas ce genre de risque. Il y a un certain niveau de préparation dans le système. Il n’est peut-être pas assez élevé pour que tous les gens des régions rurales de la Saskatchewan aient accès aux mêmes traitements que les patients du Centre de toxicomanie et de santé mentale, mais il faut commencer quelque part, comme nous l’avons fait avec l’aide médicale à mourir. Au début, il n’y avait pas assez de médecins, jusqu’à la mise en place du système, et tant que cela continuera de relever du Code criminel, pourquoi les gens voudraient-ils prendre de tels risques? Il est possible de changer les choses. Les intervenants sont là, et ils sont prêts à lancer ce processus afin d’alléger les souffrances des personnes qui ont attendu, à votre demande, lorsque vous avez dit que c’était pour bientôt.
Le temps est écoulé pour cette période de 10 minutes. Nous passons à la prochaine période.
Bienvenue, messieurs les ministres. Merci beaucoup d’être ici pour répondre à nos questions. Comme vous le savez, les sénateurs et, en fait, tous les Canadiens s’intéressent de près à cette question, et le temps que vous nous consacrez aujourd’hui est grandement apprécié.
Je vais citer un court extrait d’une lettre que j’ai reçue pour faire entendre ce point de vue et obtenir votre réponse. L’auteur dit ceci :
Il est injuste et inconstitutionnel de continuer de priver les personnes ayant des troubles mentaux de l’égalité d’accès à la loi. Partout au Canada, les gens qui souffrent de troubles mentaux ne pouvant être soulagés dans des conditions acceptables pour eux devraient avoir le même droit à l’autonomie et au choix que les personnes atteintes de problèmes de santé physique graves et irrémédiables.
Que répondriez-vous à cette personne?
Je vous remercie de votre question, sénateur Cardozo. De toute évidence, la constitutionnalité est au cœur du débat sur l’aide médicale à mourir depuis l’arrêt Carter rendu en 2014-2015. Voici ce que je dirais à cette personne : quand on va au cœur d’une analyse visant l’égalité au titre de la Charte, on vérifie si on perpétue des stéréotypes négatifs ou si on porte atteinte à la dignité de la personne. Le gouvernement, le ministre Holland et moi-même avons dit que la souffrance mentale et la souffrance physique sont équivalentes. Il n’y a aucune différence entre les deux. En outre, on ne perpétue pas de stéréotype négatif sur la capacité décisionnelle d’une personne atteinte de maladie mentale.
Toutefois, on comprend la complexité du processus visant à tirer des conclusions sur la capacité décisionnelle d’une personne en difficulté qui peut présenter une demande en période de crise, où l’idéation suicidaire peut être une caractéristique ou un symptôme de sa maladie mentale. Il faut distinguer ce genre de demande d’une demande réfléchie d’aide médicale à mourir. Il faut être absolument sûr que les gens qui effectuent les évaluations ont la capacité de distinguer ce qui est un symptôme de l’état d’une personne de ce qui est une demande raisonnée d’aide médicale à mourir. C’est très complexe.
Si j’avais eu le temps, j’aurais dit ceci à la sénatrice Wallin : l’aide médicale à mourir est non seulement un acte différent de ceux qu’accomplissent normalement les professionnels de la santé, c’est aussi un acte qui, dans le contexte qui nous occupe, diffère fondamentalement — et qualitativement — de toutes les autres situations prévues. Y a-t-il des questions liées à la Charte? Bien sûr, la Charte est en cause. Cependant, ce que je crois fermement, et ce qui est indiqué dans l’énoncé concernant la Charte, c’est qu’il faut être bien certain que la formation et l’évaluation en place sont rigoureuses afin que les intervenants puissent faire l’évaluation. Il est essentiel de ne pas faire d’erreur dans l’évaluation. Je ne pense pas qu’en vertu de la Constitution, moi ou le gouvernement avons le mandat d’autoriser un service de santé quand ce n’est pas sécuritaire de le faire. C’est notre conclusion : ce n’est pas sécuritaire de le faire à ce moment-ci.
Merci. Je vous remercie de vos arguments passionnés au sujet de la Constitution.
Mon autre question est la suivante : Pourquoi trois ans? Il y a un an, quand votre prédécesseur s’était exprimé devant nous, il avait réclamé un an. Pourquoi ne demandez-vous pas un an ou deux ans? Pourquoi trois ans?
En ce qui concerne l’échéancier — et ce point a également été soulevé lors de l’intervention de la sénatrice Wallin —, nous essayons de tenir compte de ce que nous avons entendu de la part des professionnels de la santé. Nous cherchons à ne pas nous représenter sans cesse devant le Sénat ou la Chambre des communes pour demander des prolongations. Nous examinons la feuille de route qui nous a été présentée afin de savoir quand nous nous aurons une meilleure compréhension et une meilleure estimation quant à l’élaboration des nouveaux mécanismes.
Parlons d’un élément qui n’a pas été approfondi ici. Il faut savoir que parmi les composantes essentielles il y a la surveillance, l’analyse et l’examen des cas en aval. Si j’ai bien compris — et le ministre Holland me corrigera si nécessaire —, dans tout le pays, seuls les bureaux des coroners du Québec et de l’Ontario sont obligés de réaliser un examen de ces cas de décès par aide médicale à mourir. Nous voulons voir une application rigoureuse et une mise en œuvre rigoureuse de ces processus de surveillance. Nous sommes convaincus que, d’ici deux ans, un comité mixte composé de sénateurs et de députés sera en mesure d’évaluer la situation et que, d’ici trois ans, nous pourrons procéder. Le délai supplémentaire permettra aux responsables de continuer à faire le travail qui s’impose. C’est d’une importance capitale.
Merci.
À mes deux amis et anciens collègues, je suis ici, au fond de la salle, même si je suis certain que mes collègues sénateurs diront qu’il n’existe pas de mauvais siège à la Chambre haute.
Ministre Holland, le 3 janvier 2017, le caporal Lionel Desmond, d’Upper Big Tracadie, en Nouvelle-Écosse, a assassiné sa femme, Shanna, 31 ans; sa fille, Aaliyah, 10 ans; et sa mère, Brenda, 52 ans, avec une arme semi-automatique, il a ensuite retourné cette arme contre lui pour se suicider.
Comme vous le savez, le rapport final de l’enquête sur la mort des membres de la famille Desmond a été rendu public il y a deux semaines en Nouvelle-Écosse. Ses conclusions concernant le traitement des maladies mentales dans ma province, la Nouvelle-Écosse, sont très préoccupantes. Je ne dénigre en aucun cas les professionnels qui continuent de faire un travail extraordinaire pour les Néo-Écossais, mais certaines réalités sont devenues manifestes. Dans les discussions sur l’aide médicale à mourir, il faut tenir compte de certaines réalités concernant l’accès aux services de santé mentale et la prestation de ces services en Nouvelle-Écosse.
Le récit de l’accès de Lionel Desmond à un traitement pour soigner son trouble de stress post-traumatique raconte les défis auxquels sont confrontés les habitants des régions rurales, les personnes racisées et les vétérans, mais aussi de l’accès aux armes à feu, etc. Cet ancien militaire canadien est passé entre les mailles du filet du système de santé, ce qui a provoqué cette tragédie.
J’ai du mal à concilier cela avec un meilleur accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’un trouble mental. Les conclusions du rapport soulèvent des préoccupations. Quels sont les processus en place qui pourraient nous donner un certain réconfort afin que nous puissions tirer des leçons de cette terrible tragédie?
Merci beaucoup, sénateur Cuzner. C’est merveilleux de vous voir dans cette enceinte, après avoir eu l’occasion de siéger avec vous à l’autre endroit. Je me réjouis à la perspective de vous voir faire un travail exceptionnel ici, comme vous l’avez fait à la Chambre des communes, et de poursuivre nos discussions.
Premièrement, la tragédie que vous avez décrite est effroyable, effroyable en raison des vies qu’elle a volées et effroyable en raison de ce qui a mené le caporal Desmond à commettre ces actes. Elle met en évidence une crise de santé mentale qui sévit non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Un Canadien sur trois, ce qui est assez semblable à ce qui se passe ailleurs dans le monde, déclare avoir de graves problèmes de santé mentale.
