Le Code canadien du travail—Le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
17 juin 2024
Propose que le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai l’honneur et le privilège d’être la marraine au Sénat du projet de loi. Le moment est historique, et je suis heureuse d’en faire partie, de proposer la troisième lecture et de lancer le débat à cette étape.
Le débat porte sur le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles. Ce projet de loi vise à instaurer un régime d’équilibre en ce qui concerne l’interdiction de recourir aux travailleurs de remplacement durant une grève ou un lock-out dans les industries sous réglementation fédérale. De plus, il prévoit une disposition qui régit le moment opportun et les étapes à respecter pour conclure une entente relative au maintien des activités et la prise de décisions par le Conseil canadien des relations industrielles, ce qui aurait une incidence sur la nature du travail à maintenir pendant une grève.
En deuxième lecture, j’ai eu l’occasion de m’expliquer davantage, mais je vais vous rappeler à qui ce projet de loi fait référence. Il fait référence aux organisations du secteur privé de compétence fédérale visées aux parties I, II, III et IV du Code canadien du travail. Il existe des exemples plus détaillés que celui‑ci, mais en voici quelques-uns qui vous aideront à comprendre de qui nous parlons : le transport aérien, les banques, les services portuaires, les chemins de fer, la radiodiffusion et la télédiffusion, les services de transport routier, les systèmes de télécommunication, certains organismes de gouvernance des Premières Nations et un certain nombre de secteurs, tous sous réglementation fédérale. La distinction à faire est que les lieux de travail sous réglementation provinciale régis, entre autres, par la Loi sur les normes d’emploi et les règlements du code du travail — au provincial — sont des secteurs sous réglementation fédérale. Le projet de loi n’inclut pas les lieux de travail fédéraux régis par une mesure législative différente que le Code canadien du travail. La fonction publique fédérale ou le Parlement sont de bons exemples de ce qui n’est pas touché.
En ce qui concerne les débats sur ce projet de loi à la Chambre des communes — et j’en ai parlé également à l’étape de la deuxième lecture —, il y a eu adoption à l’unanimité à l’étape de la deuxième lecture, après l’étude en comité et à l’étape de la troisième lecture. Deux ou trois amendements ont été apportés à la Chambre des communes, mais, au bout du compte, le comité a adopté le projet de loi à l’unanimité, tout comme la Chambre des communes. Ici, au Sénat, le projet de loi a été adopté à l’étape de la deuxième lecture, et il a été adopté par le comité, encore une fois, sans aucun amendement. Nous en sommes au débat à l’étape de la troisième lecture.
Pendant les audiences du comité, nous avons pris connaissance, que ce soit dans le cadre de témoignages directs ou par des mémoires, de l’avis d’employeurs, d’associations patronales, de syndicats et de centrales syndicales, comme le Congrès du travail du Canada. Nous avons pris connaissance de l’avis d’universitaires, du Conseil canadien des relations industrielles et d’organismes, d’organismes directement touchés, mais connexes. Dans un instant, je parlerai de la Fédération canadienne de l’agriculture et des préoccupations qu’elle a soulevées.
Je tiens à souligner quelques-unes des préoccupations soulevées par des employeurs. Encore une fois, si vous vous souvenez de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai beaucoup parlé du fait que les opinions sont très partagées. Il n’y a pas beaucoup de place pour un terrain d’entente entre les groupes de défense d’intérêts, sauf que les gens pensent que les dispositions ont été mises en place en prévision du processus de détermination concernant les ententes de maintien des activités, du processus de détermination par la voie de la négociation entre les parties à l’entente, ou du renvoi du différend au Conseil canadien des relations industrielles pour fins d’enquête, d’adjudication et de déclaration. Ce n’est pas vraiment controversé. Ce qui l’est, c’est la question fondamentale d’interdire ou non les travailleurs de remplacement.
Chers collègues, c’est une question d’équilibre. C’est aussi simple que cela. Il est évident que les parties ont une opinion différente de ce qui constitue un régime équilibré. Pour la plupart, les employeurs estiment que le Code canadien du travail, tel qu’il est à l’heure actuelle, représente un juste équilibre, tandis que les syndicats disent depuis des années que ce régime est injuste, qu’il impose des restrictions aux travailleurs et qu’il brime leur droit effectif de faire la grève. Il est réellement impossible de concilier ces deux points de vue.
J’aimerais souligner quelques-unes des préoccupations qui ont été portées à l’attention du comité. Je tiens à ce que les gens sachent que leur voix a été entendue et que les problèmes qu’ils ont exposés ont été pris en considération. Je vais parler d’une observation que le comité a annexée au rapport, mais en fin de compte, le comité a adopté le projet de loi sans amendement.
Permettez-moi d’évoquer brièvement certaines des préoccupations des employeurs. L’une des choses que nous avons entendues très précisément, c’est que les employeurs s’inquiétaient de la capacité du Conseil canadien des relations industrielles à mettre en œuvre ce projet de loi dans les 12 mois suivant la sanction royale, c’est-à-dire au moment où la loi entrerait en vigueur. Le projet de loi initial prévoyait un délai de 18 mois, qui a été amendé à 12 mois par la Chambre des communes, et la communauté des employeurs estime que cela pose problème. Elle s’appuie sur les déclarations faites par le ministre lors de la présentation du projet de loi pour défendre le délai de 18 mois, à savoir qu’il s’agit du temps nécessaire pour mettre en place les systèmes requis au Conseil pour traiter les plaintes, les renvois, les décisions d’arbitrage et les décisions sur déclaration.
Au comité de la Chambre des communes, le Bloc québécois a présenté des amendements visant à raccourcir cette période, et je pense que le cheminement du projet de loi a été compris différemment dans cette province en raison du fait qu’elle dispose d’une législation similaire depuis 1977. L’idée qu’il y ait là un défi en ce qui concerne la mise en œuvre n’a pas reçu autant d’importance, et l’on pensait que le délai pourrait être plus court. Les syndicats ont également demandé qu’il soit beaucoup plus court. Ils demandaient que la loi entre en vigueur dès la sanction royale.
Le ministre a communiqué à nouveau avec le CCRI pour lui faire part de ces différents points de vue et lui demander s’il était possible de raccourcir le délai. D’après les discussions que nous avons eues en comité, je sais que le CCRI a clairement dit qu’il pouvait le faire, mais seulement s’il obtenait plus de ressources. Il doit engager plus d’employés, de présidents et de vice-présidents. Il doit assurer leur formation, et ces formations doivent être mises en œuvre à l’aide des systèmes dont il dispose déjà pour les ententes de maintien des activités, ce qui fait partie du régime actuel.
Toutefois, cela fixe des délais différents et impose des cadres différents. On s’attend à ce que les premières rondes de négociation avec les diverses unités de négociation et les employeurs mettent la loi quelque peu à l’épreuve, ce qui pourrait entraîner une augmentation du volume de travail. À l’heure actuelle, le CCRI est également confronté à un arriéré. Le CCRI a dit : « Voici les ressources dont nous avons besoin. » Le ministre s’est engagé publiquement à fournir ces ressources en acceptant d’appuyer l’amendement étudié en comité à la Chambre des communes, qui vise à réduire le délai à 12 mois.
Bien que l’on craigne un peu que ces ressources ne soient pas fournies, je tiens à souligner que le gouvernement a prévu des ressources pour la mise en œuvre du projet de loi C-58 dans le budget de cette année et dans celui de l’année dernière. Il y a donc eu une certaine planification à cet égard, et on me dit que des discussions sont en cours entre les ministères et le CCRI en ce moment même concernant la forme exacte des ressources à venir.
Les employeurs pensent aussi que cette mesure législative devrait faire l’objet d’un examen. Ils jugent que le système actuel est équilibré, que cette mesure entraînerait un déséquilibre. Ils veulent un examen — je ne parlerai pas pour les autres membres du comité, même si aucun amendement n’a été présenté à ce sujet —, mais mon problème, avec cet argument, c’est que dans les négociations collectives, les ententes ne sont généralement pas conclues pour un ou deux ans. Elles visent souvent une plus longue période et surviennent à divers moments. Il faut donc un certain temps pour recueillir suffisamment de données ou de preuves utiles pour effectuer une analyse de l’incidence de cette mesure législative, et les employeurs demandent un examen quinquennal.
