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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier

8 mars 2023


La présidente [ - ]

Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

Honorables sénateurs, pendant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidente, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises — mais, tel qu’ordonné, si un sénateur n’utilise pas tout son temps, il peut céder le reste de son temps à un autre sénateur. Le comité accueillera l’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, et l’honorable Jean-Yves Duclos, c.p., député, ministre de la Santé, et je les invite maintenant à nous rejoindre accompagnés de leurs fonctionnaires.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable David Lametti, l’honorable Jean-Yves Duclos et leurs fonctionnaires prennent place dans la salle du Sénat.)

La présidente [ - ]

Messieurs les ministres, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires d’au plus cinq minutes combinées.

L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada [ - ]

Merci, madame la présidente. Je suis heureux de pouvoir vous parler aujourd’hui du projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), que j’ai présenté à l’autre endroit le 2 février 2023.

Comme vous le savez, je suis accompagné par mon collègue Jean-Yves Duclos, ministre de la Santé; Joanne Klineberg, de mon ministère — elle peut faire un signe de la main —; Stephen Lucas, sous-ministre, de Santé Canada; et Jaquie Lemaire, de Santé Canada.

Madame la présidente, le projet de loi C-39 va temporairement prolonger la période d’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée en faveur de la demande d’aide médicale à mourir est une maladie mentale. La période est prolongée d’un an, soit jusqu’au 17 mars 2024.

Je crois sincèrement qu’une prorogation d’un an de l’exclusion relative à la maladie mentale est nécessaire. Cette prorogation temporaire permettrait d’assurer une évaluation et une prestation sécuritaire de l’aide médicale à mourir dans ces circonstances. Le délai nous permettrait de préparer le système de santé adéquatement en nous accordant plus de temps pour la diffusion, l’apprentissage et l’application des ressources clés dans le milieu médical et la communauté des soins infirmiers.

Une telle prorogation accorderait aussi au gouvernement fédéral plus de temps pour examiner attentivement le rapport final du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a été déposé il y a seulement trois semaines, le 15 février 2023.

Ce rapport exhaustif et détaillé contient notamment des recommandations, ainsi que des précisions supplémentaires sur l’évaluation et la prestation de l’aide médicale à mourir, lorsque le seul problème médical invoqué à l’appui de la demande est une maladie mentale.

J’examine attentivement ces conclusions, conjointement avec les ministres de la Santé et de la Santé mentale et des Dépendances. Nous restons engagés à poursuivre le travail auprès de nos partenaires des provinces et des territoires pour veiller à ce que nos lois en matière d’aide médicale à mourir respectent l’autonomie et la liberté de choix tout en protégeant les plus vulnérables.

Je veux être très clair. Le projet de loi C-39 ne propose pas un recul relativement à l’admissibilité éventuelle à l’aide médicale à mourir (AMM) lorsque le seul problème médical invoqué à l’appui de la demande est une maladie mentale. Les législateurs, y compris ceux de cette Chambre, ont décidé il y a deux ans que l’admissibilité à l’AMM devrait être élargie de cette manière, et ce n’est pas quelque chose que j’ai l’intention de changer. Ce n’est donc pas ce qui est proposé dans le projet de loi C-39.

Cependant, je crois qu’il est nécessaire de prendre plus de temps pour assurer une évaluation et une prestation sécuritaires de l’AMM dans toutes les circonstances où la seule condition médicale est une maladie mentale.

La prorogation temporaire d’un an permettra d’établir un juste équilibre entre l’élargissement de l’admissibilité à l’AMM le plus rapidement possible, et de veiller à ce que cela soit fait de façon prudente et mesurée. Je suis persuadé qu’un an sera suffisant pour la diffusion et l’utilisation des ressources essentielles par le milieu médical et la communauté des soins infirmiers afin que le système de santé soit prêt.

Pendant ce temps, le gouvernement fédéral examine attentivement les rapports importants comme celui du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.

Je serai maintenant ravi de répondre à vos questions.

Merci.

La présidente [ - ]

Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Plett [ - ]

Mes questions s’adressent au ministre Lametti, du moins, pour commencer.

Monsieur le ministre, je suis très peiné de vous entendre nous dire que, même si au cours de la prochaine année vous trouvez des raisons indiquant que ce n’est aucunement la voie à suivre, vous n’aurez pas l’ouverture d’esprit de dire qu’il est toujours possible d’apporter des changements ou de faire la bonne chose. Vous direz plutôt que votre décision est déjà prise. Peu importe l’information que l’on vous fournira au cours de la prochaine année, vous maintiendrez le cap.

Monsieur le ministre, il n’y a aucun consensus chez les experts pour dire qu’il y a une manière sûre d’élargir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale qui n’ont aucune autre affection sous-jacente. Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a entendu de nombreux psychiatres chevronnés et ils ont tous, sans équivoque, affirmé qu’il n’y a aucun moyen de vérifier le caractère irrémédiable d’un trouble mental, pas plus qu’il est possible de faire clairement la distinction entre l’intention suicidaire et une demande légitime d’aide médicale à mourir.

Monsieur le ministre, le plus récent sondage de l’Association des psychiatres du Canada indique que moins de la moitié des psychiatres canadiens appuient l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale. Par ailleurs, selon un sondage de l’Ontario Medical Association, cette initiative récolte encore moins d’appuis chez les professionnels de la santé.

Monsieur le ministre, quand les professionnels de la santé et les experts n’arrivent pas à un consensus sur la manière sûre d’agir, pourquoi votre gouvernement continue-t-il d’envisager cet élargissement radical? Pourquoi le gouvernement n’écoute-t-il pas les experts en abandonnant tout simplement cette politique, surtout dans la mesure où les conséquences de se tromper sont si tragiques?

M. Lametti [ - ]

Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, je m’inscris en faux contre la plupart de vos affirmations.

Tout d’abord, il s’agit d’une loi qui a déjà été adoptée. Nous ne faisons que retarder temporairement sa mise en œuvre. Il serait irrespectueux de la part des deux Chambres du Parlement, et en particulier de la part de cette honorable Chambre, sénateur Plett, de faire volte-face et de revenir sur ce qu’elle a fait il y a seulement deux ans, compte tenu de l’expertise dont a fait preuve le comité sénatorial.

De plus, je conteste très vivement votre évaluation des informations qui circulent. Le comité d’experts qui s’est penché sur la question nous a fourni un très bon ensemble de lignes directrices qui ne sont pas seulement réalisables, mais, je pense, extrêmement efficaces pour garantir que les seuls cas de troubles mentaux admissibles à l’aide médicale à mourir sont ceux pour lesquels il existe un parcours de longue date avec un psychiatre et pour lesquels toutes sortes de choses ont été essayées et ont échoué. Il s’agit d’un très petit nombre de personnes.

Il y a donc beaucoup de désinformations qui circulent. Je soutiens humblement que certains des rapports et des sondages dont vous parlez, sont...

Le sénateur Plett [ - ]

Monsieur le ministre, je...

M. Lametti [ - ]

Laissez-moi répondre à la question s’il vous plaît.

La présidente [ - ]

Sénateur Plett, veuillez laisser le ministre répondre.

Le sénateur Plett [ - ]

Monsieur le ministre, j’ai 10 minutes pour parler de ce que je veux.

M. Lametti [ - ]

Je veux mentionner, s’il vous plaît...

La présidente [ - ]

Vous avez posé une question; le ministre est en train d’y répondre.

