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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

7 mars 2023


Propose que le projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-39, qui modifie la Loi modifiant le Code criminel concernant l’aide médicale à mourir, présenté à l’autre endroit par le ministre de la Justice le 2 février 2023.

Le projet de loi propose de prolonger d’un an, soit jusqu’au 17 mars 2024, l’exclusion temporaire de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué pour la demande.

En l’absence de changement à la loi, cette exclusion sera automatiquement annulée le 17 mars 2023. À ce moment-là, l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans ces circonstances deviendra légale en fonction des critères actuels.

Chers collègues, avant de commencer, je tiens à mentionner que le matériel et le sujet du débat que nous entamons aujourd’hui et que nous poursuivrons jusqu’à jeudi peuvent être très difficiles à supporter pour certaines personnes. Ils peuvent susciter de vives émotions. Nous parlons de questions de vie ou de mort. Nous parlons de maladie mentale.

Je veux que mes collègues et quiconque écoute ou regarde nos délibérations sachent que s’ils éprouvent des difficultés à cause du sujet de cette discussion ou bien en général, il existe de l’aide pour eux, et je les encourage à s’en prévaloir. Demander de l’aide est un signe de force et non de faiblesse.

Le but de cette prolongation en vue de permettre au gouvernement fédéral de mieux se préparer à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué se divise en quatre volets : premièrement, s’assurer qu’un système national de déclaration répondant aux exigences énoncées dans le projet de loi C-7 est établi et a commencé à recueillir des données aux fins de la surveillance de l’aide médicale à mourir et de l’évaluation du régime; deuxièmement, s’assurer que la norme de pratique exemplaire en matière d’aide médicale à mourir est au point et a été distribuée aux organismes de réglementation de toutes les provinces et de tous les territoires; troisièmement, s’assurer qu’un programme de formation national accrédité en matière d’aide médicale à mourir a été créé et est offert aux nouveaux et aux actuels prestataires de l’aide médicale à mourir; quatrièmement, laisser suffisamment de temps pour l’étude du rapport final du Comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat sur l’aide médicale à mourir.

J’aborderai chacun de ces critères de préparation en temps voulu.

Comme nous le savons tous, le projet de loi C-7 a reçu la sanction royale le 17 mars 2021, soit environ un an après que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré la pandémie de COVID-19.

La COVID-19 a nui au travail de préparation entrepris à l’égard de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, et nous sommes tous au courant des effets nuisibles de cette pandémie sur notre système de santé.

Pour pouvoir mener à bien ce travail de préparation en temps opportun, il fallait mettre à contribution bon nombre de fournisseurs de soins, d’organismes de réglementation, de fonctionnaires et d’autres intervenants du système de santé, mais ils étaient tous débordés par ce fléau inattendu.

C’est d’ailleurs grâce au bon travail des intervenants de plusieurs secteurs qu’on a déjà pu réaliser une aussi grande partie du travail.

Malgré les retards attribuables à la COVID-19, des progrès considérables ont été réalisés. Je suis d’avis qu’il est judicieux d’attendre plus longtemps afin que le gouvernement fédéral puisse remplir ses engagements avant l’entrée en vigueur des dispositions législatives sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Cela permettrait notamment de répondre adéquatement aux quatre critères de préparation que j’ai mentionnés plus tôt.

Bien que mes remarques d’aujourd’hui portent principalement sur les progrès réalisés dans les domaines clés dans lesquels le gouvernement fédéral a agi après l’entrée en vigueur du projet de loi C-7, je voudrais tout d’abord profiter de cette occasion pour rappeler la division complexe des pouvoirs et des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux en ce qui concerne l’évaluation des demandes et l’administration de l’aide médicale à mourir. De nombreux Canadiens avec qui j’ai discuté ont entretenu une certaine confusion au sujet de ces responsabilités distinctes.

Le gouvernement fédéral est responsable du Code criminel. C’est là que sont établis les paramètres juridiques de l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement fédéral n’est pas responsable de la prestation générale des services médicaux, notamment de l’aide médicale à mourir, car ces services relèvent principalement de la responsabilité des provinces et des territoires.

Le gouvernement fédéral n’est pas non plus responsable de la réglementation visant les personnes qui fournissent ces services. Cette responsabilité incombe aux provinces et aux territoires qui, à leur tour, la délèguent à des organismes de réglementation indépendants, tels que le Collège des médecins et chirurgiens et l’Ordre des infirmières et infirmiers.

J’aimerais également profiter de cette occasion pour rappeler certaines conditions à respecter pour emprunter la voie du deuxième volet afin de recevoir l’aide médicale à mourir, notamment lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, au Canada et, ce faisant, corriger certaines informations erronées qui circulent autour de nous.

L’aide médicale à mourir est un acte médical pratiqué par des médecins et des infirmiers praticiens formés. À quelques exceptions près, elle est administrée par les systèmes de santé provinciaux et territoriaux — mais par le système fédéral pour les militaires et les détenus, entre autres —, et elle est réglementée par les organismes de réglementation indépendants et bien établis de chaque province et territoire. À ce titre, elle est semblable à tout autre acte médical, dans la mesure où elle doit se conformer aux lois, à la réglementation, aux normes de pratique, aux politiques et aux procédures en vigueur.

Par conséquent, en plus de toutes les règles précises sur l’aide médicale à mourir, les évaluateurs et prestataires de cette pratique doivent respecter les règlements s’appliquant à tous les actes cliniques, qu’ils portent sur la confidentialité, la documentation, le champ d’exercice ou toute autre exigence réglementaire.

Par ailleurs, dans bien des provinces et des territoires, les fournisseurs de l’aide médicale à mourir se servent d’un système d’admission centralisé mis en place par les autorités sanitaires et adoptent une approche axée sur la communauté de pratique pour se soutenir et se consulter. Dans d’autres provinces et territoires, les praticiens qui administrent l’aide médicale à mourir font appel aux réseaux offerts par les associations professionnelles pour obtenir des conseils et des directives de leurs pairs. Autrement dit, chers collègues, la prestation des services cliniques d’aide médicale à mourir ne se pratique pas en vase clos.

Les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental seront protégées par les mesures de sauvegarde prévues dans le deuxième volet.

Une personne peut demander par écrit à un médecin ou à un infirmier praticien qu’il évalue si elle est admissible à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Ensuite, l’état de la personne est évalué, de façon indépendante, par deux médecins ou infirmiers praticiens qui ont reçu une formation sur l’évaluation des demandes pour cette procédure. Si aucun des deux évaluateurs n’a d’expertise sur le problème médical à l’origine des souffrances de la personne, un troisième médecin ou infirmier praticien ayant une telle expertise doit être consulté.

Pour l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, un psychiatre indépendant, qui est spécialiste du problème de santé de la personne, serait souvent un consultant ou un évaluateur approprié.

Si on juge que la personne est admissible à cette forme d’aide médicale à mourir selon les exigences prévues dans la loi, au moins 90 jours doivent s’écouler entre le moment de la demande et la prestation de la procédure. Pendant cette période, les praticiens de l’aide médicale à mourir doivent veiller à ce que la personne soit informée des autres moyens disponibles pour alléger ses souffrances et à ce qu’on lui ait offert de consulter les professionnels compétents.

Il importe de noter que cette période de 90 jours est un délai minimal : les praticiens peuvent prendre tout le temps nécessaire pour bien effectuer l’évaluation. Si un évaluateur a un quelconque doute sur l’admissibilité d’un point de vue médical ou juridique, l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental n’est pas administrée.

Si, au cours de la période de 90 jours, la personne devient suicidaire, des mesures de prévention du suicide sont mises en œuvre, et la procédure n’est pas menée à terme. Si la personne change d’avis, la procédure est annulée.

Il est tout simplement faux, malgré toutes les informations erronées qui circulent, qu’une personne activement suicidaire ou traversant une crise émotionnelle, et se sentant donc déprimée, anxieuse ou malheureuse, peut demander l’aide médicale à mourir et l’obtenir sans une évaluation minutieuse par des cliniciens hautement qualifiés, sans qu’il se soit écoulé au moins 90 jours et sans qu’une diligence raisonnable ait été exercée.

Les affirmations que nous avons entendues, selon lesquelles une personne en crise de santé mentale aiguë peut se présenter dans un hôpital ou une clinique, demander l’aide médicale à mourir et la recevoir rapidement sont tout simplement fausses.

Parmi les autres informations erronées concernant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, il y a le fait qu’une personne peut avoir droit à l’aide médicale à mourir uniquement parce qu’elle a de la difficulté à obtenir des soins de santé mentale, l’idée que l’aide médicale à mourir deviendra une solution de rechange à la prestation de soins de santé mentale et l’idée que l’aide médicale à mourir a été créée par le gouvernement pour réduire les coûts du système de santé. Ces affirmations sont toutes fausses.

Contrairement à ce que les désinformateurs voudraient nous faire croire, l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental ne peut pas être fournie simplement parce qu’une personne a de la difficulté à obtenir des soins de santé mentale ou parce qu’elle ne se sent pas bien sur le plan émotionnel.

Au contraire, le demandeur type potentiellement admissible à l’évaluation pour obtenir l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est une personne qui souffre d’un trouble mental de longue date. C’est aussi une personne qui a bénéficié d’un très large éventail d’interventions thérapeutiques pendant une période prolongée — souvent une décennie ou plus — et qui, en dépit de tous les traitements fournis, continue à souffrir de manière intolérable. Le problème n’est pas le manque d’accès aux soins de santé mentale.

Les personnes susceptibles d’être admissibles à l’évaluation pour obtenir l’aide médicale à mourir ont eu droit à quantité de soins de santé mentale pendant une longue période. Là encore, le problème n’est pas l’accès aux soins, mais le fait qu’aucun des traitements essayés, pendant une longue période, n’a été couronné de succès.

La triste réalité, comme dans tous les domaines de la pratique médicale, c’est qu’il existe une minorité de personnes dont les troubles mentaux ne répondent à aucun traitement disponible. Ces personnes continuent d’éprouver une souffrance profonde et persistante, en dépit de tout ce qui a été essayé. Cette réalité est semblable à celle qui est observée pour d’autres maladies cérébrales et, par ailleurs, pour d’autres maladies non cérébrales.