À mon avis, ce n’est pas assez long pour évaluer cette mesure législative et en comprendre les incidences, le cas échéant. Je vais parler dans un instant de ce que les universitaires nous ont dit — ils s’attendent à une très faible incidence —, mais je crois que nous devrions tous appuyer la tenue d’un examen à un moment approprié. Je dirais, non sans ironie, que ce n’est pas parce qu’une chose est inscrite dans la loi qu’elle va avoir lieu au moment opportun, et cela peu importe le parti au pouvoir. C’est tout simplement ainsi que fonctionne le processus parlementaire.
La question que nous devions nous poser était la suivante : « L’équilibre proposé dans la mesure législative — le nouveau rééquilibrage ou l’entrée en vigueur de ce que le mouvement syndical considèrerait comme une question fondamentale d’équité — est-il le bon? »
Par exemple, nous avons entendu la Fédération canadienne de l’agriculture, et j’ai trouvé que sa présentation était très sincère et importante. Ses représentants ont parlé des mesures de protection, des dispositions et des exemptions pour le transport du grain en vrac, mais d’autres produits maraîchers ne sont pas exemptés. Je pense que la fédération croit de façon générale que le grain en vrac devrait être exempté, bien qu’il ne l’ait jamais été, mais le projet de loi ne prévoit rien à ce sujet.
Ce qui préoccupe la fédération, c’est l’expédition de ses marchandises. De nombreuses associations de fabricants s’inquiètent du transport. Les Manufacturiers et Exportateurs du Canada ont soulevé cette question. Par exemple, les chemins de fer, qui constituent un moyen de transport essentiel pour les produits agricoles, seront visés par le projet de loi. Je vous demande d’examiner les négociations qui ont eu lieu avec ces intervenants, les compagnies ferroviaires et leurs syndicats, au fil des ans.
À l’échelon fédéral, notre système de relations de travail est bien rodé. Il existe depuis longtemps. Nous pouvons compter sur un processus de conciliation et de médiation très efficace et fructueux. La grande majorité des différends sont réglés à la table de négociation, comme il se doit. Quatre-vingt-quatorze pour cent des différends qui passent à l’étape subséquente du litige et qui nécessitent les services de conciliation et de médiation se concluent par une entente. Cela représente un petit nombre. Je tiens à vous faire remarquer que, en général, les gouvernements prêtent attention lorsque des secteurs du marché du travail affirment, dans un sens ou dans l’autre, qu’il y a un problème et que le gouvernement doit intervenir — que ce soit par l’intermédiaire du Conseil canadien des relations industrielles ou d’un appel au gouvernement.
Ceux d’entre vous qui sont ici depuis quelques années — je ne suis ici que depuis huit ans, mais j’ai participé à deux débats sur une loi de retour au travail : le port de Montréal et Postes Canada — savent que ce recours est le gros bout du bâton pour les gouvernements. Les gouvernements doivent respecter des critères afin de veiller à ce que tout projet de loi de retour au travail soit conforme à la Constitution. Nous sommes nombreux à avoir des opinions différentes sur la question de savoir si ces deux cas satisfaisaient aux critères, mais le gouvernement a ce pouvoir. Comme je l’ai observé au fil des ans, les deux Chambres du Parlement ont tendance à suivre la position du gouvernement pour tout projet de loi de retour au travail. Donc, le gros bout du bâton, c’est ce pouvoir.
Ce n’est pas que les préoccupations soulevées ne sont pas raisonnables — elles le sont, et c’est pourquoi je tiens à ce qu’elles soient consignées au compte rendu — mais il y a des mécanismes dans le système et le droit actuels en ce qui concerne l’accord de maintien des activités et le pouvoir ultime du gouvernement de recourir à une loi forçant le retour au travail, lorsqu’il estime que les conditions pour le faire sont réunies.
Une grande entreprise de télécommunications nous a également fait parvenir un mémoire dans lequel elle indiquait qu’afin de maintenir des services de télécommunications essentiels, elle souhaitait que le projet de loi prévoie une exemption ou supprime une interdiction dans les exemptions, afin qu’elle puisse transférer des employés n’appartenant pas à l’unité de négociation d’un endroit à l’autre. Les arguments que nous avons reçus du syndicat impliqué dans cette affaire après les travaux du comité — ils ne nous sont parvenus que ces derniers jours — réfutaient efficacement cet argument.
Je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails de ce qu’ils ont dit. Je voudrais plutôt revenir sur une citation de la Cour suprême du Canada que je vous ai lue lors du débat en deuxième lecture. En 2015, la Cour suprême du Canada a affirmé que les dispositions relatives à la liberté d’association de la Charte canadienne des droits et libertés protègent le droit de grève. Dans le texte de la décision de la Cour suprême, la juge Abella, qui a rendu la décision, écrit :
L’histoire, la jurisprudence et les obligations internationales du Canada confirment que, dans notre régime de relations de travail, le droit de grève constitue un élément essentiel d’un processus véritable de négociation collective.
Elle a ensuite cité Otto Kahn-Freund et Bob Hepple, qui ont dit ceci :
Le pouvoir des travailleurs de cesser le travail équivaut à celui de la direction de cesser la production, de la réorienter, de la déplacer.
Je veux que vous vous souveniez de ces mots. Cela s’inscrit dans le cadre des pouvoirs opérationnels actuels de l’employeur. Ce que le syndicat veut dire à ce sujet, c’est que si cette manœuvre est utilisée pour déplacer des cadres ou des travailleurs de remplacement pendant la grève, cela porte atteinte au droit de grève.
Cette citation se poursuit ainsi :
Le régime juridique qui supprime la liberté de grève met les salariés à la merci de l’employeur. Là réside tout simplement l’essentiel.
Permettre à un employeur de déplacer tout simplement, de son propre chef, des employés d’un lieu de travail à un autre — et je sais que la plupart d’entre nous pensent d’abord à d’autres lieux au Canada, à juste titre — porte fondamentalement atteinte au droit de grève, qui est garanti par l’article 15 de la Charte et par l’article qui traite de la liberté d’association. Il faut concrétiser ces droits, et on ne peut pas, par un amendement à la loi, y porter atteinte.
J’ai dit qu’on peut probablement penser à des lieux de travail au Canada. Je connais une situation où, avant un lock-out, un employeur a transféré une grande partie du travail à un centre d’appels à l’étranger, allant ainsi complètement à l’encontre du droit de grève, et une situation où on a eu recours à des travailleurs de remplacement au pays.
Ce sont des cas qui sont inacceptables, mais je ne voudrais surtout pas mettre tous les employeurs dans le même panier. D’ailleurs, comme je l’ai dit, il y a un cadre de relations de travail très bien rodé dans les secteurs sous réglementation fédérale. Cependant, le recours à des travailleurs de remplacement mine le droit de grève, et ce projet de loi propose le rééquilibrage dont j’ai parlé, mais il vise aussi à rendre enfin les choses plus équitables.
J’aimerais parler brièvement de quelques autres exemples de ce qui se produit actuellement dans des secteurs sous réglementation fédérale, car ils montrent pourquoi ce projet de loi est si important. Parlons un instant du Port de Québec. Les ports sont sous réglementation fédérale, et ces travailleurs sont sans travail depuis 20 mois; c’est beaucoup de temps. Pensons à ces gens, à leur famille, à leurs concitoyens, à ces collectivités où le pouvoir d’achat est limité, où les gens ont du mal à subvenir aux besoins de leur famille et doivent décider, compte tenu des circonstances, s’ils quitteront un emploi qu’ils ont occupé longtemps. Ce sont des travailleurs de remplacement qui permettent de garder ce port ouvert. C’est un exemple qui montre pourquoi ce projet de loi est nécessaire.
