Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
9 mars 2023
Propose que le projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-39, qui prolonge d’un an la date de mise en œuvre de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Une fois de plus, j’aimerais reconnaître que nos débats qui abordent des questions délicates comme le suicide peuvent être pénibles pour certains et que le fait de demander de l’aide quand on en a besoin constitue un signe de force.
À l’étape de la deuxième lecture, j’ai parlé de la portée et de l’objectif du projet de loi et des raisons pour lesquelles la prolongation est nécessaire. Aujourd’hui, je rappellerai ces raisons et je m’attarderai également sur certains renseignements erronés qui ont entaché la compréhension du public à l’égard des questions complexes entourant le choix de la fin de vie et qui se sont malheureusement glissés dans le discours des professionnels de la santé et des parlementaires au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Le report d’un an permettra aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de travailler en collaboration avec les organismes de réglementation et les fournisseurs de soin afin de permettre aux systèmes de santé de se préparer. Selon moi, le travail de préparation doit répondre aux quatre critères. Premièrement, il faut s’assurer que la norme de pratique exemplaire est au point et a été publiée et distribuée aux organismes de réglementation de chaque province et territoire. Deuxièmement, il fait s’assurer que le programme de formation accrédité en matière d’aide médicale à mourir a été créé et est offert aux prestataires de l’aide médicale à mourir. Troisièmement, il faut s’assurer que les exigences de déclaration mises à jour ont été entièrement mises en œuvre et que le gouvernement a commencé à recueillir les données qui seront essentielles à notre évaluation continuelle du régime d’aide médicale à mourir au Canada. Quatrièmement, il faut s’assurer que le gouvernement a eu suffisamment de temps pour étudier le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
Honorables sénateurs, nous devons relever l’un des plus importants défis législatifs auxquels les Canadiens doivent faire face. Comme la sénatrice Martin l’a dit lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture, il s’agit de « l’une des questions les plus complexes et les plus personnelles ». Cet enjeu s’inscrira dans notre histoire comme un tournant dans notre façon de concevoir les droits individuels et l’autonomie des personnes qui vivent avec un trouble mental. C’est un enjeu d’une profondeur, d’une complexité et d’une nature semblables à celles de deux autres enjeux liés à la santé sur lesquels nous avons dû nous pencher précédemment, soit la contraception et les droits génésiques des femmes. Cette évolution de notre mentalité témoigne d’une progression vers une société plus compatissante dans laquelle nous accordons du respect et de l’importance aux autres, peu importe qui nous sommes, qui nous aimons ou comment nous choisissons de mourir.
Cette évolution reflète aussi comment le Canada remplace la prestation de services de santé axés sur l’autocratie paternaliste traditionnelle d’autrefois par des soins axés sur le patient. Nous nous attendons désormais à ce que les fournisseurs de soins de santé collaborent avec les patients pour mettre en place les conditions bienveillantes qui permettront aux personnes compétentes de prendre des décisions libres et éclairées concernant leur corps et leur vie, même lorsqu’elles envisagent la mort.
Les questions complexes dont nous traitons dans le contexte de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental nécessitent une réflexion mûre et critique, un débat respectueux, une compréhension approfondie des nuances en jeu et la volonté de faire passer les intérêts de ceux qui souffrent de façon intolérable avant l’idéologie intransigeante ou l’opportunisme politique. L’examen de ces questions complexes exige également que nous évitions de créer ou de répandre de la mésinformation, et de la dénoncer lorsque nous y sommes confrontés. Nous pouvons être respectueusement en désaccord les uns avec les autres. Au bout du compte, cela fait partie intégrante du discours démocratique. Cela dit, ce n’est pas la même chose que de mal se renseigner ou de mal renseigner les autres.
Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-7, mon bureau et moi suivons les discussions dans les médias grand public et les médias sociaux au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Nous avons également examiné attentivement tous les débats sur le projet de loi C-39 qui ont eu lieu récemment à l’autre endroit. Personnellement, j’ai eu le privilège de siéger au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, en compagnie d’autres sénateurs, d’avoir entendu les nombreuses heures de témoignage et d’avoir lu les nombreux mémoires.
Grâce à cette recherche et au fait que j’ai approfondi ma connaissance des complexités et des nuances qui entourent l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, j’ai relevé trois domaines où la mésinformation a marqué le débat public et parlementaire au cours de la dernière année. Je vais vous en faire part, étant donné que l’adoption du projet de loi C-39 ne mettra probablement pas fin à la discussion. À l’avenir, savoir quels sont les types les plus courants de mésinformation peut nous aider dans nos recherches, nos discussions, nos délibérations et nos débats, peu importe notre point de vue. Les voici : l’aide médicale à mourir remplace l’accès aux soins de santé mentale; l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est une pente glissante; et l’aide médicale à mourir est un autre nom pour désigner le suicide. Je parlerai de chacun de ces points et j’examinerai leur origine.
Mais auparavant, il faut bien comprendre la manière dont la mésinformation survient. Elle est parfois diffusée délibérément, par des joueurs qui désapprouvent la façon dont la société évolue et qui réagissent en produisant et en transmettant de fausses informations. La mésinformation se produit parfois par inadvertance, lorsque des gens de bonne foi se laissent émouvoir et acceptent ce qu’on leur présente sans comprendre la question en profondeur, sans y réfléchir rigoureusement et sans analyser de manière objective les informations qu’ils communiquent.
Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai discuté de fausses affirmations selon lesquelles l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué pourrait remplacer les soins de santé mentale et être accessible aux personnes traversant une crise aiguë. Soyons très clairs. Les personnes suicidaires ou qui vivent une crise aiguë liée à la santé mentale ne seront pas admissibles à l’aide médicale à mourir et ne la recevront pas.
Les personnes qui demanderont l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental et dont la demande sera approuvée auront déjà reçu différents types de soins de santé mentale pendant une période prolongée. Elles pourront aussi annuler leur consentement en tout temps pendant la période minimale de 90 jours. Ces gens vivent des souffrances intolérables non pas parce qu’il leur est impossible d’obtenir des soins de santé mentale, mais parce qu’aucune des nombreuses tentatives en vue de les soulager menées sur une longue période n’a réussi à alléger suffisamment les souffrances intolérables en question. Pour les maladies mentales comme pour d’autres types de maladies, les traitements dont nous disposons ne parviennent malheureusement pas à soulager tous les gens qui souffrent énormément. Il y a très peu de gens dans cette situation, heureusement, mais il n’en demeure pas moins que ceux-ci continuent de subir des souffrances intolérables.
C’est pourquoi, pour les personnes aux prises avec des souffrances intolérables, les décisions concernant l’admissibilité à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental doivent être prises au cas par cas. Comme je l’ai indiqué mardi, il n’y a pas de recette pour déterminer si les souffrances d’une personne sont irrémédiables et intolérables. Il y a évidemment des facteurs cliniques fondamentaux à considérer, qui figurent dans le rapport du groupe d’experts et les normes de pratique. Les psychiatres sont aussi arrivés à un consensus à ce sujet, grâce à un processus Delphi en deux étapes. Les organismes de réglementation traiteront davantage de ces points dans leurs normes de pratique pour l’aide médicale à mourir, comme ils le font pour tous les soins médicaux.
Il est essentiel de comprendre que les interventions cliniques pour les conditions médicales complexes sont toujours déterminées au cas par cas, qu’elles reposent sur des données médicales probantes et qu’elles constituent des soins axés sur le patient. Les décisions relatives à la façon de procéder et au moment opportun de le faire sont le fruit d’une entente convenue entre le patient qui souffre et les personnes qui font tout leur possible pour alléger sa souffrance. C’est le principe sur lequel reposent les soins médicaux de notre ère moderne. La maxime « guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours » résume avec justesse la collaboration patient-soignant.
Une autre forme de mésinformation à propos de l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental est que cela nous amènera sur une pente glissante. C’est un exemple classique de faux raisonnement. Il y a trois types de faux raisonnement ayant pour thème la pente glissante. Quand on parle de l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, celui de la « pente fatale » est le plus fréquent. On peut le définir comme suit :
La pente fatale [...] consiste à prétendre qu’une action initiale relativement mineure engendrera un phénomène relativement majeur.
Même si le résultat de cette fameuse pente glissante n’est pas clairement précisé, on déduit que si l’aide médicale à mourir est offerte à des personnes dont la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale, nous nous retrouverons en très peu de temps avec un très grand nombre de demandes d’aide médicale à mourir faites par des personnes ayant une maladie mentale ou encore que des situations horribles et répréhensibles surviendront. Une des caractéristiques de ce type d’argument fallacieux de mésinformation est de ne fournir aucune preuve que ses prédictions se réaliseront vraiment. En outre, ces arguments confondent souvent l’adoption attendue et habituelle d’une nouvelle intervention avec la preuve de l’existence d’une pente glissante et ils substituent l’angoisse émotionnelle et la peur à l’examen rationnel.
Voici ce qu’en dit une étude d’experts qui se sont penchés sur le sophisme de la pente glissante :
En général, les pentes glissantes sont principalement associées à des événements négatifs et, à ce titre, les arguments relatifs aux pentes glissantes sont fréquemment utilisés dans des campagnes de peur. Dans ce contexte, les arguments de la pente glissante évoquent souvent une cascade de conséquences de plus en plus graves qui se produiront à la suite de l’événement initial en question.
Malheureusement, le sophisme de la pente glissante a été perpétué dans les médias, dans des discours au Parlement et dans des témoignages présentés au comité mixte sur l’aide médicale à mourir.
La pente glissante est un faux raisonnement qui « [...] fait fi ou sous-estime l’incertitude associée au passage du point de départ de la pente à son point d’arrivée ».
Par conséquent, l’auteur de l’argument n’a aucune idée de ce qui se passera réellement. Il est toutefois convaincu que ce dont il a peur se produira à coup sûr, et c’est sur cette base qu’il défend cet argument.