Malheureusement, qu’il s’agisse d’une maladie mentale ou d’un autre type de maladie, il arrive que les traitements dont nous disposons ne parviennent pas à améliorer l’état des gens. Certaines de ces personnes, mais pas toutes, souffrent de manière intolérable.

De plus, certains intervenants voudraient nous faire croire qu’ils sont mieux placés que le patient pour comprendre la souffrance que celui-ci doit endurer. Ils voudraient qu’on accepte d’obliger une personne à continuer de souffrir de façon intolérable pendant des années ou des décennies, en attendant qu’un remède miracle soit découvert, juste au cas où cela pourrait arriver, parce que c’est leur volonté.

Ils avancent l’idée selon laquelle une personne saine d’esprit qui souffre énormément et constamment d’une maladie mentale ne devrait pas pouvoir décider de la façon dont elle veut disposer de sa vie, alors qu’on le permet à des personnes atteintes d’une autre sorte de maladie. C’est un autre exemple de préjugés envers les personnes atteintes d’une maladie mentale, et la désinformation vient aggraver ces préjugés.

Chers collègues, étant donné que nous avons tous un rôle à jouer pour corriger la désinformation en matière de santé quand nous en avons connaissance, nous avons la responsabilité, en tant que membres de la Chambre haute, de le faire également à l’égard de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Je tiens maintenant à rappeler à tous les sénateurs les responsabilités que le Parlement a établies dans le cadre du projet de loi C-7 en ce qui concerne la préparation en vue d’offrir l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Je vais ensuite parler des activités que le gouvernement fédéral a entreprises jusqu’à présent pour faciliter ce travail de préparation.

Je vais commencer par cette exigence du projet de loi C-7 :

Un examen approfondi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et de l’application de celles-ci, notamment des questions portant sur les mineurs matures, les demandes anticipées, la maladie mentale, la situation des soins palliatifs au Canada et la protection des Canadiens handicapés, est fait par un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes.

Le projet de loi C-7 a aussi obligé les ministres de la Justice et de la Santé à :

[faire] réaliser par des experts un examen indépendant portant sur les protocoles, les lignes directrices et les mesures de sauvegarde recommandés pour les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale.

Le projet de loi a aussi autorisé le gouvernement à revoir la réglementation sur l’établissement des rapports sur l’aide médicale à mourir afin d’exiger la collecte et l’analyse d’une gamme plus vaste de renseignements sur les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir, notamment leur race, leur identité autochtone et leur état d’invalidité.

On peut légitimement se poser la question : quels progrès ont été réalisés à l’égard de toutes ces mesures?

Premièrement, examinons le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir, qui énonce les exigences en matière de préparation de rapports sur les demandes d’aide médicale à mourir. Ces mesures législatives sont entrées en vigueur en novembre 2018, mais elles ont récemment été révisées pour accroître considérablement la collecte et la publication de renseignements sur les demandes d’aide médicale à mourir. Plus particulièrement, il est maintenant obligatoire de collecter des renseignements sur la race, l’identité autochtone et tout handicap de la personne. Cette version révisée du règlement est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. C’est donc dire que la collecte élargie de renseignements est déjà commencée. Je remarque que ces modifications sont en partie attribuables aux amendements apportés à l’ancien projet de loi C-7. Ces amendements avaient été proposés par notre honorable collègue la sénatrice Jaffer, avec l’appui de nombreux sénateurs.

Deuxièmement, nous devons tenir compte du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Comme vous le savez, le rapport final de ce comité était attendu l’année dernière. Toutefois, l’échéance avait été repoussée. Le rapport final a été récemment publié — environ un mois avant la fin de la période d’exclusion relative à la maladie mentale. Si la période d’exclusion relative à la maladie mentale n’avait pas été prolongée, le gouvernement fédéral aurait difficilement pu prendre adéquatement en considération le rapport final et les recommandations avant l’échéance. Maintenant que la période d’exclusion a été prolongée, le gouvernement fédéral pourra prendre le temps nécessaire pour examiner ce rapport et ces recommandations.

Le Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale, qui a été créé par le gouvernement fédéral, a effectué un examen indépendant. Son rapport final a été présenté au Parlement le 13 mai 2022. Il contient des informations précieuses sur les questions liées à l’aide médicale à mourir pour les troubles mentaux et une analyse de ces dernières. Pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de lire le rapport, il est utile de le faire pour se préparer à étudier le projet de loi dont nous sommes saisis. Le rapport recommande notamment que le gouvernement fédéral facilite l’établissement de normes de pratique qui pourraient être adoptées et adaptées par les autorités réglementaires.

Santé Canada a créé un groupe de travail indépendant pour établir ces normes de pratique. Les normes de pratique pour évaluer les demandes complexes d’aide médicale à mourir, notamment les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, ont été élaborées par un groupe de travail composé d’experts cliniques et juridiques ainsi que d’experts de la réglementation. Le groupe de travail a également rédigé un document intitulé Advice to the Profession : Medical Assistance in Dying pour compléter les normes de pratique que les autorités réglementaires peuvent utiliser pour donner des conseils cliniques aux fournisseurs d’aide médicale à mourir qui cherchent de l’information au sujet de certains aspects de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Les organismes de réglementation, les ministères provinciaux et territoriaux, les autorités de la santé et des cliniciens de partout au pays ont maintenant transmis leurs commentaires au groupe de travail au sujet des ébauches de modèle de norme de pratique et du document intitulé Advice to the Profession. Ces documents ont été passés en revue et révisés en fonction de leurs commentaires. Le modèle de norme de pratique et le document Advice to the Profession sont en cours de traduction et seront bientôt publiés. Ils pourront alors être adaptés ou adoptés par les différents organismes de réglementation chargés de déterminer comment prodiguer l’aide médicale à mourir dans chaque province et territoire.

Je vous rappelle que ce sont ces organismes de réglementation qui établissent les normes cliniques et éthiques pour l’ensemble des soins, y compris l’aide médicale à mourir, et qui fournissent des conseils et une orientation aux médecins et aux infirmières praticiennes. Ils font cela afin de protéger le public, car c’est leur mandat principal. Ils sont indépendants du gouvernement, rendent des comptes au public et peuvent imposer des sanctions disciplinaires aux médecins et aux infirmières praticiennes qui relèvent de leur autorité, sanctions qui peuvent aller jusqu’à la révocation définitive de leur permis d’exercer. Même si ces organismes de réglementation sont indépendants les uns des autres et du gouvernement, la création d’un modèle de norme de pratique et du document Advice to the Profession — qui peuvent être adaptés ou adoptés par chaque province et territoire — permettra de protéger les personnes vulnérables et d’accroître l’harmonisation des pratiques d’aide médicale à mourir au Canada.

Il est important de noter qu’autant que je sache, c’est la toute première fois qu’une telle approche collaborative et globale dirigée par le gouvernement fédéral visant l’élaboration d’une norme de pratique et de conseils à la profession a lieu au Canada.

De plus, grâce au financement de Santé Canada, l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, ou ACEPA, élabore un programme canadien d’éducation en matière d’aide médicale à mourir depuis octobre 2021.

L’ACEPA est une organisation composée d’infirmières praticiennes et de médecins, y compris des médecins de famille, des spécialistes de l’hospitalisation, des psychiatres, des spécialistes en médecine interne, des anesthésistes et des neurologues, qui fournissent des services d’aide médicale à mourir, notamment des évaluations de l’admissibilité, en plus de la prestation de ces services en tant que tels.

L’objectif principal de l’ACEPA est de soutenir ceux qui travaillent dans ce domaine en fournissant des conseils cliniques et une formation à ceux qui ne connaissent pas encore l’aide médicale à mourir, ainsi qu’à ceux qui cherchent à améliorer ou à approfondir leurs connaissances.

Ce programme national de formation est élaboré par un groupe diversifié de cliniciens expérimentés dans le domaine de l’aide médicale à mourir, provenant de tout le Canada, qui se sont réunis pour partager leur expertise dans une série de modules de formation qui couvriront l’ensemble du spectre des soins de l’aide médicale à mourir. Ce processus est supervisé par un consortium qui comprend des représentants de l’ACEPA et un comité consultatif national composé de multiples parties prenantes, dont le Collège royal des médecins et chirurgiens, le Collège des médecins de famille du Canada, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, l’Association des médecins autochtones du Canada, l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada, la Société de la médecine rurale du Canada, l’Association des psychiatres du Canada, l’Association des psychiatres du Québec et d’autres acteurs, notamment des personnes ayant de l’expérience vécue, des familles et d’autres personnes qui soutiennent les personnes qui ont demandé l’aide médicale à mourir.

Les modules de formation seront reconnus par le Collège royal des médecins et chirurgiens,le Collège des médecins de famille du Canada et l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire du Canada qu’un programme de soins de santé est mis au point grâce à des fonds fédéraux et reconnu simultanément par ces trois organismes.

Une fois terminé, le programme d’éducation de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM comportera sept modules de formation, notamment sur l’historique de l’aide médicale à mourir au Canada; les conversations cliniques difficiles; les évaluations simples et complexes des demandes d’aide médicale à mourir, entre autres pour la compréhension détaillée des capacités et des vulnérabilités; ainsi que les dispositions simples et complexes relatives à l’aide médicale à mourir. Il y a un module consacré exclusivement à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Tous les modules incluent aussi des ressources pour aider les gens participant à la prestation de services d’aide médicale à mourir à garder un bon moral alors qu’ils entreprennent ce travail crucial.

Ce programme reconnu d’éducation en matière d’aide médicale à mourir permettra de former des praticiens de l’aide médicale à mourir novices et expérimentés partout au pays, contribuant ainsi au développement des connaissances et des compétences des praticiens, à l’uniformisation des pratiques dans l’ensemble du Canada et à la prestation de services d’aide médicale à mourir de grande qualité. La mise en œuvre de ce programme devrait commencer cet automne.

