Projet de loi sur le cadre de référence national sur les compétences essentielles de la main-d’œuvre
Deuxième lecture--Suite du débat
19 mars 2019
Honorables sénateurs, le projet de loi S-256, projet de loi sur l’élaboration d’un cadre de référence national sur les compétences essentielles de la main-d’œuvre, est un pas crucial dans la démarche de la sénatrice Bellemare en vue de faire avancer la discussion au pays sur le développement des compétences essentielles. Au-delà d’une simple discussion théorique, celle-ci doit mener, comme le prévoit le projet de loi, au développement et à la mise en œuvre d’un cadre de référence national.
La sénatrice Bellemare soulignait à juste titre qu’il faut résoudre l’enjeu de l’adéquation des compétences de la main-d’œuvre par rapport aux besoins du marché du travail, tout en reconnaissant que le contenu même des compétences essentielles évolue avec le temps et les changements technologiques.
Les provinces et les territoires, en collaboration avec les milieux universitaire et collégial et les écoles de formation, déploient des efforts considérables pour combler l’écart entre ce que l’on enseigne et ce qui est attendu sur le marché du travail.
Par exemple, au Manitoba, la Division du perfectionnement de la main-d’œuvre a adopté une approche globale pour répondre aux besoins du marché du travail qui tient compte des obstacles individuels, des employeurs et des organisations tout en encourageant et en renforçant les partenariats dans la communauté.
L’approche est mise en œuvre au moyen de différents programmes complémentaires. Par exemple, Apprentissage Manitoba vise à aider les nouveaux apprentis à trouver des débouchés. Pour sa part, la Direction du perfectionnement de la main-d’œuvre dans l’industrie collabore avec des intervenants clés dans le domaine des affaires, de l’industrie, de la main-d’œuvre et de l’éducation pour faire en sorte que la population active du Manitoba soit bien placée pour réussir. Enfin, les Services de formation et d’emploi offrent des services comme de l’orientation professionnelle, de l’aide à la recherche d’emploi, des renseignements sur la préparation à l’emploi, des perspectives d’emploi, de la formation professionnelle et des possibilités de mise à niveau.
Cette discussion, je crois, doit cependant aller au-delà de l’emploi. Tout d’abord, on comprend surtout, par compétences essentielles, trois compétences clés : la littératie, la numératie et la résolution de problèmes dans des environnements technologiques, comme l’a si bien mentionné mon collègue, le sénateur Maltais.
Comme le souligne à juste titre une étude conjointe de Statistique Canada et Emploi et Développement social Canada, ces compétences essentielles servent dans pratiquement tous les domaines de la vie. On peut y lire ceci :
Ces compétences sont considérées comme essentielles à la participation sociale : elles servent de base au développement d’autres compétences cognitives, d’un ordre plus élevé, et sont des conditions préalables pour accéder à des domaines précis de connaissance et en acquérir une compréhension adéquate. En outre, elles sont nécessaires dans un large éventail de contextes, tant à l’école et au travail que dans la vie quotidienne.
Je retire deux leçons de ce constat. Premièrement, afin d’assurer que nos institutions, nos écoles, nos collèges, nos universités et nos bibliothèques préparent adéquatement la population aux changements technologiques, on ne doit pas négliger l’engagement civique et social. Bref, un cadre de référence sur les compétences essentielles de la main-d’œuvre ne peut négliger que la main-d’œuvre en question doit aussi être formée de citoyens, de bénévoles, de parents, de proches aidants.
Deuxièmement, s’il est vrai qu’il faut voir à ce que les finissants de nos collèges et de nos universités soient bien outillés pour le marché du travail, il faut reconnaître que ces finissants ont déjà acquis plusieurs compétences au fil de leurs études. Nous en sommes donc à l’adaptation et au perfectionnement, à la lueur des changements technologiques. Or, cette difficulté d’adaptation au rythme effréné des changements technologiques n’est pas limitée au marché de l’emploi et n’est pas vécue seulement par nos finissants sous-qualifiés ou surqualifiés.
La technologie a changé notre façon de travailler, mais a aussi bouleversé notre mode de vie, notre façon de communiquer, d’obtenir et de donner des services, de nous informer. Bref, nous ne socialisons plus de la même façon, et ceux qui ne développent pas certaines compétences essentielles peuvent non seulement se faire exclure du marché de travail, mais aussi subir une exclusion sociale. Ce risque, celui d’une société qui évolue constamment, rapidement, sans que tous ses membres puissent maintenir la cadence, est bien réel. Les conséquences peuvent être graves, tant pour l’engagement civique que pour la santé publique et même la paix sociale.
