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Discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

2 mai 2019


Honorables sénateurs, c’est un privilège de prendre la parole et de me présenter aujourd’hui. Je suis honoré qu’on me confie la responsabilité de sénateur. Il me tarde de travailler avec chacun de vous afin de créer les conditions où « tous les Canadiens [ont] des chances réelles et égales de réussite ».

Cette vision, que je partage, est exprimée dans le discours du Trône qui a ouvert la 42e législature. Pour moi, cela veut dire travailler de concert pour faire en sorte que tous les Canadiens aient une possibilité égale d’améliorer leur sort et celui de leur famille. Au fil des ans, la qualité de vie s’est améliorée pour la plupart des Canadiens, mais pas tous.

Ces dernières années, nous avons toutefois été témoins d’une fragmentation accrue, qui nous éloigne du civisme dans le discours et nous fait cesser de voir comme des égaux les gens qui ne reflètent pas notre point de vue. Cette fragmentation a augmenté les obstacles qui nous séparent des possibilités et de l’égalité. Elle nous a aussi empêchés de voir la réalité, soit que l’égalité des chances n’est pas donnée à tous les Canadiens.

Nous savons que l’indice du développement humain est élevé au Canada, mais l’Organisation de coopération et de développement économiques classe le Canada au vingtième rang parmi ses pays membres pour ce qui est de l’inégalité du revenu.

Au Canada, plus de 1 million d’enfants vivent dans la pauvreté, 4 millions de personnes sont touchées par l’insécurité alimentaire et 3 millions de personnes vivent dans la précarité sur le plan du logement. De nombreux Canadiens n’ont pas accès à de l’eau propre ou à des soins de santé de qualité. La prospérité n’est pas donnée à tout le monde au Canada.

Trop souvent, le succès dépend de l’endroit où l’on vit, de qui l’on est et de ses origines personnelles et familiales. Il faut changer ces conditions et les autres facteurs qui nuisent à l’égalité des chances.

Nous vivons dans un pays d’abondance, mais les Canadiens ne jouissent pas tous de chances égales pour profiter de ces richesses. Nous devons reconnaître qu’il n’est pas possible d’améliorer le sort de tous nos concitoyens s’ils ne peuvent pas bénéficier de chances égales.

Je me suis rendu compte que, au Sénat, nous avons la possibilité et la responsabilité de nous attaquer à ce problème grave en adoptant des lois, en menant des études et en défendant des causes. Notre travail contribue à créer un milieu dans lequel tous les Canadiens peuvent s’attendre à avoir des chances égales et à en bénéficier, un milieu qui élimine les obstacles à la prospérité.

À mon avis, nous pouvons agir sur deux plans pour atteindre cet objectif, soit en favorisant la recherche et l’innovation, ainsi qu’en renforçant la prise de décisions fondées sur les meilleures données disponibles, afin d’améliorer la santé des personnes, des familles et des collectivités. Je suis conscient qu’il est nécessaire de se pencher sur d’autres enjeux, mais, de concert avec mes collègues du Sénat, j’espère examiner ces deux-là.

Honorables sénateurs, afin de mettre ces orientations en contexte, j’aimerais vous faire part de mon histoire et de celle de ma famille, en particulier les défis que nous avons dû relever et les possibilités qui se sont offertes à nous au Canada.

Mon expérience à titre d’enfant de réfugiés et de personne qui a réussi dans son domaine malgré un trouble d’apprentissage m’a fait connaître, comme beaucoup d’entre vous, ma juste part des vicissitudes de la vie. Ensemble, ces expériences forment ma tapisserie personnelle, qui fait partie d’un ensemble plus vaste qui me lie à tous les Canadiens.

Mes parents se sont tous deux retrouvés au Canada en tant que réfugiés de l’Ukraine à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’âge de 16 ans, mon père a quitté sa famille pour étudier la médecine. Le jour de son départ est la dernière fois qu’il a vu les membres de sa famille. Beaucoup des personnes qui ont survécu à la guerre sont décédées lors de l’Holodomor, une famine orchestrée par Staline. Les survivants se sont vu confisquer leurs terres et, comme ils étaient des koulaks, ils ont été envoyés en Sibérie et qualifiés d’« ennemis du peuple ». Se frayant un chemin à travers les armées en guerre, mon père a survécu au bombardement de Dresde et est parvenu on ne sait trop comment à se rendre au Canada.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus de 32 000 Ukrainiens ont trouvé refuge au Canada. À leur arrivée, beaucoup de ces immigrants, à l’instar de mon père, ont dû apprendre une nouvelle langue et trouver un nouvel emploi tout en surmontant de nombreux obstacles propres aux réfugiés. Mon père souhaitait poursuivre ses études de médecine. Toutefois, il n’a pas été admis à l’école, car les étrangers n’y étaient pas acceptés. Il a plutôt choisi de devenir ministre presbytérien et, en cours de route, il a rencontré et marié ma mère.

