Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Deuxième lecture--Suite du débat
4 avril 2019
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour m’exprimer sur le projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. J’interviens en outre en ma qualité de porte-parole pour ce projet de loi.
Pour être franc, chers collègues, j’ai quelque appréhension à assumer ce titre. Certes, chaque projet de loi a son porte-parole et son parrain, mais, en l’occurrence, je trouve difficile de m’approprier totalement un titre qui donne à penser que je suis opposé de quelque façon que ce soit aux principes, aux objectifs et aux aspirations que sous-tend ce projet de loi.
Certains d’entre vous savent peut-être que je suis père de quatre enfants autochtones. J’ai des petits-enfants qui sont des bénéficiaires inuits du Nunavut. Je veux être clair : j’estime on ne peut plus important de faire tout mon possible pour promouvoir les droits des peuples autochtones au Canada, car — et je crois que c’est le cas pour tous les parents soucieux du bien-être de leurs enfants — je veux laisser un monde meilleur pour mes enfants et leurs descendants.
J’ai écouté avec ouverture d’esprit et de cœur les débats qui se sont tenus au Sénat et les nombreux intervenants qui ont pris contact avec moi par courriel ou en personne, et qui ont probablement aussi pris contact avec vos collaborateurs.
Je sais que ce projet de loi a pris une très grande signification et une immense valeur symbolique pour bien des gens.
Durant les 10 ans où j’ai été sénateur, j’ai pris part à des débats sur le rôle du Sénat en tant que protecteur des minorités. À maintes reprises, j’ai exprimé ma conviction profonde à savoir qu’il faut faire en sorte que les régions soient entendues au sujet de tous les projets de loi étudiés au Sénat.
Lorsque j’ai été nommé à cette auguste Chambre, j’ai prêté un serment — le même que vous tous. J’ai promis d’être loyal envers Sa Majesté. En acceptant de servir, j’ai promis de faire respecter les lois de notre grande nation et de faire tout en mon pouvoir pour assurer que les projets de loi que nous adoptons protègent les minorités et tiennent compte des préoccupations régionales, en plus de respecter et préserver la Constitution canadienne.
En écoutant le discours réfléchi du sénateur Tannas sur la question, j’ai pris note du compte-rendu qu’il a fait au Sénat sur sa rencontre avec M. Saganash, le parrain du projet de loi à l’autre endroit, et son conseiller juridique, qui ont confirmé leur intention de codifier chaque mot de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans la loi canadienne.
Le sénateur Sinclair nous a indiqué, en réponse à certaines préoccupations soulevées concernant la question du consentement par opposition au veto, dont le sénateur Tannas a aussi discuté, qu’il existe une jurisprudence assez abondante pour éclairer sur la façon dont cela a été interprété dans le contexte canadien.
J’ai demandé à la Bibliothèque du Parlement quelle était la valeur en droit des déclarations internationales au Canada. Voici la réponse que j’ai obtenue :
Contrairement aux conventions, les déclarations internationales « n’ont pas toujours un caractère contraignant ». De plus, contrairement aux conventions, les déclarations ne sont pas ratifiées par les pays signataires; on les appuie tout simplement. Les pays ne sont pas tenus non plus de présenter des rapports sur leur conformité. Les déclarations sont souvent considérées comme ayant une valeur morale et représentent en général « des principes universels des droits de la personne » (selon le glossaire de la Collection des traités des Nations Unies). Selon le gouvernement du Canada, [Glossaire de terminologie des droits de la personne du gouvernement du Canada] « une déclaration est un énoncé de principe [...] une déclaration n’est pas un accord par lequel les États s’engagent en droit international. »
En ce qui concerne la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la Déclaration), le gouvernement du Canada, lorsqu’il a annoncé son appui en 2010, l’a qualifiée de « document d’aspirations » et a dit qu’elle « n’est pas juridiquement contraignante, ne constitue pas une expression du droit international coutumier et ne modifie pas les lois canadiennes ». Même si le premier ministre Justin Trudeau a par la suite promis de mettre la Déclaration en œuvre dans les lois canadiennes, le gouvernement du Canada maintient que « Les déclarations représentent uniquement l’engagement politique des États qui ont voté en faveur de leur adoption. »
Pour ma part, j’ai du mal à comprendre comment au juste nous serons capables d’inscrire ces principes généraux dans la loi si le gouvernement n’appuie pas entièrement cette entreprise. Je vais répéter la position du gouvernement du Canada, soit que « [l]es déclarations représentent uniquement l’engagement politique des États qui ont voté en faveur de leur adoption ».
Chers collègues, je dois dire que je suis troublé que ce projet de loi n’ait pas été présenté par le gouvernement, quoiqu’il aurait pu l’être.
Comme Jody Wilson-Raybould, l’ancienne procureure générale, l’a dit :
[...] les approches très simplistes, comme l’adoption de la DNUDPA comme loi canadienne, ne sont pas pratiques et, je le dis respectueusement, sont une distraction politique qui retarde le lancement des travaux difficiles que requiert sa mise en œuvre réelle [...]
Il nous faut un processus de transition efficient qui stimule le processus de décolonisation, mais d’une manière contrôlée respectueuse des efforts de reconstruction qu’ont déjà amorcés les collectivités autochtones.
Dans le cadre de l’examen approfondi du projet de loi qui s’impose au comité, la question que je vais garder en tête est la suivante : ce projet de loi nous permettra-t-il d’agir « d’une manière contrôlée » qui entraînera une reconstruction réelle et concrète?
J’ai hâte d’en apprendre davantage sur ce que ce projet de loi signifie pour les témoins que nous entendrons. Certains soutiennent qu’il revêt une valeur symbolique. D’autres disent que c’est l’une des mesures législatives les plus importantes pour la réconciliation, voire la plus importante. J’ai entendu l’argument voulant que ce projet de loi crée un veto et celui selon lequel la loi canadienne est claire et qu’il ne s’agit pas d’un veto.
Je vais me garder de me prononcer sur ces questions importantes tant que nous n’aurons pas terminé notre étude en comité.
Honorables sénateurs, j’appuie le renvoi de ce projet de loi au comité afin que nous puissions l’étudier comme il se doit. Je vous remercie.
Je propose l’ajournement du débat.
L’honorable sénatrice Martin, avec l’appui de l’honorable sénateur Smith, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent.
Le vote aura lieu à 16 h 56.
Convoquez les sénateurs.
Votre Honneur, je suis heureux de signaler qu’on s’est entendu pour que le débat sur cette motion soit ajourné, avec dissidence.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?