Je dis « problèmes de santé » parce que c’est complètement différent d’une maladie. Lorsqu’on souffre d’une maladie mentale, elle est, un peu comme une maladie physique, rarement liée aux choses dont vous parlez, c’est-à-dire le trouble de stress post‑traumatique et les traumatismes. Il s’agit d’une condition physiologique sous-jacente qui n’est pas nécessairement liée à l’environnement et qui, par conséquent, peut être intraitable. Nous parlons de quelque chose d’incroyablement rare. Il est important de ne pas confondre les deux. Je veux fermement séparer ces deux choses parce que ce n’est pas cela qui nous occupe en ce moment.
Permettez-moi de parler plus particulièrement de la Nouvelle-Écosse. Je tiens à dire à quel point j’ai de l’estime pour la ministre Thompson, la ministre de la Santé de la Nouvelle-Écosse. Elle comprend la situation. En tant qu’ancienne infirmière, elle a travaillé sur le terrain et elle comprend les changements nécessaires. L’accord bilatéral qui a été signé avec la Nouvelle-Écosse et l’argent qui en découle permettent de prendre des mesures essentielles en matière de santé mentale. L’approche doit être pansociétale.
Sénateur Cuzner, je vais être franc avec vous : le gouvernement fédéral ne pourra pas se contenter d’agir seul dans ce dossier. La façon dont nous nous traitons les uns les autres dans le monde doit changer. L’hostilité, la colère, la négativité, la façon dont nous abordons les autres sur le plan humain et au travail, tout cela doit changer. C’est de la folie. Les problèmes de santé omniprésents en ce moment sont dus à la manière dont nous nous traitons les uns les autres. Ce n’est pas un hasard si, plus une personne est victime, plus elle est confrontée au colonialisme ou au racisme, plus elle souffre du trouble de stress post-traumatique, plus elle est soumise, plus sa santé mentale est mauvaise. La voie à suivre est claire, et il faudra bien plus que des investissements pour nous en sortir.
Je pense qu’il est dangereux, dans le cadre de cette discussion, d’amalgamer ces deux enjeux, car ce n’est pas ce dont nous sommes saisis aujourd’hui lorsqu’il s’agit du projet de loi C-62.
Je remercie les deux ministres d’être ici. Je partage l’inquiétude du sénateur Cuzner. Même s’il ne faut pas confondre les deux questions, nous ne pouvons pas faire abstraction des inquiétudes au sujet de la maladie mentale et de la santé mentale, et de leur rôle dans ce dont nous discutons.
Monsieur le ministre, des experts ont affirmé que l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pourrait nuire à la prévention du suicide au Canada. Selon une étude du Centre de toxicomanie et de santé mentale, que vous avez mentionné en le décrivant comme un organisme très important, le Canada affichait le sixième taux de suicide en importance dans les Amériques en 2019. Étant donné que l’aide médicale à mourir où un trouble mental est le seul problème de santé sous-jacent pourrait nuire à la prévention du suicide au Canada, pourquoi le gouvernement est-il déterminé à élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans trois ans au lieu de prévoir une pause d’une durée indéfinie, comme la majorité des provinces le demandent?
Je partage les inquiétudes du sénateur Plett et je salue les efforts du député Ed Fast. C’est quelque chose que j’aurais appuyé. La majorité des provinces demandent de suspendre l’élargissement indéfiniment. Pourriez-vous nous parler de cet aspect?
Bien sûr, sénatrice. Merci. Je tenterai d’être plus explicite dans l’espoir de mieux mettre en lumière la distinction que j’ai mentionnée plus tôt.
Dans le cas d’une personne atteinte d’une maladie mentale, il faudrait, sous le régime dont nous parlons, qu’elle ait vu deux cliniciens et démontré qu’elle a essayé toutes sortes d’interventions différentes et que sa situation est irrémédiable, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être renversée. Elle devrait aussi prouver qu’elle a cherché beaucoup d’aide et qu’il s’agit bien d’une maladie. C’est un peu comme si vous étiez atteinte d’un cancer. Ce n’est pas un choix que vous avez fait, et seule la médecine peut vous sauver. Il s’agit là d’une distinction extrêmement importante.
Puis, il y a les gens qui éprouvent des problèmes de santé mentale, un sujet dont je vais vous parler de manière très directe et personnelle. Lorsque j’ai traversé une grave crise de santé mentale et que j’ai tenté de mettre fin à mes jours, la différence est que j’ai pu obtenir de l’aide et que cette aide m’a transformé. Nous voulons nous assurer que lorsque nous parlons de santé mentale, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir en tant que société pour surmonter les défis qui s’y rattachent.
C’est malaisant. J’en suis conscient. Nous devons être honnêtes et admettre d’emblée que les souffrances de certaines personnes sont irrémédiables et qu’il n’y a aucune façon d’en guérir. J’ai parlé à des médecins qui ont absolument tout tenté pour leurs patients pris au piège dans un enfer mental absolu et qui se portent garants de cette demande de soulagement. Il s’agit d’une situation extrêmement rare, mais sensiblement différente. Voilà pourquoi je dis que nous ne devrions pas assimiler ou confondre ces deux questions lorsque nous discutons du sujet à l’étude aujourd’hui.
Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, que je copréside, a précisé dans son rapport qu’il est trop difficile de faire la distinction entre une demande d’aide médicale à mourir rationnelle et une demande motivée par des idées suicidaires. Le degré de difficulté ne fait qu’augmenter lorsque le trouble mental est le seul problème de santé invoqué. Par conséquent, il est évident qu’il sera pratiquement impossible de faire la distinction entre les deux avec justesse.
Compte tenu de cette difficulté, pourquoi le gouvernement ne concentre-t-il pas ses efforts sur la prévention du suicide plutôt que de poursuivre sur la voie de l’élargissement de l’aide médicale à mourir?
Tout d’abord, comme je l’ai dit, nous avons récemment lancé un service téléphonique national pour la prévention du suicide. Nous signons des accords bilatéraux qui sont accompagnés de sommes essentielles pour fournir les services de santé mentale dans chaque province et chaque territoire. La ministre Saks, ministre de la Santé mentale et des Dépendances, et moi‑même en discutons tous les jours. Nous tenons absolument à empêcher les gens d’en arriver là.
Si le Canada a un taux de suicide plus élevé qu’à peu près n’importe quel autre pays, c’est en partie à cause des horreurs vécues par les Autochtones. Les Autochtones du pays nous ont notamment dit qu’ils ont besoin de plus de temps pour comprendre le programme, afin qu’il y ait une distinction claire, afin que nous ne créions pas de flou au sujet des différentes maladies mentales — tant qu’à parler de distinctions, soyons très directs à ce sujet.
La situation d’une personne qui n’arrive pas à se sortir de l’enfer de la maladie mentale, après avoir tout essayé et tenté pendant des décennies, est radicalement différente de la situation d’une personne qui traverse une crise de santé mentale et qui a besoin d’une aide ponctuelle.
Si, après 20 ou 30 ans, une personne... Je vais vous poser la question : à votre avis, pendant combien de temps une personne qui a une maladie mentale doit-elle aller voir un médecin? Pendant combien de temps doit-elle souffrir? Pendant combien de temps doit-elle aller voir son médecin? Combien de traitements doit-elle essayer? Y a-t-il un moment à partir duquel vous écouteriez cette personne? Y a-t-il, madame la sénatrice, un nombre précis de décennies après lesquelles vous écouteriez la personne et lui diriez : « D’accord, vous avez tout tenté et vous avez le droit de demander l’aide médicale à mourir »? Y a-t-il un point où, après des dizaines d’années, après un certain nombre de traitements, vous laisseriez cette personne prendre cette décision elle-même si elle avait une maladie irrémédiable? S’il n’y en a pas, alors je pense que nos points de vue sont irréconciliables.