Ma mère est venue au Canada avec ses parents et ses frères en tant que réfugiés parrainés par un groupe religieux. Ils sont arrivés au Quai 21, à Halifax, un terminal portuaire avec un hangar qui a accueilli plus de 1 million d’immigrants de 1928 à 1971.

Des décennies plus tard, je suis retourné là où ma mère était débarquée, et j’ai fait d’Halifax mon chez-moi.

En Ukraine, mon grand-père était tailleur. Conscrit dans l’armée polonaise lorsque la guerre a éclaté, il a survécu à l’anéantissement de son unité et il a réussi à retrouver sa famille. Peu après, la famille a été transportée en wagon à bestiaux jusqu’au Reich. Elle a réussi à éviter l’exécution, elle a survécu au choléra, elle est parvenue on ne sait comment à rester ensemble et, enfin, elle est venue au Canada.

Mes grands-parents se sont installés à Toronto et ils ont travaillé dans les usines de schmata. En épargnant chaque sou, ils ont pu acheter une maison, qu’ils ont transformée pour héberger d’autres réfugiés. Quand ils sont morts, ils ont laissé des petits-enfants très instruits et un certain nombre de propriétés. Toutefois, ni l’un ni l’autre n’avait appris à lire ou à écrire l’anglais.

En tant qu’enfant de pasteur, j’ai habité un peu partout au pays. Nous avons vécu dans des régions rurales et urbaines de l’Alberta, du Manitoba et de l’Ontario. Cependant, où que nous nous installions, ma famille était toujours « l’autre ». Nous étions les enfants qui parlaient une drôle de langue à la maison. Mon père avait trouvé sa vocation dans les missions intérieures. Il travaillait avec des immigrants et des réfugiés dans le centre-ville. Il m’a appris à ne jamais abandonner. Il aimait bien dire que le succès, c’est 10 p. 100 d’inspiration et 90 p. 100 de transpiration.

Pour ma famille, le Canada était un pays d’accueil et de possibilités. C’était un endroit qui lui donnait la chance dont elle avait besoin pour se bâtir une nouvelle vie réussie, et c’est ce qu’elle a fait. C’est pourquoi il est essentiel que le Canada appuie les réfugiés. Il doit préserver sa réputation en tant que terre d’accueil et de possibilités.

D’ailleurs, ma merveilleuse épouse, Jan, a consacré la majeure partie de sa vie professionnelle à aider à uniformiser les règles du jeu pour les immigrants et les réfugiés ici, au Canada. Je sais que ce travail aurait aidé mes parents et d’autres migrants comme eux lorsqu’ils sont arrivés ici.

J’ai eu des difficultés à l’école, gracieuseté d’un TDAH et de la dyslexie. À l’époque, ni l’un ni l’autre de ces troubles n’étaient connus ou compris par les éducateurs ou les enfants. Mes parents, toutefois, comprenaient l’utilité de faire des études : ils y voyaient un moyen de réussir. Ce sont leurs attentes, leur insistance et leurs pressions considérables qui m’ont aidé à tirer profit de la possibilité qu’offrait la scolarisation.

C’est la technique que nous avons utilisée avec succès avec nos trois enfants, Daniel, Matthew et Leah. J’espère qu’ils vont maintenant en faire autant avec nos sept petits-enfants.

Ma vie à l’université n’a pas toujours été facile. Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai décroché à l’université d’un programme de doctorat en histoire. J’ai décidé d’aller à la Faculté de médecine de l’Université McMaster. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai fait mon internat à Toronto, puis j’ai consacré ma formation post-internat à la recherche sur le métabolisme du cerveau à Édimbourg. À mon retour, j’ai créé le premier programme complet de recherche clinique sur la santé mentale des adolescents au Canada. Comme porte-parole dans mon domaine, j’ai contribué à imprimer des orientations nouvelles à la recherche clinique et communautaire en santé mentale.