Tous ces progrès sont vraiment remarquables et ils sont le fruit du leadership du gouvernement fédéral et des efforts de collaboration avec les partenaires du système de santé, comme les gouvernements provinciaux et territoriaux, des organisations de professionnels de la santé, des organismes de réglementation, des cliniciens et d’autres organisations. Comme je l’ai déjà dit, à ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire du Canada que le gouvernement fédéral fait preuve d’une telle initiative en soutenant la création d’un programme de formation reconnu dans le domaine de la santé.

Voilà donc le compte rendu de la contribution fédérale à la préparation.

À ce stade, je tiens à faire une mise en garde contre la possibilité de laisser la tempête de désinformation, qui ne cesse de s’étendre, influer sur notre étude du projet de loi dont nous sommes saisis. Tout d’abord, je voudrais aborder une question importante découlant du rapport du groupe d’experts, qui fait désormais partie de la campagne de désinformation entourant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Contrairement à toutes les autres maladies, y compris la douleur chronique, il n’est jamais possible de déterminer si une personne atteinte d’une maladie mentale souffre d’un état pathologique « grave et irrémédiable ». Comme vous le savez, il s’agit d’un terme juridique et non clinique. Le groupe d’experts a proposé une approche réfléchie et minutieuse sur la façon dont ce terme juridique peut se traduire dans la pratique clinique liée à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Cette approche sera précisée dans la pratique clinique canadienne par les organismes de réglementation des médecins et des infirmiers praticiens de chaque province et de chaque territoire qui établissent les normes de pratique pour l’aide médicale à mourir.

Comme je l’ai déjà dit, les consultations à l’échelle du Canada en vue de déterminer comment intégrer cette approche aux normes de pratique sont déjà terminées; nous en sommes à l’étape de la traduction et de la diffusion. Par l’entremise de normes de pratique, les organismes de réglementation établiront les critères à respecter pour interpréter ce terme juridique dans un contexte clinique. Comme c’est le cas de toutes les pratiques médicales, ce cadre sera peaufiné au fil de l’évolution de la pratique clinique.

Autre point intéressant, la Revue canadienne de psychiatrie a récemment publié, en 2022, les résultats d’un processus Delphi en deux étapes où des psychiatres ont établi 13 critères de consensus pour conclure à une « souffrance psychiatrique irrémédiable ». Ces critères sont très semblables à ceux qui ont été établis, sans lien avec ce processus, par le groupe d’experts.

Chers collègues, il est tout simplement inexact de dire que les mots « grave » et « irrémédiable » ne pourront jamais avoir de définition clinique appropriée dans l’exercice de la psychiatrie. En effet, ils ont déjà été définis à cette fin. Même si certains commentateurs ne sont pas forcément d’accord, cela ne veut pas dire que le concept ne peut pas être adéquatement défini ni que la définition clinique émanant des organismes de réglementation n’est pas appropriée. Le simple fait qu’une définition clinique ne plaise pas à quelqu’un ne signifie pas que son utilité, sa fiabilité ou sa validité doivent être remises en cause.

Pour que tout le monde comprenne bien où nous en sommes actuellement en ce qui concerne l’interprétation des termes « problème de santé grave et irrémédiable », « incurabilité » et « irréversibilité », le groupe d’experts a estimé que, dans le contexte de l’aide médicale à mourir, une maladie mentale peut être grave et irrémédiable lorsqu’une personne souffre depuis longtemps d’un état qui entraîne un déclin fonctionnel et pour lequel elle n’a pas trouvé de soulagement à ses souffrances, malgré de nombreuses tentatives au moyen d’interventions et de soutiens variés et adaptés à son diagnostic particulier de même qu’aux problèmes qui en découlent.

Le groupe a en outre recommandé que chaque évaluateur de l’aide médicale à mourir conclue de façon indépendante, avec le demandeur, qu’une maladie, un handicap ou un déclin fonctionnel cause à celui-ci des souffrances physiques ou psychologiques persistantes et intolérables, et — c’est important — que cela se fasse au cas par cas, car les nuances de chaque situation nécessitent une approche personnalisée.

L’une des principales caractéristiques de cette recommandation, c’est qu’il revient à la personne qui répond aux critères définis par le groupe d’experts de conclure que son problème de santé est « grave et irrémédiable », en collaboration avec chaque évaluateur de l’aide médicale à mourir. Ce n’est pas un unique professionnel de la santé qui prend la décision à lui seul pour cette personne.

À mon avis, cette perspective est cohérente avec la pratique médicale moderne des soins fondés sur des données probantes et des soins centrés sur le patient, car ils sont dispensés dans des conditions complexes et reflètent l’évolution des soins médicaux, où l’approche autocratique et paternaliste cède la place à l’engagement du fournisseur de soins médicaux en tant que partenaire du patient dans la prestation des soins. Après tout, c’est la personne qui souffre qui doit être entendue.

Soit dit en passant, chers collègues, c’est ce que le mot patient veut dire : celui qui souffre.

Cela reflète également la réalité de la pratique médicale moderne, dans laquelle tous les renseignements pertinents sont réunis, et les décisions en matière d’intervention médicale complexes sont prises au cas par cas. Il n’existe pas de livre de recettes ou de liste de contrôle pour les décisions médicales complexes. Toutes les décisions médicales complexes sont prises au cas par cas parce qu’elles doivent être adaptées à la personne, à son état de santé, à l’ensemble des interventions effectuées et à l’impact de celles-ci sur la situation unique de la personne, ainsi qu’à ses aspirations et ses besoins. Les décisions médicales complexes impliquent également plus d’un prestataire de soins de santé hautement qualifié. Ces décisions sont prises en collaboration avec un patient bien informé; elles ne sont pas dictées au patient.

Chaque patient doit être traité pour ce qu’il est, et pas seulement pour la maladie dont il souffre. Il n’y a pas deux personnes identiques, et ce qui doit être fait dans l’intérêt supérieur du patient ne doit pas être établi en suivant une recette prédéterminée ou une liste de contrôle, mais selon trois facteurs d’importance égale : premièrement, la compétence et la formation du clinicien; deuxièmement, les meilleures données disponibles sur le problème de santé et les interventions possibles; troisièmement, les besoins et les souhaits du patient, qui doit être bien informé.

Ce triptyque est ce qui définit les soins fondés sur des données probantes, et il ne peut être établi qu’en prenant des décisions au cas par cas. C’est le fondement de l’engagement de la médecine moderne à fournir des soins centrés sur le patient.

Lorsque j’étais à la Faculté de médecine, j’ai eu l’extraordinaire privilège d’être initié au cadre des soins fondés sur des données probantes et centrés sur le patient par le Dr David Sackett, le pionnier de la médecine fondée sur des données probantes et centrée sur le patient.

Le Dr Fraser Mustard, doyen de notre école, et deux de mes professeurs les plus vénérés, le Dr Jack Laidlaw et le Dr Bill Spaulding, n’ont cessé de répéter que nous n’intervenons pas sur les maladies, mais auprès des personnes qui souffrent d’une maladie. Nous n’utilisons pas de recettes ou de listes de contrôle; nous nous appuyons sur notre meilleur jugement clinique et sur les meilleures données dont nous disposons et nous nous laissons guider par les besoins et les souhaits de nos patients. Nous ne sommes pas seuls non plus. Plus le cas est complexe, plus il est important de faire appel à d’autres cliniciens. Les décisions concernant les interventions dans les cas complexes découlent de cette réalité.

Chers collègues, si nous nous attendons à ce que, pour les demandes d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué — une situation qui exige un processus complexe pour en arriver à une décision —, les médecins prennent des décisions en suivant une recette bien établie ou en cochant les éléments d’une liste de contrôle, et si nous acceptons de ne pas tenir compte des principes fondamentaux de la médecine fondée sur des données probantes et des soins centrés sur le patient lorsqu’il souffre d’une maladie mentale — alors que nous utilisons parallèlement ces mêmes outils pour prendre une décision sur les soins pour les patients dont la souffrance n’est pas uniquement attribuable à la maladie mentale —, cela aura pour conséquence que nous refuserons aux personnes dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué des soins de la même qualité supérieure que ceux qui sont offerts aux personnes atteintes d’un autre type de maladie. Chers collègues, agir de la sorte serait non seulement le reflet d’un préjugé, mais aussi une forme de discrimination.

Chers amis, quand le temps sera venu — et pour certains d’entre nous, c’est déjà une réalité — où l’un de nos êtres chers ou encore nous-mêmes serons aux prises avec une maladie complexe et pernicieuse, par exemple le cancer ou une insuffisance cardiaque terminale, je suis convaincu que nous voudrons obtenir des soins adaptés au cas par cas. Nous voudrons tous que nos médecins comprennent qui nous sommes comme êtres humains et qu’ils fassent de leur mieux pour nous soigner, tout en respectant nos besoins et notre volonté. Pourquoi accepterions-nous que l’on nous refuse d’être soignés de cette manière — avec une maladie mentale ou non?

Je tiens également à rappeler au Sénat que, compte tenu de la loi sur l’aide médicale à mourir du Canada, au moins deux — et parfois trois — cliniciens hautement qualifiés doivent conclure, indépendamment et avec le patient, que les problèmes de santé du patient sont « graves et irrémédiables ». Si les cliniciens ne sont pas d’accord, la procédure n’a pas lieu. La conclusion que les problèmes de santé sont « graves et irrémédiables » n’est pas tirée par un seul praticien aux compétences douteuses, c’est tout le contraire.

Enfin, sur ce point, nous sommes nombreux à avoir entendu dire qu’une personne qui, par exemple, est psychotique et refuse un traitement efficace pourrait recevoir l’aide médicale à mourir. Ce n’est pas vrai non plus. Une personne souffrant d’une psychose ne serait pas jugée apte à prendre cette décision. La période minimale de 90 jours entre la présentation de la demande et la prestation de l’aide donnerait amplement le temps aux multiples cliniciens qui se penchent sur la question d’effectuer les évaluations approfondies nécessaires, d’autant plus qu’il s’agit d’une période minimale et que les cliniciens prendront tout le temps qu’il leur faudra pour se faire une opinion sur l’admissibilité du demandeur. En outre, une personne compétente ne peut pas refuser la totalité ou la plupart des interventions et se rendre automatiquement incurable afin d’accéder à l’aide médicale à mourir.