M. Lametti [ - ]

Je vais achever ma réponse, monsieur le sénateur.

Plusieurs des études auxquelles vous faites allusion sont basées sur cette désinformation : l’idée que nous autoriserons l’aide médicale à mourir en cas d’idées suicidaires. Ce n’est manifestement pas le cas ici. Il est question ici de patients atteints de troubles psychiatriques depuis longtemps et suivis par un psychiatre.

La présidente [ - ]

Sénateur Plett, nous en sommes à quatre minutes. Il vous reste une minute, si vous voulez laisser cinq minutes à la sénatrice Batters.

Le sénateur Plett [ - ]

Encore une fois, madame la présidente, nous partagerons notre temps comme nous l’entendons. Lorsque j’aurai terminé, elle sera la deuxième ou la troisième sur notre liste, et elle prendra le reste du temps de parole que je n’aurai pas utilisé. Merci.

Monsieur le ministre, je suis désolé de vous entendre dire que c’est acceptable puisque seul un petit nombre de personnes serait touché si nous faisons mal les choses. À mon avis, ce ne l’est pas : une seule personne, c’est encore une de trop.

Monsieur le ministre, je souhaite aborder la notion du caractère irrémédiable. L’ensemble de notre régime d’aide médicale à mourir est fondé sur le principe selon lequel la maladie invoquée doit être grave et irrémédiable, comme l’a établi la Cour suprême. Laisser entendre qu’il existe un consensus scientifique sur la capacité de prédire l’évolution d’une maladie mentale serait grossièrement trompeur. Plusieurs témoins ont déclaré à un comité mixte que ce n’était pas possible. Le Dr Sonu Gaind, ancien président de l’Association des psychiatres du Canada, a déclaré au comité :

[...] la loi ne dit pas que les problèmes de santé graves et irréversibles doivent faire l’objet d’une décision d’ordre éthique. Ce doit être une décision scientifique. À ce sujet, il ne fait aucun doute qu’il est impossible de faire des prédictions lorsqu’il s’agit de maladie mentale.

Même le groupe d’experts du gouvernement a déclaré dans son rapport qu’il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de faire des prédictions précises sur l’avenir d’un patient donné.

Monsieur le ministre, voici ma question, et j’aimerais avoir une réponse brève. En ce qui concerne le caractère irrémédiable, les cliniciens ne peuvent pas savoir s’ils se trompent dans 2 % ou dans 90 % des cas. Selon vous, monsieur le ministre, quel pourcentage serait acceptable, et si on ne peut pas garantir qu’on pourra respecter les deux seuls critères prévus comme mesure de sauvegarde, soit le caractère « grave » et « irrémédiable » du problème de santé, alors quelle est l’utilité des autres mesures de sauvegarde?

M. Lametti [ - ]

Sénateur, avant de donner la parole à mon collègue le ministre Duclos, j’aimerais dire que le comité d’experts a établi de bonnes balises sur le caractère irrémédiable, alors s’il y a le moindre doute quant au caractère irrémédiable, la personne concernée ne sera pas admissible à l’aide médicale à mourir.

L’honorable Jean-Yves Duclos, c.p., député, ministre de la Santé [ - ]

Je vous remercie d’avoir parlé du comité d’experts. Je vais résumer ce qu’il a dit.

Le comité d’experts a fait plusieurs recommandations pour aider les évaluateurs du régime d’aide médicale à mourir à rendre une décision sur le caractère incurable de la maladie mentale lorsque c’est le seul problème de santé invoqué par la personne. Il s’agit notamment de se pencher sur les tentatives de traitement et leurs résultats ainsi que sur la gravité du problème de santé. Le comité a aussi recommandé que les évaluateurs obtiennent des renseignements supplémentaires, ce qui inclut l’examen des dossiers médicaux, les évaluations antérieures relatives à l’aide médicale à mourir et les discussions avec les membres de la famille ou les proches. Comme dans le cas de bien d’autres maladies chroniques, le caractère incurable du trouble mental ne peut pas être établi sans qu’on ait tenté plusieurs interventions à des fins thérapeutiques.

En ce qui concerne le caractère irréversible de la maladie mentale, le comité a indiqué que les évaluateurs du régime d’aide médicale à mourir devraient établir le caractère irréversible en s’appuyant sur les interventions tentées qui sont conçues pour améliorer le fonctionnement, y compris les mesures de réadaptation et de soutien reconnues qui ont été prises jusqu’à ce jour, les résultats de ces interventions et la durée du déclin.

Enfin, comme le ministre Lametti l’a dit, si les évaluateurs ne peuvent pas établir le caractère irrémédiable, alors la personne concernée ne sera pas jugée admissible à l’aide médicale à mourir.

Le sénateur Plett [ - ]

Je céderai le reste de mon temps de parole à la sénatrice Batters lorsque son tour viendra.

La sénatrice Batters [ - ]

Monsieur Duclos, lors de la campagne électorale de 2021, le programme électoral des libéraux promettait d’établir et de financer le Transfert canadien en matière de santé mentale, qui représente un engagement de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Selon la ventilation des coûts de ce programme électoral, le gouvernement aurait déjà dû investir 1,5 milliard de dollars dans les soins de santé mentale, mais, en réalité, il n’a pas dépensé un seul sou.

Le système de soins de santé mentale du Canada est en pleine crise. Les Canadiens souffrant de maladies mentales doivent attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, pour obtenir un traitement psychiatrique. Voilà maintenant que le gouvernement Trudeau s’apprête à proposer le suicide assisté à des personnes vulnérables souffrant de maladies mentales qui ont l’impression de n’avoir aucune autre option, au lieu d’investir et de leur offrir un traitement ou de l’espoir.

Pourquoi le gouvernement ne respecte-t-il pas cet engagement majeur en matière de santé mentale? Pourquoi le gouvernement offre-t-il la mort au lieu d’un traitement aux Canadiens atteints de maladie mentale?

M. Duclos [ - ]

En fait, non seulement nous ne rompons pas cette promesse, mais nous la renforçons. Vous avez probablement suivi la récente annonce faite par le premier ministre, il y a quelques semaines, dans une lettre faisant état d’accords de principe conclus avec la plupart des provinces et des territoires, c’est-à-dire 11 sur 13, qui sont assortis d’un investissement supplémentaire de 200 milliards de dollars de fonds fédéraux au cours des 10 prochaines années. Ces sommes s’ajoutent au Transfert canadien en matière de santé et aux points d’impôt déjà transférés aux provinces et aux territoires au cours de la dernière décennie.

Il s’agit de sommes très importantes.

Il s’agit notamment de 2,5 milliards de dollars par année au cours des prochaines années, ce qui est évidemment beaucoup plus important que le chiffre que vous avez avancé plus tôt. Ces fonds seront investis en partie pour procurer un meilleur accès aux soins de santé mentale, parce que nous savons que la santé mentale fait partie de la santé dans son ensemble, mais aussi pour procurer un meilleur accès aux soins primaires, parce que, pour la plupart des Canadiens qui nous écoutent, les soins primaires procurent un accès direct aux soins de santé mentale par la voie des psychologues, des psychiatres et des travailleurs sociaux.

Il s’agit là d’investissements majeurs. Par-dessus tout, nous pensons qu’ils permettront aux Canadiens d’obtenir de meilleurs résultats pour l’ensemble des soins de santé, y compris pour les soins de santé mentale.