La mésinformation répandue au moyen de cette pente glissante fallacieuse peut être grave et avoir des effets préjudiciables sur la santé et le bien-être de personnes et de groupes. Il faut la contrer en dénonçant le raisonnement erroné sur lequel elle est fondée et en fournissant des données qui réfutent les craintes que cette argumentation vise à alimenter.
Décortiquons cette pente glissante fallacieuse concernant l’aide médicale à mourir au Canada lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. On peut examiner les données provenant d’autres pays afin de déterminer la véracité de ces arguments. On peut examiner les endroits où on permet l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental afin de déterminer si on administre l’aide médicale à mourir à une proportion de plus en plus grande et importante de la population avec comme seule justification le trouble mental.
Examinons les données provenant des Pays-Bas et de la Belgique. Dans ces pays, on a permis l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental il y a plus de 10 ans. On peut examiner le pourcentage de personnes qui ont eu accès à l’aide médicale à mourir pour cause de troubles mentaux ou du comportement par rapport à tous ceux qui ont obtenu l’aide médicale à mourir une fois que cette pratique a été bien établie.
Voici ce que les données démontrent. En Belgique, au cours des cinq dernières années — période pour laquelle la Bibliothèque du Parlement a pu me fournir des données —, voici quel a été le pourcentage de personnes ayant eu accès à l’aide médicale lorsqu’un trouble mental était le seul problème médical invoqué : en 2017, 1,7 %; en 2018, 1,4 %; en 2019, 0,8 %; en 2020, 0,9 %; et en 2021, 0,9 %.
Mettons ces chiffres dans une perspective différente. En 2021, la Belgique comptait 11,59 millions d’habitants. Le nombre total de personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir alors qu’un trouble mental était le seul problème médical invoqué a été de 24, soit 0,00020 % de la population. Il est clair qu’il n’y a pas de pente glissante en Belgique.
Aux Pays-Bas, les chiffres sont les suivants : 2017, 1,2 %; 2018, 1,0 %; 2019, 1,0 %; 2020, 1,2 %; 2021, 1,5 %. Encore une fois, je vais mettre ces chiffres en perspective. En 2021, la population des Pays-Bas était de 17,53 millions d’habitants. Le nombre total de personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir alors qu’un trouble mental était le seul problème médical invoqué a été de 115, soit 0,00065 % de la population. Il n’y a donc pas de pente glissante aux Pays-Bas non plus.
Ces données concordent avec la récente étude de Jordan Potter, publiée dans Medicine, Health Care and Philosophy en 2018, intitulée « The psychological slippery slope from physician-assisted death to active euthanasia: a paragon of fallacious reasoning ». Le professeur Potter conclut que :
[...] 1) l’utilisation de l’argument de la pente glissante psychologique contre l’aide médicale à mourir est logiquement fallacieuse; 2) ce type de pente glissante n’est pas fondé en pratique; et donc 3) l’argument de la pente glissante psychologique est insuffisant à lui seul pour justifier le maintien de l’interdiction légale de l’aide médicale à mourir.
Chers collègues, en tant que praticiens du second examen objectif, il nous incombe de dénoncer cette désinformation basée sur l’argument fallacieux de la pente glissante lorsque nous la rencontrons. En effet, nous pourrions désigner l’expression « pente glissante » comme un signal nous avertissant que ce qui suit pourrait être un argument fallacieux.
Un troisième domaine de désinformation en forte croissante à l’égard de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental concerne la question du suicide. Ici, l’erreur de raisonnement appelée « piège de l’appellation » — oui, il existe une erreur de raisonnement de ce nom — a été largement utilisée pour brouiller les cartes et remettre en question le but premier de l’aide médicale à mourir : un choix de fin de vie fait par une personne compétente qui souffre de façon intolérable et qui satisfait à tous les critères prévus par la loi.
Il y a un piège de l’appellation lorsqu’on suppose à tort que deux choses sont identiques parce qu’elles portent le même nom — Logique 101, je m’en souviens. Dans le cas de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, les commentateurs qui utilisent ce genre de sophisme affirment que l’aide médicale à mourir est un suicide, soit parce que cette pratique médicale a déjà été appelée « suicide assisté par un médecin », soit parce qu’ils cherchent à susciter, pour leurs propres raisons, une réponse émotionnelle pour semer la peur chez les autres.
On trouve un exemple très récent de cette erreur de raisonnement dans un article sur l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, où figure la citation suivante :
[...] lorsque vous adoptez une loi qui permet à quelqu’un de mettre fin prématurément à sa vie avec l’aide d’un médecin, il s’agit alors d’un suicide assisté par un médecin. Par définition, c’est un suicide.
Dans ce cas, la confusion en matière de nomenclature peut avoir contribué à la facilité avec laquelle ce type de désinformation s’est répandu. C’est dans son rapport de 2016 que le comité mixte de la Chambre et du Sénat a passé en revue les nombreuses expressions utilisées pour décrire cette intervention de fin de vie et s’est arrêté sur l’expression « aide médicale à mourir », peut-être pour éviter cette confusion.
À titre de rappel, le rapport de 2016 du comité mixte s’intitulait L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient. Ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le lire devraient peut‑être le faire. Ceux qui l’ont lu se souviendront de la troisième recommandation :
Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.
Le comité s’était également penché sur la définition de « graves et irrémédiables » à adopter et était arrivé à une définition similaire à celle recommandée par le groupe d’experts en 2022.
Si on écoute attentivement la mésinformation concernant le suicide, on constate qu’aucun argument n’est présenté pour faire la démonstration que l’aide médicale à mourir et le suicide sont la même chose. Tout ce qu’on nous dit, c’est qu’ils sont pareils et c’est tout. Alors, plutôt que d’accepter sans broncher le caractère véridique de cette affirmation, comparons la mort par suicide à la mort au moyen de l’aide médicale à mourir. Si cette dernière est la même chose qu’un suicide, les deux événements devraient avoir beaucoup de choses en commun.
Le suicide est souvent commis de façon impulsive. L’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué exige un délai minimal de 90 jours et n’est pas obtenue de façon impulsive. Le suicide est souvent un acte violent, qui cause des expériences traumatisantes pour les proches et pour les premiers répondants appelés sur les lieux où se trouve la dépouille. L’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué ne cause pas ce genre d’expérience traumatisante.
Le suicide est un acte qui est commis en secret et dans la solitude, souvent par des personnes qui se trouvent dans une situation désespérée. La personne cherche à éviter les membres de sa famille et ses amis, et non à s’en entourer. L’aide médicale à mourir n’est pas un acte commis en secret et dans la solitude, et celle-ci a généralement lieu en présence de la famille ou d’amis.
Le suicide entraîne souvent un deuil non surmonté et une détresse mentale durable pour les proches de la personne décédée. Les taux de dépression, d’hospitalisation en psychiatrie, de tentatives de suicide et de décès par suicide sont plus élevés chez les membres des familles endeuillées par un suicide. En revanche, les familles qui vivent l’aide médicale à mourir éprouvent un deuil et un sentiment de perte semblables à ceux qu’éprouvent les familles qui vivent une expérience de soins palliatifs, sans pour autant présenter les mêmes conséquences négatives que les familles qui ont perdu l’un de leurs membres en raison d’un suicide.
Chers collègues, libre à vous de décider des similitudes et des différences entre ces deux types de situations. À mon avis, il s’agit de deux situations clairement distinctes qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques.
Cependant, peut-être que le suicide et que l’aide médicale à mourir sont identiques à d’autres égards. Examinons cette possibilité. Si le suicide et l’aide médicale à mourir étaient deux phénomènes semblables, ils devraient présenter des caractéristiques démographiques identiques. Par ailleurs, si le suicide et l’aide médicale à mourir touchaient le même groupe démographique, la mise en place de l’aide médicale à mourir devrait entraîner une baisse du taux de suicide. Si, en revanche, comme certains l’affirment, la disponibilité de l’aide médicale à mourir entraînait une augmentation du taux de suicide dans la population, la mise en place de celle-ci devrait être suivie d’une augmentation du taux de suicide. Vérifions ce qu’il en est.
Tout d’abord, l’affirmation selon laquelle l’aide médicale à mourir et le suicide touchent les mêmes populations est fausse. La répartition par âge des décès induits par l’aide médicale à mourir et des décès suite à un suicide est différente. La répartition par sexe est également différente.
Deuxièmement, l’affirmation selon laquelle l’aide médicale à mourir fait augmenter ou diminuer les taux de suicide au Canada est fausse. Les taux de suicide au Canada n’ont ni augmenté ni diminué de manière significative depuis l’introduction de l’aide médicale à mourir. Cette différence entre l’aide médicale à mourir et les données démographiques sur le suicide au Canada et l’absence de répercussions de l’aide médicale à mourir sur les taux de suicide au Canada suggèrent fortement que la population qui choisit l’aide médicale à mourir et la population qui décède des suites d’un suicide ne sont pas les mêmes populations. Ces données montrent que la thèse selon laquelle l’aide médicale à mourir et le suicide sont un seul et même phénomène n’est tout simplement pas fondée.
Qu’en est-il des autres pays dans lesquels l’aide médicale à mourir est disponible? La situation est-elle similaire ou différente de celle du Canada? Les données confirment la même conclusion : les populations sont différentes. Je citerai un extrait tiré d’une étude de ces données en Belgique et aux Pays-Bas réalisée par M. Tyler Black, qui a témoigné devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :
Le texte qui suit est une comparaison entre les pays qui ont adopté une loi permettant aux personnes de mourir dans la dignité (la Belgique et les Pays-Bas) et les pays voisins qui ne l’ont pas fait. Les comparaisons entre pays posent plusieurs problèmes, mais il n’existe aucune preuve empirique permettant d’affirmer que les taux de suicide ont augmenté ou sont différents dans les pays ayant adopté une loi sur l’aide médicale à mourir par rapport à ceux qui ne l’ont pas fait.
Cette étude comportait un groupe de référence. Là encore, les résultats ne sont pas les mêmes.