Un évaluateur pour l’aide médicale à mourir ne peut pas se prononcer sur l’admissibilité d’un demandeur en l’absence des données probantes nécessaires à cette fin. Par conséquent, une personne sera jugée inadmissible à l’aide médicale à mourir s’il reste des traitements raisonnables qu’elle peut essayer.

Honorables collègues, de fausses informations continuent de se répandre au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, laissant entendre à tort que les personnes atteintes de troubles mentaux qui demandent l’aide médicale à mourir seront traitées de manière désordonnée, irresponsable et non réglementée. Cependant, comme le montre une analyse minutieuse de la loi proprement dite et du contexte réglementaire et de pratique dans lequel elle s’inscrit, ce n’est pas le cas. En fait, c’est tout le contraire. Le programme d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué sera mis en application dans ce qui est probablement le cadre le plus exhaustif et le plus robuste qui ait été mis en place par le gouvernement fédéral au pays en matière de réglementation et de formation dans le domaine de la santé.

Pour en revenir à la tâche qui nous incombe dans l’immédiat — à savoir l’examen d’un projet de loi visant à prolonger la période d’inadmissibilité —, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que des progrès importants ont été accomplis. Toutefois, je pense qu’il serait préférable de prolonger cette période d’un an de plus. Je suis convaincu qu’une année supplémentaire suffira à diffuser et à faire adopter par le milieu médical et infirmier les ressources essentielles que je viens de décrire, ainsi qu’à mieux faire connaître la nouvelle réglementation en matière de rapports.

Le ministre de la Justice a également dit qu’une année supplémentaire procurera au gouvernement fédéral un délai suffisant pour étudier méticuleusement le rapport final du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Une année supplémentaire est un juste milieu entre donner accès le plus tôt possible à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale et veiller à ce que ce changement s’opère à un moment où la collecte de données plus robustes est bien établie et où les intervenants du milieu de la santé ont eu plus de temps pour se familiariser avec les normes de pratique et le matériel de formation.

De plus, j’estime que le gouvernement fédéral doit faire un travail nettement meilleur pour ce qui est de communiquer avec les Canadiens concernant les aspects complexes et nuancés de l’aide médicale à mourir.

Un élément essentiel de cette communication est que le gouvernement fédéral doit présenter clairement ce qu’« être prêt » signifie dans le contexte de son rôle concernant l’aide médicale à mourir. À mon avis, « être prêt » signifie que les quatre critères sont réunis : un, s’assurer que la norme de pratique exemplaire est au point et a été publiée et distribuée aux organismes de réglementation de chaque province et territoire; deux, s’assurer que le programme de formation accrédité en matière d’aide médicale à mourir a été créé et est offert aux prestataires de l’aide médicale à mourir; trois, s’assurer que les exigences de déclaration mises à jour ont été mises en œuvre et que le gouvernement a commencé à recueillir les données qui seront essentielles à notre évaluation continuelle du régime de l’aide médicale à mourir au Canada; quatre, s’assurer que le gouvernement a eu suffisamment de temps pour étudier le rapport du comité mixte.

En conclusion, j’aimerais prendre un moment pour m’adresser directement aux personnes qui attendent d’être admissibles à l’aide médicale à mourir en mars 2023 et qui seront sûrement déçues que l’on prolonge la période d’inadmissibilité.

Des gens m’ont fait part de l’angoisse que leur cause cette attente. Nous devons tous être conscients que cela prolongera davantage les souffrances des personnes qui attendent et qui souffrent encore. Je sais que la souffrance causée par une maladie mentale peut être aussi grave, voire plus grave encore, que celle causée par une maladie physique. Je tiens à assurer aux personnes qui attendent que, même si cette prolongation est malheureuse, j’estime qu’elle est nécessaire pour veiller à ce que les demandes d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué soient bien évaluées et à ce qu’on prenne les bonnes décisions.

Cette prolongation ne devrait pas être considérée comme une façon de soutenir ou de valider la désinformation qui circule au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Il ne s’agit pas de remettre en question la capacité ou l’autonomie d’une personne saine d’esprit de prendre ses propres décisions en matière de santé, ni de remettre en question la réalité entourant les maladies mentales ou la profonde souffrance que doivent endurer les personnes qui ont essayé des traitements qui se sont avérés inefficaces.

J’invite tous les honorables sénateurs à se joindre à moi pour appuyer ce projet de loi afin que le Canada puisse avoir un régime d’aide médicale à mourir mûrement réfléchi, doté des ressources appropriées et adapté aux réalités complexes entourant cet enjeu important.

Wela’lioq, merci.

L’honorable Renée Dupuis [ - ]

Le sénateur Kutcher accepterait-il de répondre à une question?

Certainement.

La sénatrice Dupuis [ - ]

Sénateur Kutcher, je vous remercie de votre discours, qui m’a semblé très complet.

Je voudrais revenir sur la toute dernière partie de votre discours, et particulièrement sur le quatrième point. Vous nous avez expliqué que des procédures sont mises en place actuellement et que des programmes de formation sont en cours de développement.

Cependant, un élément me pose problème, soit le quatrième point que vous avez soulevé. Vous avez dit que le gouvernement aura également le temps d’examiner le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a été déposé en février 2023.

Toutefois, la question à l’ordre du jour est réellement celle de la maladie mentale, et ce, en ce qui a trait à une partie de la loi qui devait entrer en vigueur dans quelques jours et autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement nous dit qu’il souhaite repousser d’une année l’entrée en vigueur de cet accès à l’aide médicale à mourir. Vous avez raison de souligner que beaucoup de gens sont très déçus, pour ne pas dire désorientés, par cette proposition visant un report.

Dites-vous que la partie du rapport du comité mixte spécial que le gouvernement voudra examiner porte seulement sur la partie qui concerne les troubles mentaux, ou s’agit-il plutôt de l’ensemble des questions que le comité mixte spécial a examinées? Si l’on ouvre la porte à d’autres considérations dans l’année qui vient et si l’on accepte de reporter l’entrée en vigueur de cette partie de la loi, on s’imagine très bien que le gouvernement reviendra nous dire dans un an qu’il n’a pas eu le temps de considérer la question des mineurs matures ni les autres sujets qui faisaient partie du rapport du comité.

Quelles garanties avez-vous obtenues de la part du gouvernement? Si l’on ajoute une année de plus, le gouvernement se limitera-t-il à la seule question des troubles mentaux?

Merci, sénatrice. C’est une excellente question.

Quatre sénateurs sont membres du comité mixte, dont notre estimée coprésidente, et c’est une question à laquelle nous avons tous travaillé. Comme vous l’avez mentionné, le comité a couvert beaucoup d’enjeux. Il a abordé la question de la maladie mentale comme seul problème médical invoqué. Il a abordé la question des demandes anticipées. Il a abordé la question des mineurs matures et un certain nombre d’autres questions.

Si j’ai bien compris, le projet de loi vise expressément à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué et l’analyse que fait le gouvernement du rapport du comité mixte portait sur cette question. C’est ce que visera le projet de loi.

Sauf erreur, les autres aspects étudiés par le comité mixte seront également passés en revue par le gouvernement, mais ils ne font pas partie des considérations liées à la question à l’étude.

Par contre, nous recevrons deux ministres demain. Je crois qu’il serait beaucoup plus judicieux de les laisser parler au nom du gouvernement, car je ne parle pas au nom du gouvernement.

Je vous remercie de votre question et j’espère que vous aurez l’occasion de la poser de nouveau demain.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-39. Comme vous le savez, ce projet de loi propose de retarder d’une année, soit jusqu’au 17 mars 2024, la possibilité de faire une demande d’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent d’une maladie mentale incurable leur causant des douleurs intolérables.

Le projet de loi ne compte qu’un seul article, qui est très court et ne vise qu’une seule disposition du Code criminel, soit celle qui exclut la maladie mentale comme condition d’accès à la deuxième voie.

Mon discours se fera en trois temps : premièrement, je parlerai de l’origine de l’exclusion des personnes souffrant d’une maladie mentale; deuxièmement, j’expliquerai pourquoi le Sénat a refusé en 2021 d’accorder cette exclusion; troisièmement, je parlerai des motifs justifiant une prolongation de l’exclusion.

L’origine du débat que nous tenons aujourd’hui est la réponse au jugement que la Cour supérieure du Québec a rendu le 11 septembre 2019 dans les affaires Truchon et Gladu.

Ce jugement déclarait inconstitutionnelles certaines dispositions du Code criminel et certaines dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec, lesquelles exigeaient, comme condition d’accès à l’aide médicale à mourir, que la mort de la personne soit prévisible. Selon la juge, cette limite, qui n’avait pas été suggérée dans l’arrêt Carter, que la Cour suprême avait rendu en 2015, violait les droits constitutionnels de M. Truchon et de Mme Gladu, et notamment le droit à l’égalité.

Tant le gouvernement du Québec que le gouvernement fédéral ont accepté ce jugement et ont promis d’agir en conséquence.

À l’échelle fédérale, cela a pris la forme du projet de loi C-7, qui a été présenté le 5 octobre 2020. Ce projet de loi ajoutait une deuxième voie d’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’une maladie incurable leur causant des souffrances intolérables, sans que ces souffrances soient la cause d’une mort imminente ou prévisible.

Par contre, dans le projet de loi C-7, le gouvernement proposait de refuser l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale et il était d’avis qu’il s’agissait d’une mesure appropriée, étant donné l’absence d’un consensus suffisant à l’époque parmi les experts en psychiatrie.

C’est l’origine du deuxième volet et de l’exclusion des personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale, même si leur maladie s’est avérée incurable et source de souffrances insupportables, comme l’a expliqué le sénateur Kutcher il y a quelques minutes.

J’en viens maintenant aux raisons pour lesquelles le Sénat n’a pas accepté l’exclusion permanente. Comme vous vous en souvenez peut-être, le projet de loi C-7 a fait l’objet de beaucoup d’attention au Sénat. Tout d’abord, il y a eu une étude préalable à l’automne 2020, qui a mené à un vaste rapport publié en février 2021, lequel a été cité abondamment par de nombreux témoins devant le comité mixte récemment.