C’est moi qui pose les questions pour le moment, mais je vous remercie de m’en avoir proposé. Cela dit, j’aurais maintenant une question pour le ministre Virani.
Monsieur le ministre, les données indiquent clairement que les Canadiens sont généralement favorables à l’aide médicale à mourir dans le cas de problèmes de santé graves et irrémédiables, mais qu’ils n’y sont pas favorables lorsqu’il s’agit de maladies mentales. Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a entendu des témoignages d’experts, d’organismes et de particuliers selon lesquels le Canada n’est pas prêt pour l’élargissement de l’aide médicale à mourir dans les cas où un trouble mental est le seul problème de santé invoqué.
Monsieur le ministre, étant donné l’absence de consensus parmi les experts et l’absence d’appui de la part de la population canadienne, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas présenté un projet de loi visant à freiner l’élargissement envisagé, au lieu de le reporter simplement de trois ans? Si le gouvernement est convaincu qu’il y aura tôt ou tard, parmi les professionnels, un consensus justifiant cet élargissement, pourquoi ne pas attendre que ce consensus existe pour présenter le projet de loi, au lieu d’opter pour un report de trois ans?
Je vous remercie de votre question, sénatrice Martin. Permettez-moi de vous dire certaines choses.
Premièrement, la disposition de caducité concernant la maladie mentale vient du Sénat, et non de la Chambre des communes. Deuxièmement, l’existence d’une échéance permet d’inciter les gens à agir. Au cours de la dernière heure, il a beaucoup été question des mesures qui ont été prises. On a conçu un programme et une norme de pratique. Ce sont des mesures bénéfiques qui ont été prises parce qu’il y avait une échéance.
En fixant une échéance au bout de trois ans, nous démontrons aux Canadiens que nous croyons fermement que l’aide médicale à mourir va évoluer jusqu’à un point où les Canadiens pourront invoquer la maladie mentale comme seul trouble de santé sous-jacent, comme cela serait requis dans le contexte décrit par le ministre Holland où une personne éprouve une souffrance grave et irrémédiable qui lui est intolérable. Par cette échéance, nous indiquons aux Canadiens que c’est la perspective que nous adoptons et que nous travaillons en conséquence.
J’ajouterai que lorsqu’il n’y aura pas seulement 1 000 personnes qui s’inscrivent au cours et 40 qui le terminent, lorsque le taux de participation sera beaucoup plus élevé, alors nous pourrons parler de facteur déterminant.
J’aimerais revenir sur l’échange que vous venez d’avoir avec le ministre Holland. Il existe une distinction entre les idées suicidaires et une demande d’aide médicale à mourir mûrement réfléchie à la suite d’une période de souffrance prolongée. Je crois qu’il y a d’ailleurs dans la salle des personnes ayant l’expertise voulue pour faire cette distinction. Il faut plus de personnes ainsi qualifiées pour trancher cette question partout au pays, dans toutes les provinces et tous les territoires, afin que nous ayons l’assurance que ce régime puisse être offert sans danger, étant donné que les conséquences sont si graves.
Je maintiens que trois ans, ce n’est pas suffisant. Je sais qu’au cours de la dernière année, on a consulté les Premières Nations, les Inuits et les Métis, mais il y avait de graves lacunes à cet égard. Ce n’est pas le seul problème. Nous pouvons débattre au sujet du caractère irrémédiable de certaines maladies et de la manière de faire la distinction entre les idées suicidaires et le choix de recourir à l’aide médicale à mourir, mais ma question porte en fait sur la reconstitution du comité.
Le comité actuel n’existe que depuis octobre. Nous avons tenu cinq réunions. Tout a été précipité. Les délais étaient très serrés. Prévoyez-vous reconstituer le comité un peu plus tôt? En attendant, allez-vous mettre en place le financement voulu pour que, au moment de l’éventuelle légalisation de l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, nous disposions des fonds nécessaires pour déployer le programme?
Cela dit, j’aimerais que vous parliez d’abord de la reconstitution du comité.
Sénatrice Martin, c’est la deuxième fois que le Comité sur l’aide médicale à mourir se penche sur cette question. Dans le premier rapport — si je me souviens bien, et on me corrigera si je me trompe —, on disait que, vers le mois d’octobre, environ cinq ou six mois avant le 17 mars, le comité devrait être reconstitué. C’est exactement ce que nous avons fait. Nous avons suivi les directives énoncées dans ce premier rapport du comité auquel vous avez siégé.
Deuxièmement, vous avez demandé quand le comité devrait être à nouveau formé. La mesure législative dont le Sénat est saisi, à savoir le projet de loi C-62, prévoit qu’il le sera deux ans après que ce projet de loi aura reçu la sanction royale, et c’est donc à ce moment-là qu’il sera reconstitué...
Merci, monsieur le ministre. Nous passons maintenant à la prochaine période de 10 minutes.
Monsieur le ministre Holland, selon un sondage mené par Angus Reid, une grande majorité de Canadiens sont préoccupés par les ressources disponibles en matière de santé mentale dans le pays et par l’état de la santé mentale des Canadiens en général.
Le comité mixte a reçu un mémoire d’une travailleuse sociale de l’Alberta qui a décrit la situation que vivent trop de Canadiens, soit un manque de ressources, des listes d’attente et des barrières financières qui empêchent un accès adéquat aux services de soins de santé mentale.
Monsieur le ministre, êtes-vous d’accord avec moi pour dire qu’il est primordial d’améliorer l’accès aux soins et aux services de santé mentale et de vivre dans la dignité, plutôt que de prendre encore trois ans pour élargir l’aide médicale à mourir afin de mourir dans la dignité?
Je vous remercie beaucoup pour cette question. Ce sont deux choses vraiment différentes. C’est un problème non seulement au Canada, mais dans le monde entier; c’est une crise en matière de santé mentale. Cela demande beaucoup d’efforts, d’actions et de coopération de la part de tous les ordres de gouvernement, et il nous faut aussi travailler avec les entreprises privées.
Dans le cas présent, on parle d’une personne aux prises avec un état qui ne peut être traité, et pour qui il est impossible d’améliorer son bien-être. C’est une situation malheureuse et c’est un cas très rare, mais cela existe tout de même. À mon avis, il est dangereux de confondre les deux enjeux, car nous devons certainement faire tout en notre pouvoir pour améliorer les soins en matière de santé mentale.
Lorsque quelqu’un lutte toute sa vie pour trouver une solution, c’est une tout autre situation; il s’agit de deux préoccupations distinctes, mais qui peuvent exister en même temps.
Monsieur le ministre, je peux comprendre que des personnes qui souffrent et sont en fin de vie choisissent l’aide médicale à mourir, et je respecte ce choix. J’ai de la sympathie et de la compassion pour ces personnes qui souffrent et leurs familles qui doivent vivre des moments difficiles. Personne ne sera épargné, car tout le monde passera par de tels moments.
Ma grande inquiétude a trait à la normalisation de l’aide médicale à mourir au Canada comme un traitement au lieu d’un dernier recours. Malgré une autre pause de trois ans, votre gouvernement est d’avis de poursuivre l’élargissement de l’aide médicale à mourir au Canada.
Monsieur le ministre, n’êtes-vous pas inquiet à l’idée que l’aide médicale à mourir devienne rapidement une solution plutôt qu’un dernier recours si vous poursuivez l’élargissement de l’aide médicale à mourir?
J’adore la vie. Je suis heureux d’avoir la possibilité de continuer à vivre. J’espère que ce sera le cas pour toutes les personnes au pays. Si des personnes font le choix de recourir à l’aide médicale à mourir, on doit se demander pourquoi elles font un tel choix. Ce n’est pas parce qu’il y a un problème sur le plan de la santé mentale — en fait, l’aide médicale à mourir n’est pas du tout offerte dans notre système de santé actuellement. Cependant, il y a des personnes qui sont aux prises avec des maladies extrêmement sévères.
Je vais poser une question importante. Si j’ai une personne face à moi qui souffre depuis 10, 20 ou 30 ans, sans possibilité d’améliorer sa qualité de vie, si cette personne dit que sa vie est terrible et qu’elle souffre énormément, est-ce que cette personne a la possibilité d’avoir accès à l’aide médicale à mourir? C’est la question que l’on se pose aujourd’hui.