Permettez-moi de parler des travailleurs de Vidéotron. Voilà sept mois qu’ils sont — pas en grève, chers collègues — en lock-out. J’ai pu rencontrer certains des travailleurs de Vidéotron qui sont venus observer la façon dont le comité traite cette question. Je ne me souviens pas de tous leurs noms, mais je me souviens d’une femme en particulier — France — parce que nous portons le même nom. Elle travaille là depuis des dizaines et des dizaines d’années. L’employeur l’a mise en lock-out. Il a fait appel à des travailleurs de remplacement et ses activités se déroulent normalement. France est à six mois de la retraite, et il est possible qu’elle ne retourne jamais occuper son poste. Tout cela a une incidence sur sa capacité actuelle à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, mais aussi sur son avenir. Cela me fend le cœur.
Je l’ai déjà dit : la dernière chose que les travailleurs souhaitent, c’est de se faire la grève. Dans le cas présent, ils ne sont pas en grève : ils ont été mis en lock-out. Avant ce lock-out, on a délibérément planifié le déplacement des ressources dans d’autres secteurs pour permettre à l’employeur, je présume, de faire craquer le syndicat. Je n’ai de preuves et je ne veux pas dénigrer qui que ce soit, mais c’est l’impression que cela donne. Si ça cancane comme un canard et si ça nage comme un canard, c’est probablement un canard. D’après mon expérience des relations de travail, cela m’a tout l’air d’être le cas. Ce projet de loi est important.
Je vais parler un instant du rapport du comité et du choix qu’il a fait d’ajouter une observation en annexe. Il y est question des ressources nécessaires pour permettre au Conseil canadien des relations industrielles de respecter les exigences créées par la mesure législative dans les meilleurs délais, étant donné que l’entrée en vigueur est prévue 12 mois après l’obtention de la sanction royale.
Voici donc l’observation du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur le projet de loi C-58 :
Votre comité a reçu des témoignages concernant les responsabilités élargies proposées pour le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), telle que l’exigence de résolution rapide des plaintes liées à l’utilisation interdite des travailleurs de remplacement. Votre comité a été informé que, par conséquent, le Conseil aura besoin de ressources supplémentaires (sous forme de personnel, de vice-présidents et de financement) pour pouvoir faire face efficacement à l’augmentation de la charge de travail créée par le projet de loi, en particulier parce que certaines de ses dispositions stipulent des délais spécifiques pour le tranchement des questions. Les témoins ont exprimé des préoccupations selon lesquelles, sans un financement adéquat et un accès rapide à davantage de ressources humaines, le Conseil pourrait faire face à des retards, ce qui pourrait entraîner des interruptions de service prolongées dans des secteurs critiques.
Votre comité recommande donc que le gouvernement du Canada assure un financement adéquat et constant pour le Conseil, pour que le Conseil puisse remplir efficacement ses responsabilités élargies et assurer la résolution rapide des conflits de travail. Votre comité recommande également que le gouvernement du Canada évalue et ajuste les montants du financement régulièrement en prenant en compte la charge de travail du Conseil.
Comme je l’ai dit, nous avons entendu directement l’avis des personnes qui représentaient le conseil, et elles ont assuré publiquement, sans hésitation, qu’elles peuvent le faire en 12 mois si elles reçoivent les ressources nécessaires. J’ai fait remarquer que l’argent et les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de ce projet de loi ont été inclus dans les deux derniers budgets, ce qui explique pourquoi le comité présente cette observation. Et encore une fois, l’observation a été appuyée par tous les membres du comité. Les sénateurs de tous les groupes reconnus y étaient favorables, c’est pourquoi elle a été incluse.
Je tiens aussi à mentionner brièvement que plusieurs universitaires se sont également présentés devant le comité. Sans entrer dans les détails des types de recherche qui existent, je pense que nous connaissons tous des organismes qui présentent des travaux de recherche de défense des intérêts, et je le dis avec respect. J’ai fait des travaux de recherche pour la défense des intérêts dans ma carrière. Il s’agit de travaux de recherche menés avec une prémisse qui sera appuyée ou non par les résultats, et non de travaux de recherche universitaires rigoureux, qui sont une tout autre paire de manches.
Nous avons notamment entendu un universitaire qui vient, je crois, de l’Université de Montréal et qui a collaboré avec quelqu’un de l’Université de Toronto. Ses travaux de recherche se sont étalés sur 40 ans. Il a examiné toute une gamme de politiques du travail antérieures à 1992 et postérieures à 1992. Je ne parle pas seulement des politiques sur les travailleurs de remplacement — même si c’est l’une des choses qui ont été abordées —, mais toute une gamme de politiques du travail. Il a tenté de déterminer, encore une fois, sur la base de données probantes, quelles sont les répercussions de ces diverses politiques du travail. Il s’agit d’une étude qui a fait l’objet de recherches approfondies, qui a été examinée par des pairs et qui a été publiée dans la revue Industrial Relations de Berkeley, l’une des revues de recherche en relations de travail les plus réputées. Elle est donc crédible.
En fin de compte, l’étude n’a pas permis de trouver de preuves statistiquement pertinentes montrant que l’une ou l’autre de ces politiques a eu en soi une incidence sur la fréquence ou la durée des arrêts de travail. Ce sont les deux choses qui inquiètent le plus les gens : y aura-t-il d’autres grèves? Seront-elles plus longues à cause de ce projet de loi?
Les travaux universitaires qui ont été faits, même en ce qui concerne certains des éléments de la défense des intérêts, ne permettent pas d’établir clairement des arguments qui peuvent être présentés et sont un peu sélectifs. Certaines questions relèvent des provinces et beaucoup remontent à la période d’avant la COVID. Nous savons que les choses ont beaucoup changé depuis. Cela n’a pas eu le même poids, pour moi, en tant que membre du comité, que cet article publié dans une revue académique. Il me semble logique qu’un seul changement de politique, encore une fois, dans un pays doté d’un cadre de relations de travail très bien rodé, ait un impact énorme en soi.
Si vous examinez la fréquence des grèves, vous verrez qu’elle dépend bien plus des éléments de l’économie auxquels nous sommes confrontés. L’inflation croissante entraîne une diminution de la valeur des chèques de paie des travailleurs. On observe des tentatives à la table des négociations pour influer sur ce phénomène et augmenter les salaires, et on voit apparaître davantage de conflits pendant ces périodes. Ce n’est pas le seul exemple, mais de nombreux facteurs externes entrent en jeu et déterminent à la fois la fréquence et la durée des conflits.
Chers collègues, l’objectif était de vous donner un aperçu de ce qui s’est passé en comité afin que vous compreniez les arguments avancés. Il s’agit d’un moment historique. Vous pourrez prendre part à un vote ce soir. Il s’agit d’un développement évolutif historique dans le monde des relations de travail du secteur industriel sous réglementation fédérale.
Les syndicats ont fait valoir à maintes reprises qu’ils réclament un projet de loi comme celui-là depuis l’époque où le Canada n’était pas encore le Canada. Pensez-y un instant. Je pourrais vous présenter toutes sortes de descriptions historiques de grèves ou de lockouts qui sont survenus à l’époque où les employeurs faisaient appel à Pinkerton pour que ses agents viennent imposer, par la force, le point de vue de l’employeur. Je ne dis pas que tous les employeurs sont du même acabit, je le rappelle.
Le mouvement syndical, les syndiqués, les familles et les collectivités ont tous ressenti, pendant des années, les effets de ce déséquilibre dans les relations de travail, et ils se sont aussi battus pendant des années pour une mesure comme celle dont nous parlons. Je me sens donc fier, honoré et touché d’être ici et de participer à ce moment. J’espère que ressentez le poids historique du vote auquel nous nous apprêtons à participer et de ce qu’il représente pour les travailleurs du Canada, pour les familles et pour l’avenir des relations de travail dans notre pays. C’est un moment d’une immense importance. Il s’agit d’un dossier important, et je vous invite tous à continuer sur la lancée actuelle, puisque ce projet de loi a été adopté sans amendement au comité, qu’il a déjà été adopté en deuxième lecture au Sénat, et qu’il a été adopté à l’unanimité en deuxième et en troisième lectures à la Chambre des communes. Votre appui sera grandement apprécié par beaucoup de gens partout au pays. Merci beaucoup.