Messieurs les ministres, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

La désinformation en matière de santé est devenue une importante préoccupation depuis l’arrivée de la COVID. Dans le cadre de votre travail, avez-vous relevé des renseignements erronés qui sont fréquemment propagés au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué? Si oui, quel en était l’objet et quelles mesures sont prises pour les contrer?

M. Lametti [ - ]

Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Il est juste de dire que nous en avons déjà entendu. Le principal exemple de désinformation dans ce cas en particulier, c’est de dire qu’une personne qui est suicidaire, déprimée ou anxieuse pourra avoir recours à l’aide médicale à mourir. Ce n’est tout simplement pas le cas.

Comme l’indiquent les lignes directrices données dans le rapport du groupe d’experts, la personne type ayant recours à l’aide médicale à mourir, dont un trouble mental serait le seul problème médical invoqué, recevrait les soins d’un psychiatre depuis une longue période — des années, voire une décennie ou plus — et aurait essayé toutes les possibilités offertes, de sorte qu’elle serait en mesure de prendre une décision et de faire ce choix.

Si une personne est en crise aiguë ou si elle envisage le suicide, elle devrait demander de l’aide.

Comme le ministre Duclos vient de le souligner, nous essayons de travailler avec les provinces pour accroître l’offre de ces services. Cela dit, il est tout simplement hors de question qu’une personne reçoive l’aide médicale à mourir si elle est déprimée, anxieuse ou suicidaire. C’est le genre d’argument qui est avancé, je crois, pour des raisons principalement idéologiques ou pour faire machine arrière sur l’ensemble de la dernière série de réformes sur l’aide médicale à mourir, ce qui implique également un objectif politique.

Le comité d’experts nous a fourni une très bonne feuille de route qui nous permettra de poursuivre notre travail. Notre objectif est de présenter des informations réelles et factuelles et de donner aux provinces, aux territoires et aux universités le temps d’assimiler les informations contenues dans le rapport d’experts et d’élaborer les modules et le matériel didactique nécessaires pour que nous soyons tous sur la même longueur d’onde d’ici un an au plus tard.

La sénatrice Jaffer [ - ]

Je remercie les deux ministres d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui.

Monsieur Lametti, comme vous le savez, nous vous disons depuis de nombreuses années que vous avez battu le record des ministres pour ce qui est des rapports d’analyse comparative entre les hommes et les femmes. J’ai écrit à votre bureau avant que vous ne veniez ici pour demander si ce rapport serait produit. L’avez‑vous ici ou allez-vous le produire plus tard?

M. Lametti [ - ]

J’en ai une copie ici, mais il sera produit en précisant qu’il sera similaire à l’analyse de la violence fondée sur le sexe.

Le sénateur Downe [ - ]

La motion approuvée par le Sénat concernant le comité plénier d’aujourd’hui était très précise et limitée. Elle porte sur le projet de loi C-39. Toute autre question devrait être jugée irrecevable. Je suis prêt à entrer dans les détails abrutissants du Règlement au besoin, mais autrement, nous devrions nous en tenir au sujet qui nous occupe.

La présidente [ - ]

Je suis d’accord avec vous, sénateur. Honorables sénateurs, je vous prie de limiter vos questions à l’objet du débat, à savoir le projet de loi C-39.

La sénatrice Jaffer [ - ]

Il s’agit d’une question relative au projet de loi C-39, afin de voir comment le projet de loi a été adopté. Je pense donc bien respecter le sujet.

La présidente [ - ]

C’est entendu.

La sénatrice Jaffer [ - ]

Monsieur le ministre, dans le dernier projet de loi, nous avions parlé de toutes les données différentes qui avaient été recueillies sur la race et les handicaps. Recueille-t-on aussi ce même genre de données pour le projet de loi actuel, et comment procédera-t-on à l’avenir?

M. Lametti [ - ]

Le ministre Duclos voudra peut-être nous en dire plus long sur ce sujet, mais nous commençons à recevoir ces données. Depuis le début de janvier, nous commençons à obtenir de meilleures données grâce au projet de loi C-7. Espérons que cela nous permettra de recueillir de meilleures données désagrégées sur l’aide médicale à mourir.

M. Duclos [ - ]

Précisément! Au fil du temps, la quantité de données augmente et elles sont de meilleure qualité. C’est en partie grâce au fait que, le 1er janvier, de nouveaux règlements sont entrés en vigueur. Ceux-ci permettent de recueillir davantage de données sur les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir, sur les raisons de leur demande et sur le processus suivi. Je parle ici de données désagrégées portant, entre autres, sur le sexe, l’administration de l’aide médicale à mourir, le processus à l’origine du refus et du résultat final. Il y a aussi les facteurs sous‑jacents, y compris les facteurs médicaux, qui pourraient mener à une demande ou, parfois, à une offre d’aide médicale à mourir.

Le sénateur Loffreda [ - ]

Bienvenue, messieurs les ministres. Ma question s’adresse au ministre Duclos. Certains craignent qu’autoriser l’aide médicale à mourir en dehors du contexte de fin de vie rende celle-ci trop facilement accessible à ceux qui souffrent d’un trouble de santé mentale, surtout s’ils ne peuvent pas accéder à tous les soins disponibles. Pouvez-vous confirmer que les professionnels de la santé, les psychiatres en particulier, conviennent que l’incurabilité et l’irréversibilité doivent être au cœur de l’évaluation psychologique qui leur permettra de déterminer l’admissibilité? Comment envisagez-vous de normaliser ces deux critères?

M. Duclos [ - ]

Merci. La réponse à cette question comporte deux éléments. Premièrement, comme je l’ai mentionné plus tôt, si les évaluateurs ne peuvent établir le caractère irrémédiable ou incurable du problème de santé d’un patient, ce dernier ne peut pas obtenir l’aide médicale à mourir. Deuxièmement, une autre condition à l’obtention de l’aide médicale à mourir est que le patient doit s’être vu offrir une aide sociale et médicale pertinente et suffisante pendant une période prolongée.

Nous savons que la question soulève des préoccupations qui sont dans l’ensemble légitimes, même si c’est parfois parce que les personnes sont mal renseignées. On s’interroge sur ce qui arrivera si une personne n’a pas accès à un logement ou à des soins de santé mentale. Dans ce cas, la personne ne peut pas obtenir l’aide médicale à mourir parce que nous devons plutôt l’aider et lui fournir toute l’aide dont elle a besoin et qu’elle mérite d’avoir pour vivre pleinement sa vie, comme une aide au logement, un soutien du revenu, des programmes d’aide sociale et un suivi médical. Voilà ma réponse abrégée à votre importante question.

Le sénateur Loffreda [ - ]

Merci pour cette réponse. J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus, compte tenu de ce que nous entendons, car il y a beaucoup de mésinformation et de désinformation. Cela dit, je reconnais qu’il existe une divergence d’opinions parmi les professionnels de la santé. Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure nous pouvons affirmer qu’ils finiront par s’entendre sur la nécessité du projet de loi?

M. Duclos [ - ]

Une des raisons pour lesquelles les évaluateurs et les experts reconnaissent qu’il est difficile d’établir la nature irrémédiable d’une maladie est que les personnes sont toutes très différentes les unes des autres. Il faut donc y aller au cas par cas. Comme nous l’avons dit, et je crois qu’il faut le répéter sans cesse afin de mettre fin à la mésinformation, si l’on ne peut pas établir la nature irrémédiable de la maladie d’une personne, cette personne ne sera pas admissible à l’aide médicale à mourir. Des psychiatres et d’autres personnes font valoir qu’il est parfois difficile d’établir la nature irrémédiable d’une maladie; c’est vrai, mais si elle ne peut pas être évaluée ou confirmée, le demandeur ne recevra pas l’aide médicale à mourir.