Un autre aspect de cette mésinformation associant l’aide médicale à mourir au suicide est l’argument erroné selon lequel le suicide est uniquement associé à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’un trouble mental, un argument facilement réfuté par un simple examen des faits. Par exemple, dans le même article récemment publié dans les médias, une personne se proclamant contre l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué a déclaré :
La forme traditionnelle de l’aide médicale à mourir, qui n’est accessible que lorsque la mort est raisonnablement prévisible, a permis à l’aide médicale à mourir de fonctionner dans un univers qui ne s’entrecroise pas avec le suicide.
Examinons cette affirmation. J’ai abordé cette question dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7 et je cite mes propos :
[…] la présence d’une maladie grave et chronique constitue, en soi, un facteur de risque de suicide élevé. Ce risque accru n’est pas uniquement présent pour les personnes qui souffrent seulement d’une maladie mentale.
Par exemple, selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, les jeunes adultes qui souffrent d’une maladie chronique comme l’asthme et le diabète sont quatre fois plus susceptibles de faire une tentative de suicide. Les taux de suicide des personnes atteintes du cancer sont deux fois plus élevés que ceux de la population générale, alors que ceux des personnes atteintes de la maladie de Huntington sont huit à dix fois plus élevés.
Dans une étude sur le suicide et les douleurs chroniques, le Dr David Fishbain et ses collaborateurs ont constaté que le taux de suicide était de deux à trois fois plus élevé chez les patients souffrant de douleurs chroniques qu’au sein de la population en général. Dans une étude mondiale du suicide et des douleurs chroniques, Nicole Tang et Catherine Crane ont constaté que le risque de décès par suicide est au minimum deux fois plus élevé chez les personnes souffrant de douleurs chroniques.
On observe aussi des taux de suicide considérablement plus élevés chez les personnes atteintes d’autres maladies chroniques, telles que le cancer. En effet, selon une méta-analyse mondiale de 2022, publiée par Michael Heinrich et ses collègues dans la revue Nature Medicine, le taux de suicide chez les personnes atteintes du cancer est 85 % plus élevé que dans la population générale.
Honorables collègues, d’après les données de Santé Canada, le cancer était la condition médicale invoquée par plus de 65 % des personnes ayant obtenu l’aide médicale à mourir. Souvenez-vous que le taux de suicide chez les personnes atteintes du cancer est 85 % plus élevé que dans la population générale.
Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’inquiétudes semblables à propos du suicide pour les maladies chroniques autres que les maladies mentales. C’est complètement faux. Alors, pourquoi véhicule-t-on ces faussetés? Peu importe la raison, en tant que Chambre de second examen objectif, nous devons nous fonder sur les données, et non faire des sermons moralisateurs ou exprimer nos opinions personnelles.
En terminant, je vais aborder une autre question qui, à mon avis, n’a pas été bien traitée dans le cadre de toutes ces discussions, à savoir la nécessité d’améliorer l’accès rapide à des soins de santé mentale pour tous ceux en ayant besoin. C’est une chose pour laquelle je me suis battu durant toute ma vie professionnelle, et pour laquelle je continue de me battre.
Lorsque j’ai obtenu mon diplôme de médecine dans les années 1970, le principal besoin en matière de soins de santé mentale était l’accès rapide à des soins efficaces pour tous ceux qui en avaient besoin. Lorsque j’ai terminé mon internat en psychiatrie dans les années 1980, le principal besoin en matière de soins de santé mentale était l’accès rapide à des soins efficaces pour tous ceux qui en avaient besoin. Lorsque j’ai été nommé au Sénat, le principal besoin en matière de soins de santé mentale était l’accès rapide à des soins efficaces pour tous ceux qui en avaient besoin. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les dépenses liées aux soins de santé mentale devraient représenter environ 10 % du budget total des soins de santé. L’Association canadienne pour la santé mentale demande que ce chiffre soit d’environ 12 %.
Cette question ne relève pas uniquement du gouvernement fédéral. Les provinces et les territoires fixent les budgets alloués à l’ensemble des soins de santé, notamment à la santé mentale. D’après mes recherches, la proportion des budgets liés à la santé qui sont alloués aux soins de santé mentale se situe entre 5 % et 7 % dans la plupart des provinces et des territoires, ce qui est bien en deçà des montants requis.
On entend sans cesse dire que les soins de santé mentale figurent sur une liste de priorités. Eh bien, chers collègues, retirons les soins de santé mentale de la liste des priorités et plaçons-les sur la liste du financement équitable.
Il y a actuellement à l’échelle nationale un mouvement et des circonstances qui nous poussent à passer de la parole aux actes. Il y a maintenant une ministre fédérale de la Santé mentale et des Dépendances. On discute d’un fonds de transfert ciblé en santé mentale. Cela amènera peut-être le gouvernement fédéral à fournir plus de soutien pour accélérer l’accès à des soins de santé mentale de qualité pour tous ceux qui en ont besoin.
Cela donnera peut-être aux provinces et aux territoires la motivation nécessaire pour accroître leurs investissements dans les soins de santé mentale, et pour investir dans des mesures qui fonctionnent et non dans celles qui ne font que cocher une case sur leur liste.
Honorables sénateurs, nous devons continuer de faire pression sur tous les ordres de gouvernement pour qu’ils investissent équitablement dans des mesures qui accéléreront l’accès à des soins de santé mentale efficaces pour tous les Canadiens. Nous devons exercer cette pression non pas en raison de la possibilité d’offrir l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, mais parce que c’est ce qu’il faut faire, que l’aide médicale à mourir soit accessible ou non.
Alors que nous nous apprêtons à voter sur le projet de loi C-39, je vous remercie de m’avoir permis de vous faire part de mes préoccupations au sujet de la mésinformation entourant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, et d’avoir continué de réclamer des améliorations pour les Canadiens atteints d’une maladie mentale. Ils ont le droit d’être traités avec compassion et de manière équitable tout au long de leur vie, y compris lorsque celle-ci tire à sa fin.
Honorables collègues, je vous remercie de votre attention et de prendre le temps de vous pencher attentivement sur les aspects complexes et nuancés du débat sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Pour toutes les raisons dont nous avons discuté cette semaine, je pense que la bonne chose à faire est de reporter d’une année l’accessibilité de l’aide médicale à mourir lorsque la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale.
Wela’lioq, merci.
Honorables sénateurs, la plupart du temps, nous commençons nos interventions en disant que nous sommes heureux d’intervenir au sujet de tel ou tel projet de loi. Croyez-moi, ce n’est pas de gaieté de cœur que je prends la parole au sujet du projet de loi C-39.
J’éprouve un très grand respect pour le sénateur Kutcher et son opinion, mais je suis respectueusement en désaccord avec lui sur une bonne partie de ce qu’il a dit. Quand le débat sur l’aide médicale à mourir a été lancé en 2016, tous les week-ends je me rendais à Terre-Neuve-et-Labrador, au chevet de mon père. Il a passé les deux dernières années de sa vie alité, avant de rendre l’âme au mois de mai cette année-là. À l’époque, pour des raisons évidentes, j’avais beaucoup de préoccupations concernant l’aide médicale à mourir. C’est encore le cas aujourd’hui, du moins en partie.
Ce qui m’inquiétait en 2016 m’inquiète encore en 2023. Il s’agit, entre autres, du fait qu’on ouvre la porte de l’écurie. Je ne partage pas toutes les inquiétudes du sénateur Kutcher par rapport à la pente glissante, mais mes préoccupations vont dans le même sens.
Tout comme à l’époque, je me demande encore aujourd’hui où nous fixerons la limite une fois le processus amorcé. Quand saurons-nous qu’il est temps d’examiner la situation et de dire qu’il ne faut pas aller plus loin? Un comité parlementaire a étudié la question — je le félicite pour son excellent travail d’ailleurs. Je sais qu’en ce qui concerne la question d’élargir l’aide médicale à mourir aux enfants, toutes les personnes concernées ont en tête les bonnes raisons.
Ce qui me préoccupe, c’est l’effet boule de neige. Nous connaissons tous l’histoire de la boule de neige qui est au sommet de la colline. Nous la laissons rouler vers le bas. Au fur et à mesure qu’elle descend, elle prend de la vitesse et devient de plus en plus grosse. Lorsqu’elle atteint le bas de la colline, dans certains cas, elle est trop grosse pour être manipulée. Je me préoccupe également des personnes vulnérables qui souffrent de maladies mentales. Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Kutcher lorsqu’il dit qu’il faut plus de ressources financières et humaines. Ces ressources manquent dans tout le pays et dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. Il faut plus de ressources financières et humaines.
C’est de l’évolution des mentalités en ce qui concerne les maladies mentales qu’il s’agit. Je pense à la génération de nos parents, qui ne comprenait pas du tout, très peu, la santé mentale. Je me souviens de la situation quand j’étais jeune à St. Bride’s, ma ville natale. Aujourd’hui, je sais — je l’ignorais à l’époque — qu’il y avait des gens dans la collectivité qui souffraient de troubles de santé mentale et il y en a toujours. Mais on disait toujours : « Il y a quelque chose qui ne va pas chez lui ou chez elle. » Ce n’était pas méchant du tout. Il en était simplement ainsi, en raison du manque de compréhension, d’éducation et de connaissances. C’était peut‑être, et surtout, parce qu’on n’en parlait pas assez.
Je ne prétends aucunement connaître la santé mentale aussi bien que le sénateur Kutcher, étant donné son parcours professionnel, mais je dirais toutefois que, de nos jours, la plupart d’entre nous ont une certaine connaissance des problèmes liés à la santé mentale. Nous lisons et nous écoutons différentes sources; nous avons d’ailleurs la chance d’entendre, ici même au Sénat, des gens qui ont une solide expérience dans le domaine de la santé mentale. C’est ainsi que nous améliorons nos connaissances et notre compréhension, de façon à pouvoir transmettre ces renseignements à d’autres personnes. Ce privilège que nous avons à titre de sénateurs n’est pas donné à tous les Canadiens.
Comme je l’ai dit, étant donné qu’on parle davantage des problèmes de santé mentale de nos jours, que ce n’est plus un sujet tabou, on acquiert quelques connaissances limitées à ce sujet. La génération actuelle, celle de nos enfants, comprend le sujet beaucoup mieux que nous. Je suis sincèrement convaincu, et j’espère vraiment, que cette meilleure compréhension leur permettra de trouver de bien meilleurs moyens de composer avec les problèmes de santé mentale à l’avenir.