Une enquête internationale exhaustive sur la littératie et les compétences des adultes menée par plusieurs pays membres de l’OCDE, dont le Canada, qui, par l’entremise de Statistique Canada, y a joué un rôle majeur, a démontré que les adultes qui obtiennent de faibles résultats dans plusieurs compétences de base, en plus d’être désavantagés à l’égard de l’éducation et du marché du travail, peuvent aussi subir des répercussions dans d’autres aspects de la vie, dont l’état de santé et l’engagement civique.
L’enquête a, par exemple, montré que les faibles compétences en numératie et en compréhension de textes sont étroitement liées à l’état de santé au Canada, en Norvège et en Nouvelle-Zélande. Dans ces trois mêmes pays, de faibles compétences en littératie et en numératie étaient liées à une plus faible participation à toute activité associative. On entend par activité associative une organisation politique, une organisation sportive ou récréative, un groupe à caractère culturel, éducatif ou récréatif, un club philanthropique, une association scolaire ou communautaire, ou même un groupe affilié à une organisation à caractère spirituel. Bref, l’enjeu est humain autant qu’il est économique. Il ne faudrait pas, dans le but de former une main-d’œuvre capable de travailler à la fine pointe de la technologie, négliger toute une partie de la population qui peine toujours à maîtriser les bases des compétences essentielles.
Vous comprendrez que mes préoccupations à ce sujet militent fortement pour un cadre de référence national, comme le propose ce projet de loi. Les réflexions et les investissements à la pièce, au gré des intérêts passagers d’un groupe ou d’une industrie, risquent d’exclure les personnes les plus vulnérables.
Dans le cadre de son interpellation au sujet de l’alphabétisation et du développement des compétences de base au XXIe siècle, la sénatrice Bellemare avait démontré que le Canada est loin de se démarquer en la matière, et qu’il existait des inégalités au sein même du Canada, d’une province ou d’un territoire à l’autre. Dans mon propre discours, j’avais abordé les enjeux de l’alphabétisation et du développement des compétences essentielles tels que les vivent les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Mon intention, au-delà de faire état des défis affrontés par ces communautés spécifiques, était aussi de démontrer qu’il existe autant de défis en matière d’alphabétisation qu’il existe de communautés et de diversité au pays. Il existe aussi de profondes inégalités en matière d’offre de services et de ressources.
Le projet de loi S-256 prend acte de ces enjeux. Il est rédigé de manière à encourager la collaboration parmi les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi que des intervenants et parties prenantes.
Dans son article 4b), le projet de loi appelle aussi le ministre de l’Emploi et du Développement social à prendre en considération ce qui suit dans l’élaboration du cadre :
L’importance de la participation des parties prenantes en matière de développement des compétences essentielles, dont celle des représentants des employeurs et de la main-d’œuvre.
Je note que cette liste, telle qu’elle est présentement rédigée, n’est pas exhaustive, et je crois que cela doit nécessairement être le cas. On peut, bien sûr, souhaiter que le ministre voie à assurer la participation d’autres parties prenantes, comme les intervenants du milieu scolaire et communautaire, ou les groupes visant à favoriser l’intégration des populations plus vulnérables, comme les nouveaux arrivants.
L’article 4d), quant à lui, appelle le ministre à considérer également ce qui suit :
Les besoins spécifiques des diverses régions et communautés, notamment des communautés autochtones, en matière de développement des compétences essentielles de la main-d’œuvre.
Cet article, rédigé encore de manière non exhaustive, permettra justement de pallier certaines des inégalités que des années de recherche ont permis d’identifier. Je note par ailleurs que, dans leur rapport sur les premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes au Canada, Statistique Canada, Emploi et Développement social Canada et le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada avaient identifié, avec les peuples autochtones, les immigrants et les populations de langue officielle en situation minoritaire comme étant deux autres groupes d’intérêt particulier. Ces deux autres groupes devraient, au minimum, faire partie de toute initiative entreprise par le ministre en vertu du projet de loi S-256.
Honorables collègues, j’ai déjà fait état, tant dans ce discours que dans celui que j’ai prononcé dans le cadre de l’interpellation au sujet des compétences essentielles, de mes deux préoccupations principales : Premièrement, que le programme national se concentre uniquement sur l’impact économique direct des compétences essentielles, en faisant fi des impacts sociaux et personnels. Deuxièmement, que le programme se concentre aussi davantage sur le perfectionnement, à moindres coûts, d’une partie de la population déjà avantagée et déjà assez bien équipée, au détriment de ceux qui peinent à atteindre un niveau minimal de littératie et de compétences essentielles.