Est-ce normal? Non, ce n’est pas normal que quelqu’un veuille en finir avec la vie. Malheureusement, quand une personne fait face à une maladie, qu’elle soit physique ou mentale, on risque de voir de telles situations se produire. C’est la raison pour laquelle on débat de ce projet de loi aujourd’hui. M. Virani a peut-être quelque chose à ajouter.
J’aimerais revenir aux chiffres mentionnés par le ministre Holland, qui ont montré une augmentation inquiétante des demandes. Ce n’est pas le cas du tout. La situation est que plus de 96 % des cas pour lesquels on a accordé l’aide médicale à mourir sont des malades en fin de vie. La première voie qu’on a adoptée en 2016 concernait des personnes souffrant de maladies comme le cancer. Seulement 3,5 % des cas qui ont choisi la seconde voie ou qui ne sont pas en fin de vie ont eu recours à l’aide médicale à mourir.
Donc, lorsqu’on dit que les chiffres et les demandes ont augmenté, ce n’est pas le cas du tout.
Monsieur le ministre, le mois dernier, le Toronto Star a publié un reportage qui devrait inquiéter tous les Canadiens.
Il semble y avoir une montée en flèche du taux d’utilisation de l’aide médicale à mourir au Canada. En fait, 4,1 % des décès au Canada sont associés à l’aide médicale à mourir après seulement 6 ans — un taux que les Pays-Bas n’ont pas atteint après 14 ans.
Monsieur le ministre, n’êtes-vous pas inquiet à l’idée que le Canada devienne aussi rapidement un leader mondial dans les demandes d’aide médicale à mourir? Étant donné la vitesse à laquelle le Canada réagit, ne devrions-nous pas mettre indéfiniment sur « pause » plutôt que de retarder de trois ans l’élargissement de l’aide médicale à mourir, d’autant plus qu’il est maintenant démontré que le Canada est le pays où l’on compte le plus de gens qui font appel à l’aide médicale à mourir?
C’est vraiment important de mentionner que ce pourcentage de plus de 96 % touche les personnes en phase terminale, et surtout les personnes atteintes de cancer. Ces gens font le choix d’avoir recours à l’aide médicale à mourir, alors que l’autre option est de mourir d’une maladie qui les laisse aux prises avec une qualité de vie absolument horrible.
Ma famille a vécu cette situation il y a trois ou quatre mois, avec mon oncle. C’était une situation vraiment triste.
On parle donc de presque 100 % des cas. Il s’agit, pour notre société, de laisser les gens qui vivent avec une maladie comme le cancer, ou qui sont en fin de vie, la possibilité de faire eux-mêmes un choix. C’est ce que permet de faire un système comme celui-là, quand une personne souffre énormément. Ce doit être leur choix; ce n’est pas mon choix ni votre choix. C’est l’idée de base de l’aide médicale à mourir.
Lorsqu’il est question de maladies incurables, c’est le débat qu’on doit faire aujourd’hui. Il faut s’assurer que le choix est vraiment limité aux cas où un malade a examiné toutes les options, et où il n’y a pas d’autres options pour améliorer sa santé, après avoir beaucoup souffert.
Je suis vraiment fier de la politique que le gouvernement a mise sur pied en réponse à l’arrêt Carter, dans laquelle on mentionne que la Charte canadienne des droits et libertés protège l’autonomie et la dignité des individus en leur donnant le droit de prendre leur propre décision quant à leur fin de vie. C’est la politique que le gouvernement a établie en 2016.
Quatre-vingt-seize de ces cas visent la fin de vie. Ce sont des gens qui ne survivront pas. Nous devrions tous être fiers, à mon avis, que nous ayons une politique pour leur permettre de mourir dans la dignité.
Monsieur le ministre, je vais poser ma question en anglais parce que je veux être certaine que la réponse sera précise.
Vous semblez dire qu’il y a un très petit nombre de personnes très malades qui veulent recourir à l’aide médicale à mourir en raison d’un trouble mental. Aux Pays-Bas et en Belgique, comme vous le savez, c’est ce qu’ils ont fait, il y a bien des années. La demande a explosé. On ne peut pas prédire ce qui arrivera. En Belgique et aux Pays-Bas, le régime d’euthanasie — c’est le nom qui lui a été attribué — requiert que les gens qui demandent l’aide médicale à mourir aient épuisé toutes les options raisonnables de traitement. Ce n’est pas le cas dans le droit canadien.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi une telle décision a été prise? De toute évidence, je parle des troubles mentaux. Pourquoi cette mesure de sauvegarde n’est-elle pas prévue dans la loi?
En ce qui concerne les personnes qui sont atteintes d’une maladie mentale réfractaire, dégénérative et irréversible, j’ai eu des échanges avec des médecins de partout au Canada, et ils estiment qu’un très petit nombre de cas correspondent à cette description. Vous avez raison : je ne connais pas leur nombre exact parce que je ne suis pas médecin. Je ne vois pas de patients. Lorsque j’ai posé la question à des médecins, ils m’ont répondu que dans l’ensemble de leur carrière, ils ne verraient qu’un ou deux cas semblables. C’est ce qu’ils m’ont dit, un clinicien après l’autre.
Je ne cherche pas à minimiser la souffrance de ces personnes. Comme je l’ai dit, je pense qu’elles devraient absolument avoir accès à un régime qui leur permet de faire ce choix après avoir épuisé toutes les options raisonnables et après...
Monsieur le ministre, ce n’est pas prévu dans la loi.
Non, mais c’est ce que j’essaie d’expliquer. Si une personne dans cette situation se trouvait devant moi, qu’elle souffrait terriblement et qu’elle disait souhaiter avoir accès à l’aide médicale à mourir après avoir essayé tout le reste, je dirais que le problème aujourd’hui, c’est que l’on n’est pas prêt. Je suis certain que cette personne ne voudrait pas que nous ayons un régime ambigu et improvisé qui n’assure pas la formation requise pour que les gens soient dirigés vers les instances appropriées.
Nous voulons prendre cette question le plus sérieusement du monde afin que l’aide médicale à mourir ne soit offerte que dans les cas où il n’existe absolument aucune autre option et lorsqu’il ne peut plus y avoir de qualité de vie ni de soulagement de la douleur.
Nous ne voulons pas d’un système mal préparé où, oui, les personnes dont vous parlez trouveraient un soulagement, mais où des erreurs irréversibles pourraient être commises à cause d’une formation inadéquate ou inefficace. Ce serait tragique.
Messieurs les ministres Holland et Virani, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse au ministre Holland.
Je crois comprendre que le gouvernement a accepté le droit constitutionnel des Canadiens dont le seul problème de santé sous‑jacent est une maladie mentale d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. J’aimerais utiliser ma question pour confirmer ce fait en décortiquant un peu plus la question de l’état de préparation.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré que 40 médecins ne suffisent pas, que 2 % des médecins ne suffisent pas et que 250 personnes ne suffisent pas. Monsieur le ministre, quel pourcentage serait suffisant? Quelles délibérations avez-vous menées pour estimer un pourcentage qui serait suffisant et nous orienter vers ce pourcentage? Quelles sont les interventions précises du système qui doivent être mises en place pour vous rassurer sur le fait que nous sommes prêts et préparés? Pouvez-vous déclarer sans équivoque que si ces chiffres et ces systèmes étaient en place, le gouvernement permettrait aux Canadiens d’avoir accès à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué?
Je vous remercie grandement de la question, sénatrice. Pour commencer, il faudrait qu’au moins une province ou un territoire au pays se dise prêt. Je respecte le fait que certains sénateurs disent que les ministres de la Santé ne connaissent pas leurs systèmes, mais dans les systèmes que nous avons, les ministres de la Santé sont les responsables. Ils assument la responsabilité ultime. La responsabilité ministérielle signifie que nous sommes responsables des décisions que nous prenons.