Contrairement à un problème physique comme une fracture à une jambe ou à un bras, les troubles mentaux sont imprévisibles. Ce sont des maladies très troublantes avec lesquelles des gens vivent pendant toute leur vie.
Nous devons tous avoir à cœur de faire preuve de respect, d’amour et de compréhension envers les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.
L’objectif du projet de loi C-39, comme il a été présenté par le gouvernement, est de la prolonger d’une autre année. Si je croyais que nous la prolongeons d’une autre année pour vérifier si nous prenons partout au pays les mesures appropriées en cas de maladie mentale — pour déterminer si nous faisons fausse route en présentant cette mesure —, je pourrais trouver le moyen de l’appuyer. Cependant, à mon humble avis, la raison pour laquelle nous avons le projet de loi C-39, c’est qu’il y a eu une vive réaction partout au Canada de la part des personnes qui s’inquiètent de la direction que prend l’aide médicale à mourir et qui se préoccupent de l’effet boule de neige. Je pense que c’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui à débattre d’un projet de loi qui demande une prolongation d’une année.
Le gouvernement ne demande pas d’avoir une année de plus pour déterminer la voie qu’il veut suivre. Il demande une autre année en espérant que les chiffres augmenteront dans les sondages qu’il effectue pour faire en sorte que sa version des faits soit acceptée.
Encore une fois, j’ai de graves préoccupations concernant la façon dont il s’y est pris.
Je ne suis ni médecin ni psychiatre. Je n’ai reçu aucune formation en soins de santé ni en droit. Je suis seulement quelqu’un qui connaît plusieurs personnes qui ont vécu toute leur vie avec de gros problèmes de santé mentale, des gens qui, selon moi, ont besoin de l’aide de tous les ordres de gouvernement et de tous les types de professionnels de la santé. Ils n’ont pas besoin d’aide à mourir.
Je comprends qu’il s’agit d’une question délicate et je respecte l’opinion de tout le monde. Certaines personnes ont un bagage différent du mien. Certaines personnes ont différentes façons d’aborder les choses afin d’accepter — ou non — les problèmes de santé mentale. Je n’ai pas l’intention de juger qui que ce soit en fonction de leur opinion à ce sujet.
Je suis respectueusement en désaccord avec l’aide à mourir, avec l’élargissement dont nous parlons ici aujourd’hui et avec le fait de l’élargir aux enfants.
Je crois que nous devrions parler du counseling et du fait d’augmenter le nombre de conseillers. Je crois que nous devrions parler du fait d’offrir davantage de services de thérapie. Je crois que nous devrions parler des façons de s’attaquer à ce problème très grave qui touche actuellement le Canada.
Je n’insisterai pas davantage sur ce point. Je tenais simplement à saisir l’occasion d’aujourd’hui pour dire quelques mots afin de consigner mon opinion au compte rendu, pour ce que cela vaut.
C’est très paradoxal, car je me suis arrêté à un commerce local la semaine dernière alors que je me rendais à Terre-Neuve. Je suis toujours à la recherche de livres — j’adore lire —, en particulier des livres qui portent le moindrement sur Terre-Neuve-et-Labrador, notamment sur son histoire et les personnes qui en ont fait la province à laquelle je suis si fier d’appartenir. Je me suis arrêté à un magasin et j’ai acheté un livre intitulé From The Shadows: Surviving the Depths of Mental Illness.
Je suis également un homme de foi. Comme je l’ai dit, à mon humble avis, il y a une raison à tout.
L’ouvrage a été écrit par E. Pauline Spurrell, qui a souffert toute sa vie de troubles mentaux. Elle vit dans le petit village de Hillview à Terre-Neuve avec son mari Don, et ce, depuis près de 40 ans. Ils ont un fils, Andrew. C’est une histoire passionnante — je n’entrerai pas dans les détails aujourd’hui —, mais je suggère à tous ceux qui veulent en savoir plus sur la façon dont les gens gèrent les problèmes de santé mentale ou qui veulent obtenir le point de vue d’une personne qui a vécu cette expérience dans des circonstances très tragiques d’acheter un exemplaire de son livre.
Après une petite enfance heureuse, E. Pauline Spurrell a subi un traumatisme qui a mené à une adolescence troublée et à une vie adulte tumultueuse. On lui a diagnostiqué, parfois à tort, de nombreuses maladies mentales. Elle a subi un cycle qui semblait sans fin de traitements prescrits et d’échecs, puis, un jour, c’en était assez. Après avoir erré dans les profondeurs du désespoir pendant des années, elle s’est tournée vers des approches de découverte de soi. Mme Spurrell a créé des outils pour comprendre ses troubles et les effets qu’ils avaient sur sa vie. Elle s’est redonné la priorité et a retrouvé l’enfant en elle qu’elle avait abandonnée. Elle est sortie de l’ombre sous la forme d’un portrait à multiples morceaux, parfait dans toutes ses imperfections.
Après avoir lu son livre la semaine dernière, j’ai eu l’occasion hier de parler au téléphone avec Mme Spurrell pendant environ une heure pour en savoir un peu plus. Comme je l’ai dit, je ne suis pas un spécialiste du domaine. J’ai simplement le privilège de siéger au Sénat du Canada et de participer aux débats sur d’importantes mesures législatives comme celle dont nous sommes saisis. J’ai discuté avec Mme Spurrell. Elle vit maintenant une vie pleine et heureuse. Il est vrai qu’elle souffre encore d’épisodes de maladie mentale, mais elle a trouvé le moyen de s’en sortir. Elle était lourdement médicamentée; je ne m’aventurerais même pas à essayer de prononcer le nom de son médicament aujourd’hui.
Elle a trouvé une façon de s’en sortir. Il y a eu des moments de désespoir; on peut le lire dans son livre. Le traumatisme qu’elle a vécu est inconcevable. Or, elle a trouvé une façon de s’en sortir.
À la lecture du livre, j’ai trouvé une raison de m’opposer à l’aide médicale à mourir pour les gens qui souffrent de troubles mentaux. J’ai trouvé une raison de prendre la parole ici aujourd’hui et de vous raconter l’histoire de personnes comme Pauline, qui a trouvé une voie différente, qui a trouvé un moyen de se sortir d’une vie de désespoir, d’une vie de traumatisme, d’une vie de tragédie, et qui a trouvé un moyen de vivre une vie heureuse et épanouie avec son mari, Don, son fils Andrew, sa famille et ses amis.
Honorables sénateurs, ces discussions ne sont pas faciles. Depuis que je siège ici, nous avons vu de nombreux textes législatifs traitant de questions financières et, de temps en temps, nous pouvons être d’accord et en désaccord sur la manière dont nous traitons les politiques budgétaires de ce pays.
Il nous arrive d’étudier des textes législatifs qui touchent une corde sensible et qui font ressortir des parties de nous-mêmes dont nous ne soupçonnions parfois même pas l’existence. Ce projet de loi est l’un de ceux-là.
Je pense que l’effet boule de neige de l’aide médicale à mourir ne s’arrêtera pas avec le projet de loi C-39. Je crois fermement que, pour ceux qui ont l’occasion de passer plus de temps sur cette terre, nous aurons à nous pencher sur un autre aspect de cet effet boule de neige dans un avenir pas si lointain.
Comme je l’ai dit, je ne suis pas un expert. Je ne connais pas à fond certains de ces graves enjeux, mais je suis une personne qui vit sa vie, et je respecte la possibilité qu’ont les autres de vivre la leur.
Merci.
Je prends brièvement la parole à l’étape de la troisième lecture pour appuyer le projet de loi C-39, qui retarderait d’un an l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les cas où la maladie mentale est la seule condition invoquée.
Comme mes collègues le sénateur Manning et le sénateur Kutcher l’ont mentionné, c’est une question très difficile. Ce n’est pas facile de parler d’aide médicale à mourir. Depuis que j’écoute mes collègues, je suis assez émotive, donc je vais poursuivre.
Je suis en faveur de ce report, qui donnera aux experts 12 mois de plus pour tenter de raffiner des balises visant à encadrer cette pratique extrêmement rare partout dans le monde, mais plus fondamentalement, je doute de la nécessité d’agir aussi rapidement sur une question aussi grave, dans un contexte de manque criant de ressources psychiatriques.
J’ai toujours pensé que la question de l’aide médicale à mourir pour les gens souffrant de maladies psychiatriques ne se réduisait pas à une simple question de droits individuels ou d’analyse constitutionnelle. La maladie mentale est plus complexe que la maladie physique, car elle évolue souvent de façon lente et imprévisible. Contrairement aux maladies neurologiques dégénératives, dont l’évolution est connue et prévisible, il n’est pas rare de voir les souffrances psychologiques associées à une maladie mentale s’améliorer à moyen et à long terme.
Dans ce dossier, le Parlement fédéral a pris les devants par rapport au Québec, avant d’avoir fait le même examen. À la mi‑février, donc il y a moins d’un mois, le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi qui n’élargit pas l’aide médicale à mourir aux patients souffrant uniquement de maladie mentale.
Cette exclusion a été recommandée dans le rapport de la Commission spéciale transpartisane québécoise sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fins de vie, après une longue consultation auprès du public et des experts. Le rapport dit notamment ce qui suit :
L’autodétermination n’est pas le seul principe à être pris en compte dans cette discussion. La protection des personnes vulnérables, l’aptitude à consentir, et les risques de dérives sont autant d’éléments qui entrent dans l’équation.
Le rapport québécois prend acte de la division des psychiatres sur l’incurabilité et l’irréversibilité de certains troubles mentaux. Cette division reflète la complexité de ces maladies qui, à long terme, évoluent de façon plus imprévisible que les maladies physiques.