Le sénateur Dagenais [ - ]

Monsieur Lametti, dans le dossier de l’aide médicale à mourir, votre gouvernement donne toujours l’impression qu’il cherche par tous les moyens soit à ne pas agir ou encore à retarder le plus possible la mise en place des règles qui lui sont pourtant dictées par la Cour suprême ou par ses propres experts.

Je vous dirais que cela fait près de 10 mois que vous avez reçu les recommandations de votre groupe d’experts sur la modification de cette loi pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Vous saviez que vous aviez deux ans pour agir dans ce dossier, soit jusqu’au 17 mars prochain. Cela vous a quand même pris de mai à décembre, soit sept mois, pour finalement accoucher d’une demande de délai supplémentaire. Entre vous et moi, sept mois pour prendre une telle décision, on pourrait dire que c’est inconcevable, surtout pour les personnes souffrantes qui attendent après vous.

J’aimerais que vous nous expliquiez la lenteur systémique qui vous caractérise depuis 2015 dans le dossier de l’aide médicale à mourir. Qui ou quoi vous empêche de procéder plus rapidement?

M. Lametti [ - ]

Merci, sénateur, pour cette question très importante.

Évidemment, ce sont des questions qui sont souvent très personnelles et difficiles à répondre sur le plan moral et éthique. Il y a eu la pandémie, qui a ralenti la mise en œuvre de la loi. Nous avons promulgué la loi, il y a deux ans. À l’époque, nous pensions que nous avions suffisamment de temps pour élaborer l’encadrement de la loi en matière de troubles mentaux.

Le Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale a fait un travail formidable, mais la création des modules et du matériel didactique dans les universités — dans les facultés de médecine partout au Canada — a été ralentie, entre autres en raison de la pandémie. Nous étions d’avis qu’il était plus prudent de ralentir le processus afin de donner le temps nécessaire à tous pour être sur la même longueur d’onde.

Il s’agit d’un processus. Nous procédons étape par étape avec la population canadienne. Nous procédons au même rythme que le peuple canadien.

Le sénateur Dagenais [ - ]

Merci.

Je vais confier le reste de mon temps de parole à la sénatrice Wallin.

La sénatrice Wallin [ - ]

À l’évidence, le délai prévu dans le projet de loi C-39 a, pour bien des gens, ouvert la porte aux efforts visant à contester l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes qui ne sont pas atteintes de maladies mentales. Avez-vous un plan? Prévoyez-vous être plus présent dans l’espace public? Allez-vous affirmer plus clairement votre appui à l’aide médicale à mourir? Quelles garanties pouvez-vous donner à la population que le délai prévu dans le projet de loi C-39 n’aura pas d’impact sur l’accès pour les centaines de personnes qui attendent un signal clair?

M. Duclos [ - ]

Je vous remercie de votre question. Pour revenir sur la question précédente, j’ajouterais que certains experts considèrent que, avec la prolongation adoptée il y a deux ans, nous aurions pu procéder en mars cette année. Cependant, en raison de la prudence à laquelle mon collègue a fait référence plus tôt, comme nous venons de recevoir les rapports du comité parlementaire sur l’aide médicale à mourir il y a quelques semaines et que nous voulions donner plus de temps aux gens pour accéder au matériel produit — la version préliminaire est déjà avancée et la version finale sera prête au cours de 2023 —, nous voulions que les normes de pratique soient bien connues et facilement accessibles. Ces normes seront disponibles dans les prochaines semaines. Comme nous souhaitons que la réglementation et l’information à son sujet soient de plus en plus faciles à trouver, nous étions d’avis qu’une année de plus serait souhaitable.

C’est vrai qu’il s’agit d’un processus. Les gens qui souffrent depuis de nombreuses années nous écoutent et trouvent probablement, à leur grand désarroi, que les choses ne vont pas aussi vite qu’ils l’auraient voulu.

M. Lametti [ - ]

Tout d’abord, sénatrice Wallin, je vous remercie pour ce que vous avez fait dans ce dossier. Je suis d’accord avec vous pour dire que bien que certains seront déçus de cette décision, nous pensons qu’il s’agit de la voie la plus prudente à suivre. Nous ne reculons sur rien d’autre.

Les chiffres qui commencent tout juste à être disponibles indiquent que dans la grande majorité des cas, il s’agit de situations de fin de vie. Si je me souviens bien, selon les chiffres que j’ai vus, 500 cas sur 10 000 ne sont pas des cas de fin de vie. Cela ne représente qu’une fraction d’un point de pourcentage. Lorsque nous disposerons de données plus précises et mieux ventilées, je pense que nous pourrons assurer aux Canadiens qui se montrent sceptiques à l’égard de l’aide médicale à mourir, et qui sont enclins à croire la désinformation, qu’il s’agit en réalité de renforcer l’autonomie des personnes afin qu’elles puissent vivre et mourir dans la dignité, dans certaines circonstances et à certaines conditions. Il s’agit seulement d’un délai d’un an et nous ne reculons pas sur quoi que ce soit d’autre.

La sénatrice Wallin [ - ]

En ce qui concerne le point que vous avez soulevé au sujet de la COVID, qui, comme vous l’avez laissé entendre, explique ce délai, je dirais plutôt que celle-ci a permis au système de s’assouplir en permettant le recours accru à la technologie pour mieux communiquer.

Pouvez-vous garantir ce type d’accès à la technologie aux personnes qui cherchent à obtenir conseil ou pour que les évaluateurs de l’aide médicale à mourir puissent continuer à employer cette technologie?

M. Duclos [ - ]

En effet, des progrès importants ont été réalisés en raison de la COVID-19. Bien entendu, je ne veux pas insinuer que la COVID-19 a été une bonne chose. Elle a porté un préjudice énorme non seulement aux travailleurs de la santé, mais aussi aux patients qui attendent depuis des années des interventions chirurgicales et des diagnostics. Comme vous l’avez fait remarquer, si la COVID-19 a eu un aspect positif, c’est qu’elle a permis de favoriser considérablement l’accès aux soins virtuels ainsi que le recours à des procédés et à des technologies numériques, ce qui a eu pour effet d’améliorer la qualité et la fiabilité des soins. Nous pensons que l’accès à l’information en général — et l’accès à la technologie en particulier —, favorisera l’accès à tous les types de soins, notamment les soins palliatifs, les soins à domicile, les soins communautaires, l’aide médicale à mourir et, essentiellement, aux soins primaires, qui sont la pierre angulaire du système de santé canadien.

La sénatrice Wallin [ - ]

J’aimerais revenir sur ce que je disais au départ au sujet d’une campagne. Nous avons déjà eu cette discussion dans le passé. Tous les fournisseurs de soins, tous les évaluateurs de l’aide médicale à mourir et surtout les gens qui se préoccupent de la question de la maladie mentale, mais pas seulement eux, ont déclaré qu’il faut tenir un débat public beaucoup plus vaste à ce sujet. D’autres ont laissé entendre que le gouvernement n’avait pas été assez proactif et franc dans ce dossier. À ce sujet, serait-il possible que le gouvernement en général — et pas seulement les ministres, comme les deux qui sont ici aujourd’hui — fasse davantage preuve de leadership dans ce dossier?

