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Projet de loi sur l’évaluation d’impact—Projet de loi sur la Régie canadienne de l’énergie—La Loi sur la protection de la navigation

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

3 juin 2019


L’honorable Grant Mitchell [ - ]

Propose que le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-69, tel que modifié par le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Nos délibérations, et les consultations que nous avons menées, se sont parfois avérées intenses, bruyantes, chargées d’émotions et source de discorde, mais il n’y a là rien de bien surprenant. Les enjeux sont de taille.

Ma province, l’Alberta, est au cœur de ces enjeux. Pour les Albertains, l’industrie énergétique revêt une importance viscérale et émotionnelle. Cette industrie nous permet de nourrir nos enfants, de payer nos hypothèques, de nous définir, d’imaginer notre futur et de calculer notre immense contribution à la prospérité et à la force de ce pays extraordinaire. Un grand nombre d’Albertains sont inquiets au sujet de leur avenir. Nous constatons que cette industrie est menacée. Un cadre supérieur du secteur de l’énergie m'a raconté qu’après avoir consacré de nombreuses années de sa vie à créer des emplois, à bâtir des projets et à contribuer à l’économie, il en est venu à sentir qu’il a fait quelque chose de mal.

Par ailleurs, la plupart des Canadiens, et de nombreux Albertains, affichent un malaise croissant par rapport aux changements climatiques et aux autres défis environnementaux. Il va sans dire que ce malaise a joué un rôle prépondérant dans le débat provoqué par le projet de loi C-69. On a appris récemment que le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Les Canadiens en sont conscients; d’ailleurs, bon nombre d’entre eux subissent déjà les effets des changements climatiques dans leur propre vie. Nous ne devons pas minimiser les préoccupations environnementales de nos citoyens lorsque vient le temps d’élaborer des politiques publiques liées à l’exploitation des ressources.

Les peuples autochtones ont leurs propres aspirations, inquiétudes et griefs légitimes. Ils se préoccupent plus particulièrement des femmes autochtones, ce qui intensifie le débat et les enjeux. Ils méritent notre respect et notre attention.

C’est ce mélange d’intérêts contradictoires, d’interventions fortes, de griefs de longue date, d’émotions et d’enjeux économiques et environnementaux élevés qui a défini le débat sur le projet de loi C-69. Ce débat a ouvert la porte à un débat sur une question plus vaste et plus profonde que les Canadiens ne peuvent éviter et doivent affronter.

Nous sommes à un tournant crucial de notre histoire. Les Canadiens, et surtout les Albertains peut-être, sont soumis à des pressions environnementales, sociales et commerciales incessantes. Nous devons réfléchir à la façon de créer une économie de l’avenir capable d’assurer notre prospérité tout en étant de plus en plus confrontés à l’angoisse et à la peur que suscitent les questions environnementales.

Tous ces facteurs expliquent pourquoi le débat sur le projet de loi C-69 a été si difficile, mais les bons Parlements affrontent ce genre de débats parce qu’ils portent sur des questions auxquelles il faut s’attaquer. Les bons Parlements tracent la voie à suivre en périodes difficiles et complexes. C’est ce sur quoi porte ce débat. Non, il n’a pas été facile. En pareils moments, les débats ne le sont jamais, mais il ne fait aucun doute qu’il est nécessaire et je suis fier de cette assemblée.

Bien sûr, vous vous demandez peut-être pourquoi il est nécessaire d’ouvrir la boîte de Pandore que le projet de loi C-69 semble être devenu. La réponse évidente est que notre processus actuel d’examen des projets, comme il est défini dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, n’a tout simplement pas fonctionné. Le régime de cette loi n'a pas permis la construction d’un pipeline se rendant à la côte. Il constitue toujours un fardeau pour l’industrie minière avec ses processus d’examen qui font double emploi. Il n’a pas réussi à gagner la confiance de la population canadienne, ce qui est essentiel si l’on veut que l’examen d’un projet soit fructueux, et il s’est embourbé dans des litiges constants qui ont déstabilisé les investisseurs.