Le projet de loi S-256, par contre, ne se prononce pas sur le « fond ». Il crée un cadre pour que cette discussion ait lieu, et fournit les outils au ministre afin que cette discussion soit large, soutenue et puisse engendrer des impacts réels. J’appuie donc sans réserve ce projet de loi et je félicite notre collègue, l’honorable sénatrice Bellemare, de l’avoir présenté.
Merci.
Sénatrice Gagné, accepteriez-vous de répondre à une question?
Certainement.
Je ne veux pas vous mettre dans le pétrin. Ces deux projets de loi sont complémentaires. Y a-t-il un cadre financier qui accompagnera ce projet de loi? Est-ce que le gouvernement acceptera, soit avec les entreprises privées ou les différents établissements d’enseignement, de participer à ce cadre financier? Y a-t-il une évaluation qui a été faite? Dans le cadre de cette initiative, comme vous l’avez si bien expliqué, il y aura des activités partout au Canada. Y a-t-il un cadre financier qui accompagnera ce projet de loi lorsque la semaine sera créée?
Je n’ai pas eu la chance de lire le budget qui a été déposé aujourd’hui, mais j’ai cru comprendre qu’il y avait une initiative pour ce qui est du développement de la main-d’œuvre. Il s’agirait de voir le contenu et ce qu’on annonce exactement. J’ai cru comprendre qu’une initiative est prévue dans le cadre du budget. J’en ai pris connaissance dans La Presse.
En ce qui concerne les initiatives, à mon avis, il s’agit d’un effort de l’industrie, et les universités, les collèges et les groupes communautaires doivent investir dans la promotion et le développement de cadres de compétences essentielles. On le fait régulièrement en éducation sur toutes sortes de sujets, y compris les compétences linguistiques. Les entreprises et les syndicats ont un bon aperçu des besoins en matière de compétences essentielles.
J’aimerais vous parler d’un projet mis sur pied dans années 1950 et que je trouve particulièrement intéressant. Disons que j’étais quand même assez jeune à cette époque-là. Ce programme existe toujours. Il s’agit du Programme national du sceau rouge. Cette initiative qui a été lancée dans les années 1950. Des participants ont pris part à une conférence nationale au cours de laquelle ils ont proposé que les provinces et les territoires se penchent sur toute la question de l’apprentissage pour exercer des métiers et sur l’importance d’assurer la mobilité des travailleurs et la sécurité des compétences pour pouvoir pratiquer…
Sénateur Maltais?
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?
Sénateur Maltais, le temps de parole de la sénatrice est écoulé.
Je vais demander cinq minutes de plus.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Sénatrice Gagné, vous l’avez bien expliqué et je vous en remercie. Si je comprends bien, ces projets de loi sont des signes précurseurs du budget déposé cet après-midi, dont on n’a pas encore pris connaissance. A-t-on établi un cadre budgétaire? Est-ce que ce sera des coûts de 100 000 $ ou de 5 millions de dollars? Dans le projet de loi, pourra-t-on voir le cadre financier de la semaine en question?
Encore une fois, c’est un investissement qui proviendra de différentes parties. Ce ne sont pas uniquement des fonds du gouvernement fédéral. Je pense que la semaine nationale permettra aux groupes communautaires, aux universités, aux collèges et aux entreprises privées de mettre en valeur l’importance du développement des compétences essentielles pour assurer un meilleur avenir aux Canadiens et aux Canadiennes.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Avec plaisir.
J’aimerais comprendre votre préoccupation particulière, à savoir que le programme national doit prendre en compte les impacts sociaux. Le cadre national sur les compétences essentielles de la main-d’œuvre est-il axé seulement sur les gens qui ont déjà un emploi? Est-ce qu’on doit y ajouter une composante, c’est-à-dire tenir compte des personnes qui n’ont pas d’emploi dans les mesures particulières, ce qui les amènerait à maîtriser ces compétences essentielles?
Ma préoccupation est liée au fait qu’on a déjà vu, dans le contexte des programmes d’emploi de développement de la main-d’œuvre, qu’on a investi seulement dans une petite tranche de la population. Il y a aussi des gens qui ont besoin d’un peu d’aide pour obtenir un emploi. Il y a toute une autre partie de la population qui est négligée. Selon moi, il est très important de tenir compte de cette partie de la population pour l’inciter à prendre une part active à la vie sociale. Je crois que cela peut amener ces personnes à participer à la vie sociale. On les encourage à cheminer vers un emploi.