Ma collègue accepterait-elle de répondre à une question? Je sais que vous avez terminé votre discours et que vous en êtes très heureuse, mais je pense aussi que c’est un peu un hommage. Il y a quelques semaines, vous avez parlé de votre expérience dans ce domaine. C’est quelque chose qui vous passionne grandement et dont vous êtes très fière. Vous avez fait référence à 1992 dans le cadre de votre intervention.
Au cours de cette extraordinaire intervention, je vous ai écoutée parler de votre préoccupation quant à la diversité des représentants syndicaux témoignant devant le comité. J’ai également prêté attention à vos remarques sur le rapport de force entre les employés et l’employeur et la façon d’assurer un juste équilibre.
En prenant du recul et en examinant les améliorations ou les changements les plus significatifs, pourriez-vous nous faire part du plus important ou des deux plus importants?
Je ne suis pas certaine de comprendre la question. Le ou les deux plus importants quoi?
Entre le moment où vous avez commencé à investir — en 1992, selon vous — à maintenant, moment où nous sommes saisis de ce projet de loi majeur, qu’estimez-vous être les deux plus importantes améliorations apportées?
C’est une question très intéressante. Il est dommage que vous ne m’ayez pas prévenue pour me donner le temps d’y réfléchir. Premièrement, cela ne remonte pas à 1992. À cette date, j’ai présenté un projet de loi visant à conférer aux fonctionnaires de l’Ontario le droit de faire la grève. Toutefois, comme je l’ai dit, je m’implique dans le mouvement syndical depuis la fin des années 1970, à l’époque où, à titre de travailleuse, j’ai commencé à m’impliquer au sein de mon syndicat.
Je pourrais mentionner bien des choses qui ont été améliorées au fil des ans, mais je crois que j’irais avec le précompte obligatoire des cotisations. Si votre lieu de travail se syndicalise et que vous bénéficiez des conventions collectives, des décisions des instances judiciaires ou des ententes conclues avec d’autres autorités, le précompte obligatoire des cotisations, conformément à la formule Rand, est nécessaire.
Au fil des ans, des rajustements cruciaux ont été apportés au processus de syndicalisation d’un lieu de travail, comme le scrutin, sa supervision, sa structure ou encore les lois interdisant aux employeurs d’intervenir ou d’intimider les travailleurs pour les empêcher de signer une carte syndicale. Le fait d’avoir étendu au secteur public le droit de faire la grève a été crucial.
Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres. Il y a eu tant d’avancées législatives au fil des ans qui ont été obtenues au prix de durs combats et de dures victoires. J’ai mentionné à l’étape de la deuxième lecture que, en Ontario, lorsque j’étais membre du Cabinet, ce n’est pas mon ministère, mais le ministère du Travail qui a proposé une mesure législative interdisant le recours à des travailleurs de remplacement, appelée familièrement loi « anti‑briseurs de grève ». Cette mesure législative a été adoptée et ce fut un moment de réjouissance, un peu comme je me sens en ce moment. Toutefois, une des premières choses que le gouvernement suivant a faites, le gouvernement conservateur de Mike Harris en Ontario, fut malheureusement d’abroger la loi.
D’autres provinces, comme le Québec, avaient déjà mis en place une telle mesure. Depuis, la Colombie-Britannique en a mis une en place et le Manitoba envisage présentement de le faire. D’autres pays dans le monde ont élaboré ce type de loi, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Il y a encore au sud de la frontière des États qui ont adopté des lois sur le droit au travail, ce qui semble très bien, mais qui signifie en fait le droit d’interdire les syndicats et de les tenir à l’écart des lieux de travail.
Il y a beaucoup de travail à faire en solidarité avec les travailleurs du Canada et du monde entier. Je suis reconnaissante au gouvernement actuel, bien que je puisse être en désaccord avec lui sur de nombreux points à différents moments, et je suis reconnaissante de l’entente de soutien sans participation qu’il a signé avec les néo-démocrates. Ce n’est pas parce que cette entente est à l’origine de ce projet de loi, puisque c’est le Parlement qui est responsable. Ce n’est pas non plus parce que les deux partis n’ont pas inclus cette question dans leur programme électoral lorsqu’ils ont fait campagne afin que les gens sachent ce qui allait se passer. Toutefois, le travail de collaboration effectué pour négocier les dispositions du projet de loi et le présenter d’une manière qui tienne compte des sensibilités des employeurs et des syndicats a donné lieu à un projet de loi qui a obtenu un résultat extraordinaire : il a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes, sans une seule voix contre. Il semble que nous nous approchions de la même réponse ici au Sénat et je suis fière et heureuse de voir que nous y parvenons. Merci.
Merci, chers collègues. C’est un honneur de prendre la parole au Sénat ce soir pour participer au débat sur ce projet de loi. Selon un vieux dicton : « Si on vit assez longtemps, on peut finir par se tromper sur tout. » Je ne suis pas né de la dernière pluie. Je n’aurais jamais pensé que je siégerais au Sénat, et encore moins que je participerais à un débat sur un projet de loi qui s’inscrit dans ce que j’ai fait pendant une partie de ma vie. C’est un honneur d’être ici.
Permettez-moi d’abord de remercier ma collègue la sénatrice Frances Lankin d’avoir marrainé le projet de loi et travaillé si fort dans ce dossier. Au fil des décennies, de nombreux militants de partout au pays ont réclamé un projet de loi à ce sujet tant à l’échelon national que provincial.
Je vais faire un bref rappel historique. Au cours des 25 dernières années — lorsque j’étais président du Congrès du travail du Canada —, il y a eu plusieurs tentatives au Parlement et chacune d’entre elles a avorté à diverses étapes. Le projet de loi qui s’est rendu le plus loin a franchi l’étape de la deuxième lecture, mais pas celle de la troisième lecture.
Depuis 2002, 19 projets de loi d’initiative parlementaire visant à interdire les travailleurs de remplacement ont été présentés à l’autre endroit. Dans une grande mesure, c’est révélateur d’un gouvernement minoritaire et de la collaboration entre le gouvernement et le NPD. Toutefois, lors des dernières élections, la plateforme électorale de la majorité des partis prévoyait l’interdiction des travailleurs de remplacement.
En quoi consiste cette mesure législative? La sénatrice Lankin en a beaucoup dit à ce sujet. Selon certains, ce projet de loi ferait des choses terribles. Il n’y a en fait rien de terrible à son sujet. La grande majorité des négociations au pays, y compris à l’échelon fédéral, sont conclues sans qu’on en entende parler. Les parties parviennent à négocier une convention collective et poursuivent leurs relations.
Ce projet de loi permettra de rétablir l’équilibre et l’équité dans le système fédéral, car il y a un manque depuis longtemps. Il augmentera le respect à l’égard des travailleurs et reconnaîtra leur droit fondamental de faire la grève — un droit qui, lors du rapatriement de la Constitution en 1982, n’était pas envisagé comme faisant partie de la Constitution. Il aura fallu y mettre des efforts, bien sûr. J’y reviendrai dans un instant.
Dans une large mesure, les travailleurs ne décident pas de faire la grève le matin où leur convention collective est arrivée à échéance. En général, les travailleurs veulent que leur syndicat négocie pour en arriver à une entente équitable et, plus important encore, qu’il veille à ce qu’ils aient encore un lieu de travail, où ils pourront continuer d’occuper leur emploi, comme ils le font depuis des dizaines d’années, pour nombre d’entre eux. Les travailleurs veulent que leur employeur soit prospère, et ils contribuent à ce succès quand ils conviennent d’une convention collective.