En ce qui concerne l’exclusion de la maladie mentale en tant que seul problème médical invoqué, notre Comité des affaires juridiques a fait état d’un manque de consensus sur le caractère irrémédiable de nombreuses maladies mentales et il a signalé que des experts juridiques renommés, comme la professeure Downie de l’Université Dalhousie, ont soutenu que l’exclusion était inconstitutionnelle.

Au cours du débat à l’étape de la troisième lecture au Sénat, cinq amendements ont été adoptés, dont certains après des débats animés. L’un d’entre eux consistait à ajouter une limite de 18 mois à l’exclusion des personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale. Pour la majorité des sénateurs, l’exclusion de ce groupe était discriminatoire, puisqu’elle reposait sur des stéréotypes et des préjugés à l’égard de la maladie mentale, et qu’elle devenait donc même inconstitutionnelle. Seul un mécanisme prévoyant une évaluation au cas par cas des demandeurs de l’aide médicale à mourir pourrait être acceptable.

Le gouvernement s’est finalement rangé à cette conclusion, mettant fin à l’exclusion de ce groupe par l’entremise d’une disposition de caducité prenant effet deux ans après la sanction royale. Ce sera le 17 mars, dans quelques jours seulement. En outre, le gouvernement a proposé la réalisation d’un examen indépendant par des experts sur les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale, y compris les mesures de sauvegarde.

Une majorité à la Chambre des communes s’est prononcée en faveur de ces propositions, et nous les avons ensuite acceptées. Par conséquent, l’exclusion du deuxième volet des personnes atteintes d’une maladie mentale devait prendre fin le 17 mars 2023.

À l’époque et aujourd’hui encore, de nombreux psychiatres et citoyens croient qu’une exclusion collective des personnes souffrant d’une maladie mentale incurable est l’option à privilégier. C’est l’objectif visé par le projet de loi C-314, projet de loi émanant d’un député déposé hier à l’autre endroit.

Or, ce n’est pas ce que souhaitent la majorité des Canadiens selon un récent sondage effectué par Ipsos pour le compte de Mourir dans la dignité Canada. En effet, dans le cas de troubles mentaux résistant aux traitements et causant des souffrances intolérables, 34 % des Canadiens sont fortement en faveur de l’accès à l’aide médicale à mourir, 48 % y sont plutôt favorables, 10 % plutôt défavorables et 7 % s’y opposent vivement.

En substance, plus de 80 % des Canadiens pensent que l’accès à l’aide médicale à mourir devrait être disponible pour les personnes qui subissent ce type de situation, c’est-à-dire une maladie incurable et des souffrances insupportables.

À mon avis, ces chiffres confirment que le Sénat a conclu à juste titre qu’une exclusion permanente était non seulement injustifiée et probablement inconstitutionnelle, mais aussi que les Canadiens ne sont pas favorables à une stigmatisation accrue des personnes souffrant d’une maladie mentale incurable. La loi ne devrait pas les traiter comme des personnes incapables de faire un choix pour elles-mêmes en leur refusant l’accès au deuxième volet, si elles sont par ailleurs admissibles et satisfont aux critères prévus pour ce volet.

Le projet de loi C-39 ne revient pas sur la question de l’exclusion, mais prolonge plutôt d’un an l’exclusion temporaire actuelle. Nous devons nous poser la question suivante : pourquoi retarder l’entrée en vigueur de l’accès au deuxième volet pour les personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale et qui satisfont par ailleurs aux exigences strictes de ce volet? La réponse est que le Parlement doit agir avec prudence pour lever l’exclusion afin de donner aux provinces et aux territoires suffisamment de temps pour préparer les évaluations requises. Il est crucial d’assurer l’harmonisation des normes et la formation adéquate des évaluateurs.

Comme l’a fait remarquer le ministre de la Santé, M. Duclos, l’élaboration de normes de pratique pour l’aide médicale à mourir ne relève pas de la responsabilité directe du gouvernement fédéral. Il a également déclaré que le gouvernement :

[…] mobilise activement les provinces et les territoires et la Fédération des ordres des médecins du Canada pour l’élaboration de normes de pratique uniformes.

Dans son discours, le sénateur Kutcher a parlé des efforts déployés partout au Canada pour veiller à cette harmonisation et pour mettre au point des normes et des procédures d’évaluation.

Le récent Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, auquel j’ai eu l’honneur de siéger en compagnie de la sénatrice Martin, du sénateur Kutcher, de la sénatrice Mégie, de la sénatrice Wallin et de 10 députés, avait la responsabilité de présenter un rapport provisoire et un rapport final sur diverses questions associées à l’aide médicale à mourir. Soumis en juin dernier, le rapport provisoire portait sur l’aide médicale à mourir et les troubles mentaux; il se consacrait à l’examen du rapport du groupe d’experts.

Une réponse du gouvernement a suivi en octobre dernier. À ce moment-là, tout le monde travaillait d’arrache-pied pour respecter l’échéance du 17 mars, et le gouvernement avait bon espoir qu’il serait possible d’y arriver.

Cependant, après avoir entendu d’autres témoins, le comité a conclu dans son rapport final, qui a été présenté le 15 février dernier, que nous n’étions pas encore prêts à aller de l’avant. Le rapport final inclut 23 recommandations, dont une sur les troubles mentaux. Elle approuve la décision du gouvernement de reporter l’échéance du 17 mars et propose de rétablir un comité mixte cinq mois avant la nouvelle date de fin de l’exclusion, en mars 2024, afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Encore une fois, cette recommandation repose sur approche prudente.

Cependant, le fait de ne pas supprimer l’exclusion en temps voulu comporte également des risques. Le comité mixte spécial a noté dans son rapport que le retard dans l’admissibilité prévue par le projet de loi C-39 pourrait prolonger les souffrances de certaines personnes qui sont autrement en mesure de recevoir l’aide médicale à mourir. Le sénateur Kutcher y a fait allusion, et je pense que la plupart d’entre vous ont reçu des courriels de ces personnes, qui nous demandent de ne pas accepter le projet de loi C-39 et de ne pas retarder l’accès à l’aide médicale à mourir.

En substance, des adultes qui satisfont aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir — notamment le caractère irrémédiable, le consentement éclairé et les souffrances intolérables — font actuellement l’objet de discrimination lorsque leur maladie est mentale plutôt que physique, ou lorsqu’ils sont atteints à la fois d’une maladie physique et d’une maladie mentale, alors que nous ne contestons pas leur capacité à consentir à l’aide médicale à mourir.

À mon avis, le respect de la Charte nécessite très probablement une loi sur l’aide médicale à mourir qui permet une analyse de l’admissibilité au cas par cas sur la base de faits propres à chaque cas, tels que l’évaluation des capacités et des tentatives de traitement antérieures. Une telle approche sera adoptée pour les cas de troubles mentaux une fois que la disposition de temporisation aura expiré — c’est-à-dire en mars 2024.

En effet, le Parlement étudie depuis longtemps l’aide médicale à mourir dans le contexte des maladies mentales. La sénatrice Seidman et les anciens sénateurs Cowan, Joyal, Ogilvie et Nancy Ruth ont fait partie d’un autre comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir pendant la 42e législature. Dans le rapport de 2016 publié il y a plus de sept ans par ce comité, la troisième recommandation était sans équivoque :

Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.

En ce qui a trait aux aspects juridiques de la question, permettez-moi de citer les propos de l’avocat Shakir Rahim, qui a témoigné devant le comité mixte spécial le 4 octobre 2022. Il a parlé de l’aide médicale à mourir et des maladies mentales conformément à la décision, en 2020, de la Cour suprême dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, une décision importante sur les droits à l’égalité prévus à l’article 15 de la Charte. Au cours du débat à l’étape de la troisième lecture sur l’amendement proposé par le sénateur Kutcher au projet de loi C-7, j’ai parlé de cette décision de la Cour suprême qui porte sur les maladies mentales. Le rapport du comité mixte spécial en parle également.

Comme l’a dit M. Rahim au comité :

À mon avis, la recommandation du groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est conforme à l’esprit et à la lettre de la jurisprudence relative à l’article 15.

Honorables sénateurs, ces conclusions montrent la nécessité d’assurer l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental.

Cependant, cela doit se faire de manière à s’assurer qu’il n’y aura ni dérapages ni erreurs qui contribueront à l’opposition à cette extension. C’est pourquoi, honorables sénateurs, je suggère d’adopter le projet de loi C-39, et je dis ceci à ceux qui nous écoutent : il ne s’agit pas de s’opposer à votre droit à l’accès à l’aide médicale à mourir; il s’agit simplement d’une pause. Votre droit à l’aide médicale à mourir est reconnu par la Constitution, et il sera bientôt accessible.

Merci.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-39, qui vise à retarder d’un an l’abrogation de l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée pour l’admissibilité à l’aide au suicide.

La décision que le gouvernement Trudeau a prise en 2021 d’étendre l’aide au suicide aux personnes souffrant de maladie mentale est tout simplement aberrante. Cette décision a fait en sorte que l’admissibilité à l’aide au suicide est passée des seules personnes en fin de vie à celles dont la mort n’est pas imminente. Les Canadiens ont constaté que la pente glissante est rapidement devenue une réalité. Les bulletins de nouvelles l’ont confirmé : on a offert l’aide médicale à mourir plutôt que de l’aide gouvernementale à de nombreux vétérans, et des Canadiens handicapés et vivant dans la pauvreté ont l’impression de n’avoir pas d’autre choix que de mettre fin à leurs jours en recourant à l’aide au suicide à cause d’un manque de services de santé et de soutien social.

Le comité parlementaire sur l’aide médicale à mourir recommande d’étendre l’aide au suicide aux enfants. Ces dernières semaines, j’ai vu sur Twitter des gazouillis du ministère fédéral de la Justice vantant les mérites de l’aide médicale à mourir. Pendant ce temps, les spécialistes en psychiatrie ne cessent d’émettre des mises en garde contre les dangers de l’élargissement de l’aide au suicide aux personnes souffrant de maladies mentales, et les professionnels de la santé déclarent qu’ils ne sont pas prêts à l’administrer.