Il y a donc un risque réel d’offrir prématurément l’aide médicale à mourir. Je ne crois pas, sénateur Kutcher, pour faire écho à votre allocution, qu’en disant cela je participe à la campagne de désinformation sur ces questions. Je crois qu’il y a des différences fondamentales d’opinions dans la profession médicale et je pense qu’il faut, pour cette raison, être particulièrement prudent.
Le rapport québécois cite des psychiatres qui nous expliquent que les idées suicidaires sont inhérentes à certains troubles mentaux. Par ailleurs, la réponse aux traitements psychiatriques est variable. L’amélioration des souffrances peut survenir tardivement, après des mois et des années de traitements de psychiatrie, lorsque ceux-ci sont disponibles. Je vais citer un autre extrait du même rapport :
Nous avons entendu les témoignages de plusieurs personnes qui, après des années de traitements infructueux, sont parvenues à un meilleur équilibre. Ces témoins nous ont confié que s’ils avaient été admissibles à l’aide médicale à mourir, ils auraient sans nul doute déposé une demande à cette fin, à une époque où leur condition de santé leur semblait sans espoir. Aujourd’hui, ces mêmes personnes se portent beaucoup mieux et arrivent à composer avec leur maladie, car elles ont reçu un diagnostic juste et des traitements appropriés. Ainsi, l’incertitude qui plane autour des trajectoires de troubles mentaux nous invite à une grande prudence.
Le témoignage qui a le plus marqué les membres de la commission est venu de l’Association québécoise de prévention du suicide. Selon l’association, l’élargissement de l’aide médicale à mourir ne serait pas sans effets sur les personnes qui ont des tendances suicidaires. On craint que cela n’envoie le signal que la mort est une option légitime ou appropriée pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Des années d’efforts en matière de prévention du suicide seraient ainsi menacées. Je précise que cela ne veut pas dire que ces malades suicidaires obtiendraient l’aide médicale à mourir, mais ils pourraient voir leur détresse croître. Je rappelle que le Québec est un pionnier en matière d’aide médicale à mourir. Pourtant, les parlementaires québécois ont décidé de ne pas se précipiter sur l’enjeu précis de l’admissibilité à l’AMM pour cause de maladie mentale, parce qu’il y a trop de divergences d’opinions.
Je tiens aussi à souligner deux éléments qui, à mon avis, renforcent l’importance de bien prendre le temps de réfléchir à ces questions délicates. D’abord, le Québec occupe maintenant le premier rang dans le monde, avec 7 % des décès dans la province qui sont attribuables à l’aide médicale à mourir. Le Québec devance l’Ontario et même la Belgique et les Pays-Bas, qui sont des pionniers de longue date. Cette progression nettement plus rapide qu’ailleurs de l’aide médicale à mourir a forcé le président de la commission québécoise à en chercher la cause et à lancer une consultation, tout en plaidant en faveur d’un meilleur accès aux soins palliatifs.
Deuxièmement, il semble qu’il est aujourd’hui plus facile, au Québec du moins, d’obtenir l’aide médicale à mourir que des soins palliatifs complets. Pourtant, ces deux options, soit l’aide médicale à mourir et les soins palliatifs, doivent être disponibles conformément à la loi québécoise, qui garantit un accès à ces soins à tous les citoyens, qu’ils soient offerts à domicile ou en institution.
Des événements tragiques qui se sont produits au Québec récemment ont mis au jour les failles du système. Mme Andrée Simard, veuve de l’ex-premier ministre du Québec Robert Bourassa, s’est fait refuser des soins palliatifs au cours de ses trois derniers jours de vie, à l’hôpital St-Mary’s de Montréal. En l’absence de sédation palliative, elle est morte dans de grandes souffrances, selon sa fille, Michelle Bourassa, avec qui j’ai longuement discuté. Mme Simard avait défendu à sa famille d’utiliser sa notoriété pour obtenir un traitement de faveur. C’est sa fille qui a choisi de se battre à la mémoire de sa mère pour qu’on traite avec humanité et équité tous les mourants, qu’ils choisissent les soins palliatifs ou l’aide médicale à mourir.
Donc oui, même si ces enjeux ne sont pas de compétence fédérale, je considère que la disponibilité et la qualité des soins palliatifs et des services psychiatriques sont un prérequis à l’élargissement de l’aide médicale à mourir. Nous ne pouvons pas légiférer en vase clos, dans l’univers abstrait de la Charte des droits, détachés de la réalité concrète des soins disponibles pour les patients. Comme législateurs responsables, nous devons réfléchir à l’applicabilité et aux conséquences concrètes des lois sur lesquelles nous votons. En l’occurrence, il s’agit d’éviter les dérives actuelles, où le système de soins de santé contourne le problème de l’accès aux soins en élargissant l’accès à l’aide médicale à mourir. Un meilleur accès aux soins psychiatriques est un prérequis pour traiter la souffrance de nos concitoyens. C’est également de cette façon que doit s’exercer notre compassion. Pour toutes ces raisons, je vais voter en faveur du projet de loi C-39. Merci.
Honorables sénateurs, je me trouve aujourd’hui dans une situation très inusitée. Ce n’est pas tous les jours que je me sens obligé de parler d’une mesure législative qui est mal conçue et — je le dis en toute objectivité — qui manque de vision, tout en m’engageant à ne pas empêcher son adoption. Cependant, le gouvernement nous a lié les mains parce que les conséquences seront beaucoup plus désastreuses si nous n’adoptons pas le projet de loi C-39.
Comme le sénateur Manning l’a dit dans son discours éloquent et chargé d’émotions, nous sommes en désaccord les uns avec les autres, mais je respecte l’opinion de toutes les personnes dans cette enceinte, même lorsqu’elle est différente de la mienne. Je respecte l’opinion du sénateur Kutcher, un collègue pour qui j’ai du respect, mais je veux parler un peu de ce qui m’a troublé dans les remarques qu’il a faites il y a quelques minutes.
Le suicide consiste à mettre fin volontairement à sa propre vie. On peut tenter de donner un autre nom à cet acte, mais c’est un suicide. Si une personne décide de mettre fin intentionnellement à sa vie, même si elle réclame l’aide de quelqu’un d’autre pour le faire, veillons à au moins employer le mot juste.
Quand le bon sénateur affirme qu’on ne donnera pas un accès au suicide à une personne suicidaire — alors que nous sommes en train d’adopter un projet de loi qui fait exactement cela —, je trouve cela ahurissant parce que appeler cela une « aide médicale à mourir » ne change rien au fait qu’une personne met fin volontairement à ses jours, même si elle réclame l’aide d’une autre personne pour le faire.
Je tiens d’emblée à ce qu’il soit bien clair, pour tous ceux qui nous écoutent, que l’adoption de ce projet de loi ne devrait en aucun cas être interprétée comme une approbation de la légalisation du suicide assisté pour cause de trouble mental. C’est tout le contraire. Si ce projet de loi n’a pas été adopté le 17 mars — soit la semaine prochaine, chers collègues —, des Canadiens dont le trouble mental est le seul problème médical sous-jacent pourront mettre fin à leurs jours avec l’aide d’un professionnel de la santé.
Même si je crois que le gouvernement libéral devrait tout simplement laisser tomber ce dangereux élargissement, ceux d’entre nous qui demeurent fermement contre profiteront de ce report pour continuer de lutter pour les nombreux Canadiens aux prises avec la maladie mentale afin de tenter de les garder en vie.
Il y a deux ans, à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-7, le Sénat avait proposé un amendement visant à supprimer l’exclusion liée à la maladie mentale pendant une période de 18 mois. Contre toute attente, le gouvernement avait accepté cet amendement, mais proposé une nouvelle date d’expiration arbitraire de 24 mois, ce qui nous amène au 17 mars 2023.
Le gouvernement a approuvé cet amendement après que le ministre Lametti eut déclaré à notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et au Comité de la justice de la Chambre des communes qu’il n’y avait pas de consensus dans le milieu de la santé mentale et de la psychiatrie qui justifiait l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale à ce moment. Il a aussi déclaré avec raison qu’il ne s’agissait pas d’une exigence de la décision de la Cour suprême.
Cet amendement à l’étape de la troisième lecture a été accepté sans que les parlementaires aient eu l’occasion d’examiner la proposition avec l’aide de témoins experts et, assurément, sans qu’un consensus médical ait été établi.
Puis, après coup, le gouvernement a mis sur pied un groupe d’experts non pas pour déterminer si la mise en œuvre du suicide assisté dans les cas où le seul trouble de santé invoqué est une maladie mentale pouvait se faire en toute sécurité, mais plutôt pour établir des recommandations sur les protocoles.
Comme l’a déclaré un ancien président de l’Association des psychiatres du Canada, le Dr Sonu Gaind, lorsqu’il a témoigné devant le comité parlementaire mixte : « Cette façon de faire [est étrangère] à la démarche scientifique ». Il a souligné ce qui suit :
Aucune société pharmaceutique ne se fait demander un mode d’emploi pour un somnifère dont on lui dit qu’il sera approuvé dans deux ans sans preuve d’efficacité ou d’innocuité. La disposition de caducité et le mandat du groupe fédéral d’experts s’appuient sur des bases moins solides que ce qu’on exige pour autoriser la mise en marché d’un somnifère.
La disposition de caducité a été vendue comme un moyen de donner du temps pour élaborer des normes et des mesures de sauvegarde. Cependant, cette notion a été discréditée par de nombreux membres de la communauté psychiatrique, car elle ignore la seule véritable mesure de sauvegarde dont nous disposons pour éviter une mort prématurée : l’irrémédiabilité. Le gouvernement n’avait nullement l’intention d’étudier l’opportunité de mettre en œuvre cette politique extrêmement controversée, qui met en jeu la vie et la mort. Il souhaitait seulement élaborer un guide pratique.
À la fin de l’année dernière, après qu’un certain nombre d’histoires déchirantes ont fait la une des journaux, démontrant les dangers de notre régime nouvellement élargi, le gouvernement a annoncé qu’il proposerait certaines modifications à la loi au cours de la nouvelle année.
Puis, à la dernière minute, quelques semaines avant l’expiration de la disposition de caducité, le gouvernement a déposé le projet de loi C-39, qui prévoit un délai supplémentaire d’un an.
Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi, après avoir admis qu’un délai de deux ans était insuffisant, le gouvernement est prêt à prendre le risque d’imposer un nouveau délai arbitraire dans l’espoir que des données probantes se présentent soudainement.
Pourquoi les défenseurs de l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale n’éliminent-ils pas tout simplement ce délai et ne proposent-ils pas cette politique plus tard, si jamais des données probantes le justifient? Comment le gouvernement peut-il avoir la certitude qu’on y verra soudainement plus clair dans un an, alors que le milieu psychiatrique n’est pas du tout convaincu que nous devrions aller de l’avant?
Chers collègues, je ne rabâcherai pas aujourd’hui tous les arguments qui existent contre le suicide assisté pour les personnes atteintes de maladie mentale, car j’ai longuement parlé de cette question en 2021, lorsque cette politique a été proposée pour la première fois. Cependant, de nombreux nouveaux témoins, notamment ceux qui ont comparu devant le comité parlementaire mixte spécial, ont tiré la sonnette d’alarme. J’encourage tous mes collègues à se pencher sur les travaux de ce comité et à prendre note des préoccupations exprimées par les experts dans ce domaine.
Par exemple, le comité a entendu des témoignages d’experts qui ont déclaré que les Canadiens vulnérables et marginalisés sont à plus grand risque d’un décès prématuré; que certains patients psychiatriques ont manifesté leur intention d’arrêter, en prévision de l’aide médicale à mourir, des traitements qui pourraient s’avérer efficaces; qu’il n’existe pas encore de données suffisantes et qu’en ce moment il est toujours impossible de faire une distinction entre les idées suicidaires et les demandes d’aide médicale à mourir.
Cependant, aujourd’hui, j’aimerais souligner le témoignage qui est essentiel à la discussion actuelle, en mettant l’accent sur un facteur clé : l’ensemble du régime canadien de l’aide médicale à mourir, comme il est préconisé par la Cour suprême du Canada, est fondé sur la prémisse que seulement les personnes qui souffrent de maladies graves et irrémédiables devraient y être admissibles.
Voici ce que nous avons appris des experts sur le caractère irrémédiable de la maladie mentale. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale a conclu ceci :
Il n’existe tout simplement pas suffisamment de preuves dans le domaine de la santé mentale en ce moment pour que les praticiens puissent vérifier si une personne en particulier souffre d’une maladie mentale insoignable.
Voici ce qu’a déclaré le Dr John Maher, psychiatre et éthicien médical, au comité parlementaire mixte :
Les psychiatres ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, quel patient verra son état s’améliorer et vivra une bonne vie pendant des décennies. Les maladies du cerveau ne sont pas comme des maladies du foie. Si les conjectures vous conviennent, sachez qu’elles ne conviennent pas aux psychiatres qui comprennent les données scientifiques et s’acquittent de leur devoir de respecter une norme de soins professionnelle. Vous avez été systématiquement induits en erreur par une idéologie discriminatoire au détriment de la réalité clinique. Adopter une loi qui indique aux psychiatres de faire des prédictions impossibles ne rend pas la chose possible par magie.
Le Dr Sonu Gaind, psychiatre, a dit ceci au comité :
Ceux qui prônent l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir proposent d’adoucir cette réalité en mettant en place « des mesures de sauvegarde ». C’est ignorer le fait que le caractère irrémédiable d’une situation est, en soi, la principale mesure de sauvegarde intégrée au cadre de l’aide médicale à mourir, et que la court-circuiter rend vaines toutes les autres soi-disant « mesures de sauvegarde ».
Dans son témoignage, le Dr Brian Mishara, psychiatre clinicien et professeur à l’Université du Québec à Montréal, a affirmé ce qui suit :
Je suis un scientifique. La dernière étude Cochrane sur la recherche sur la capacité de trouver un indicateur de l’évolution à venir d’une maladie mentale, traitée ou non, a conclu que nous ne disposions d’aucune méthode scientifique précise pour le faire.
Le Dr Mark Sinyor, psychiatre et spécialiste de la prévention du suicide, a affirmé ceci :
En résumé, nous n’avons pas les données scientifiques nécessaires pour évaluer la sécurité de l’aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale. Si j’avais plus de temps, je pourrais vous donner de nombreux exemples, mais je vais plutôt me centrer sur l’absence totale de recherche sur la fiabilité des prédictions des médecins quant au caractère irrémédiable de la maladie ou des souffrances dans les cas de problèmes psychiatriques. À ma connaissance, il n’y en a aucune.
Même le groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale a affirmé sans détour dans son rapport :
Les connaissances sur le pronostic à long terme de nombreuses maladies sont limitées et il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de formuler des prévisions précises sur l’avenir d’un patient donné.
Chers collègues, voilà ce qui est avancé par le groupe d’experts du gouvernement, qui a déclaré clairement qu’il est difficile, voire impossible, de déterminer le caractère irrémédiable d’une maladie mentale.
Même si plus de 85 % des psychiatres de l’Ontario ont répondu dans un sondage récent qu’ils sont favorables au suicide assisté en général, moins de 30 % d’entre eux sont d’accord pour que la loi soit élargie à la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée.
Après plusieurs mois d’étude, la commission spéciale sur l’aide médicale à mourir mise sur pied par l’Assemblée nationale du Québec a recommandé de ne pas élargir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème médical est un trouble mental.
En octobre 2020, l’Association des psychiatres du Canada a interrogé ses membres, et moins de la moitié d’entre eux ont déclaré être favorables au suicide assisté pour des raisons de maladie mentale.
Où est le consensus scientifique général dont on nous a parlé?
Chers collègues, nul besoin d’être scientifique ou psychiatre pour comprendre la gravité de cette politique. Comme on l’a évoqué, un récent sondage Angus Reid qui s’est penché sur l’opinion des Canadiens en matière d’aide au suicide a révélé que, si les Canadiens sont « généralement favorables » à l’aide médicale à mourir dans son ensemble, seuls 3 Canadiens sur 10, soit 31 %, déclarent soutenir le concept d’aide au suicide pour les personnes atteintes de troubles mentaux irrémédiables.
Nous connaissons tous quelqu’un qui souffre de problèmes de santé mentale. La plupart d’entre nous sont parfaitement conscients de l’état lamentable des soins de santé mentale dans notre pays. Il est navrant que nous nous dirigions vers une politique qui offre la mort à ces personnes avant qu’elles n’aient eu la possibilité de bénéficier d’un traitement acceptable. C’est une indication affligeante de l’état de notre société et de la valeur que nous accordons à la vie.
Voici ce que M. Mark Sinyor a dit au comité mixte :
[...] si les choses vont de l’avant, les évaluateurs des demandes d’aide médicale à mourir n’auront aucune idée du nombre de fois où ils se seront trompés lorsqu’ils détermineront l’admissibilité d’une personne dans le contexte de l’aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale. Ils pourraient se tromper dans 2 % des cas ou dans 95 % des cas. Cette information doit être à l’avant-plan de notre discussion; or, nous ne l’abordons pas du tout.
À partir de quand considère-t-on qu’il y a trop d’erreurs, chers collègues?
Le ministre Lametti a déclaré hier que s’il y a le moindre doute quant au caractère irrémédiable de la maladie mentale, la personne ne recevra pas l’aide médicale à mourir, point final.
Le sénateur Kutcher en a parlé dans son discours.
Pourtant, plus de la moitié des psychiatres estime qu’il n’est jamais possible de confirmer qu’une maladie mentale est irrémédiable. Ce n’est pas aussi clair et net que le laisse entendre le ministre, et il le sait.
Le sénateur Kutcher a déclaré publiquement que les psychiatres qui s’opposent au suicide assisté pour les malades mentaux sont paternalistes. Au moins un des témoins entendus par le comité a trouvé cette observation choquante et insultante. Chers collègues, imaginez dire aux psychiatres et aux autres cliniciens qui n’ont pas épuisé toutes les options de traitement, qui observent des améliorations à long terme et qui gardent espoir pour leurs patients qu’ils sont paternalistes parce qu’ils refusent de jeter l’éponge.
Le psychiatre John Maher a contesté cette idée, déclarant au comité mixte :
Vous avez déclaré que tous les psychiatres canadiens qui s’opposent à l’aide médicale à mourir pour les maladies mentales étaient égoïstes et paternalistes. J’ignore pourquoi vous avez fait ce commentaire, mais je défie tout psychiatre d’affirmer que tel patient souffre d’un problème irrémédiable, car c’est impossible. J’ai des patients qui se sont rétablis après 5 ans, 10 ans, 15 ans. Ce n’est tout simplement pas possible. Ce sont des conjectures. Si les conjectures vous suffisent, si vous faites confiance au hasard, ou si vous êtes d’avis qu’il faut respecter l’autonomie à tout prix — si quelqu’un souhaite mourir, qu’on le laisse mourir —, appelez les choses par leur nom: on parle ici de suicide assisté.
Honorables sénateurs, cet élargissement contourne les principales mesures de sauvegarde que nous avons mises en place contre la mort prématurée. Malgré cela, nous sommes censés être rassurés par un report d’un an. Le fait de faciliter la mort des patients atteints d’une maladie mentale sera aussi dangereux en 2024 qu’il le serait si nous le faisons la semaine prochaine. La date du 17 mars 2024 n’a rien de fantastique, tout comme la date originale. Cependant, adopter le projet de loi C-39 revient à voter contre la légalisation de l’aide au suicide pour les personnes atteintes d’un trouble mental. Nous allons profiter de cette occasion pour faire les choses comme il faut.
Mon collègue de la Chambre des communes Ed Fast, député d’Abbotsford, a déjà présenté le projet de loi C-314, qui vise à indiquer clairement dans le Code criminel qu’un trouble mental n’est pas un problème de santé grave et irrémédiable à l’égard duquel une personne pourrait recevoir l’aide médicale à mourir.
Lorsqu’il a présenté ce projet de loi, le député a dit que le gouvernement accorde une plus grande priorité « à l’aide au suicide qu’à la prévention du suicide », alors qu’il faudrait d’abord veiller à fournir l’aide sociale et en santé mentale dont les Canadiens vulnérables ont besoin.