Ce projet de loi est important à plusieurs égards. Il s’agit de maintenir l’harmonie qui existe entre les employeurs et leurs employés. Les employés veulent s’assurer que, lorsqu’il y a une négociation, ils sont en mesure de parvenir à un accord équitable. Toutefois, en cas de conflit, les employeurs ne veulent pas que cela nuise à la relation qui existe entre travailleurs. La plupart du temps, lorsqu’on fait appel à des travailleurs de remplacement, la relation avec les travailleurs est anéantie dès qu’un de ces derniers franchit le piquet de grève. Il en résulte de l’animosité, et il peut falloir beaucoup de temps pour rétablir les relations; cela peut même être impossible. En outre, un employeur qui fait face à une grève prolongée et qui a recours à des travailleurs de remplacement n’est parfois pas en mesure de reprendre ses activités normales avant bien longtemps en raison des torts occasionnés.
En ce qui concerne l’histoire des travailleurs de remplacement, mentionnons qu’une telle loi est en vigueur au Québec depuis près de 50 ans, malgré les nombreux changements de gouvernement, et que pas un seul de ces gouvernements n’a dit : « Nous devons abroger cette loi et la remplacer par quelque chose d’autre. » La Colombie-Britannique a connu une expérience similaire. Malgré la succession des gouvernements, cette loi est toujours en vigueur dans cette province.
Il est essentiel de prendre conscience de l’importance des négociations collectives. Je dis toujours que les négociations collectives sont l’occasion pour les parties de discuter d’égale à égale, dans le cadre de relations solides. Elles peuvent se pencher sur la convention collective. Habituellement, les deux côtés veulent régler certains points, et 99 % du temps — parfois même plus, dans certains cas —, ils arrivent à une entente sans trop bousculer leurs relations. Cependant, il y a parfois des conflits. Les travailleurs font la grève. La plupart du temps, lorsque les relations sont solides et que les parties ont recours aux services offerts par le gouvernement — que l’on pense au service de médiation ou, dans certains cas, au Conseil canadien des relations industrielles —, elles arrivent à un règlement et trouvent une façon de retourner au travail pour faire ce qu’elles veulent, c’est-à-dire faire en sorte que l’entreprise maintienne ses activités et respecte ses obligations.
À mon avis, cette mesure législative apportera une stabilité dans les secteurs relevant du fédéral. Je crois aussi qu’elle montrera à d’autres gouvernements au pays qu’ils doivent adopter une loi semblable. Cette mesure législative a été débattue à l’autre endroit. Au Manitoba, le gouvernement s’est maintenant engagé à interdire le recours aux travailleurs de remplacement dans la province.
Il est important pour nous de mettre les choses en contexte, puisque la Cour suprême a statué que le droit de grève est un droit fondamental protégé par la Constitution. J’ai peut-être une compréhension naïve de l’interprétation, mais je crois qu’il s’agit d’un droit fondamental. Nous ne pouvons pas retirer ou miner ce droit. C’est comme le droit à la liberté d’expression. On ne peut pas adopter un projet de loi qui limite la liberté d’expression parce que tout le monde demandera « Qu’en est-il de la liberté d’expression? » Si les travailleurs ont le droit de faire la grève, ce qui est reconnu comme un droit fondamental selon la Constitution, je crois alors que lorsque les législateurs interviennent pour leur retirer ce droit, ils minent le fondement le plus important de notre Constitution, à savoir la primauté du droit.
Cette Chambre et l’autre endroit ont, par le passé, adopté des lois de retour au travail. Dans mon ancienne vie, je me suis totalement opposé à chacune d’entre elles parce que je crois fondamentalement que les parties doivent négocier. J’ai souvent été à une table de négociations où il y avait des différends. Je reconnais une importance fondamentale : les deux parties finiront par faire un bout de chemin et s’entendront sur une convention collective. Ce ne sera peut-être pas ce que le syndicat veut, et ce ne sera peut-être pas tout ce que l’employeur souhaite, mais, à un moment donné, ils doivent reconnaître l’importance de la libre négociation collective, où les parties peuvent s’asseoir et négocier sans que quelqu’un les menace en disant : « Si vous ne faites pas ceci, nous vous enlèverons votre droit fondamental. »
Ce pays s’est doté d’une importante classe moyenne. Les syndicats y ont contribué en grande partie en élevant le niveau de vie des travailleurs et en améliorant le contexte dans lequel nous travaillons. Les lois sur la santé et la sécurité sont apparues parce que, à de nombreuses reprises, lorsque les droits des travailleurs n’étaient pas reconnus par la législation, les travailleurs ont dû se battre avec leur employeur pour établir ces droits dans le cadre d’une convention collective. Plus tard, bien sûr, le gouvernement a reconnu la nécessité d’inscrire ces droits dans la législation. Si les travailleurs peuvent bénéficier de ces droits dans leur convention collective, tout le monde devrait, en fin de compte, en bénéficier.
Nos journées de travail ne sont pas forcément de huit heures — bien qu’elles le soient parfois au Sénat —, mais le droit à une journée de huit heures a été instauré parce que des travailleurs y ont vu un principe fondamental et qu’ils ont négocié pour l’intégrer à leur convention collective. Après un certain temps, les lois du pays ont reconnu que tous les membres de la société devaient avoir droit à une journée de huit heures.
Le droit à une indemnisation en cas d’accident du travail n’est pas apparu un beau matin parce que le gouvernement s’était réveillé en pensant que ce serait une bonne idée. Des travailleurs ont parfois dû faire la grève et négocier avec leur employeur pour obtenir une protection après un accident de travail. Après un certain temps, comme on le sait, les lois ont été modifiées pour que ce genre de protection soit reconnu de façon plus large.
Je crois que le gouvernement vise juste en proposant de modifier le Code canadien du travail pour interdire le recours aux travailleurs de remplacement au niveau fédéral. Tous les députés sont aussi de cet avis, puisqu’ils ont adopté ce projet de loi à l’unanimité.
Je tiens à citer un extrait de la décision de la Cour suprême qui a été lue plus tôt. Elle a été rendue en 2015 par la juge Abella et ses collègues dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan :
Le droit de grève n’est pas seulement dérivé de la négociation collective, il en constitue une composante indispensable.
Le texte de la décision continue comme suit :
Le temps me paraît venu de le consacrer constitutionnellement.
Ce sont les mots de la juge Abella. Le fait d’adopter le projet de loi ce soir revient à consacrer le Code canadien du travail, ce que méritent les travailleurs fédéraux du pays. Merci beaucoup.
Sénateur Yussuff, j’ai une question, si vous le permettez.
Je m’inquiète vivement de l’effet général que ce genre de projet de loi pourrait avoir sur l’économie. Selon un rapport que j’ai lu de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, les grèves dans les ports de Montréal et de la Colombie-Britannique ont eu des répercussions économiques considérables et entraîné des coûts énormes pour les petites entreprises. Je sais que ce ne sont pas les mêmes domaines que ceux couverts par le projet de loi, mais cela nous donne une idée de l’impact possible. La fermeture du port de Montréal pourrait coûter à l’économie canadienne de 40 à 100 millions de dollars par semaine, et je pense beaucoup aux petites et moyennes entreprises qui ont été fortement touchées par des choses comme la chaîne d’approvisionnement. Ce ne sont pas les entreprises qui feraient la grève, mais leur capacité à fournir des services à leurs clients et à employer leurs propres salariés serait réellement affectée.
Je crains également que les entreprises canadiennes ne soient forcées de conclure des accords qui sont au-dessus de leurs moyens pour éviter de nouveaux arrêts de travail, et peut-être d’envisager de recourir à la sous-traitance. J’aimerais connaître votre avis sur ces points.
Je vous remercie de la question.