M. Lametti [ - ]

Merci, sénatrice. Je comprends ce que vous dites. Je partage en partie votre opinion. En travaillant avec le ministre Duclos — et je vois le sous-ministre Lucas derrière moi —, avec l’information à notre disposition et avec ces gens, je crois que nous y parviendrons.

La présidente [ - ]

Il vous reste une minute.

La sénatrice Wallin [ - ]

Je ne vais pas l’utiliser. Merci.

Le sénateur Cardozo [ - ]

Merci, messieurs les ministres Lametti et Duclos, d’être parmi nous pour cet important débat. J’ai deux questions à vous poser.

Ma première question est la suivante : lorsque le gouvernement a décidé de demander un délai, avez-vous envisagé un délai plus court, de six mois par exemple?

M. Lametti [ - ]

Merci de la question, monsieur le sénateur. La réponse est simple, c’est oui. Comme le ministre Duclos l’a mentionné, le groupe d’experts dirigé par la Dre Gupta a estimé que nous serions prêts à aller de l’avant plus tard ce mois-ci. Cependant, certaines facultés de médecine partout au Canada ainsi que des groupes, provinces et territoires ont soulevé des questions et ont affirmé ne pas être prêts. Le ministre Duclos et moi avons eu diverses discussions, notamment avec des sénateurs qui siègent dans cette vénérable enceinte, de même qu’avec d’autres parlementaires et experts de partout au Canada, concernant un délai de six mois ou de neuf mois. En fin de compte, pour être parfaitement honnête, on a estimé qu’un délai sûr serait de six à neuf mois. Par mesure de sécurité, le gouvernement a opté pour un délai d’un an, pour être certain que tous les intervenants du Canada, c’est-à-dire le corps médical, les provinces et les territoires, soient sur la même longueur d’onde et prêts à passer à la prochaine étape en même temps. Ce délai nous donnera suffisamment de temps pour que tous soient prêts au même moment.

Le sénateur Cardozo [ - ]

Ma deuxième question est peut-être un peu plus philosophique. Je la pose en sachant que lorsqu’il est question de l’aide médicale à mourir, il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse. Nous devons respecter le point de vue de tous. En qualité de parlementaires, nous recevons tous des lettres de Canadiens qui demandent désespérément qu’il n’y ait pas de délai. D’autres soutiennent qu’il faudrait carrément interdire l’aide médicale à mourir. J’aimerais que vous nous aidiez à aborder la question. C’est un véritable défi pour nous, en qualité de législateurs. Qu’avez-vous à dire aux parlementaires que nous sommes et aux gens qui ne veulent pas de ce délai?

M. Duclos [ - ]

Vous avez raison; c’est une question très intime, très difficile et très complexe qui va nous chercher très loin.

Évidemment, par définition, toutes les questions liées à la vie et à la mort sont centrales à la vie humaine. Il est normal que nous soyons partagés, du moins au départ, lorsque nous réfléchissons à ces questions, surtout dans une société qui continue d’évoluer. De plus en plus, les gens veulent à la fois profiter d’une qualité de vie, mais aussi maintenir une certaine autonomie. Ils veulent aussi qu’on respecte leurs choix, peu importe les choix qu’ils veulent faire dans leur vie. Ce sont parfois des choix qu’ils font sur le plan de l’identité personnelle, des choix liés à des convictions religieuses et autres, des choix liés au mode de vie et des choix sur la façon de terminer leur vie; on sait tous que la vie va se terminer un jour, d’une manière ou d’une autre.

Ce sont des questions très personnelles et très difficiles dont vous traitez avec beaucoup de soin dans cette Chambre. Le travail que vous faites n’est pas facile. Vous faites un travail semblable à celui de l’autre endroit, soit celui d’essayer de rassembler des gens et des points de vue qui, au départ — presque par définition —, sont éloignés les uns des autres.

Par conséquent, j’aimerais vous encourager à continuer. Je pense à tous les députés et aux sénateurs en particulier qui ont siégé au sein du comité. Je pense à Marc Garneau, le président du comité, qui a annoncé son départ aujourd’hui. Marc a retardé jusqu’à aujourd’hui son départ de la vie politique. Il aurait pu partir plus tôt. À son âge et après avoir tant donné au Canada, il aurait pu nous quitter plus rapidement, mais ce qu’il m’a dit au caucus du Québec ce matin — et David était présent lui aussi —, c’est qu’il tenait à être là jusqu’à la fin. Il trouvait que c’était un travail important qu’il avait fait avec quelques-uns d’entre vous ici au Sénat, et il souhaitait le faire jusqu’à la fin.

La sénatrice Bellemare [ - ]

En ce qui a trait aux délais qui sont demandés dans le projet de loi C-39, que fera votre gouvernement entre-temps pour soulager les souffrances des personnes qui souffrent de maladie mentale? Allez-vous notamment accepter d’accorder plus d’exemptions au titre de l’article 56 et prévoir un accès réel aux thérapies assistées par la MDMA et la psilocybine?

M. Lametti [ - ]

Merci de la question. Je suis de tout cœur avec les personnes qui souffrent et qui attendaient le 17 mars 2023; je leur transmets ma sympathie la plus profonde dans cette situation. Honnêtement, nous n’avons pas envisagé de mesures temporaires. Il s’agit d’un an seulement; je sais qu’il s’agit d’un an où certaines personnes vont continuer de souffrir et, comme je l’ai dit, c’est quelque chose qui me préoccupe, mais je crois qu’on doit avoir la certitude que la loi sera réellement mise en œuvre dans un an. Pendant ce temps, on doit se concentrer sur la mise en œuvre de la loi.

La sénatrice Bellemare [ - ]

C’est tout, merci.

Le sénateur Dalphond [ - ]

Bienvenue au Sénat, messieurs les ministres. Je comprends l’inquiétude de certains. En autorisant l’accès à l’aide médicale à mourir pour des raisons de maladie mentale, le Canada s’inscrit dans une mouvance qui n’est pas généralisée partout dans le monde, même s’il existe des pays qui le permettent, comme les Pays-Bas.

La professeure Donna Stewart, de l’Université de Toronto, a témoigné devant le comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat. Elle a dit qu’elle avait étudié les statistiques des 20 dernières années aux Pays-Bas en ce qui concerne l’accès à l’aide médicale à mourir pour des raisons de maladie mentale et elle a noté qu’en 2020, 95 % des demandes avaient été rejetées. Elle a aussi souligné que les bénéficiaires de l’aide médicale à mourir souffrant uniquement de maladie mentale représentaient 1,3 % du total des personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir. Je présume que ces chiffres sont connus du gouvernement et que vous vous attendez à ce que l’expérience du Canada soit semblable. La réalité, c’est que ce ne sera pas facile à obtenir et que le nombre sera réduit.

M. Duclos [ - ]

Oui, parce que l’important, c’est de prendre soin des gens. La protection des personnes vulnérables est l’objectif primordial, l’objectif fondamental de tout ce que fera le gouvernement. Nous avons la chance de faire ce que vous faites aussi, et c’est notre objectif dans la vie, soit d’aider les gens à mieux vivre. Cela explique que toutes les conditions imposées en ce qui concerne l’accès à l’aide médicale à mourir ont pour but de s’assurer que les gens ont reçu tout le soutien social, économique et médical nécessaire pour vivre une vie pleine et entière jusqu’à une fin naturelle.