Il y a dans ce groupe un ministre de la Santé néo-démocrate, un ministre de la Santé conservateur, un ministre de la Santé libéral et un ministre de la Santé de la Coalition Avenir Québec, la CAQ, dont les noms sont en jeu et qui assument la responsabilité ultime. Lorsqu’ils disent tous qu’ils ne sont pas prêts, sénatrice, nous devons les écouter. Il serait irresponsable de ne pas le faire.
Monsieur le ministre, j’aimerais demander une précision. Selon le gouvernement, quelles interventions systémiques doivent être mises en place en plus des cibles de préparation des médecins et des praticiens? Pouvez-vous nous donner des chiffres concrets? Nous voulons vraiment savoir si le programme ira de l’avant si ces mesures sont en place dans trois ans. Certains craignent que ce ne soit la première étape pour que l’aide médicale à mourir ne soit jamais autorisée.
Premièrement, si j’étais contre la prestation de l’aide médicale à mourir, j’aurais beaucoup plus de facilité à répondre aux autres questions que l’on me pose. Je dirais simplement : « Je suis d’accord avec vous. Mettons une croix là-dessus une fois pour toutes. » Nous aurions voté pour la motion d’Ed Fast et j’adhérerais aux arguments de mes farouches opposants. Or, je défends avec zèle la nécessité d’aller de l’avant, ce qui témoigne amplement du fait que je suis d’accord avec vous.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’état de préparation, il est essentiel qu’au moins quelques provinces ou territoires se disent prêts, parce que ce n’est pas nous qui administrons les soins de santé. Il me semblerait inapproprié de déterminer le nombre de cliniciens ou de psychiatres, parce que je n’administre pas les systèmes de santé.
Toutefois, plusieurs gouvernements travaillent avec beaucoup de sincérité. Ils sont d’accord pour dire que les souffrances physiques et mentales se valent. Ils veulent que leur système soit prêt, mais il leur faut plus de temps. Ils font valoir qu’ils doivent former plus de gens, que le dialogue avec les Autochtones n’a pas été assez approfondi, que le dialogue avec...
Monsieur le ministre, je suis désolée, mais il faut passer à la sénatrice Coyle.
Merci d’être avec nous, messieurs les ministres. C’est un moment crucial pour tous les Canadiens.
Lors de son témoignage sur le projet de loi C-7, Julie Campbell, évaluatrice de l’aide médicale à mourir et infirmière praticienne, a déclaré :
En suivant ce processus d’examen législatif et les médias qui l’entourent, deux mots me viennent souvent à l’esprit : la confiance et la peur. Il serait impossible de légiférer sur tous les aspects des soins médicaux, et nous avons donc un système où la loi fournit un cadre, et les cliniciens agissent dans ce cadre pour établir et maintenir la confiance du public.
La peur est alimentée par des inexactitudes ou un manque d’information. La confiance est établie en assurant l’accès à des renseignements transparents, complets et exacts.
Messieurs les ministres, si le projet de loi C-62 est adopté, que fera le gouvernement et quels jalons seront posés pour préparer l’aide médicale à mourir puis pour l’administrer aux personnes dont la seule condition sous-jacente est la maladie mentale et, par-dessus tout, pour fournir le genre de renseignements dont les Canadiens auront besoin pour gagner leur confiance et apaiser leurs craintes?
Tout d’abord, oui, la confiance est essentielle dans ce domaine. Il faut espérer que le débat que les Canadiens regardent se dérouler dans les deux Chambres démontre l’importance et le sérieux avec lesquels ces questions sont examinées. Il faut espérer que cela inspire la confiance.
Il est très important, pour établir la confiance, de travailler avec les provinces et les territoires, de les écouter et de montrer que nous sommes attentifs à leurs préoccupations lorsqu’elles sont raisonnables et sérieuses. Nous pourrons ensuite collaborer en augmentant le nombre de personnes qui ont suivi toutes les formations et de psychiatres qui ont participé au processus et déterminer — comme nous le devons — si des lignes directrices cliniques seront nécessaires et passer aux communautés et aux leaders autochtones.
J’ai participé à de nombreuses réunions trilatérales, de nation à nation, avec les peuples autochtones. Chaque fois, les Autochtones se disent reconnaissants du temps supplémentaire qui leur est accordé. Nous avons eu de riches conversations en parallèle au sujet des accords sur la santé sur l’aide médicale à mourir ainsi que sur d’autres thèmes. Ces conversations sont très importantes. Il ne s’agit pas d’une idée abstraite de ce que nous ferons à l’avenir; cela se passe maintenant. C’est une discussion générale sur tous les aspects du système de santé.
Nous passons maintenant à la prochaine période de 10 minutes.
Merci, messieurs les ministres, d’être présents aujourd’hui. Compte tenu de la crise qui frappe le système de santé, êtes-vous convaincus que, dans trois ans, nous disposerons de ressources suffisantes pour satisfaire à vos critères et obtenir l’adhésion des provinces et des territoires pour procéder à cet élargissement? Reconnaissez-vous que, dans l’ensemble, les professionnels de la santé souffrent d’épuisement professionnel et quittent la profession? Dans ma province, l’accès aux soins psychiatriques peut prendre plus de trois ans, ce qui risque grandement de plonger les personnes souffrant de problèmes de santé mentale dans un état irrémédiable.
Monsieur le ministre, pouvez-vous me convaincre que les processus que vous mettez en place nous empêcheront d’avoir cette même discussion dans trois ans?
Merci beaucoup pour cette question, qui est importante. En tant que ministre de la Santé, je suis grandement encouragé par le degré de coopération et d’engagement des intervenants pour transformer en profondeur le système de santé. Je pense au Collège des infirmières et infirmiers de la Nouvelle-Écosse, qui revoit complètement son approche à l’égard des soins infirmiers. Il y a aussi des mesures prises par certaines provinces en ce qui concerne la médecine familiale axée sur le travail d’équipe, le changement des structures tarifaires ou le travail avec les données. Je pense aussi aux progrès phénoménaux en biosciences. En tenant compte également des 200 milliards de dollars que nous investirons en santé dans les 10 prochaines années, nous pouvons voir que nous transformons le système de santé.
Nous avons déjà l’un des meilleurs systèmes. Partout dans le monde, les systèmes subissent des pressions énormes pour les raisons que vous avez mentionnées. Nous sommes en train de sortir de cette période difficile. Heureusement que nous pouvions compter sur ces personnes dans notre système de santé, qui nous ont permis de traverser ces jours incroyablement sombres de la pandémie. Cela dit, j’ai pleinement confiance en l’avenir de notre système de santé.
Nous sommes d’avis que la période de trois ans prévue est assez longue et que nous pourrons accomplir, au cours des deux prochaines années, suffisamment de progrès pour que l’examen parlementaire qui aura lieu dans deux ans permette de constater que les progrès du système sont évidents et que nous avançons vers le niveau de préparation souhaité à la fin de la période de trois ans.
Nous avons choisi délibérément cette période parce que, comme l’a dit le ministre Virani, nous ne voulons pas avoir à faire une multitude d’allers-retours avec le Sénat. Il s’agit d’un débat difficile et douloureux. Je suis franchement très heureux que nous ayons ce débat, puisqu’il donne à la population l’occasion de s’informer davantage au sujet des enjeux en cause et de les comprendre. Nous ne voudrions toutefois pas avoir à le reprendre chaque année. Ce ne serait pas sain.
Je crois donc qu’une période de trois ans suffit. Je parle avec des personnes qui font preuve d’une certaine ouverture. Quelques ministres de la Santé disent carrément qu’ils ne veulent rien savoir, mais quand je parle avec ceux qui croient, eux aussi, qu’il y a une équivalence entre la souffrance mentale et la souffrance physique, ils considèrent que l’échéancier proposé est approprié et peut leur convenir.
Sénateur Ravalia, je reviens aux 200 milliards de dollars annoncés. Quatre des piliers concernent le financement des soins de santé, l’un d’entre eux étant l’amélioration de l’accès au soutien et aux services en santé mentale et en traitement de la toxicomanie. C’est l’un des points sur lesquels nous nous concentrons dans nos discussions avec les provinces et les territoires et dans les ententes que signe le ministre Holland.
