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Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial

Deuxième lecture--Suite du débat

14 décembre 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-15, qui vise à empêcher que les éléphants et les grands singes soient gardés en captivité si ce n’est pas dans l’intérêt de leur bien-être ou dans le cadre de programmes de recherche scientifique ou de conservation.

Je tiens tout d’abord à remercier le gouvernement pour le travail qu’il a accompli afin de présenter ce projet de loi. Ce projet de loi permet de concrétiser une promesse électorale du gouvernement concernant la protection des animaux en captivité, un objectif qui figure également dans la lettre de mandat du ministre de l’Environnement. J’aimerais également remercier les anciens sénateurs Sinclair et Klyne pour le leadership dont ils ont fait preuve en soulevant cette question dans le cadre de la loi de Jane Goodall.

Mon discours abordera les principes du projet de loi S-15 qui vise à protéger les éléphants et les grands singes des méfaits de la captivité et à mettre fin à l’importation d’éléphants et de grands singes vivants au Canada et à leur exportation du Canada, sauf dans les cas où un permis a été délivré par le ministre.

Le projet de loi permettrait notamment d’éviter des situations comme celle de Lucy, une éléphante d’Asie de 47 ans qui est gardée en captivité au zoo Edmonton Valley depuis l’âge de 2 ans. Lucy, qui a vécu la majeure partie de sa vie en captivité, est malade et a été jugée médicalement inapte à voyager; elle ne peut donc pas être relocalisée dans un sanctuaire d’éléphants aux États-Unis. Lucy restera à Edmonton, où elle est obligée d’endurer les rigueurs de l’hiver et des températures inférieures à zéro degré Celsius.

De plus en plus de Canadiens sont d’avis que les animaux sauvages devraient avoir le droit de vivre dans la nature et ne devraient pas être gardés en captivité, à moins que ce soit directement à leur avantage ou dans le but de protéger une espèce. Le projet de loi S-15 aidera les éléphants et les grands singes à vivre leur vie librement, dans la nature.

Il y a toutefois d’autres animaux qui devraient aussi être protégés, dont les grands félins, les ours, les loups, les phoques et les reptiles. En fait, nous devrions envisager de bonifier la protection accordée aux 800 espèces sauvages qui, selon d’abondantes recherches scientifiques, souffrent grandement quand elles sont en captivité parce que leurs mouvements et leurs comportements naturels y sont gravement limités. La mise en captivité de ces animaux est cruelle et inhumaine, en plus d’être souvent dangereuse et de constituer une forme d’exploitation. Il ne devrait y avoir que quelques rares circonstances où des animaux sauvages sont gardés en captivité, par exemple lorsque c’est dans l’intérêt de l’animal ou pour des recherches destinées à protéger une espèce donnée. Nous avons le devoir de mieux protéger la dignité des animaux sauvages et de donner l’exemple aux autres pays, et nous en avons aujourd’hui l’occasion.

Les politiques sur la protection de la faune doivent tenir compte du fait que le commerce mondial d’espèces sauvages contribue à l’appauvrissement de la biodiversité et à une extinction de masse, en plus de constituer un danger pour la santé, car il alimente les risques de propagation des zoonoses. Ces politiques doivent également s’attaquer à la crise canadienne de la biodiversité en prônant des changements transformateurs, car, dans les faits, le commerce des petits animaux exotiques, par exemple, vient hélas justifier de façon importante et croissante les importations d’animaux au Canada, sans compter que cette pratique nécessite des contacts étroits entre les humains et les animaux sauvages, ce qui pose un danger de propagation des maladies. J’espère que cette question, et bien d’autres, seront abordées par les témoins qui prendront part à l’étude du comité.

L’année dernière, la Conférence des Nations unies sur la biodiversité, la COP 15, qui s’est tenue à Montréal, a abouti à un accord historique destiné à « [...] guider l’action mondiale en faveur de la nature jusqu’en 2030 [...] » et à nous inviter à faire en sorte que « [...] 30 % de la planète et 30 % des écosystèmes dégradés [...] » soient mis sous protection d’ici 2030. Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal prévoit des mesures concrètes pour endiguer et inverser la perte de milieux naturels pour « [...] lutter contre la perte de biodiversité [...] restaurer les écosystèmes et [...] protéger les droits des populations autochtones ».

Les quatre objectifs globaux du cadre sont les suivants :

[...] mettre un terme à l’extinction des espèces menacées due à l’homme et diviser par dix le taux d’extinction de toutes les espèces d’ici à 2050; utiliser et gérer durablement la biodiversité pour faire en sorte que les contributions de la nature à l’humanité soient appréciées, maintenues et renforcées; partager équitablement les avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et de l’information sur les séquences numériques des ressources génétiques; et faire en sorte que des moyens adéquats de mise en œuvre du Cadre mondial pour la biodiversité soient accessibles à toutes les parties, en particulier aux pays les moins avancés et aux petits États insulaires en développement.

L’activité humaine est responsable du dangereux déclin de la nature, et 1 million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction, dont un grand nombre au cours des prochaines décennies.

Les perspectives de nos relations avec la nature et la faune sont en train de changer pour de bon. Les peuples autochtones le savent depuis des temps immémoriaux, mais, aujourd’hui, la science leur donne raison. Nous devons reconnaître que toutes les créatures vivantes sont interreliées — chaque organisme, espèce et écosystème fait partie intégrante d’un réseau dont la force n’a d’égale que celle du maillon le plus faible. L’homme dépend de la nature, et non l’inverse. Une nouvelle approche basée sur l’écocentrisme est en train de s’imposer. Selon cette approche, « [...] tous les éléments de la communauté biotique possèdent une valeur intrinsèque, qu’ils soient ou non utiles à l’homme ».