Plutôt que de tenir compte des avertissements sérieux et d’appliquer les freins, le gouvernement activiste de Trudeau a opté pour le projet de loi à l’étude, qui consiste à retarder d’un an l’entrée en vigueur de l’élargissement. Il veut profiter de ce délai pour « vendre » au public canadien l’horrible concept du suicide assisté dans les cas de maladie mentale. Mais les Canadiens s’éveillent à la réalité de l’élargissement du suicide assisté, et ils sont choqués et alarmés par la perspective de son élargissement aux cas de maladie mentale. Un récent sondage Angus Reid révèle que seulement 31 % des Canadiens sont favorables à cette mesure.

L’aide au suicide a été légalisée au Canada il y a seulement sept ans. Je luttais contre son application aux cas de maladies mentales même avant la présentation en 2016 du premier projet de loi, le projet de loi C-14, qui faisait suite à l’arrêt Carter rendu par la Cour suprême du Canada en 2015. La lutte contre l’élargissement de l’aide au suicide aux personnes atteintes d’une maladie mentale est ce qui m’a poussée à m’abonner aux médias sociaux. La première chose que j’ai publiée dans Twitter et Facebook est mon article sur le sujet, qui avait paru dans un journal national et qui était intitulé : « Aidez les malades mentaux. Ne les tuez pas. »

En 2019, dans l’affaire Truchon, un tribunal inférieur du Québec a déclaré invalides les dispositions fédérales du Code criminel voulant que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible » et le critère dans la loi sur l’aide médicale à mourir en vigueur au Québec selon lequel une personne doit être « en fin de vie » pour y être admissible. Plutôt que d’interjeter appel de la décision, comme on le fait habituellement, le gouvernement Trudeau a choisi de présenter une nouvelle mesure législative, le projet de loi C-7, pour supprimer non seulement le critère de la mort « raisonnablement prévisible », mais aussi les mesures de sauvegarde minimales qui étaient prévues dans le projet de loi C-14.

Au départ, le projet de loi prévoyait une exclusion pour la maladie mentale comme seule raison invoquée pour demander l’aide médicale à mourir. Malheureusement, le Sénat a adopté un amendement sur la disposition de caducité pour mettre fin à cette période d’exclusion de 18 mois, ce qui a ouvert la voie au suicide assisté pour les personnes souffrant de maladie mentale. Le gouvernement a accepté cet amendement, mais il a repoussé l’échéance à deux ans.

Même si la teneur du projet de loi a été examinée deux fois par le Comité sénatorial des affaires juridiques — à l’étape de l’étude préliminaire puis à l’étape de l’étude du projet de loi —, l’amendement sur la disposition de caducité, autrement dit l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux Canadiens vulnérables ayant une maladie mentale, n’a jamais été examiné par un comité, que ce soit à la Chambre ou au Sénat. Le gouvernement a mis sur pied un comité pour étudier la manière d’inclure les maladies psychiatriques et non pas pour déterminer le bien-fondé de les inclure ou non. Puis, un comité parlementaire s’est penché sur un plus grand élargissement du suicide assisté, notamment les enjeux du consentement préalable et l’accessibilité de l’aide médicale à mourir pour les personnes d’âge mineur.

Comme c’est souvent le cas, tout au long de ce processus, le gouvernement militant Trudeau a donné la priorité à l’idéologie pure plutôt qu’aux données probantes. Cependant, le gouvernement continue quand même à imposer son programme.

La maladie mentale n’est pas irrémédiable — l’un des principaux critères d’admissibilité au suicide assisté. La guérison, ou du moins l’atténuation de la souffrance, est possible et ne peut être prédite. Des psychiatres experts reconnaissent que la trajectoire de la maladie mentale est imprévisible.

Le Dr John Maher, un psychiatre chevronné qui a travaillé avec des patients souffrant de certains des cas les plus graves et les plus résistants de maladie mentale, a témoigné devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :

[Je] défie tout psychiatre d’affirmer que tel patient souffre d’un problème irrémédiable, car c’est impossible. J’ai des patients qui se sont rétablis après 5 ans, 10 ans, 15 ans. Ce n’est tout simplement pas possible. Ce sont des conjectures. Si les conjectures vous suffisent, si vous faites confiance au hasard, ou si vous êtes d’avis qu’il faut respecter l’autonomie à tout prix — si quelqu’un souhaite mourir, qu’on le laisse mourir —, appelez les choses par leur nom : on parle ici de suicide assisté.

Chers collègues, souvent, trouver le bon traitement pour une personne consiste à essayer différentes combinaisons de médicaments, ce qui prend du temps. Ceux qui prônent l’accès à l’aide médicale à mourir pour les patients psychiatriques ont commencé récemment à parler non pas de problème irrémédiable, mais de l’inaccessibilité qui équivaudrait à un problème irrémédiable. C’est assez effarant lorsqu’on songe à l’état du système de santé du Canada, et à la difficulté qu’ont les Canadiens d’avoir accès à un médecin ou à des traitements.

Voici comment le Dr John Maher a réagi à une telle affirmation, faite par une autre psychiatre au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a déclaré qu’elle considérerait un patient confronté à une longue liste d’attente avant de pouvoir obtenir un traitement comme ayant un problème irrémédiable en fonction de cette situation :

On a dit à voix haute : nous allons laisser les gens mourir. C’était dans les nouvelles : nous allons laisser les gens mourir parce qu’ils ne peuvent pas avoir d’appartement. D’après ce que j’ai compris de la décision de la Cour suprême et des dispositions législatives subséquentes, le caractère irrémédiable n’a rien à voir avec les ressources psychosociales. Il était question de maladies et de troubles médicaux — dans ce cas-ci, de maladies du cerveau — ne pouvant pas être traités par des moyens médicaux.

Les portes sont rendues grandes ouvertes si ces problèmes sont maintenant considérés comme irrémédiables. C’est un exemple précis des abus auxquels la loi donnera lieu, je le crains, parce qu’il n’y a pas de surveillance [...] Franchement, je suis étonné [qu’une psychiatre] soit prête à laisser un patient mourir parce qu’il ne peut pas recevoir un traitement qui améliorera son état. Ce n’est pas l’esprit de la loi, à juste titre. Si la société canadienne est prête à laisser les gens mourir parce qu’ils n’ont pas accès à des appartements, franchement, je suis dégoûté. Pardonnez-moi ma passion, mais votre devoir de parlementaires est de préserver la vie.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis une survivante du suicide d’un membre de ma famille. Mon époux, le député Dave Batters, s’est enlevé la vie quelques jours avant son 40e anniversaire, après avoir lutté contre la dépression et l’anxiété. J’ai vu de près les défaillances de notre système de soins de santé mentale. Il y a des problèmes liés à l’accessibilité, aux coûts et aux préjugés et un manque total de ressources qui empêchent les gens d’obtenir l’aide dont ils ont besoin. La réponse à ces problèmes consiste à réparer le système et non à confirmer le sentiment de désespoir des patients atteints de troubles mentaux et à leur offrir l’option fatale de se suicider. La réponse n’est certainement pas de mettre fin à leur vie pour eux. En tant que société compatissante, nous avons l’obligation de donner de l’espoir aux Canadiens atteints de maladies mentales lorsqu’ils n’en ont pas pour eux‑mêmes.

Dans le peu de temps qu’il me reste, je voudrais aborder certains des arguments spécieux avancés par le gouvernement et les partisans de l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques, car ils sont trompeurs. Je pense qu’il convient de le dire aux parlementaires et aux Canadiens.

Tout d’abord, pour tenter de vendre la notion d’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques aux Canadiens, le ministre de la Justice, David Lametti, a laissé entendre que l’élargissement du suicide assisté aux personnes atteintes de maladie mentale avait été prescrit par les tribunaux. Or, c’est tout simplement faux. Ni dans l’affaire Carter ni dans l’affaire Truchon, les tribunaux ne se sont prononcés sur le caractère constitutionnel de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale, et aucun des plaignants n’a demandé l’aide médicale à mourir pour des motifs d’ordre psychiatrique.

Le gouvernement et les partisans de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques tentent d’établir une fausse équivalence entre les maladies physiques et les maladies mentales. Or, ces deux types de maladies sont bien différents. Une maladie mentale ne peut pas avoir de phase « terminale ». Dans les cas de maladie mentale, la mort ne constitue pas une issue « raisonnablement prévisible ». Encore une fois, la maladie mentale n’est pas irrémédiable et elle est imprévisible, même pour les psychiatres spécialisés qui ont été formés pour évaluer et diagnostiquer ces maladies.

Par ailleurs, les intentions suicidaires peuvent être un symptôme de maladie mentale. C’est malheureusement quelque chose dont j’ai moi-même été témoin. Le fait de considérer que les maladies physiques et les maladies mentales ne sont pas identiques n’est pas discriminatoire. C’est une simple reconnaissance des faits. Comme l’a indiqué le Dr Sonu Gaind au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat :

[...] il n’est pas discriminatoire de tenir compte des caractéristiques particulières de la maladie mentale dans le cadre des discussions sur l’[aide médicale à mourir]. L’« équité » ne signifie pas que tout le monde doit être traité de la même façon; cela signifie qu’il faut traiter les choses de façon équitable et impartiale.

Nous ne devrions pas élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques si nous ne sommes pas en mesure de donner un accès complet aux traitements et au soutien aux Canadiens aux prises avec des troubles de santé mentale.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas simplement baisser les bras face aux lacunes du système de soins de santé mentale et signer des arrêts de mort pour alléger la souffrance des gens en nous félicitant à tort de le faire parce que nous avons un prétendu sens de l’égalité. Nous n’agissons pas pour l’égalité des personnes ayant une maladie mentale. Nous abdiquons complètement nos responsabilités de parlementaires.

Le système de soins de santé mentale comporte des lacunes et ces dernières causent d’énormes souffrances à tel point que les malades voient la mort comme une solution plutôt que d’essayer d’obtenir des traitements. Les problèmes majeurs du système de soins de santé mentale me mettent en colère. J’en ai été témoin. Je les ai vécus en compagnie de mon mari. Le fait que le gouvernement Trudeau préfère offrir la mort aux gens plutôt que de répondre à leurs besoins en matière de traitements me rend furieuse. En tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de corriger la situation, honorables sénateurs, et tout part du sommet : il faut exiger du gouvernement qu’il rende des comptes.