Messieurs les ministres, nous sommes encore nombreux à être préoccupés par la quasi-élimination des choix en ce qui concerne les personnes les plus marginalisées et les plus démunies. Comme vous le savez, la pauvreté est le principal déterminant social de la santé. En raison des lacunes qui touchent actuellement les mesures d’aide sociale, d’aide économique, d’aide au logement et d’aide en santé, il est pratiquement impossible pour les plus marginalisés de bénéficier d’un accès équitable à diverses options, surtout en ce qui a trait à l’aide médicale à mourir.
La fin de semaine dernière, des groupes de personnes handicapées ont encore une fois demandé à ce qu’on leur donne l’assurance que le programme de la prestation canadienne pour les personnes handicapées sera financé dans le cadre du prochain budget, compte tenu des besoins urgents.
Quelles mesures concrètes le gouvernement prend-il pour respecter l’engagement qu’il a pris auprès du Sénat d’offrir la prestation canadienne pour les personnes handicapées d’ici la fin de 2024? Quelles sont les autres mesures d’aide économique qui seront offertes pour assurer une protection équitable en vertu de la Charte, de même qu’un accès équitable au logement, à la nourriture et aux soins de santé?
Merci beaucoup, sénatrice Pate. Je suis d’accord avec vous. En tant que ministre de la Santé, je dis souvent que la santé est au centre de tout. Que vous vouliez parler de productivité, de sécurité publique ou de qualité de vie, c’est au cœur d’absolument tout. Lorsque j’étais directeur général du chapitre ontarien de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada, l’une des choses que j’ai été surpris d’apprendre, c’est que la santé mentale est le principal facteur de risque pour les maladies du cœur et les accidents vasculaires cérébraux, et qu’être originaire d’une communauté marginalisée est le principal facteur de risque en santé mentale.
Donc, en ce qui concerne la pauvreté, vous avez tout à fait raison. C’est pourquoi, qu’il s’agisse de l’Allocation canadienne pour enfants ou des mesures que nous avons prises pour les aînés, nous avons réussi à faire bouger les choses. Depuis 2015, 2,1 millions de personnes ont été tirées de la pauvreté, mais la communauté des personnes handicapées demeure très préoccupante. Vous avez raison de dire que la prestation pour les personnes handicapées est une excellente occasion d’apporter des changements de ce côté.
Je ne suis pas ministre des Finances ni ministre de la Diversité, de l’Inclusion et des Personnes handicapées, mais je peux dire que cela reste une des grandes priorités du gouvernement. En ce qui concerne le logement et toutes les mesures que nous prenons, nous nous concentrons vraiment sur les déterminants de la santé. Si nous voulons vraiment atteindre nos objectifs de productivité, de réduction des coûts et de qualité de vie, nous devons investir en amont. Ce qu’il y a de frustrant, par contre, c’est que si nous faisons bien notre travail, il se produit un phénomène semblable à celui de la grenouille dans la marmite, mais à l’envers.
L’une des difficultés, quand on discute de ce dossier, se résume un peu ainsi : « Bonne nouvelle. Si nous investissons en amont et que nous le faisons convenablement, la vie des gens s’améliorera peu à peu. Nous dépenserons moins d’argent, nous serons en meilleure santé, nous serons plus productifs, mais personne ne s’en rendra compte et personne ne remerciera qui que ce soit. » En tant que politiciens, c’est le plus grand défi que nous ayons à relever. Comment susciter l’enthousiasme des gens pour quelque chose d’intangible? Comment leur donner envie d’éviter une nouvelle crise avant qu’elle ne se produise? Comment susciter l’enthousiasme des gens à l’idée de changer totalement l’avenir de manière à ce qu’ils se réveillent progressivement dans une société toujours meilleure chaque jour?
Merci, monsieur le ministre.
Monsieur le ministre Holland, j’ai trois questions. Premièrement, combien d’argent prévoit-on investir pendant l’exercice financier en cours pour veiller à ce que les lacunes actuelles en matière de préparation dans les provinces et les territoires soient corrigées? Quel est le montant précis maintenant? Quel montant d’argent est prévu par votre ministère pour le prochain exercice financier?
Deuxièmement, que fera le gouvernement fédéral pour veiller à ce que toutes les provinces se conforment à la loi? Dans le cas des Canadiens vulnérables, l’égalité des droits et les droits garantis par la Charte ont été gravement limités récemment dans ma province, la Saskatchewan.
Enfin, comment le gouvernement peut-il veiller à ce que nous n’ayons pas des régimes d’aide médicale à mourir disparates à l’échelle du pays? Le Canada n’a pas à suivre l’exemple de nos voisins du Sud, où des femmes qui veulent des soins de santé génésique doivent voyager, à leurs propres risques, pour quitter l’État où elles habitent et se rendre dans un État sanctuaire.
Sénateur, je vous remercie beaucoup. Tout d’abord, en ce qui concerne les accords bilatéraux pour travailler ensemble, 34,6 % des montants bilatéraux ciblés sont destinés expressément à la santé mentale et aux dépendances. Il s’agit d’une somme très importante. Si vous examinez les six accords qui ont déjà été conclus — il y en aura d’autres —, je pense que vous pourrez voir les détails exacts sur leur mise en œuvre dans chaque province.
L’un des éléments en ce qui concerne la santé mentale est le fait que les solutions sont vraiment conçues à l’échelle communautaire et que leur mise en œuvre doit être menée à l’échelle communautaire, ce qui signifie que les interventions et les mesures prises seront différentes dans chaque situation.
J’étais justement en Saskatchewan pour rencontrer le ministre Hindley et parler des difficultés qui se posent à Regina, à Saskatoon, ailleurs dans la province, dans le Nord et dans les communautés autochtones. Nous avons besoin de solutions adaptées, surtout dans le domaine de la santé mentale. Le ministre Hindley et moi avons eu une très bonne discussion sur la façon d’aborder la santé mentale et de travailler ensemble et sur l’importance de cette collaboration. Il y a donc des différences concernant l’aide médicale à mourir, c’est indéniable.
Voilà qui nous amène à votre dernier point, qui porte sur l’application disparate de l’aide médicale à mourir. Bien franchement, c’est la même préoccupation que le Centre de toxicomanie et de santé mentale a soulevée, et c’est pourquoi, selon lui, les lignes directrices cliniques sont la voie à suivre pour assurer une cohérence partout au pays. Bien entendu, on commet une infraction criminelle si on enfreint la norme de pratique. On commet une infraction criminelle si on applique de façon inappropriée l’aide médicale à mourir. Toutefois, l’idée d’établir des lignes directrices cliniques me semble intéressante et mérite d’être examinée parce que le Centre de toxicomanie et de santé mentale croit, comme beaucoup d’autres intervenants, qu’elles assureront l’uniformité et élimineront la préoccupation que vous avez au sujet de l’application disparate de l’aide médicale à mourir.
J’ajouterais à cela que le système unitaire de droit pénal dont le Canada est doté entraîne nécessairement une certaine uniformité. Bien que l’aide médicale à mourir soit prodiguée par des professionnels de la santé, elle est réglementée par le Code criminel du Canada. Cela contribue, par définition, à préserver une certaine uniformité. Merci, sénateur Arnot.
Merci. Nous passons maintenant au prochain bloc de 10 minutes, qui sera réparti entre la sénatrice Osler et le sénateur Dagenais.
Messieurs les ministres, je vous remercie tous les deux de votre présence. Monsieur le ministre Holland, ma question comporte trois volets et fera suite à celle du sénateur Ravalia.
Ce soir, nous avons parlé de crises : une crise de la santé mentale et une crise dans le système de santé du Canada, comme en témoigne le fait que 6,5 millions de Canadiens n’ont pas accès à un fournisseur de soins primaires et que des services des urgences ferment partout au pays.
Ma première question est la suivante : la crise du système de santé contribue-t-elle au manque de préparation des provinces et des territoires, qui ne sont pas prêts à recourir à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème de santé invoqué?