Toutefois, comme vous l’avez dit, il existe des circonstances terribles où, durant des années et des décennies, comme le ministre Lametti l’a dit aussi, des gens vivent dans des souffrances incroyables et intolérables, des souffrances qui ne peuvent pas être réduites, qui sont irrémédiables et qui ne sont aucunement allégées par quelque forme de traitement que ce soit. Ces gens sont tout à fait capables de choisir et peuvent donner un consentement éclairé et informé. Ces gens veulent être autonomes jusqu’à la fin de leur vie, et c’est dans ces rares cas que l’accès à l’aide médicale à mourir serait octroyé et sera octroyé ici au Canada, comme c’est le cas dans d’autres pays qui le font déjà.

Le sénateur Dalphond [ - ]

La recommandation no 13 du rapport du comité mixte spécial stipulait que, cinq mois avant mars 2024, il faudrait reconstituer le comité pour s’assurer que les mesures requises ont été mises en place, que les provinces et les territoires sont prêts et que les formations et les lignes directrices sont prêtes. Êtes-vous d’accord avec cette proposition?

M. Lametti [ - ]

On vient de recevoir le rapport et on l’a lu, évidemment. Je remercie la sénatrice Martin et notre collègue l’honorable Marc Garneau de leur travail, ainsi que les membres du comité. Je dois dire que, personnellement, je ne suis pas contre la recommandation. Comme je l’ai déjà souligné, je suis assez sûr que nous serons en bonne position, dans six ou sept mois, pour que le comité puisse revoir la question.

La sénatrice Batters [ - ]

Monsieur le ministre, l’analyse comparative entre les sexes visant le projet de loi C-39 a donné des résultats accablants. Elle révèle que les femmes seront disproportionnellement affectées par l’élargissement du suicide assisté aux personnes souffrant de maladie mentale. Voici ce qu’on peut lire dans l’analyse :

On peut s’attendre à ce que, si l’AMM était mise à la disposition des personnes dont l’unique trouble est une maladie mentale au Canada, nous constations une augmentation du nombre de femmes qui demandent l’AMM pour des souffrances psychiatriques et à un âge plus jeune.

Comme on l’a vu dans les pays du Benelux, des décès par aide médicale à mourir ont été controversés, et les auteurs de l’analyse notent qu’on « peut s’attendre à des cas similaires au Canada si les critères d’admissibilité étaient semblables ».

L’analyse révèle que, à l’heure actuelle, les hommes sont trois fois plus susceptibles de mener leur suicide jusqu’au bout. Cependant, avec l’avènement du suicide assisté — une méthode de suicide qui réussit à tout coup —, il pourrait y avoir autant de femmes que d’hommes qui réussissent leur suicide. Or, ce n’est pas exactement le genre d’égalité entre les sexes que nous souhaitons.

Monsieur le ministre, en cette Journée internationale des femmes, pourriez-vous nous dire pourquoi, en dépit de ces terribles mises en garde, le gouvernement met la vie des Canadiennes à risque en allant de l’avant avec cet élargissement du suicide assisté?

M. Lametti [ - ]

Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Je comprends le raisonnement qui sous-tend votre question et je reconnais la sincérité avec laquelle vous la posez.

Comme l’a indiqué mon collègue le ministre Duclos, l’expérience dans les pays du Benelux a démontré qu’un très faible pourcentage de demandeurs de l’aide médicale à mourir avaient une maladie mentale comme seule condition médicale sous-jacente. Nous nous attendons à ce qu’il en soit de même au Canada. Les lignes directrices qui seront mises en place — qui ont été recommandées par le comité d’experts — sont très strictes. Elles ne permettront pas l’acceptation d’un grand nombre de demandes.

Pour ce qui est de la différence entre les hommes et les femmes, nous mettons l’accent sur l’autonomie du demandeur — lorsqu’il répond aux critères ou qu’il peut le faire. Dans un nombre très limité de cas — une infime fraction des cas —, si un demandeur répond aux critères, nous lui donnons la capacité de décider de mettre fin à ses souffrances si c’est son souhait. Nous estimons que c’est un élément important de l’aide médicale à mourir.

Néanmoins, ce sont des situations épineuses, comme vous le savez.

La sénatrice Batters [ - ]

Monsieur Lametti, en tentant de vendre aux Canadiens le concept de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques, vous avez parfois laissé entendre que l’élargissement de l’aide au suicide à des personnes ayant une maladie mentale a été mandaté par les tribunaux. Comme vous le savez, monsieur le ministre, c’est inexact. Vous avez reçu récemment une lettre substantielle sur ce sujet, signée par de nombreux éminents professeurs de droit du Canada, qui affirment que ni l’affaire Carter ni l’affaire Truchon ne statue sur la constitutionnalité de l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques, et qu’aucun des plaignants n’avait réclamé l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques.

Monsieur le ministre, si les tribunaux n’exigent pas l’élargissement de l’aide au suicide aux personnes ayant une maladie mentale, et qu’il ne peut être prouvé scientifiquement que la maladie mentale est irrémédiable, pourquoi êtes-vous, ainsi que le gouvernement, si déterminé à aller de l’avant?

M. Lametti [ - ]

Merci de votre question, sénatrice Batters. Comme j’ai été professeur de droit la plus grande partie de ma vie adulte, je connais personnellement la plupart des signataires de la lettre.

En 2016, j’estimais que le régime initial d’aide médicale à mourir était inconstitutionnel, parce qu’il ne permettait pas l’accès à cette aide dans les cas où la personne n’est pas en fin de vie. Malheureusement, l’affaire Truchon m’a donné raison.

Vous avez raison de dire que ni l’affaire Carter ni l’affaire Truchon n’a examiné directement la question de la maladie mentale comme unique raison pour satisfaire aux critères d’admissibilité. Toutefois, je suis convaincu que, à l’instar de ce qui s’est produit en 2016, les choses nous pousseront dans cette direction éventuellement. Beaucoup de sénateurs le pensaient aussi dans cette honorable enceinte il y a deux ans. C’est d’ailleurs l’une des raisons pourquoi le Sénat nous a dirigés dans cette direction avec l’ancien projet de loi C-7.

Madame la sénatrice, j’ai confiance que nous avançons sur la bonne voie, et ce, dans le respect des principes sur lesquels repose la Charte. Je pense qu’il est important de donner la possibilité aux Canadiens qui satisfont aux critères établis de pouvoir mettre fin à leur souffrance.

La présidente [ - ]

Sénatrice Batters, il vous reste 30 secondes.

La sénatrice Batters [ - ]

Je cède mon temps de parole à la sénatrice Martin.

La sénatrice Martin [ - ]

Monsieur le ministre, vous avez dit que certaines écoles avaient soulevé des questions, mais je sais pertinemment que, en décembre, les directeurs des 17 écoles ont tous soulevé des préoccupations. Le projet de loi C-39 prévoit une prolongation d’un an, mais ce n’est pas beaucoup de temps quand on tient compte de l’immensité du Canada, des problèmes liés aux champs de compétence, ainsi que des grandes disparités entre les régions rurales et urbaines du pays. Malgré tous les efforts bien intentionnés, je crois que, dans un an, nous devrons envisager d’autres prolongations.