Il est difficile de répondre à une question sur ce que cela coûtera. Essentiellement, chaque fois qu’il y a un différend et que les travailleurs doivent exercer le droit de grève, il y a un coût à cela. Lorsque des travailleurs sont en grève, ils ne sont pas rémunérés comme ils le sont normalement, alors ils ont un coût à payer pour exercer ce droit. Il pourrait effectivement y avoir un coût pour l’économie, et j’ignore quel serait ce coût, mais, au bout du compte, il y a un système bien établi à l’échelle fédérale, et le Conseil canadien des relations industrielles est là pour servir de médiateur entre les partis lorsque certains dossiers lui sont confiés. Dans d’autres situations, des services de médiation et de conciliation sont toujours à la disposition des parties, et en négociant, les parties elles-mêmes reconnaissent qu’elles veulent en arriver à une entente qui soit dans l’intérêt de toutes les parties. Cela inclut les coûts à payer pour faire fonctionner l’entreprise, mais aussi tenir compte des problèmes soulevés par les travailleurs et trouver de vraies solutions pour répondre à leurs préoccupations.
Tout au long des 45 années où j’ai dû prendre part à des négociations collectives, avant mon arrivée au Sénat, je n’ai jamais vu un employeur conclure une entente qui, au bout du compte, l’empêcherait de maintenir les activités de l’entreprise. Un employeur ne conclurait pas une entente qui ne lui permettait pas de maintenir les activités de son entreprise.
En ce qui concerne votre question, je comprends qu’il puisse y avoir des conséquences et des coûts, mais il m’est difficile d’y répondre. Je ne sais pas si j’accepterais les chiffres avancés par certaines parties. Il est évident que la fermeture de certains pans de l’économie entraîne des coûts, mais en fin de compte, ce que nous voulons garantir, c’est qu’en cas de différend, tous les services nécessaires que le gouvernement peut fournir pour amener les parties à résoudre ce différend doivent être mis en œuvre aussi rapidement que possible. Il est important de reconnaître et de placer ceci dans le même contexte. Si les travailleurs ont le droit fondamental de faire la grève, nous devons réfléchir aux conséquences de la suppression de ce droit, car un droit fondamental est exactement cela : un droit fondamental, rien de moins. Or, pendant trop longtemps au Canada, nous avons traité le droit fondamental des travailleurs comme un concept abstrait, comme s’il ne méritait pas d’être pris en considération parce qu’il entravait l’efficacité de l’économie.
Je reconnais la nécessité d’une économie qui fonctionne bien. Cependant, je reconnais aussi que, pour avoir de bonnes relations de travail, les parties doivent parvenir à une entente qui représente leurs intérêts, tout en prenant en considération les intérêts du pays si l’économie nationale peut être touchée.
Honorables sénateurs, ma question s’inscrit dans le prolongement de celle que ma collègue la sénatrice Ross vient de poser. Vous avez déjà beaucoup entendu parler du projet de loi C-58. Il empêche simplement le recours à des travailleurs de remplacement dans les lieux de travail sous réglementation fédérale, hors fonction publique fédérale, pendant un conflit contractuel ou une grève.
Je tiens à souligner le travail de toute une vie de deux de nos collègues : la sénatrice Lankin et le sénateur Yussuff. Mon expérience professionnelle est tout à fait différente, et c’est ce qui rend ce lieu de travail si spécial. Je suis honoré de siéger avec vous tous ici.
Chers collègues, protéger les droits des travailleurs est essentiel. Le mouvement syndical a beaucoup contribué à assurer une relation équitable entre employeurs et travailleurs. Cependant, je suis préoccupé par les conséquences imprévues de ce projet de loi, notamment pour les petites entreprises, qui emploient plus des deux tiers des travailleurs du secteur privé au Canada. Ce sera le sujet de mes observations.
Les petites entreprises continuent à éprouver des difficultés dans notre économie post-COVID. D’abord, elles ont dû composer avec les dommages et la dette accumulée au plus fort de la pandémie de COVID. Après cela, il y a eu l’odieuse invasion de l’Ukraine par la Russie, le blocage du canal de Suez et toute une nouvelle série de perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui ont débouché sur l’inflation qui nous a tous frappés de plein fouet. Ensuite, il y a eu les pénuries de main-d’œuvre.
Ces difficultés continuent d’avoir des répercussions pour beaucoup trop de petites entreprises, lesquelles emploient plus de 8 millions de Canadiens, soutenant des familles dans pratiquement toutes les localités au pays. Chacun de ces emplois dépend de la bonne gestion de l’entrepreneur, et nous avons besoin de beaucoup, beaucoup plus d’entrepreneurs au Canada. Selon la Banque de développement du Canada, la BDC, le Canada a perdu 100 000 entrepreneurs au cours des 20 dernières années, tandis que sa population s’est accrue de 10 millions d’habitants. Nos petites entreprises demeurent fragiles.
Quand je songe aux effets du projet de loi C-58, je crains l’effet domino que risque fort probablement d’entraîner un conflit de travail prolongé à l’un des nombreux lieux de travail sous réglementation fédérale faisant partie de nos diverses chaînes d’approvisionnement. Il a été prouvé que l’interdiction, par la voie législative, du recours à des travailleurs de remplacement peut mener à des grèves qui durent plus longtemps. Or, nos petites entreprises n’ont pas les moyens de survivre à de longues perturbations de leur chaîne d’approvisionnement en raison d’une grève. J’ai toujours dit que j’appuie entièrement tout syndicat qui se soucie principalement de la croissance de la productivité. Pourquoi? Parce qu’il s’agit du meilleur moyen d’assurer l’avenir de l’employeur et d’augmenter le salaire des travailleurs. Plus on augmente la valeur livrée par heure travaillée, plus l’employeur aura les moyens de récompenser tous ceux dont les efforts ont permis de créer cette valeur.
Dans un pays où les droits des travailleurs sont bien établis, je pense qu’il s’agit d’une priorité importante — cruciale, en fait. Cependant, ce n’est pas le cas dans de trop nombreux lieux de travail sous réglementation fédérale. Prenons l’exemple de Postes Canada. À la fin de l’automne 2018, au cours de mes premiers mois au Sénat, nous avons débattu d’une loi de retour au travail et voté sur celle-ci pendant un important arrêt de travail à Postes Canada. Les préjudices causés pendant ces quelques semaines de grèves tournantes ont été ressentis le plus profondément par les petites entreprises, en particulier dans les communautés rurales, où il existe peu d’autres choix en matière de livraison. Les dommages ont été exacerbés par le fait que ces grèves tournantes ont eu lieu au moment le plus chargé de l’année et que le choix stratégique des installations a entraîné une accumulation des volumes de courrier et de colis non distribués à une vitesse vertigineuse et à un moment où la survie de nombreuses petites entreprises dépendait de la livraison de la majorité de leurs ventes à l’approche de Noël.
Aujourd’hui, malgré des années de déclin du courrier et une concurrence croissante du secteur privé, Postes Canada ne s’est toujours pas adaptée aux réalités du marché. Le syndicat et la société n’ont pas réussi à trouver des moyens d’améliorer la productivité. Résultat : il y a eu des pertes de 3 milliards de dollars dans les années qui ont suivi la grève. Cette situation n’est pas viable et, à un moment donné, Postes Canada devra procéder à des changements très dérangeants.
Je crains que l’adoption d’une loi de retour au travail comme seule option pour résoudre les conflits de travail ne soit pas une utilisation efficace des institutions législatives ou de leur temps. Je doute qu’elle permette aux syndicats et aux employeurs de donner la priorité à la productivité comme moyen de garantir les emplois et d’améliorer les salaires. Je crains également les effets que cette loi aura sur les investissements des entreprises.
L’institut économique de Montréal a dit :
L’adoption du projet de loi C-58 aura également des répercussions en matière d’investissements. Il a été observé au Canada que les arrêts de travail fréquents et le cadre réglementaire qui les facilite influencent à la baisse l’investissement direct étranger dans les secteurs affectés. Selon une étude, une province dotée d’une législation contre les travailleurs de remplacement affiche un taux d’investissement inférieur de 25 % à celui des autres provinces [...]
Ce projet de loi pourrait avoir des conséquences importantes dans le contexte de la faiblesse de l’investissement privé dans le secteur non résidentiel par travailleur au Canada. Nous sommes bien en dessous de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques et cela diminue les salaires moyens dans l’ensemble du pays.