La semaine dernière, à Dubaï, lors de la COP 28, le rôle important des peuples autochtones dans l’élaboration de solutions efficaces et fondées sur la nature et dans la mise en œuvre de solutions pour le climat a été reconnu, ce qui n’avait que trop tardé. Les peuples autochtones et leur savoir traditionnel sont inestimables pour la préservation de la biodiversité et de la santé des écosystèmes. Comme les peuples autochtones, nous devons adopter une approche holistique au lieu de considérer les espèces de manière isolée.

De plus, au terme de la COP28, les parties ont adopté une décision rappelant le contenu du 13e préambule de l’Accord de Paris, qui soulignait l’importance de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la Terre nourricière. Le préambule prenait également note de l’importance pour certains de la notion de justice climatique dans l’action menée face aux changements climatiques. Selon l’Observatoire international des droits de la nature, il s’agit là d’une avancée, puisque pour la première fois, une mention est faite de la Terre nourricière dans les dispositions concernant les approches non fondées sur les marchés promus de l’Accord de Paris a été faite pour la première fois.

Une telle avancée résulte du leadership de la délégation de la Bolivie et d’une proposition de texte dans lequel on a reconnu l’importance de renforcer les droits de la Terre nourricière et les approches centrées sur la Terre nourricière dans le contexte de l’identification du développement et de la mise en œuvre d’approches non fondées sur les marchés.

Pendant la campagne électorale fédérale de 2021, le gouvernement s’est engagé auprès des Canadiens à « [t]ravailler avec des partenaires pour contrer le commerce illégal des espèces sauvages et pour mettre fin au commerce de l’ivoire de l’éléphant et de la corne de rhinocéros au Canada ». J’applaudis également le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, qui a annoncé dernièrement :

[...] une approche plus stricte en matière de commerce pour le Canada visant à restreindre davantage le transport d’ivoire d’éléphant et de cornes de rhinocéros de part et d’autre des frontières canadiennes.

À quelques exceptions près, l’importation et l’exportation d’ivoire d’éléphant brut et de cornes de rhinocéros brutes seront ainsi interdites. Il en ira de même de l’ivoire d’éléphant et des cornes de rhinocéros importées en tant que trophées de chasse. Or, il faut aussi mettre un frein au commerce illégal des autres espèces, dont les grands félins.

Le comité devrait aussi chercher des façons de resserrer les normes imposées aux jardins zoologiques et se demander si la société juge encore ces derniers acceptables dans leur forme actuelle. Entre autres choses, l’établissement de normes juridiques et scientifiques transparentes pour les zoos garantirait que les animaux qui demeurent en captivité, comme les tigres, les lions et de nombreuses espèces de singe, ne sont plus placés dans des cages trop petites et de piètre qualité et que les grands félins et les autres espèces d’animaux exotiques ne seront pas confiés sans permis à des personnes qui n’ont ni l’expertise, ni la formation, ni les installations nécessaires pour leur offrir un milieu de vie sûr et sain.

Vous avez peut-être appris que, le 30 novembre, un kangourou qu’on transportait en direction du Québec a échappé à ses gardiens à l’est de Toronto. Il s’est promené en toute liberté pendant plus de trois jours avant d’être retrouvé et capturé par des policiers. Heureusement, le kangourou semble s’en être tiré indemne, et aucun blessé n’a été signalé.

Honorables collègues, il y a des lacunes dans le cadre législatif et réglementaire qui s’applique aux animaux sauvages en captivité, et il n’est donc pas surprenant que des animaux sauvages s’évadent des petits zoos privés. C’est pour cela que des groupes de défense des animaux, comme Protection mondiale des animaux Canada, réclament une réglementation plus stricte pour qu’on puisse à la fois protéger les animaux sauvages en captivité — en veillant à ce que les zoos appliquent les normes les plus rigoureuses en matière de bien-être des animaux — et assurer la santé et la sécurité de la population.

Le comité pourrait tenir compte de la nécessité d’en faire davantage pour assurer le bien-être des animaux ainsi que la santé et la sécurité de la population. Comme c’est un secteur sous‑réglementé et non durable, il faut resserrer davantage les règles pour lutter contre le commerce des animaux sauvages. Il ne fait aucun doute que le commerce légal des animaux sauvages ne fait qu’alimenter le commerce illégal, et il nous faut des règlements efficaces pour améliorer le système de surveillance et de collecte de données qui est en place au Canada, et qui sert avant tout à exercer une surveillance à l’égard des zoonoses et des animaux sauvages utilisés à des fins alimentaires. Nous devons en faire davantage pour prévenir la souffrance animale et réduire les risques de maladie et d’appauvrissement de la biodiversité.

Chers collègues, le nouveau Sénat remplit son devoir de second examen objectif et propose des projets de loi visionnaires, intégrés, holistiques, rigoureux et cohérents. Les mesures législatives que nous proposons visent à régler des problèmes importants de la société canadienne. Dans ce nouveau Sénat, nous tirons fierté du fait que nos textes législatifs sont réfléchis, complets et de grande qualité. Dans certains cas, il arrive qu’une idée qui a vu le jour dans un projet de loi d’intérêt public du Sénat soit reprise en partie par le gouvernement. Elles devraient néanmoins être reprises intégralement.

La loi de Jane Goodall, qui vise aussi à protéger les animaux, semble supérieure au projet de loi S-15, car elle est plus exhaustive. Renvoyons le projet de loi S-15 au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles pour qu’il fasse l’objet d’un examen rigoureux et qu’il aboutisse à une loi qui a du mordant, qui protège concrètement les animaux sauvages et qui nous rapproche de l’Objectif 30x30 en protégeant la biodiversité de même que la santé humaine. Je vous remercie. Meegwetch.

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