Monsieur le ministre, la population canadienne est elle aussi fort inquiète. En effet, selon un récent sondage Angus Reid, plus de la moitié des Canadiens s’opposent à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Étant donné que les experts ne s’entendent pas sur cette question et qu’elle ne jouit pas d’un vaste appui auprès des Canadiens, pourquoi le gouvernement ne dépose-t-il pas une mesure législative pour empêcher cet élargissement, au lieu de seulement le retarder d’un an? En fait, si le gouvernement est certain que nous obtiendrons, un jour, un consensus professionnel justifiant cet élargissement, pourquoi n’attend-il pas ce moment pour déposer une mesure législative l’autorisant? J’ai juste l’impression qu’un an ne sera pas suffisant.

M. Duclos [ - ]

Je dirais d’abord que certaines personnes — vous les avez entendues — considèrent que nous pourrions être prêts d’ici la fin du mois. C’est que beaucoup de travail a été accompli au cours des deux dernières années, notamment grâce à vos efforts et à ceux de nombreux experts.

J’ajouterais que, comme le Canada est une fédération, nous savons que les provinces et les territoires ne sont pas nécessairement tous sur la même longueur d’onde pour l’ensemble des enjeux liés aux soins de santé et au système de santé en général. C’est correct, parce que, au sein d’une fédération, il faut respecter l’hétérogénéité et la responsabilité qui vient avec la compétence des provinces.

Cela dit, nous avons choisi la voie de la prudence. Les provinces qui ne sont pas prêtes n’ont pas à aller de l’avant. Les personnes qui ne sont pas admissibles n’auront pas accès à l’aide médicale à mourir. Les critères d’accès à l’aide médicale à mourir sont solides et stricts et comprennent, comme je l’ai mentionné plus tôt, le caractère irrémédiable du trouble de santé. Il n’est pas possible d’obtenir l’aide médicale à mourir si les conditions suivantes ne sont pas pleinement remplies : un déclin irréversible, un déclin avancé et progressif, des souffrances intolérables et un consentement éclairé continu.

Ces critères stricts protègent les personnes les plus vulnérables, comme vous l’avez souligné à juste titre, que nous devrions toujours avoir à l’esprit et défendre.

Je le répète, certains estiment que nous sommes déjà prêts. Nous le serons encore plus d’ici quelques mois grâce au programme de formation qui s’en vient, aux normes de pratique qui seront publiées dans quelques semaines, aux règlements en place et à la rétroaction issue de vos travaux et des travaux du comité parlementaire, auxquels de nombreux sénateurs ont contribué au cours de la dernière année.

La sénatrice Martin [ - ]

Les différences entre les provinces ont également été portées à notre attention au comité.

En parlant des provinces, après une vaste consultation, l’Assemblée nationale du Québec a déposé le projet de loi 11 et, en fin de compte, reconnaissant l’absence de consensus chez les professionnels à ce sujet, a décidé de ne pas autoriser l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale.

Comment cela fonctionnera-t-il sur le plan logistique? Si les critères d’admissibilité sont plus étroits au Québec, quel ensemble de critères les cliniciens du Québec devront-ils suivre? Comment empêcherez-vous les patients atteints d’un problème de santé mentale de faire appel à un médecin d’une autre province?

M. Lametti [ - ]

Merci de votre question, madame la sénatrice. Tout d’abord, nous suivons attentivement le processus législatif au Québec, et nous attendrons de voir à quoi ressemble le projet de loi final après que le comité législatif aura fait son travail et que toutes les étapes du processus législatif auront été suivies.

À l’échelon fédéral, nous nous penchons sur le droit pénal pour fixer les paramètres — pour ainsi dire — de la responsabilité. Comme l’a souligné le ministre Duclos, les provinces disposent d’une certaine marge de manœuvre pour ce qui est des mesures qu’elles choisissent de mettre en œuvre. Par exemple, elles peuvent décider de ne pas permettre immédiatement l’accès à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Attendons de voir le résultat final de ce processus législatif. Cela va certainement nous éclairer. Les gouvernements fédéral et provinciaux — dans ce cas, le Québec — ont tout intérêt à harmoniser le plus possible leurs régimes afin de donner aux professionnels de la santé la certitude qu’ils respectent la loi et les paramètres légaux fixés.

La sénatrice Dupuis [ - ]

Monsieur le ministre de la Justice, bienvenue au Sénat.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, la question de l’aide médicale à mourir est très grave. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dont je fais partie, a considéré très sérieusement et entendu un nombre important de témoins lors de l’étude du projet de loi. L’autonomie de la personne qui prend une décision aussi importante pour elle et sa capacité de décider sont deux principes sous-jacents de ce qui figure maintenant dans le Code criminel et qui encadre cette pratique médicale. Je pense que ce sont des raisons pour lesquelles il est urgent que votre gouvernement aille de l’avant et envisage la possibilité pour une personne de formuler des directives anticipées. Il s’agit en effet d’une décision qui permet à cette personne de maintenir son autonomie et de préserver sa dignité, avant que sa capacité de décider soit annulée par une maladie.

Vous nous avez dit plus tôt que vous aviez deux raisons de demander le report de l’entrée en vigueur de la possibilité d’avoir accès à l’aide médicale à mourir sur la seule base qu’une personne souffre d’un trouble mental ou d’une maladie mentale. Donner plus de temps pour fixer les procédures et les mesures d’encadrement est une chose. Ce qui m’inquiète — et je voudrais avoir une précision de votre part, monsieur le ministre de la Justice —, c’est que vous avez dit que votre gouvernement avait besoin de plus de temps pour examiner le rapport qui a été soumis par le comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, comité formé de membres de la Chambre des communes et du Sénat.

Dans ce rapport, on traite d’au moins cinq sujets différents, dont celui des troubles mentaux. Êtes-vous en train de nous dire que le report que vous demandez, donc la prolongation d’une année avant la mise en vigueur de cette partie de la loi, permettra au gouvernement d’examiner le rapport du comité mixte spécial uniquement en ce qui a trait à la partie qui traite des troubles mentaux, ou allez-vous aussi considérer les mineurs matures et d’autres sujets? Est-ce possible de croire qu’une année sera suffisante? Pourriez-vous préciser de combien de temps le gouvernement a besoin pour examiner le rapport? Est-ce que vous parlez du temps requis pour examiner ce qui concerne, dans le rapport du comité, la seule question des troubles mentaux en ce qui a trait à l’aide médicale à mourir?

M. Lametti [ - ]

Je vous remercie de la question. Il est vrai que le rapport qu’on vient de recevoir du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a abordé plusieurs sujets. L’année que l’on vient de demander à titre de prorogation traite uniquement des troubles mentaux. Évidemment, on va également tenir compte du rapport et des recommandations qui s’y trouvent. Pour les autres sujets, il y aura des processus bien connus. Le gouvernement va donner une réponse formelle au rapport, et après avoir entamé des discussions, tout cela pourrait nous mener à d’autres étapes.

Je sais que plusieurs personnes dans cette Chambre, à l’autre endroit et dans la société canadienne voudraient que les directives anticipées existent dans ce cas. Une grande majorité des Canadiens et Canadiennes voudraient y avoir accès, et c’est un sujet évoqué dans le rapport et que le projet de loi au Québec a traité aussi.

Nous allons...

La présidente [ - ]

Monsieur le ministre, nous devons passer aux questions de la sénatrice Boyer.

La sénatrice Boyer [ - ]

Merci d’être ici, messieurs les ministres. Pendant l’étude préalable et l’étude du Sénat sur le projet de loi C-7, il était important pour moi, en tant que membre du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, de veiller à ce que nos travaux tiennent compte des points de vue des témoins inuits, métis et des Premières Nations. Il est impératif de ne pas oublier ce que ces témoins nous ont dit.