Fidèle à ses habitudes, le gouvernement Trudeau tient de beaux discours au sujet de la santé mentale, mais ne joint aucun geste à la parole. Pendant la campagne électorale de 2021, la plateforme libérale promettait un « transfert canadien en matière de santé mentale » de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Or, nous voilà 18 mois plus tard; le gouvernement a présenté un budget depuis et s’apprête à présenter le prochain, et combien de cet argent pour la santé mentale a commencé à sortir des coffres? Pas un seul sou. Si l’on se fie aux échéanciers qui figurent dans sa propre plateforme électorale, le gouvernement libéral est déjà en retard de 1,5 milliard de dollars pour honorer ses promesses en matière de santé mentale. Combien de listes d’attente pour des soins psychiatriques cela aidera-t-il à réduire, honorables sénateurs? À combien de Canadiens atteints d’une maladie mentale cela fournira-t-il un traitement, un test de dépistage ou des médicaments? Oh, c’est bien cela : zéro.

Le gouvernement pense qu’il peut publier un ou deux gazouillis à l’occasion de la Journée Bell Cause pour la cause, faire de belles promesses creuses en matière de financement de la santé mentale et ne jamais passer de la parole aux actes.

Honorables sénateurs, je sais que beaucoup d’entre vous ont le cœur à la bonne place, mais si vous souhaitez réellement aider les gens qui souffrent d’une maladie mentale, pourquoi laissez-vous le gouvernement se permettre une telle chose? Pourquoi avez-vous voté en faveur d’une mesure permettant d’administrer la mort à des personnes atteintes de troubles mentaux au lieu de leur fournir un soutien adéquat? Étant donné que cette mesure visant à étendre l’aide au suicide a été ajoutée par le Sénat à la fin de l’étude du projet de loi C-7, l’empêchant ainsi d’être examinée en bonne et due forme par un comité parlementaire de l’une ou l’autre Chambre du Parlement, pourquoi n’exigeons-nous pas qu’elle fasse maintenant l’objet d’une étude approfondie? Pourquoi ce projet de loi sera-t-il uniquement soumis à un examen en comité plénier d’une heure, réparti entre deux ministres?

Le projet de loi C-39 sera adopté. Les partisans de l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques voteront en sa faveur, tout comme les personnes qui s’y opposent avec véhémence pour au moins retarder son entrée en vigueur. Nous devrions utiliser cette année de prolongation pour enfin évaluer honnêtement s’il est acceptable d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale, et non pour déterminer comment les tuer.

Le ministre de la Justice Lametti affirme qu’il compte utiliser cette prolongation d’un an de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale pour « permettre à tous d’intérioriser les normes » et « permettre aux universités de préparer le matériel pédagogique » et de « fournir des explications ». C’est vraiment n’importe quoi. Le gouvernement se rend compte que l’opinion publique est en train de changer à l’égard de cet affreux élargissement, et il espère que cette prolongation lui donnera plus de temps pour vendre sa salade aux Canadiens.

Honorables sénateurs, il nous faut ce délai d’un an dès maintenant, parce que le Canada n’est pas prêt à étendre l’aide au suicide aux personnes atteintes de maladies mentales. Les psychiatres et les médecins ne sont pas prêts. Ils ne sont pas à l’aise avec cette notion, parce que l’élargissement de l’admissibilité à l’aide au suicide aux patients atteints de maladies mentales contredit la norme des soins de santé mentale, c’est-à-dire la prévention du suicide et la préservation de l’espoir et de la vie.

Les Canadiens non plus ne sont pas prêts. Ils ne sont pas à l’aise avec cette notion parce qu’ils sont maintenant témoins en temps réel des scénarios cauchemardesques que l’expansion rapide de l’aide au suicide a déjà provoqués. Le reste du monde regarde notre régime de suicide assisté avec stupeur. Nous sommes devenus le pays le plus permissif de la planète. Si personne n’est à l’aise avec cette notion, c’est probablement une bonne indication que quelque chose cloche, honorables sénateurs. Nous devons arrêter ce train hors de contrôle avant qu’il ne soit trop tard.

Le report d’un an prévu dans le projet de loi C-39 constitue un début, mais ce n’est qu’un début. Le gouvernement fédéral doit profiter de cette année pour réévaluer complètement l’élargissement de l’accès à l’aide au suicide pour les maladies mentales. Il est allé trop loin dans cette expérience idéologique et il se dirige tout droit vers l’abîme. Il est allé trop loin pour les psychiatres comme pour les Canadiens et il fait le plus grand mal à ceux qui ont désespérément besoin que nous continuions à préserver l’espoir pour eux, à savoir les personnes atteintes de maladie mentale. L’une de ces personnes, le célèbre défenseur canadien de la santé mentale, Mark Henick, l’a exprimé en ces termes :

Élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour inclure les personnes dont le seul problème médical invoqué est un trouble mental serait la plus grave forme de préjugé et de discrimination systémiques à l’égard des personnes atteintes d’une maladie mentale. On ferait ainsi subir une dernière humiliation pourtant évitable aux personnes qui se battent pour leur droit de se rétablir, parfois sur une très longue période, malgré les défaillances des systèmes de santé publics qui, trop souvent, rendent le rétablissement plus difficile que nécessaire. Il est inacceptable que les législateurs se soustraient à leur responsabilité envers certains Canadiens, soit ceux qui souffrent d’une maladie mentale, et qu’ils renoncent ainsi à honorer leur part du contrat social. Nous n’allons pas nous laisser rejeter aussi sommairement par des gens au pouvoir qui semblent nous considérer comme un fardeau pour le système. Les personnes atteintes d’une maladie mentale sont elles aussi des contribuables qui apportent une contribution importante à la société canadienne. Nous ne vous laisserons pas nous abandonner.

Honorables sénateurs, nous ne devons pas les abandonner. Merci.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-39, qui modifie la Loi modifiant le Code criminel relativement à l’aide médicale à mourir, à titre de porte-parole de l’opposition officielle au Sénat.

L’aide médicale à mourir a été et reste l’une des questions les plus complexes et les plus personnelles pour les gens, les familles de notre pays. La question de l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladies mentales m’est également très personnelle, car je connais des personnes qui ont souffert de maladies mentales complexes et qui vivent avec celles-ci, et j’ai été le témoin direct de ce qu’elles et leurs familles doivent subir durant le processus de recherche d’un traitement ou d’une solution adéquats. Chaque cas est unique. Les évaluations et les traitements efficaces peuvent prendre beaucoup de temps, parfois des décennies, mais je suis heureuse que l’aide médicale à mourir n’ait jamais été une option dans leurs moments les plus sombres, comme ce sera le cas pour d’autres personnes d’ici un an avec l’adoption du projet de loi C-39. Le projet de loi C-39 prolonge l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale jusqu’au 17 mars 2024 — un report d’un an par rapport à ce qui est prévu dans la loi en vigueur.

Le projet de loi C-7 a élargi l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. À l’origine, le projet de loi excluait l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale était la seule condition médicale invoquée. Cependant, le sénateur Kutcher a présenté, à l’étape de la troisième lecture, un amendement visant à rendre l’aide médicale à mourir accessible aux personnes dont la maladie mentale est la seule condition invoquée. L’amendement a été adopté avec l’appui de la majorité des sénateurs. Le gouvernement a accepté cet amendement et, dans la loi qui a finalement été adoptée, la date de la disposition de caducité était fixée au 17 mars 2023. Cela signifie que l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladies mentales deviendrait légale la semaine prochaine, à moins que nous n’adoptions le projet de loi de dernière minute du gouvernement, le projet de loi C-39, pour retarder d’un an l’élargissement de l’aide médicale à mourir.

Avec l’élargissement, le Canada deviendrait l’un des quatre seuls pays au monde — avec la Belgique, le Luxembourg et les Pays‑Bas — qui offrent l’aide médicale à mourir aux personnes les plus vulnérables de la société. Selon moi, la plupart des Canadiens ne souhaitent pas que le Canada soit reconnu parce qu’il devient un chef de file mondial en matière d’élargissement rapide de l’accès à l’aide médicale à mourir.

Comme les honorables sénateurs le savent, j’ai coprésidé le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir avec le député libéral Marc Garneau. D’autres sénateurs, qui ont déjà été nommés, faisaient aussi partie de ce comité. Le comité a récemment déposé son rapport final après avoir examiné plusieurs sujets et questions liés à l’aide médicale à mourir. Le fait d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical invoqué a fait l’objet d’un rapport provisoire déposé en juin 2022. Il s’agissait d’un sujet délicat à l’époque, et il l’est toujours aujourd’hui alors que nous débattons du projet de loi C-39.

Le comité a tenu 36 réunions, entendu près de 150 témoins et reçu plus de 350 mémoires. Nous avons entendu des témoignages convaincants et émouvants de personnes atteintes de maladie mentale, de défenseurs des droits des patients, de scientifiques, de psychiatres, d’évaluateurs de demandes et de fournisseurs d’aide médicale à mourir, ainsi que d’autres professionnels de la santé mentale. Nous avons entendu toute une variété de points de vue sur la science, l’éthique, l’aspect pratique et l’état de préparation de cette proposition. Peu importe leur point de vue sur la question, les témoins ont livré des discours passionnés et informatifs. Le constat, toutefois, est qu’il n’existe actuellement aucun consensus médical ou scientifique sur le concept de l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale. Une bonne partie de ceux qui sont en faveur d’étendre l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale ont admis que nous ne sommes pas prêts à aller de l’avant et ont recommandé de reporter davantage cette décision.

En fait, en décembre 2022, même l’Association des directeurs de services psychiatriques du Canada, qui réunit les chefs des départements de psychiatrie des 17 facultés de médecine du pays, a publié une déclaration soulevant des préoccupations au sujet de l’échéance imminente du 17 mars 2023 et du manque de préparation pour que l’élargissement de l’admissibilité se fasse de façon sécuritaire et fiable, et demandant au gouvernement libéral de prolonger la disposition de caducité de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental.