Voici ma deuxième question : si tel est le cas, quel est le plan du gouvernement fédéral pour aider chacune de provinces et chacun des territoires à résoudre la crise du système de santé et à atteindre le degré de préaration nécessaire?
Et ma troisième question est la suivante : envisageriez-vous une étude approfondie de notre système de santé pour étayer ce plan?
Merci beaucoup, madame la sénatrice. La crise du système de santé que le Canada et le monde entier traversent contribue-t-elle à notre manque de préparation? Dans une certaine mesure, il est question de la rapidité avec laquelle le programme et la formation peuvent être suivis. Par exemple, pour suivre le programme complet, il faut être sur place, ce qui peut représenter un défi de taille dans certains cas pour les cliniciens, mais je ne dirais pas que c’est le facteur le plus important. Selon moi, le temps est le facteur le plus important.
À la question de savoir si nous avons un plan pour nous sortir de la crise que nous traversons, la réponse est oui, absolument. L’une des choses sur lesquelles je me suis vraiment concentré en tant que ministre de la Santé, c’est de ne pas me contenter d’utiliser la politique du bâton. Je ne vais pas faire comme les partis de l’opposition provinciaux et critiquer ce que font les gouvernements. Je veux plutôt me concentrer sur ce qui fonctionne et créer une course au sommet. Je crois que la transformation des services de santé tient vraiment à cœur à certaines provinces et que ces dernières font des choses extraordinaires.
Avec les 200 milliards de dollars supplémentaires que nous avons consacrés au système de santé, ce n’est plus une question d’argent. En fait, c’est une question de transformation profonde. C’est une question de données. C’est une question de transition vers des modèles de soins privilégiant les équipes. Il s’agit d’abandonner les manières traditionnelles d’aborder les problèmes. Nous devons surmonter la crise.
Nous devons aussi investir profondément en amont. Nos efforts en matière d’assurance dentaire sont incroyablement importants. Notre discussion sur l’assurance-médicaments et le travail que nous avons accompli sur l’achat en gros pour réduire les coûts des médicaments sont très importants. L’allocation canadienne pour enfants et nos efforts en matière de logement — toutes ces mesures sont cruciales parce qu’elles sont liées, comme l’a mentionné la sénatrice Pate, aux déterminants sociaux de la santé.
Je vois clairement que nous travaillons et collaborons tous dans la même direction, et j’ai donc une grande confiance dans la capacité du système de santé à relever le défi.
Pour ce qui est de savoir si je serais favorable à une étude approfondie, je dirais que oui, totalement. Je pense que le Sénat a la chance incroyable de pouvoir prendre plus de temps et de poser des questions que, franchement, je ne peux pas poser. Si j’essaie de réfléchir tout haut sur un sujet quelconque, on dira : « Le ministre libéral de la Santé dit ceci » et soudain : « Juste ciel! » Tandis que vous, en tant que sénatrice, vous avez la possibilité de dire : « Examinons quelque chose de complètement différent » et d’avoir une conversation, sans que tout le monde réagisse de manière exagérée.
Je crois que le Sénat peut se pencher sur la question, l’explorer davantage, mener une étude approfondie et vraiment examiner ce que signifie une transformation en profondeur et à quoi cela ressemble dans le cas de notre système de santé. Nous pourrions poser des questions hypothétiques pour voir ce que ça donne, sans que l’opposition nous prenne en défaut en déclarant que nous ourdissons un quelconque complot machiavélique alors que nous cherchons simplement à vérifier une idée. Le Sénat a un véritable avantage sur ce plan.
J’ai une brève question complémentaire. Je n’ai pas voulu laisser entendre que la crise des soins de santé actuelle est la seule raison derrière le manque de préparation, mais elle y contribue certainement.
Sans révéler quoi que ce soit de confidentiel, lors de vos discussions avec les ministres de la Santé, ceux-ci ont-ils été en mesure de cibler certains facteurs précis, outre ce dont vous avez parlé? Si le système déraille dans leur province, ils auront moins tendance à vouloir participer. Pouvez-vous nous parler de certaines crises précises?
D’une manière générale, madame la sénatrice, ce sont des gens extraordinaires. J’ai l’occasion de travailler avec mes homologues des provinces et des territoires. Cette semaine, j’étais avec plusieurs d’entre eux, et la semaine dernière, j’étais avec plusieurs autres. Nous nous parlons presque tous les jours. Ils appartiennent à des partis politiques différents, mais ce sont des hommes et des femmes extraordinairement déterminés à nous faire avancer sur cette question.
Les défis auxquels notre système de santé est confronté sont d’une telle complexité que, franchement, ils sont un peu écrasants. Si je devais expliquer ce qui se passe actuellement dans le domaine de la santé, il me faudrait 17 heures pour faire le tour de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Toutefois, il existe un esprit de coopération et une compréhension du fait qu’il faut éviter de s’attaquer les uns les autres et de mettre l’accent sur nos différences. Il y a de nombreux domaines où nous pouvons croiser le fer, mais pas en santé. Il nous faut du temps pour résoudre ces questions.
Ma question s’adresse au ministre Virani. Monsieur Virani, je me permets de vous dire que je n’aime pas faire ce qu’on appelle une étude préalable. Un projet de loi qui n’a pas encore été adopté tel que présenté à l’autre endroit, au Québec, on appelle cela « mettre la charrue devant les bœufs ». Je vais donc vous parler de la demande d’exemption du Québec, qui est déjà prêt juridiquement et médicalement et qui n’a pas besoin du délai de trois ans que vous voulez vous accorder.
Comme votre gouvernement n’a pas un historique judiciaire très glorieux sur l’aide médicale à mourir, je voudrais savoir si votre refus d’accéder aux demandes du Québec relève de l’entêtement politique ou s’il est basé sur des opinions de juristes indépendants — dont vous pourriez au moins nous fournir des copies pour nous aider à évaluer votre position.
Merci beaucoup pour votre question, monsieur le sénateur. Je vais dire deux choses, parce qu’il y a deux volets à votre question. Premièrement, le ministre de la Santé du Québec était tout à fait d’accord avec la position des autres ministres de la Santé. Il a affirmé que, en ce qui a trait au volet où la santé mentale serait la seule condition d’admissibilité à l’aide médicale à mourir, il n’est pas prêt, et le système québécois de soins de santé n’est pas prêt non plus.
Quant aux demandes anticipées, certaines inquiétudes ont été soulevées à plusieurs reprises durant les deux dernières semaines par l’Assemblée nationale et le gouvernement du Québec, et le gouvernement fédéral est tout à fait engagé dans cette conversation. Ce que nous avons mentionné à plusieurs reprises à la Chambre des communes, c’est simplement qu’il y a un Code criminel pour tout le Canada. Dès le début, en 2016, lorsque nous avons entamé le processus pour répondre à l’arrêt Carter, nous avons décidé d’agir de façon prudente et avec précaution, sans précipitation, et nous avons décidé de prendre nos responsabilités très au sérieux.
Nous avons procédé dans un cadre national. Le premier volet était le projet de loi C-14 et le deuxième, le projet de loi C-7. Tout cela s’est produit en 2019, 2020 et 2021. Nous allons faire la même chose avec les demandes anticipées. Nous sommes tout à fait au courant que le Québec a déjà pris une position de leadership vis‑à‑vis de son propre projet de loi, qu’il a déjà promulgué, mais il faudra tenir plusieurs autres conversations avant d’aborder les demandes anticipées partout au Canada. Nous sommes d’ailleurs en train d’avoir ces conversations.
Le projet de loi C-62 va reporter l’accès à l’aide médicale à mourir de trois ans pour certaines personnes. Ce délai me rappelle que, malheureusement, dans un passé récent, des personnes visées par cette loi ont déjà choisi de mettre brutalement fin à leurs jours, parce qu’elles n’avaient pas accès à l’aide médicale à mourir. C’est déjà arrivé. Pendant cette période de trois ans — et votre gouvernement déclenchera fort probablement des élections —, j’aimerais savoir comment vous allez expliquer ce délai aux Québécoises et aux Québécois qui auront subi le suicide d’un proche qui n’en pouvait plus d’attendre, car il y a des gens qui n’en peuvent plus d’attendre.