Je tiens à féliciter mon collègue de cette intervention rapide et réfléchie.
Honorables collègues, nous aurons l’occasion de faire les choses comme il faut lorsque nous serons saisis de ce projet de loi, et j’espère qu’il nous sera renvoyé. Il me tarde de pouvoir appuyer ce projet de loi à toutes les étapes, et j’espère que vous le ferez également comme nous.
J’ai toujours dit que l’aide à mourir est une question très personnelle et chargée d’émotivité sur laquelle des gens raisonnables peuvent être en désaccord.
Cependant, je veux prendre un moment pour réfléchir aux débats que nous avons eus lorsque l’aide à mourir a été légalisée initialement par le projet de loi C-14, puis lorsqu’elle a été élargie par le projet de loi C-7. Ceux d’entre nous qui ont évoqué d’autres pays et soulevé l’argument de la pente glissante se sont fait répondre que leurs inquiétudes n’étaient pas fondées. Nous l’avons encore entendu cet après-midi dans cette enceinte. On nous a dit qu’il s’agissait de sophismes et que le Canada faisait preuve de prudence. On nous a assuré que l’aide au suicide ne serait proposée que dans les circonstances les plus étroites et les plus sérieuses.
Chers collègues, voyez où nous en sommes aujourd’hui. Même si je pensais que nous étions sur une pente dangereuse, je n’aurais jamais pu imaginer qu’en quelques années seulement, nous proposerions l’aide au suicide à des personnes vivant avec un handicap avant même d’avoir apporté des améliorations mineures à leur qualité de vie. Je n’aurais jamais pu imaginer que nous proposerions l’aide au suicide à des vétérans, à des personnes souffrant de maladies qui pourraient être traitables.
Et maintenant, chers collègues, on envisage sérieusement de proposer l’aide au suicide aux enfants, seulement quelques années après que nos craintes à propos d’un possible dérapage ont été balayées du revers de la main. Soyons conscients de la vitesse à laquelle nous avons évolué la prochaine fois que ces questions seront soulevées. Envisageons sérieusement de tenir compte des avertissements des experts internationaux qui ont vu cette situation se dérouler dans leur pays.
Toutes les décisions politiques que nous prenons sont importantes, mais, dans ce cas, le risque que nous prenons si nous nous trompons a des conséquences tragiques de vie ou de mort.
Pour la gouverne de ceux qui nous écoutent et qui souffrent d’une maladie mentale ou dont un être cher a une maladie mentale, ainsi que de ceux qui les soignent et qui les soutiennent, sachez que cette lutte n’est pas terminée. Le travail vient tout juste de commencer.
Comme je l’ai dit, le projet de loi C-314 a été présenté et il mettra fin à cet élargissement imprudent. Je suis impatient de continuer de lutter ici, au Sénat, et j’invite mes collègues à accorder au projet de loi l’attention qu’il mérite lorsque le Sénat en sera saisi. Merci.
Le sénateur Plett a bien résumé ce qui nous amène ici aujourd’hui. Il a parlé du projet de loi C-7 déposé il y a deux ans et souligné que le gouvernement ne voulait pas que le régime canadien d’aide médicale à mourir englobe les situations où un trouble mental serait le seul problème médical invoqué.
C’est le Sénat qui a proposé d’éliminer l’exclusion relative à la maladie mentale comme seul problème invoqué, un amendement qui a finalement été adopté.
Pendant le débat concernant l’élimination de l’exclusion, il y avait deux arguments en faveur de cette élimination. Selon le premier argument, exclure la maladie mentale irait à l’encontre de la Constitution, parce que ce serait discriminatoire. Selon le deuxième argument, la profession médicale avait déjà les outils et la capacité nécessaires pour évaluer la capacité des patients qui invoqueraient seulement un trouble mental pour demander l’aide médicale à mourir.
Ces deux arguments auraient suffi pour éliminer l’exclusion. En fait, le premier argument, celui du caractère inconstitutionnel de l’exclusion, était déjà amplement suffisant, mais nous avons choisi une autre voie. Nous avons choisi de retarder l’entrée en vigueur de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, car nous étions d’avis que la profession médicale n’avait pas encore tous les outils et les pratiques nécessaires pour évaluer correctement la capacité des personnes qui présentent une telle demande.
Finalement, la période de report convenue a été fixée à 24 mois. Nombreux sont ceux qui ont qualifié la disposition de « clause crépusculaire » par euphémisme. À l’époque, j’ai pensé que l’image d’un crépuscule n’était pas appropriée pour de nombreuses raisons, surtout parce que les crépuscules sont inévitables et inaltérables. Or, la nature de la tâche que nous avons confiée au milieu médical pendant cette période de 24 mois ne se prêtait pas à une date fixe.
Je préfère l’idée d’un avion sur une piste, où la raison d’être du report était de préparer l’avion pour le décollage. Cette image nous amène à nous demander non seulement si l’avion est prêt à décoller, mais si la piste est assez longue.
Comme je l’ai déclaré dans mon discours du 9 février 2021 :
Qu’arrivera-t-il si l’avion n’est pas prêt à décoller dans 18 mois? Qu’arrivera-t-il si le problème n’est pas de former un plus grand nombre de personnes ou d’harmoniser les normes, mais plutôt de régler les difficultés ou de relever les défis qui font que le monde médical n’arrive pas à déterminer comment évaluer la capacité?
Chers collègues, je vous pose la même question aujourd’hui, à la veille de notre vote sur ce projet de loi.
Cette fois-ci, je crois que la différence est que l’objectif de reporter d’une année est présenté de manière plus précise comme une question technique. Autrement dit, il faudrait 12 mois pour mettre en place les protocoles requis, développer les outils de formation et satisfaire aux deux autres critères énoncés par le sénateur Kutcher.
Par conséquent, j’ai tout lieu de croire qu’à compter du 17 mars 2024, la loi autorisera le recours à l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale. La piste de décollage du « vol C-39 » sera assez longue et la loi entrera en vigueur, mais je ne suis pas certain qu’il y aura à bord autant de passagers qu’il le devrait.
Chers collègues, cette situation tient au fait qu’il y a toujours un profond désaccord entre les médecins en ce qui concerne la notion d’irrémédiabilité. D’éminents experts campent des deux côtés du débat. Si comme moi, vous espériez que le délai initial de 24 mois permettrait de préciser de façon scientifique la notion d’irrémédiabilité, vous serez déçus. À vrai dire, l’écart entre les deux points de vue est plus grand que jamais et se creuse notamment parce que les médias font état de recours à l’aide médicale à mourir qui sont apparemment de flagrantes violations des mesures de sauvegarde mises en place.
Voilà pourquoi, chers collègues, j’estime que le débat sur l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental porte cette fois-ci beaucoup plus sur les droits et l’autonomie des Canadiens dont la seule condition médicale invoquée est un problème de santé mentale, plutôt que sur des preuves médicales du caractère irrémédiable de la maladie.
Dans son témoignage d’hier devant le Sénat, le ministre Lametti a invoqué à plusieurs reprises l’autonomie comme motif principal pour permettre l’admissibilité à l’aide médicale à mourir à des gens dont la seule condition médicale est la maladie mentale.
De ce fait, nous ne devrions pas nous étonner que le ministre de la Justice, qui est un éminent juriste, décide de se concentrer sur les droits garantis par la Constitution. Par ailleurs, certains arguments en faveur de l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale sont fondés sur les protections constitutionnelles prévues pour ces patients. Cependant, pour faire écho au sénateur Plett, je souligne que de tels arguments n’ont pas encore été invoqués par les tribunaux, ce que le ministre a reconnu à la période des questions hier.
Toutefois, ce qui est curieux, c’est que les défenseurs de l’aide médicale à mourir qui ne sont pas des juristes — ils sont des médecins — appuient de plus en plus leur position sur des arguments juridiques, tels que l’égalité et la non-discrimination, plutôt que sur des preuves médicales du caractère irrémédiable, qui relèvent certainement beaucoup plus de leur expertise que de la nôtre en tant que simples mortels.
Cela me porte à croire que l’approche que nous finirons par adopter à l’égard de l’aide médicale à mourir en général — et nous pouvons être certains que ce projet de loi sur l’aide médicale à mourir n’est pas le dernier dont nous débattrons — mettra davantage l’accent sur le droit des Canadiens de déterminer le moment de leur mort que sur les problèmes de santé qui permettent d’accéder à cette aide.
Il se peut bien que le caractère grave et irrémédiable demeure inscrit dans la loi en tant que critère d’admissibilité officiel à l’aide médicale à mourir. Cependant, comme nous pouvons le voir dans le débat sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, l’aide médicale à mourir sera fournie même dans les cas où le caractère irrémédiable est contesté, quoiqu’elle sera assujettie à des mesures de sauvegarde.
Voici ce qui se passera après le 17 mars 2024 : l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental sera examinée au cas par cas. Cependant, comme je l’ai laissé entendre dans ma question aux ministres hier, toute personne voulant obtenir l’aide médicale à mourir cherchera un évaluateur qui est prédisposé à approuver la demande. De toute façon, il est presque certain que tout évaluateur conviendra que certaines maladies mentales sont irrémédiables, sinon il ne serait pas évaluateur.
Du point de vue de l’autonomie, c’est très bien ainsi. Encore une fois, à mon avis, c’est pourquoi je pense que nous allons entendre de plus en plus d’arguments fondés sur l’autonomie et de moins en moins sur les preuves médicales de la gravité et de l’irrémédiabilité d’une maladie.
Vous vous souvenez peut-être qu’hier, j’ai posé aux ministres une question concernant la situation hypothétique d’un patient qui fait une demande et est autorisé à recevoir l’aide médicale à mourir, mais où un autre professionnel de la santé qui connaît le patient, mais qui ne fait pas partie de l’équipe d’évaluation, donne une opinion différente. La question était à savoir si l’opinion différente d’un expert qui ne fait pas partie de l’équipe d’évaluation aurait une incidence sur la décision prise.