Comme l’a rapporté le National Post le 15 décembre 2022 :

[...] Le manque d’éducation du public en matière de prévention du suicide ainsi que l’absence de définition commune du caractère irrémédiable d’une maladie, c’est-à-dire du moment où une personne ne pourra pas se rétablir, sont des questions importantes qui n’ont pas encore été résolues.

Il faut plus de temps pour renforcer la sensibilisation à l’égard de ce changement et établir des lignes directrices et des normes vers lesquelles les cliniciens, les patients et le public peuvent se tourner pour être mieux informés et éduqués.

Lorsque nous discutons de propositions politiques dans lesquelles le coût d’une erreur est une mort injustifiée ou inutile, pourquoi envisagerions-nous même d’aller de l’avant s’il n’y a pas de consensus généralisé parmi les experts?

Comme le Dr Sonu Gaind, ancien président de l’Association des psychiatres du Canada, l’a dit au comité :

[L]a loi ne dit pas que les problèmes de santé graves et irréversibles doivent faire l’objet d’une décision d’ordre éthique. Ce doit être une décision scientifique.

Le gouvernement a créé un groupe d’experts chargé d’étudier l’aide médicale à mourir et la maladie mentale en tant que seul problème médical invoqué. Toutefois, ce groupe a été créé après l’adoption de la disposition de caducité, et ses membres n’ont pas été invités à déterminer si le Canada était prêt, s’il était possible de procéder à cet élargissement en toute sécurité ou s’il existait un consensus scientifique justifiant cet élargissement. Le groupe d’experts a été chargé de formuler des recommandations sur la mise en œuvre de cet élargissement. Le travail du groupe d’experts ne doit pas être interprété comme reflétant un consensus. En effet, dans son rapport final, le groupe d’experts indique qu’il serait difficile, voire impossible, de prédire le caractère irrémédiable des troubles mentaux.

Ce point de vue, à savoir l’impossibilité de prédire le caractère irrémédiable du problème de santé, a été exprimé par plusieurs experts. Si la certitude du caractère irrémédiable de la maladie ne constitue pas une mesure de protection dans le cadre de notre régime d’aide médicale à mourir, quelles sont les véritables mesures de protection contre les décès prématurés dont nous disposons?

Le Dr Mark Sinyor, professeur de psychiatrie, a déclaré ce qui suit au comité mixte :

Dans le cas de l’aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale, nous ne disposons d’aucune statistique. Nous n’aurions aucune idée — et nos patients non plus — du nombre de fois où notre jugement au sujet du caractère irrémédiable de la maladie est tout simplement erroné. C’est complètement différent de l’aide médicale à mourir dans les situations de fin de vie ou pour les maladies neurologiques progressives et incurables, où la prédiction clinique de l’irrémédiabilité est fondée sur des données probantes.

Dans le contexte de l’aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale, les décisions de vie ou de mort seront prises en fonction de pressentiments et de suppositions qui pourraient être complètement erronés. Les incertitudes et la possibilité d’erreur dans les situations de maladie mentale sont énormes. Par conséquent, il est impératif, sur le plan éthique, d’étudier les préjudices possibles avant de mettre en œuvre la loi.

Sean Krausert, directeur général de l’Association canadienne pour la prévention du suicide, a indiqué que le refus du patient de suivre un traitement ne devrait pas signifier que le trouble est irrémédiable et que lorsqu’il s’agit de maladie mentale, l’irrémédiabilité doit demeurer objective. Il a déclaré :

[L’AMM ne devrait pas être] offerte aux patients souffrant d’un trouble pour lequel la mort n’est pas raisonnablement prévisible, à moins que des preuves scientifiques indiscutables montrent que ce trouble est irrémédiable. Le caractère irrémédiable doit toujours être objectif et jamais subjectif. Aucune preuve n’indique que la maladie mentale entre dans cette catégorie.

Le comité parlementaire mixte a poursuivi ses travaux à l’automne et a entendu d’autres témoins à ce sujet qui ont suscité plus de questions qu’ils n’ont fourni de réponses.

Le Dr John Maher, psychiatre clinicien et éthicien médical, a déclaré ceci lors de son témoignage devant le comité :

Les psychiatres ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, quel patient verra son état s’améliorer et vivra une bonne vie pendant des décennies. Les maladies du cerveau ne sont pas comme les maladies du foie.

Honorables sénateurs, je suis profondément troublée à l’idée qu’on puisse offrir l’aide médicale à mourir à une personne atteinte d’une maladie mentale dont le caractère irrémédiable est subjectif et sujet à interprétation. Les Canadiens ont la même préoccupation que moi. D’après un récent sondage national mené par Angus Reid, même si les Canadiens sont généralement pour l’aide médicale à mourir, seuls 31 % d’entre eux souhaitent qu’on offre l’aide médicale à mourir dans les cas de troubles mentaux irrémédiables. Nous pouvons imaginer à quel point ce pourcentage diminuerait si on demandait aux Canadiens s’ils veulent que l’aide médicale à mourir soit offerte dans les cas où les spécialistes ne s’entendent pas sur le caractère irrémédiable d’une maladie.

Le comité a aussi entendu des préoccupations qui ont été soulevées quant à l’incapacité de distinguer entre l’intention suicidaire et les demandes d’aide médicale à mourir. C’est incontestable que les services en santé mentale sont tout à fait insuffisants au Canada. Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale, seulement la moitié des Canadiens qui vivent un épisode dépressif majeur reçoivent des « soins potentiellement adéquats ». Un tiers des Canadiens âgés de 15 ans ou plus qui déclarent avoir besoin de soins de santé mentale affirment que ces besoins n’ont pas été entièrement comblés. Parmi les enfants atteints de troubles mentaux, 75 % n’ont pas accès à des traitements spécialisés. Les jeunes Autochtones sont cinq à six fois plus susceptibles de se suicider que les jeunes non-Autochtones. Les taux de suicide chez les jeunes Inuits sont parmi les plus élevés au monde, soit 11 fois la moyenne nationale.

Ces statistiques sont inquiétantes et, grâce aux témoignages des Autochtones qui ont comparu devant le comité — qui ont exprimé leurs graves préoccupations concernant les répercussions de l’aide médicale à mourir sur leurs collectivités, notamment sur les jeunes Autochtones —, nous savons qu’il faut faire plus de consultations et qu’il faut porter une attention spéciale à l’élargissement sécuritaire et appropriée de l’aide médicale à mourir aux communautés autochtones.

Il est bien connu que l’un des symptômes communs à de nombreuses maladies mentales est le désir de mourir. Pourtant, avant que le gouvernement ait donné suite à son engagement de financer les soins en santé mentale, il va de l’avant avec une politique pour offrir le suicide assisté. Comment pouvons-nous être certains que nous offrons un choix équitable et honnête aux personnes atteintes de maladie mentale? Comment pouvons-nous être certains que les idées suicidaires associées à la maladie mentale ne sont pas un facteur pour demander l’aide médicale à mourir? Comme de nombreux experts l’ont affirmé devant le comité mixte : il est impossible d’en avoir la certitude.

Ayant maintenant une vie riche grâce à des médicaments et une thérapie, Sean Krausert a indiqué qu’il se serait sans doute prévalu de l’aide médicale à mourir dans les « jours les plus sombres » de dépression et d’anxiété. Dans le même ordre d’idées, la Dre Georgia Vrakas, psychologue et professeure, a indiqué ce qui suit :

Dans ce contexte, en donnant aux gens comme moi le feu vert pour obtenir l’aide médicale à mourir, on signifie clairement son désengagement relativement à la maladie mentale. On nous transmet le message qu’il n’y a pas d’espoir et que nous sommes des êtres jetables.

Chers collègues, le 2 février, l’honorable David Lametti, ministre de la Justice, a déposé le projet de loi C-39 à quelques semaines seulement de la date butoir du 17 mars. Le projet de loi C-39 prolongerait d’un an l’interdiction de se prévaloir de l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. Or, comment le gouvernement peut-il garantir que dans un an nous aurons les réponses et les ressources voulues et que les mesures de sauvegarde nécessaires seront en place pour protéger les personnes les plus vulnérables? Rien ne prouve que l’on règlera d’ici un an les difficultés entourant certaines questions importantes, telles que la détermination du caractère irrémédiable d’un problème de santé et les risques inhérents pour les personnes vulnérables.

Le gouvernement libéral présente le projet de loi C-39 pour tenter de remédier aux problèmes qu’il a créés en abordant avec précipitation la question du régime canadien d’aide médicale à mourir, mais il ne s’agit pas d’une solution acceptable.

Je vais appuyer à contrecœur le projet de loi C-39 parce que, sans lui, dans 10 jours, l’aide médicale à mourir deviendra légale pour les personnes dont la seule raison médiale invoquée pour en justifier la demande est une maladie mentale. J’espère sincèrement que cette année donnera aux parlementaires la chance de s’arrêter et de réfléchir sérieusement à la direction dans laquelle nous nous dirigeons. Nous procéderions avec des mesures législatives aux conséquences de vie ou de mort avant d’avoir des preuves tangibles pour les justifier. Le Canada est en voie de devenir ce que d’autres pays qualifient d’exemple dangereux.

Honorables sénateurs, nous avons l’occasion d’écouter les experts et de faire preuve de la prudence qu’exige cette question délicate. J’espère que vous serez nombreux à vous joindre à moi pour soutenir mon collègue le député de la Chambre des communes Ed Fast et son projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-314, qui prévoit que l’expression « problème de santé grave et irrémédiable » contenue dans le régime canadien d’assurance‑maladie n’inclura pas les troubles mentaux.

Toute politique devrait être basée sur des preuves, et c’est encore plus important dans le cadre de la politique relative au régime de l’aide médicale à mourir. J’interrogerai le ministre Lametti demain en comité plénier pour savoir comment il compte garantir la mise en place de garanties adéquates et répondre aux préoccupations soulevées par les experts et les défenseurs, voire s’il envisage de réviser l’élargissement de l’aide médicale à mourir si des inquiétudes subsistent au cours de l’année à venir.

Je compte aussi travailler dur avec mes collègues conservateurs au cours de l’année à venir pour mettre un terme à tout élargissement dangereux, afin de protéger les Canadiens les plus vulnérables.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Kutcher, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

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