Le décès du très honorable Brian Mulroney, c.p., C.C., G.O.Q.
Interpellation--Suite du débat
8 mai 2024
Honorables sénateurs, c’est un honneur et un privilège de parler aujourd’hui du très honorable Brian Mulroney. Deux mois et demi se sont écoulés depuis son décès; j’ai donc eu le temps de lui rendre hommage lors de sa chapelle ardente et d’écouter et de regarder ceux qui le connaissaient bien, ainsi que les Canadiens qui voulaient simplement lui rendre hommage à Ottawa et à Montréal.
Si je parle aujourd’hui de M. Mulroney, c’est parce qu’il a eu une forte et puissante influence sur moi, et sur tant d’autres, pendant les années formatrices de ma vie, une influence qui me marque encore aujourd’hui.
Revenons d’abord en arrière. Il y a 40 ans, en 1984, quel âge aviez-vous? Que faisiez-vous? Dans mon cas, c’était la deuxième fois que je votais, mais c’était la première fois que je portais vraiment attention aux programmes des partis et que je commençais à respecter le processus électoral. Je venais de terminer mes études supérieures. J’entamais ma vie d’adulte et ma vie professionnelle et je devais faire face à de nombreux changements.
En juillet 1984, lors d’un débat télévisé avec John Turner, M. Mulroney a attiré mon attention. En partie en raison de son charisme et en partie en raison de son assurance, j’ai été séduite par ses réponses ambitieuses sur sa vue d’ensemble et par ses références au fait d’être à la tête du Canada et à son ambition d’exercer une forte influence au niveau mondial. Je me souviens aussi très bien d’un moment où M. Turner a tenté d’ébranler un peu M. Mulroney au sujet des nominations politiques et, à ce moment‑là, j’ai vu M. Mulroney renverser la situation avec facilité et tact au détriment de son opposant.
La popularité de M. Mulroney a semblé être en forte augmentation pendant tout le mois d’août. Je lisais ce que je pouvais dans les médias, et par là je veux dire les journaux. J’en ai appris sur sa vie dans la petite ville isolée de Baie-Comeau, et que ses parents étaient des Canadiens catholiques d’origine irlandaise.
Au fil des jours menant aux élections, j’ai aussi appris qu’il éprouvait une reconnaissance et un amour profonds à l’égard de son épouse et meilleure amie. J’admirais vraiment le fait que Brian et Mila semblaient former une équipe autant pendant la campagne que pendant son mandat. Je pense que c’est la seule fois de ma vie — je ne sais pas s’il s’agissait d’une infraction au protocole — que j’ai vu des macarons de campagne avec la photo du candidat accompagné de son épouse. Ils ont été inséparables pendant toute la campagne, ce que j’ai trouvé impressionnant lorsque j’ai fondé ma propre famille.
C’était le 4 septembre; je me souviens de cette matinée comme si c’était hier. J’étais dans la mi-vingtaine, et c’était mon premier jour dans mon nouvel appartement — un loyer faramineux de 400 $ pour deux chambres à coucher — dans une nouvelle ville, entamant un nouvel emploi, sans voiture et avec seulement une bicyclette. J’étais fiancée à mon mari actuel, et nous allions nous marier cinq semaines plus tard, afin de mener une nouvelle vie ensemble. Ce jour-là, le 4 septembre, le premier jour de mon entrée en fonction, j’ai voté pour M. Brian Mulroney. Oui, j’ai voté pour les conservateurs. J’ai eu l’impression que c’était le leadership dont le Canada avait besoin à ce moment-là. C’était la personnalité dont le Canada avait besoin.
De nombreux aspects de la vie et de la carrière de M. Mulroney ont été bien soulignés au cours des derniers mois; il a été avocat spécialisé en droit du travail, chef d’entreprise, chef du Parti progressiste-conservateur, premier ministre et homme de famille. On nous a rappelé beaucoup de moments de sa vie, et une jeune génération de Canadiens a commencé à en apprendre beaucoup sur lui.
À titre de premier ministre, M. Mulroney a laissé un héritage dans les domaines des programmes sociaux, de la privatisation, de l’énergie et de l’environnement — et il a tenté une réforme constitutionnelle —, mais, pour moi, son travail en politique étrangère est ce qui restera gravé dans nos mémoires. Sa relation avec le président américain Ronald Reagan, avec qui il partageait des origines irlandaises, lui a été utile, et son désir profond de développer des relations solides à l’échelle mondiale a bien servi le Canada.
En ce qui me concerne, son travail avec l’Afrique du Sud pour éliminer l’apartheid reste gravé dans ma mémoire. C’est une danse politique que j’ai suivie avec intérêt. C’est là que j’ai appris beaucoup de choses sur le Commonwealth et sur l’importance du Commonwealth à ce moment de l’histoire. M. Mulroney a travaillé sans relâche au sein du Commonwealth pour sanctionner le gouvernement sud-africain, tenter de mettre fin à l’apartheid et obtenir la libération de Nelson Mandela.
Il ne jouissait pas de l’appui de Margaret Thatcher, et on nous a dit qu’il s’agissait de rencontres en personne difficiles. Il ne jouissait pas non plus clairement de l’appui du président américain. Toutefois, M. Mulroney s’est attaqué au problème sous tous les angles. Son leadership au sein des Nations unies, du Commonwealth et du G7 a joué un rôle déterminant dans la fin de l’apartheid.