Chers collègues, la protection des droits des travailleurs est cruciale. Le renforcement du pouvoir des syndicats au moyen d’une loi anti-briseurs de grève peut améliorer la protection des travailleurs, mais il peut s’accompagner de coûts involontaires pour la continuité des activités et la résilience économique. Selon la Banque du Canada, nous sommes en pleine situation d’urgence, car elle estime que la baisse de nos taux de productivité met désormais en péril notre niveau de vie. Je suis d’accord, et nous ne réglerons pas le problème à moins que tous les milieux de travail ne donnent la priorité à la productivité afin que nos moyens de subsistance puissent recommencer à s’améliorer.
Je ne suis pas convaincu que le projet de loi permettra d’atteindre cet objectif, et tout ou en partie. Merci, chers collègues.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Certainement.
Merci. Permettez-moi d’abord de faire écho à vos observations sur les contributions que les sénateurs Lankin et Yussuff ont apportées au mouvement syndical au Canada. Je pense que nous pouvons convenir que le mouvement syndical a contribué à l’émergence de la classe moyenne au Canada.
J’ai été des deux côtés des grèves : j’ai fait du piquetage et j’ai dû franchir des piquets de grève en tant que gestionnaire. Aucun des deux côtés n’est amusant, mais, quand on y pense, c’est l’un des rares outils dont disposent les travailleurs. À mon avis, la pression à la baisse sur les salaires s’estompe de plus en plus au Canada pour divers facteurs, mais le droit de grève est l’un d’entre eux.
Dans le secteur fédéral, on veut toujours conclure un accord à la table de négociations. C’est pourquoi on favorise la médiation, l’arbitrage et, enfin, les mesures législatives de retour au travail. J’ai voté en faveur de la mesure législative de retour au travail lors de la grève de Postes Canada dont vous avez parlé. Les grèves sont difficiles : elles détruisent des familles, des collectivités et les relations entre l’entreprise et le propriétaire.
Avez-vous des exemples à nous donner où une mesure législative de retour au travail a vraiment donné de bons résultats pour un patron qui disait : « Nous allons faire appel à des briseurs de grève, à des travailleurs de remplacement. » Ce genre de mesures législatives donnent-elles de bons résultats pour eux?
Je vous remercie de votre question, sénateur Cuzner. En ce qui me concerne, il ne faut pas que les petites entreprises subissent les effets négatifs des grèves. Une grève dans la chaîne d’approvisionnement peut avoir un énorme effet sur les agriculteurs et les petites entreprises partout au pays. Je souhaite simplement qu’on règle ces grèves. Je ne crois pas que la meilleure façon d’y parvenir passe obligatoirement par l’adoption d’une loi de retour au travail au Parlement.
Chaque fois qu’on tient un débat, il faut beaucoup de temps pour parvenir à ce point — et les conservateurs sont toujours prêts à ajouter leur grain de sel, et je suis d’accord avec eux. Parvenir à une résolution prend trop de temps. Cette mesure prévoit une amende de 100 000 $ par jour pour ceux qui enfreignent la loi, mais pour une petite entreprise, le coût, c’est la survie même de l’entreprise, et aucun syndicat ne protège les petits entrepreneurs. Il n’y a aucun filet de sécurité.
Voilà où je veux en venir. Non, je ne peux vous donner d’exemples. Chaque fois, je ne peux m’empêcher de songer au déséquilibre du pouvoir ressenti par les petits entrepreneurs. Personne ne semble les appuyer.
Le sénateur accepte-t-il de répondre à une question?
Certainement.
Merci, chers collègues, pour les questions et le débat. C’est extrêmement intéressant et concret.
Ma question porte sur le système de transport. Lorsque les ports, par exemple, sont touchés par une grève, 90 % des biens de consommation de tous les jours transitent, à un moment ou un autre par un port. Par conséquent, si ces produits ne sont pas transportés, cela a une incidence sur les entreprises.
Ma question est la suivante : est-ce que les conséquences imprévues dont vous parlez pourraient être, par exemple, une cargaison de marchandises qui est déviée des ports canadiens? Il faut se battre si fort pour ramener les trajets de cargaison au Canada par la suite. Cela a une incidence sur les emplois, non seulement au niveau commercial, mais aussi au niveau portuaire, n’est-ce pas?
Merci, sénateur Quinn, et je suis tout à fait d’accord. Je me souviens que, pendant la crise de Suez, une entreprise de Windsor, en Nouvelle-Écosse, ne recevait pas ses commandes parce que les cargaisons de marchandises avaient été détournées et retardées. Par conséquent, elle n’a pas pu respecter ses engagements, alors elle a perdu sa capacité concurrentielle. Elle avait pourtant acheté tout son inventaire, mais elle n’avait pas pu aller jusqu’au point de la vente et a donc perdu une transaction. Cela a eu un effet si dévastateur que des travailleurs non syndiqués ont dû être mis à pied.
Ce sont ces aspects qui font boule de neige qui, selon moi, devraient être examinés dans le cadre de ce débat. Il faut accorder l’attention appropriée à ces aspects, car ils sont bien réels pour les propriétaires de petites entreprises et les travailleurs.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Certainement, sénatrice, avec tout le respect que je vous dois.
J’ai aussi un grand respect pour vous. Nous avons d’excellentes conversations sur certaines de ces choses. J’écoute les interventions, les questions et certaines des réponses, et je ne pense pas que quiconque contesterait le fait que la perturbation d’un milieu de travail a une incidence directe non seulement sur ce milieu de travail, mais aussi sur les partenaires de la collectivité ou l’économie.
J’écoute les discussions. Le sénateur Quinn a posé une question sur un sujet légèrement différent de celui de la réponse que vous avez donnée. Je pense qu’il parlait du cas où un port canadien constate que des entreprises réorientent leurs activités, par exemple, vers un port américain, mais ne peuvent pas les ramener par la suite. Tout d’abord, les commentaires sur la chaîne d’approvisionnement, les petites entreprises et les préoccupations quant à l’incidence que cela aura sur les emplois ne tiennent pas compte de ce que nous avons vu dans la loi actuelle ni des tentatives des gouvernements, lorsqu’il y a un différend, ce qui n’est pas fréquent — il y en a eu deux depuis que je suis ici, et nous avons eu des lois de retour au travail —, ni du fait que les gouvernements agissent. Vous dites que ce n’est pas assez rapide.
L’unique conclusion que je peux tirer de ces commentaires, c’est que la seule solution serait qu’il n’y ait ni droit de grève ni grève. Aidez-moi à comprendre en quoi vous voyez les choses différemment, et rappelons-nous la garantie constitutionnelle dont jouissent les travailleurs quant au droit fondamental de faire la grève.
Merci, sénatrice Lankin. J’envisage les choses très simplement. Les données suggèrent très fortement que l’incapacité à faire venir des travailleurs de remplacement prolonge la durée des grèves. À mon avis, c’est le cœur du problème. Nous ne voulons pas de grèves plus longues. Je veux m’assurer que l’on entende la voix des petites entreprises canadiennes à cette table. Les petites entreprises subissent très rapidement des préjudices. L’exemple que j’ai donné concernait la perturbation d’un produit qui n’arrivait pas dans un port canadien, mais c’est la même chose qu’un port canadien bloqué. Lorsque les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, les coûts pour les entreprises peuvent s’accumuler très rapidement, et si on ne comprend pas cela dans ce débat, je pense que c’est un problème. Pour ma part, c’est ce dont on doit tenir compte. Je veux juste m’assurer que c’est sérieusement envisagé.
Mon discours ne durera que quelques minutes, car je ne voudrais pas retarder l’histoire.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.
Je vous rappelle brièvement que ce projet de loi a pour principal objectif de créer une interdiction d’avoir recours à des travailleurs de remplacement dans les cas de déclenchement de grève ou de lock-out dans les lieux sous réglementation fédérale et de modifier le processus de maintien de certaines activités en milieu de travail.
Lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné l’importance pour le Sénat de jouer sérieusement son rôle de second examen, bien que ce projet de loi ait été adopté à l’unanimité à l’autre endroit le 27 mai dernier. Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales des sciences et de la technologie, à qui a été renvoyé ce projet de loi, s’est acquitté de son travail avec diligence, comme c’est notre responsabilité et notre devoir de le faire.
Le comité a entendu plusieurs témoignages, tout comme à l’autre endroit. De façon générale, deux positions importantes ont émergé de ces témoignages.
D’un côté, ceux qui sont en faveur du projet de loi et qui soutiennent notamment l’idée qu’interdire le recours aux travailleurs de remplacement en cas de grève ou de lock-out protège le droit des travailleurs d’exercer leur droit de grève et rétablit l’équilibre dans le rapport de force entre les parties patronale et syndicale dans la négociation des conventions collectives.
De l’autre côté, ceux qui sont en désaccord avec le projet de loi et qui affirment, entre autres, que le fait d’interdire le recours à des travailleurs de remplacement aurait pour effet d’augmenter le nombre de grèves, puisque la partie syndicale ne serait plus encouragée à rester à la table de négociations. De plus, tout cela aurait des répercussions non seulement sur les parties en conflit de travail, mais aussi sur d’autres secteurs de l’économie, et même sur tous les Canadiens et les Canadiennes.
J’ouvre une parenthèse afin de souligner que tous ces témoins ont partagé leurs points de vue avec conviction et ont répondu avec soin aux questions posées par le comité. Je tiens à les remercier de l’éclairage qu’ils ont apporté par leurs interventions riches en enseignements. Ils ont contribué à l’exercice de notre devoir de second examen. Je ferme la parenthèse.
À la suite de ces témoignages, le comité a rendu son rapport sans amendement, mais avec certaines observations. Je vous résume brièvement ce rapport. Mentionnons en premier lieu que les observations du comité découlent du fait qu’il a été porté à son attention, lors de la présentation des témoignages, que le Conseil canadien des relations industrielles aura de plus grandes responsabilités par suite de l’adoption du projet de loi C-58.
Le conseil devra avoir accès à plus de ressources en matière de personnel, de vice-présidents et de financement, puisque le projet de loi viendra augmenter sa charge de travail. En effet, le conseil devra trancher sur certaines questions dans des délais précis et sans ces ressources, il pourrait faire face à des retards qui auraient des effets préjudiciables. C’est pour cette raison que le comité a recommandé ceci dans son rapport, et je cite :
[…] que le gouvernement du Canada assure un financement adéquat et constant pour le Conseil, pour que le Conseil puisse remplir efficacement ses responsabilités élargies et assurer la résolution rapide des conflits de travail.
Le comité a aussi recommandé ce qui suit :
[…] que le gouvernement du Canada évalue et ajuste les montants du financement régulièrement en prenant en compte la charge de travail du Conseil.
Lorsque j’ai prononcé mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-58, j’ai aussi soulevé plusieurs questions, notamment celle de déterminer si, avec ce projet de loi, nous avions trouvé un juste équilibre dans les relations entre les employeurs et les syndicats vis-à-vis de leurs droits et de leurs obligations ou si, bien au contraire, le projet de loi C-58 avait créé un nouveau déséquilibre.
À la suite de l’étude du projet de loi C-58, je crois que cet équilibre est atteint de plus d’une façon, puisqu’il comporte des garanties suffisantes afin d’atténuer les inquiétudes qui ont été soulevées.
D’abord, le témoignage de Ginette Brazeau, présidente du Conseil canadien des relations industrielles, devant le comité a permis de mieux cerner les responsabilités et le travail du conseil, mais surtout de connaître les impacts du projet de loi sur celui-ci.
À titre d’exemple, on peut penser à l’ajout de ressources supplémentaires nécessaires aux nouvelles responsabilités, à l’obligation de respecter les nouveaux délais prévus dans le projet de loi C-58 et au délai nécessaire à la mise en place d’une telle structure.
Mme Brazeau est cependant convaincue que le délai d’un an avant l’entrée en vigueur de la loi permettra d’accomplir le travail nécessaire. Je crois aussi que ce délai permettra au conseil d’être prêt à exercer ses nouvelles responsabilités dès l’entrée en vigueur de la loi.
Ensuite, mentionnons que l’article 6 du projet de loi modifie le Code canadien du travail en ce qui concerne le maintien des activités nécessaires en milieu de travail. En effet, des mesures sont prises pour que l’employeur et le syndicat s’entendent sur les modalités encadrant les activités qu’il est nécessaire de maintenir en cas de grève ou de lock-out. À mon avis, cette mesure assurera à l’employeur et à tous les Canadiens et Canadiennes qu’en cas de grève ou de lock-out, aucune incidence grave ne surviendra, par exemple, sur des services essentiels. Le processus de négociation et de mise en place des postes essentiels avant l’exercice du droit de grève ou le lock-out est rassurant.
Pour toutes les raisons dont j’ai fait état précédemment, je crois que l’équilibre dans les rapports entre la partie patronale et les syndicats représentant de nombreux employés dans les lieux sous réglementation fédérale est atteint. Je crois aussi que les Canadiens et les Canadiennes ne seront pas des victimes collatérales des conflits en milieu de travail en raison de ces modifications.
Maintenant, je tiens à mentionner un fait qui n’est certes pas anodin à mes yeux et je crois au contraire qu’il est important de le souligner. Il a d’ailleurs été évoqué par quelques témoins. Deux provinces au sein du Canada ont déjà des lois comportant des dispositions semblables au projet de loi C-58. Les provinces de Québec et de la Colombie-Britannique ont déjà adopté des dispositions semblables. Ces mesures sont entrées en vigueur au Québec en 1977 dans le Code du travail; plusieurs années plus tard, en 1993, la Colombie-Britannique a adopté une loi similaire, soit le Labour Relations Code.
Le fait que ces dispositions soient en vigueur dans ces deux provinces depuis plusieurs décennies et qu’elles n’aient soulevé aucun enjeu majeur, notamment en ce qui concerne l’accroissement des grèves, est un autre argument qui m’assure du bien-fondé des dispositions du projet de loi C-58.
Les employeurs, les syndicats, leurs conseillers juridiques et leurs conseillers en relations de travail respectifs connaissent bien la dynamique de l’application de ce genre de législation. Nous ne sommes donc pas en territoire inconnu.
Cela étant dit, à la suite de l’étude du projet de loi que j’ai effectuée et de l’analyse des mémoires et des témoignages entendus à l’autre endroit et au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, après le rapport et les recommandations qui ont été formulées, je suis à l’aise de donner mon appui au projet de loi C-58 et je vous invite, chers collègues, à voter en faveur du projet de loi.
J’aimerais ajouter un autre point. L’entreprise qui produit de l’équipement, qui crée des produits, a besoin de ressources matérielles, de ressources financières et de ressources humaines. Évidemment, quand elle négocie avec ses fournisseurs de services matériels, il n’y a pas d’exclusivité. Si on ne s’entend pas, on peut changer de fournisseur. Lorsqu’on négocie avec notre banquier pour des ressources financières, il n’y a pas d’exclusivité et on peut aller voir une autre banque.
Cependant, lorsqu’on négocie avec nos employés, on est face à des personnes qui se sont engagées exclusivement au service de l’employeur, ce qui crée une précarité pour ces individus que les autres fournisseurs de ressources matérielles ou financières n’expérimentent pas. C’est donc extrêmement important que la précarité de la personne qui s’engage pendant des décennies exclusivement auprès d’un seul employeur soit protégée.
Enfin, c’est ce que fait le projet de loi C-58. On s’assure que cette exclusivité soit correspondante et mutuelle du côté de l’employeur, et aussi que l’employeur ne viole pas l’exclusivité corrélative que l’employé s’est donnée. Je crois que c’est une question de respect, et c’est la raison pour laquelle je suis en faveur de ce projet de loi.
Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)