Tout au long de ma carrière, j’ai constaté l’importance d’encourager la créativité en appuyant la recherche et l’innovation. Ma priorité a toujours été les sciences, la technologie, le génie et la médecine. Toutefois, j’ai vu que les perspectives dans ces domaines ne sont pas les mêmes pour tous. Il y a trop de groupes qui ont trop longtemps été ignorés. Pendant trop longtemps, ils n’ont pas eu des chances égales d’accès ou d’avancement. Cela doit cesser.

J’ai aussi eu la chance d’occuper les fonctions de doyen adjoint du programme de santé internationale et de directeur du centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la Santé, à l’Université Dalhousie. Ma carrière m’a fait voyager dans plus de 20 pays, dont beaucoup en développement, où j’ai mené différents travaux dans le domaine de la santé. J’ai notamment travaillé dans le domaine de la santé mentale des adolescents, contribué à fonder des écoles de médecine et participé au renforcement des capacités de recherche.

Plus récemment, j’ai participé à la mise au point de mesures d’intervention efficaces en santé mentale dans des écoles canadiennes et étrangères. Pendant ces travaux, j’ai remarqué que, la plupart du temps, il y a des lacunes considérables au chapitre des connaissances scientifiques et médicales, non seulement dans la population en général, mais aussi parmi les enseignants, les professionnels et les décideurs. C’était le cas dans les pays en développement, mais aussi dans des pays développés comme le Canada.

Par conséquent, bien des gens ne possèdent pas les connaissances et les compétences nécessaires pour améliorer leur qualité de vie et celle de leur famille. Cela entraîne des inégalités au chapitre des résultats en santé, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. J’ai constaté que, en améliorant leurs connaissances scientifiques et médicales, les gens peuvent prendre des décisions plus éclairées qui contribuent à améliorer leur qualité de vie.

Ce n’est pas une idée révolutionnaire. Elle faisait déjà partie des orientations mises de l’avant par le Canada il y a plus de 30 ans dans la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Cela dit, les besoins sont probablement plus criants aujourd’hui qu’ils l’étaient alors. De nos jours, les Canadiens se fondent beaucoup, pour prendre leurs décisions en matière de santé et de santé mentale, sur la pseudoscience et les tendances bien-être popularisées par des célébrités. Résultat : nous assistons au retour de maladies qui peuvent être prévenues, et nous voyons la population acheter des produits et des programmes qui n’ont aucune valeur reconnue par la science.

Il est possible de renverser cette tendance. Il faut pour cela renforcer le système réglementaire, diffuser abondamment des renseignements fondés sur la science, et donner à tous les Canadiens l’occasion d’améliorer leur littératie en matière de science et de santé. Les difficultés que j’ai vécues et les inégalités que j’ai constatées m’ont amené à réévaluer l’idée de comparer le Canada à une mosaïque.

En effet, une mosaïque donne l’impression d’un tout quand on la regarde de loin, mais lorsqu’on l’examine de près, il est clair que les pièces sont de tailles différentes et séparées les unes des autres. Ces séparations peuvent devenir des cloisons. Elles nous empêchent de nous connaître les uns les autres et peuvent perpétuer les inégalités existantes. Nous ne voulons pas de cloisons de ce genre au Canada.

Plutôt, je vois notre pays comme une tapisserie. Chaque fil unique est tissé avec de nombreux autres fils uniques. Chaque fil renforce les autres et, à son tour, est renforcé par les autres. Ces fils nous maintiennent ensemble plutôt que de nous séparer. Ce sont les liens qui nous unissent.

Chers collègues, le Canada est un pays qui a été bâti et qui continuera d’être édifié par de nombreuses mains. Les Canadiens raconteront notre histoire au moyen de bien des voix différentes. Certains d’entre nous sont ici depuis longtemps. D’autres sont arrivés plus récemment. Tissées ensemble, nos histoires forment la tapisserie de notre pays. Ce que le Canada est et ce qu’il pourrait être dépendent de notre capacité à fournir à « tous les Canadiens et Canadiennes [...] des chances réelles et égales de réussite ». Comment faire cela? En assurant l’égalité des chances pour tous.

Honorables sénateurs, je suis impatient de travailler avec vous tous pour que, collectivement, nous fassions notre possible afin de faire davantage de notre pays une nation qui traite tous ses citoyens de manière égale. Merci.

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