La première chose que j’aimerais dire, c’est que c’est une situation très complexe et délicate. Je comprends la situation de ces gens et j’ai de la compassion pour ce qu’ils sont en train de vivre ou ce qu’ils ont vécu. Je comprends leur souffrance, et il faut soulager cette souffrance. Cependant, il faut toujours être en mesure de protéger les plus vulnérables, et plus particulièrement les gens qui peuvent être victimisés. Par rapport au fait que les conséquences sont si graves et permanentes, il faut être absolument sûrs que les mesure de protection que nous avons mises en place sont en mesure d’être appliquées par les médecins, les infirmières et tous les intervenants du système de santé de façon rigoureuse et respectable.
Merci, monsieur le ministre. Nous passons au dernier bloc de 10 minutes avec le sénateur Dalphond.
Tout d’abord, j’aimerais remercier les deux ministres de leur présence ce soir. Je sais qu’il y a déjà deux heures que la séance du comité plénier a commencé. Je suis bien conscient que je suis le dernier obstacle avant votre départ. Je tenterai de vous poser des questions, mais j’aimerais aussi regarder vers l’avenir. Le sénateur Dagenais a couvert une partie de ce que je voulais vous demander.
On a parlé de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui a conclu qu’il n’y avait pas de consensus médical ni social pour autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir pour une condition de maladie mentale seulement. L’Assemblée nationale du Québec a ensuite modifié la Loi concernant les soins de fin de vie pour exclure spécifiquement l’accès à l’aide médicale à mourir dans le cas où une personne souffre d’une maladie mentale seulement.
Cependant, la commission spéciale avait également recommandé qu’on aille de l’avant avec les demandes anticipées, notamment pour couvrir les cas de personnes qui souffrent de maladies comme l’alzheimer, qui devient un diagnostic irrémédiable et qui, à un moment donné, peut priver la personne de la capacité de choisir une fin digne selon ses critères. La semaine dernière, trois ministres québécois vous ont demandé de réagir à ce sujet et la question du sénateur Dagenais allait en ce sens. Je voudrais ajouter que des sondages ont montré que 85 % des Canadiens — et même une très grande majorité en Alberta — sont d’accord pour dire qu’on devrait autoriser les demandes anticipées dans le cas de maladies irrémédiables comme l’alzheimer.
Est-ce que le gouvernement entend bien les 85 % de Canadiens qui sont prêts, ainsi que les trois ministres québécois et l’Assemblée nationale du Québec qui vous demandent de passer à l’action à ce sujet?
Je vous remercie, monsieur le sénateur. En ce qui concerne les trois ministres dont vous parlez, je suis en discussion avec eux, dont le ministre Simon Jolin-Barrette. Je lui ai mentionné la même chose que ce que j’ai mentionné à la Chambre; c’est une conversation qu’il faut tenir et un aspect qu’il faut aborder, mais il faut le faire avec précaution et il faut bien l’étudier, compte tenu de la complexité du contexte.
Lorsqu’on parle d’une situation où l’on ferait une demande maintenant, mais qu’on pourrait recevoir l’aide médicale seulement dans 20 ans ou même 40 ans pour une situation complètement différente, il y a certaines mesures de sauvegarde qu’il faut mettre en place afin de bien couvrir tous les aspects et toutes les circonstances qui pourraient survenir à l’avenir.
Cela dit, comme je viens de le mentionner au sénateur Dagenais, dès le début en 2016, nous avons toujours procédé dans un cadre national en ce qui concerne le Code criminel, qui s’applique pour tout le Canada. Cet aspect de clarté est vraiment essentiel pour tous les Canadiens, et pas seulement pour les Québécois.
Par ailleurs, je suis tout à fait au courant et j’apprécie le leadership des Québécois dans ce contexte. Le gouvernement fédéral va continuer de s’engager à cet égard.
Ma question s’adresse à M. Holland. Pouvez-vous nous dire si vous êtes actuellement en consultation avec les autres provinces pour d’autres motifs? Êtes-vous prêt à vous engager à discuter avec les ministres provinciaux d’une approche nationale — pour reprendre vos mots — en matière de demandes anticipées?
Absolument. C’est un enjeu vraiment complexe; avec l’Alzheimer par exemple, c’est une situation vraiment difficile. Par exemple, dans une situation où quelqu’un serait atteint de démence, il pourrait arriver qu’il y ait un membre de la famille qui serait prêt pour l’aide médicale à mourir, mais qu’un autre membre de la famille ne le soit pas. La personne souffrant de démence ne serait plus en mesure d’expliquer son choix et sa position, et ce serait aux médecins ou au système de santé de trouver une solution. C’est vraiment complexe comme situation.
Je comprends tout à fait les raisons pour lesquelles il y a beaucoup d’appui pour les demandes anticipées, parce qu’il y a beaucoup de personnes, pas seulement au Québec, mais partout au pays, qui veulent avoir accès à une telle option. On va continuer de discuter de la question des demandes anticipées avec les provinces et les territoires, tout en continuant de discuter également des enjeux liés à la maladie mentale. On va poursuivre les discussions.
J’aurais une dernière question pour le ministre de la Justice. Au Québec, certaines personnes ont déclaré dans les médias, y compris des politiciens, des politiciennes et des professeurs de droit constitutionnel, que le Québec pourrait aller de l’avant avec les demandes anticipées même si le Code criminel n’était pas modifié, parce qu’au fond, ce n’était pas nécessaire de modifier le Code criminel. Êtes-vous d’accord, monsieur le ministre, avec la position de ces professeurs de droit constitutionnel et avec d’autres qui sont d’avis qu’on n’a pas besoin de modifier le Code criminel pour autoriser les demandes anticipées au Québec?
Merci beaucoup de votre question. Ce que je peux dire, c’est qu’effectivement, comme je l’ai mentionné plus tôt, le fait que l’aide médicale à mourir est livrée par le système de santé de chaque province... En fait, tout cela est géré par une loi qui s’appelle le Code criminel du Canada.
Je vais poursuivre en anglais. En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, dès le début, en 2016, nous avons inscrit une exception dans le Code criminel concernant l’interdiction de causer la mort d’une personne ou les accusations de meurtre. Il est très important que les mesures qui sont prises dans l’ensemble du pays tiennent compte du contexte entourant le Code criminel du Canada. Je dirais qu’il y a des préoccupations au sujet des demandes anticipées. Nous en sommes conscients. Un groupe d’experts a été mis sur pied pour étudier la question, et nous avons examiné les résultats de cette étude. Nous nous penchons sur la proposition du Québec, mais, depuis le début, nous avons toujours tâché de faire preuve de prudence, d’assurer un équilibre entre l’autonomie et la dignité de la personne, et de mettre en place des mesures de sauvegarde pour protéger les personnes qui pourraient devenir des victimes.
Donc, si le Québec allait de l’avant sans que le Code criminel ait été modifié, le gouvernement fédéral pourrait considérer que c’est inconstitutionnel?
Je ne vais pas spéculer sur ce que le gouvernement du Québec pourrait faire à l’avenir, sénateur Dalphond. Ce que je peux vous dire, c’est que la discussion au sujet des directives anticipées est bien amorcée. Il est question ici de la maladie mentale.
J’aimerais souligner que nous avons déjà répondu à la volonté du gouvernement québécois concernant le fait qu’il ne faut pas que la maladie mentale soit la seule condition à l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Nous sommes tout à fait à l’écoute de ce contexte et nous allons poursuivre la conversation pour ce qui est de l’autre situation. Merci.
Merci beaucoup, messieurs les ministres.
Honorables sénateurs, le comité siège depuis maintenant 130 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligée d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.
Messieurs les ministres, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier les fonctionnaires de vos ministères.
Des voix : Bravo!
La présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que les témoins ont été entendus?
Des voix : D’accord.
Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.