Comment le projet de loi C-39 et le délai qu’il prévoit seront-ils utilisés pour atténuer les inquiétudes de ces communautés à propos de l’offre inadéquate pour les Autochtones, notamment ceux qui vivent avec un handicap, de services et de ressources en santé mentale qui sont adaptés à la culture?

M. Duclos [ - ]

Je vous remercie de la question.

Vous avez tout à fait raison. Non seulement les soins de santé mentale offerts dans de nombreuses communautés autochtones sont inadéquats et, dans certains cas, ne sont pas prodigués dans un cadre sécuritaire et adapté à la culture, mais il y a également un problème d’accès à ce type de soins. Il y a une crise des soins de santé mentale dans de nombreuses communautés autochtones, ce qui a des répercussions sur leurs membres.

C’est pourquoi, par l’entremise du ministère de la ministre Hajdu, avec mon aide et celle de la ministre Bennett, nous investirons beaucoup plus pour soutenir la santé mentale et les soins de santé mentale pour les Autochtones. Nous le ferons notamment au moyen de l’investissement que le premier ministre a annoncé il y a quelques semaines : 2 milliards de dollars supplémentaires versés dans le Fonds d’équité en santé autochtone. Cette mesure soutiendra directement la capacité des communautés autochtones d’investir, comme elles le veulent, dans la santé mentale et les soins pour leur population.

Les besoins sont immenses, et les traumatismes sont grands. Nous devons donc être là pour soutenir les peuples autochtones.

La sénatrice Boyer [ - ]

Merci, monsieur le ministre.

Je cède la parole au sénateur Woo.

Le sénateur Woo [ - ]

Je remercie les ministres d’être ici aujourd’hui.

J’aimerais revenir sur la question du caractère irrémédiable, qui est le critère à satisfaire pour avoir accès à l’aide médicale à mourir. Pour autant que je sache, et je pense que vous l’avez confirmé, il n’y a pas de consensus dans le milieu médical sur le caractère irrémédiable des maladies mentales. Cela signifie qu’il faudra traiter au cas par cas chaque demande d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Quels que soient les protocoles élaborés pendant le présent délai, cela signifie que les personnes atteintes d’une maladie mentale qui demandent l’aide médicale à mourir se tourneront vers des évaluateurs qui sont enclins à reconnaître que leur problème de santé est irrémédiable. Il est probable que tous les évaluateurs de l’aide médicale à mourir seront prédisposés à considérer que certaines maladies mentales sont irrémédiables puisqu’ils ne seraient pas évaluateurs autrement.

Si des professionnels de la santé qui connaissent le patient, mais qui ne font pas partie de l’équipe d’évaluation de l’aide médicale à mourir, sont d’avis que la maladie mentale en question n’est pas irrémédiable, dans quelle mesure la loi leur permet-elle d’intervenir dans la demande d’aide médicale à mourir?

M. Lametti [ - ]

Je vais parler de manière générale des mesures de sauvegarde avant de céder la parole au ministre Duclos.

Dans ce qu’on appelle le deuxième volet, le patient doit obtenir un deuxième avis d’une personne qui ne fait pas partie de l’équipe médicale ou qui ne lui prodigue pas de soins. Il s’agit d’une mesure de sauvegarde spécifique qui est expliquée en détail dans le rapport des experts.

Dans le grand ordre des choses, je suis persuadé, une fois de plus, que cela représentera un petit nombre de cas où l’aide médicale à mourir est demandée et un nombre encore moindre de cas où la demande est acceptée. Le ministre Duclos pourra peut-être apporter des précisions à ce sujet.

M. Duclos [ - ]

J’ai devant moi une liste de critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir. J’en ai résumé certains plus tôt, lorsque j’ai parlé de l’irréversibilité, de l’irrémédiabilité et de l’incurabilité de la maladie, mais les critères sont stricts. Comme on l’a déjà dit, ils précisent que la demande ne doit pas être le résultat d’une pression extérieure; qu’il faut obtenir le consentement éclairé avant et pendant le processus; que le demandeur doit souffrir d’une maladie grave et incurable, qu’il doit avoir atteint un stade avancé du déclin irréversible de ses capacités et qu’il doit éprouver une souffrance physique ou psychologique intolérable qui ne peut pas être soulagée dans des conditions que la personne considère comme acceptables. Ensuite, il existe de nombreuses mesures de sauvegarde concernant le processus lui-même. Ces mesures visent les médecins et les infirmiers praticiens indépendants, appuyés par d’autres professionnels s’ils ne sont pas suffisamment préparés ou équipés pour traiter les demandes de manière appropriée. Il existe toutes sortes d’autres mesures de sauvegarde qui, comme je l’ai déjà dit, existent pour protéger les Canadiens vulnérables de la manière prévue par le Code criminel.

Ce n’est pas une décision que les évaluateurs et les praticiens prennent à la légère.

La présidente [ - ]

Il reste 30 secondes.

Le sénateur Woo [ - ]

Que se passe-t-il si la voix dissidente est celle d’un professionnel de la santé reconnu qui connaît le patient, mais qui ne fait pas partie de l’équipe d’évaluation ni même de celle du deuxième avis obligatoire en vertu des règles? Cette personne a‑t-elle le droit d’intervenir dans la demande d’aide médicale à mourir?

M. Duclos [ - ]

Tout cela fait partie des critères fondamentaux pour pouvoir accéder à l’aide médicale à mourir. C’est très...

La présidente [ - ]

Je dois vous interrompre, monsieur le ministre.

Il reste deux minutes pour poser une question et y répondre.

La sénatrice McCallum [ - ]

Je vais demander qu’on me réponde par écrit, car je ne pense pas qu’ils auront le temps de le faire de vive voix.

Les peuples autochtones présentent des taux élevés de handicap, de maladie mentale, de mortalité prématurée et de morbidité liés à des traumatismes intergénérationnels et à des politiques gouvernementales qui ne leur sont pas favorables. Il existe une autre forme de souffrance lorsque l’on a peur de se voir offrir la mort après des générations de génocide.

Les données actuelles suggèrent que nous ne pouvons pas prédire qu’une personne atteinte d’une maladie mentale ne se rétablira pas; la plupart d’entre elles y parviennent avec les soins appropriés. En outre, nous ne parvenons pas à fournir des soins et des mesures d’aide en temps utile, ce qui peut avoir un effet sur la décision de mourir, comme nous l’avons déjà entendu dans certains cas, et comme je l’ai entendu de la part de nombreuses personnes.

Le message selon lequel la mort peut constituer une solution à la maladie mentale semble aller à l’encontre des efforts de prévention du suicide, et l’Association canadienne pour la prévention du suicide a exprimé ses inquiétudes à ce sujet.

Je me réjouis de cette pause d’un an, mais qu’est-ce qui changera vraiment en un an s’il n’y a pas de place pour un réexamen des problèmes réels auxquels sont confrontés les groupes marginalisés?

La présidente [ - ]

Monsieur le ministre, la sénatrice a demandé à ce que vous répondiez par écrit, alors on vous demande de répondre à cette question par écrit.

Honorables sénateurs, le comité siège depuis maintenant 65 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligée d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.

Messieurs les ministres, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier vos fonctionnaires.

Des voix : Bravo!

La présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que les témoins ont été entendus?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président [ - ]

Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.

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