Son leadership reposait sur l’exploitation des relations personnelles et sur sa présence dans la salle. Ce n’est pas pour rien que la première visite à l’étranger de Nelson Mandela après sa libération a été faite au Parlement canadien.
Dix ans plus tard, en 1994, les Jeux du Commonwealth sont organisés par le Canada à Victoria, en Colombie-Britannique. C’est la première fois que je participe à des jeux multisports en tant qu’entraîneuse — j’ai une grande équipe qui participe à beaucoup d’activités. C’est le jour de la cérémonie d’ouverture. Les cérémonies d’ouverture sont spéciales en toutes circonstances, surtout à domicile; toutefois, elles prennent beaucoup de temps, généralement au moins 6 à 8 heures, voire 10 heures, du début à la fin. Il est donc important de faire vite et d’attendre, de prendre son temps et de faire preuve de patience.
Alors que nous nous préparions à défiler, nous avons entendu beaucoup de bruit, de chants et de slogans derrière nous. C’était l’Afrique du Sud qui faisait la fête et se réjouissait d’être de retour au sein du Commonwealth. Le peuple de Mandela était présent et partageait l’enthousiasme général. Nos athlètes ne savaient pas vraiment pourquoi il y avait tant d’agitation. Ils commençaient un peu à s’impatienter et voulaient que le défilé se mette en branle.
J’ai rapidement rassemblé une trentaine d’entre eux autour de moi, j’ai fait une pause et j’ai dit : « Savez-vous ce qui est en train de se passer? Savez-vous pourquoi ce moment est important? Savez-vous que vous vivez un moment historique? » C’étaient des athlètes. Ils étaient concentrés sur leur sport. Ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait. Je me souviens d’avoir dit :
Les Jeux du Commonwealth vous laisseront de nombreux souvenirs. Certains sur le terrain, d’autres en dehors. Aujourd’hui, vous entrerez dans le stade Victoria aux côtés de l’Afrique du Sud. Ce pays revient dans le giron du Commonwealth après avoir connu des années d’apartheid. Ce défilé est pour ce pays, pour sa liberté. C’est sa première manifestation en dehors de l’Afrique du Sud. N’oubliez pas de saluer les athlètes. Vous connaissez les couleurs du maillot de l’équipe sud-africaine. En dehors des compétitions, regardez‑les droit dans les yeux, présentez-vous et faites tout votre possible pour qu’ils se sentent les bienvenus.
Trente ans plus tard — bon nombre d’entre vous se souviendront sans doute qu’il y a une dizaine de jours, on célébrait un moment marquant, le 30e anniversaire de la liberté en Afrique du Sud —, deux de ces athlètes, aujourd’hui quinquagénaires, m’ont envoyé un courriel qui disait ceci :
Bonjour, coach Deac. Je viens de voir dans les médias sociaux que l’Afrique du Sud célèbre ses trente ans de liberté. Jamais je n’oublierai ce que vous nous avez dit à notre petit groupe avant la cérémonie d’ouverture à Victoria. Nous comprenons certainement l’importance de ce moment maintenant.
C’est en grande partie grâce à la détermination de notre ancien premier ministre que nous avons vécu ce moment.
Afin de boucler la boucle, en août dernier, j’ai été ravie de me joindre à ma collègue, la sénatrice Coyle, à son domicile d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, lequel offre une vue magnifique sur l’Université St. Francis Xavier. Il suffit de traverser la rue et on y est. Il n’y a pas si longtemps, alors qu’il assistait à un match de football, M. Mulroney a eu la vision d’un pavillon qui serait son héritage, un endroit inspirant où les étudiants de premier cycle universitaire en apprendraient davantage sur des enjeux, des politiques, ainsi que la participation citoyenne tout en cherchant à jouer un rôle de chef de file dans les domaines des politiques publiques et de la gouvernance.
Ce pavillon inauguré en 2018 a quelque chose de vraiment extraordinaire : c’est la réplique exacte, comme dans un musée, du bureau qu’avait M. Mulroney à Ottawa. C’est une réplique fidèle allant jusqu’au mobilier, sa disposition dans la pièce, et même l’éclairage. Sincèrement, on a l’impression que le premier ministre vient de quitter la pièce. C’est un merveilleux héritage en matière d’apprentissage pour les Canadiens.
Je vous parle de l’impact qu’a eu un premier ministre sur une personne à un moment donné. Selon moi, ce fut aussi le début de mon intérêt pour la politique fédérale, pour les structures conçues pour faire du Canada ce qu’il y a de mieux. Surtout, la valeur accordée aux relations, indépendamment de l’appartenance politique, et la capacité à nouer des liens, à respecter, à écouter et à œuvrer pour un compromis entre tous sont des compétences dont nous avons besoin plus que jamais. J’ai vu et apprécié ces compétences pendant les années Mulroney.
Aujourd’hui, j’ai l’honneur de siéger en gardant ces leçons à l’esprit. Ma gratitude va au très honorable Brian Mulroney et à sa famille.
Je vous remercie. Meegwetch.