Nous n’avons pas obtenu de réponse complète, non pas parce que les ministres tergiversaient, mais parce que nous avons manqué de temps. Cependant, je suis certain que cette situation hypothétique se produira après mars 2024. Je présume que les experts médicaux qui ne font pas partie de l’équipe d’évaluation n’auront pas ou peu de poids dans la décision concernant la demande d’aide médicale à mourir d’un patient. Ainsi, il y aura un parti pris en faveur de l’autonomie personnelle, au détriment des preuves médicales.
Étant donné que le sénateur Kutcher nous a mis en garde contre le recours aux arguments évoquant une pente glissante, je peux lui assurer que je ne tiens pas de propos alarmistes en affirmant que le projet de loi mènera à une avalanche de demandes d’aide médicale à mourir ou que cette procédure est la même chose qu’un suicide. Je suis d’accord avec lui : à court terme, le nombre de Canadiens qui demandent et reçoivent l’aide médicale à mourir continuera de représenter une petite proportion de la population. Cependant, je signale à l’ensemble des sénateurs qu’il y a un changement de paradigme perceptible dans l’argumentaire pour l’aide médicale à mourir — on a d’abord parlé de mort raisonnablement prévisible, puis de problèmes de santé graves et irrémédiables et, enfin, d’autonomie. Nous savons déjà que le critère de mort raisonnablement prévisible ne s’applique plus, mais que le caractère irrémédiable du problème de santé demeure.
Selon les points de vue, l’accent qui est davantage mis sur l’autonomie — en tant que critère principal ou unique dans les décisions sur l’aide médicale à mourir — peut être perçu comme une bonne chose. Il en a été question au Sénat. Je ne parle pas tant de pente glissante que de sables mouvants. Nous ne pouvons pas et ne devrions pas fermer les yeux : nous devons être conscients des courants qui nous transportent et déterminer si nous voulons aller dans cette direction.
Chers collègues, je nous invite tous à réfléchir à cette question avant que le Sénat soit saisi du prochain projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Merci.
Honorables sénateurs, je prends encore une fois la parole au sujet du projet de loi C-39, Loi modifiant la loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), à titre de porte-parole officielle de l’opposition.
Comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, l’aide médicale à mourir demeure l’une des questions les plus complexes et les plus profondément personnelles pour les personnes et les familles de tout le pays. Alors que nous continuons à réfléchir à cette problématique en poursuivant le développement de notre régime d’aide médicale à mourir, il existe un large éventail d’opinions valables dans cette enceinte sur ce que devraient être les paramètres et les garanties appropriés de ce régime.
Cependant, chers collègues, je pense que nous sommes allés trop loin avec la proposition d’inclure les personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical évoqué. Je pense que la présentation du projet de loi C-39 est la preuve que nous sommes allés trop loin, trop vite, et qu’il s’agit d’une tentative de mettre en en attente une disposition que nous devrions en fait abroger complètement.
Il s’agit d’un sujet qui suscite l’émotion de beaucoup d’entre nous, mais les faits et les témoignages d’experts doivent rester primordiaux dans cette discussion. Les enjeux sont trop importants.
Bien que peu de choses aient changé depuis ma dernière intervention mardi, je souhaite revenir sur certains échanges qui ont eu lieu lors de la séance en comité plénier d’hier.
La sénatrice Batters, une infatigable défenseure de la santé mentale, a posé une question aux ministres au sujet de leur promesse électorale de 2021 de créer et financer le transfert canadien en matière de santé mentale, qui représente un engagement de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Comme la sénatrice Batters l’a indiqué, selon la ventilation des coûts faite par le gouvernement lui-même, il aurait déjà dû consacrer 1,5 milliard de dollars aux services de santé mentale, mais, en réalité, il n’a pas dépensé un seul dollar. Les services de santé mentale sont dans un état lamentable au pays, en particulier si on tient compte de l’élargissement proposé.
Le ministre Duclos a répondu ceci : « [...] non seulement nous ne rompons pas cette promesse, mais nous la renforçons. » Je crois que nous devons nous méfier des promesses de financement qu’on présente comme des réalisations, si belles soient-elles, tandis que des Canadiens vulnérables qui éprouvent des difficultés attendent toujours qu’on améliore l’accès aux traitements.
Un thème commun à ce débat, tant ici qu’au comité mixte spécial, est qu’il demeure impossible de prédire le caractère irréversible d’une maladie particulière. Pourtant, les ministres ont rejeté ces préoccupations en déclarant que s’il est impossible d’établir le caractère irrémédiable du problème de santé d’un patient, ce dernier ne pourra pas obtenir l’aide médicale à mourir. Dans les faits, il est impossible de savoir si c’est ce qui va se passer. En étendant l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale, on court toujours le risque que certaines personnes reçoivent le suicide assisté prématurément ou à tort.
Quand le ministre Lametti a été interrogé sur la profonde absence de consensus et sur le malaise parmi les experts en psychiatrie au Canada, il a parlé du groupe d’experts constitué par son gouvernement — qui, bien sûr, n’a pas été nommé pour étudier le bien-fondé de l’élargissement de l’admissibilité, mais pour fournir une feuille de route. Ce que nous savons avec certitude, c’est que les psychiatres sont d’avis qu’on ne peut pas prédire si une maladie mentale a un caractère irrémédiable. Il n’y a pas de consensus sur cette question.
Le ministre Lametti a également tenté de discréditer les statistiques issues des enquêtes menées par l’Association des psychiatres du Canada et l’Ontario Medical Association, en affirmant que les questions étaient basées sur de la désinformation. Ces enquêtes sont accessibles au public, et les questions sont claires et directes.
Par exemple, la statistique de l’Association des psychiatres du Canada à laquelle il a été fait référence était le résultat de la question suivante : les personnes dont le seul trouble de santé invoqué est une maladie mentale devraient-elles être considérées comme admissibles à l’aide médicale à mourir? Je ne pense pas que cela puisse être raisonnablement interprété comme de la désinformation.
Honorables sénateurs, j’ai demandé aux ministres comment ils allaient aborder les questions de la compétence. L’Assemblée nationale du Québec, après une vaste consultation, a déposé le projet de loi 11 et a finalement décidé de ne pas autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental. Interrogé sur cette décision, le ministre Lametti a reconnu l’absence de consensus professionnel dans ce domaine. Malheureusement, il n’a pas été en mesure de fournir une réponse claire sur la manière dont il envisage de gérer cette question, sur la manière dont il peut empêcher une personne de faire appel à un médecin d’une autre province ou d’un autre territoire ni sur les lignes directrices que les cliniciens du Québec devront suivre. Avant d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, il est impératif que le procureur général du Canada comprenne clairement les considérations relatives à son application dans les provinces et dans les territoires.
Par ailleurs, depuis mon intervention de mardi, le sénateur Gold a distribué l’analyse comparative entre les sexes plus qui se penche sur les répercussions éventuelles de cette mesure législative sur les femmes et d’autres groupes vulnérables. La sénatrice Jaffer a également interrogé les ministres à ce sujet.
Bien que cette préoccupation ait été soulevée par plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité mixte spécial, j’ai été frappée par les conclusions de ce rapport, sachant que cette analyse a été effectuée par un ministère. L’analyse comparative entre les sexes plus indique ce qui suit :
Dans les pays du Benelux, où l’admissibilité à l’[aide médicale à mourir] ne se limite pas à ceux qui souffrent physiquement, il y a eu des décès par [aide médicale à mourir] controversés, et on peut s’attendre à ce que des cas similaires se produisent au Canada si les critères d’admissibilité étaient semblables. Par exemple, aux Pays-Bas, l’[aide médicale à mourir] a été accordée à une patiente d’une vingtaine d’années qui avait été agressée sexuellement lorsqu’elle était jeune, au motif des souffrances émotionnelles occasionnées à la suite du traumatisme. Il y a également eu des cas de personnes transgenres et de personnes homosexuelles qui ont obtenu l’[aide médicale à mourir] en raison de la souffrance associée à ces aspects de leurs situations.
Le ministère lui-même laisse entendre que nous devrions assister à une augmentation de ce type de cas.
Cette analyse indique également ce qui suit :
On peut s’attendre à ce que, si l’[aide médicale à mourir] était mise à la disposition des personnes dont l’unique trouble est une maladie mentale au Canada, nous constations une augmentation du nombre de femmes qui demandent l’[aide médicale à mourir] pour des souffrances psychiatriques et à un âge plus jeune.
C’est extrêmement troublant. Comme la sénatrice Batters l’a affirmée lorsqu’elle en a parlé aux ministres, hier, à l’occasion de la Journée internationale des femmes : « [...] ce n’est pas exactement le genre d’égalité entre les sexes que nous souhaitons. »
Honorables sénateurs, comment le gouvernement peut-il avoir l’assurance que, dans un an, nous disposerons des données, des ressources et des mesures de sauvegarde nécessaires pour protéger les Canadiens vulnérables aux prises avec la maladie mentale contre une mort prématurée? Rien ne nous indique que, d’ici un an, les problèmes liés à des questions importantes, comme la prévisibilité du caractère irrémédiable et les risques inhérents pour les personnes vulnérables, auront été réglés.
Chers collègues, je suis profondément troublée à l’idée qu’on puisse offrir l’aide médicale à mourir à une personne atteinte d’une maladie mentale dont le caractère irrémédiable est subjectif et sujet à interprétation. Nous débattons de questions de vie ou de mort pour les Canadiens vulnérables. Les experts ne s’entendent pas, mais le gouvernement s’entête à maintenir une décision idéologique, qui mettra assurément la vie des personnes vulnérables en danger alors que pas un seul dollar n’a été investi dans le plan en santé mentale qu’il avait promis.
La vie des Canadiens aux prises avec la maladie mentale n’est pas insignifiante.
Malgré toutes ces préoccupations, je voterai pour le projet de loi C-39, mais à contrecœur. Le délai d’un an est clairement mieux que l’autre solution : un dangereux élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir dès la semaine prochaine. Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)