Le principal objectif d’intérêt public du projet de loi C-69 est de corriger la loi de 2012 et, pour ce faire — j’emprunte ce concept au sénateur Wetston —, nous devons harmoniser les intérêts divergents qui entourent la mise en valeur des ressources. Nous devons nous assurer de créer un processus d’examen qui fonctionne efficacement et qui est digne de confiance pour les promoteurs. En même temps, nous devons renforcer la confiance du public dans nos processus d’évaluation d’impact. Pour ce faire, il faut apaiser les préoccupations environnementales, celles des peuples autochtones et celles qui sont d’intérêt public en général. Nous vivons dans une démocratie. La confiance du public est donc importante; elle définit ce qu’il nous est possible ou interdit de faire.

Alors, quel est le processus qui a permis de jeter essentiellement les bases de ce projet de loi? Premièrement, le gouvernement fédéral a entrepris une vaste consultation sur la modernisation des évaluations d’impact. Dans le cadre de cette consultation, qui s’est étendue sur plus de deux ans, le gouvernement a visité bon nombre de localités, a commandé des études à deux groupes d’experts et à deux comités de la Chambre des communes, a reçu de nombreux mémoires et a obtenu beaucoup de réponses du public à plusieurs documents de travail.

Cette consultation a reposé sur la mobilisation continue de l’industrie, d’organisations autochtones, de groupes environnementaux, d’organismes de réglementation du cycle de vie, des provinces et des territoires par l’intermédiaire du Comité consultatif multilatéral. Par ailleurs, une multitude de Canadiens y ont participé.

C’est de ce processus que découle la structure de base du projet de loi C-69. On a pu renforcer cette structure lors de l’étape de l’étude en comité à la Chambre des communes et au Sénat, grâce à des audiences exhaustives et à des amendements utiles. Premièrement, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a tenu 14 réunions, fait comparaître 87 témoins et reçu 150 mémoires. Le comité a approuvé 135 amendements afin de répondre aux préoccupations des intervenants.

Quant à lui, le Sénat a, comme nous le savons tous, examiné attentivement le projet de loi C-69 au cours de la dernière année. En plus de la multitude — et il y en avait vraiment une multitude — de courriels, d’appels et de lettres que je sais que vous avez tous reçus et de réunions auxquelles vous avez participé, le Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a entendu 275 témoins pendant 108 heures d’audiences dans 10 villes canadiennes et il a reçu 121 mémoires.

Nous avons entendu des Canadiens des quatre coins du pays et je suis persuadé que la version finale de ce projet de loi aura été grandement améliorée grâce au travail du Sénat.

Pour remédier aux points faibles du système actuel, le projet de loi C-69 vise à gagner la confiance de la population; à faire preuve de respect envers les droits, la participation et les préoccupations des Autochtones; à offrir une plus grande certitude et une efficacité accrue pour les entreprises — des éléments essentiels à la confiance des investisseurs comme, on le sait —; et à créer une étape préparatoire améliorée appuyant, entre autres, chacun de ces trois éléments. Je vais parler un peu plus en détail de chacun de ces points.

D’abord, pour gagner la confiance de la population, entre autres choses, le projet de loi élargit l’éventail de facteurs devant être pris en compte dans les évaluations d’impact, ajoutant des éléments liés aux changements climatiques et à l’analyse comparative entre les sexes. De nos jours, on peut difficilement penser qu’une évaluation qui ne tient pas compte des changements climatiques d’une façon ou d’une autre puisse être crédible aux yeux de la population.

Nous avons entendu des témoignages convaincants sur les effets financiers particulièrement difficiles que peuvent avoir les grands projets sur les femmes, y compris les femmes autochtones, qui peuvent avoir de la difficulté à nourrir et à loger leurs enfants lorsque les prix des aliments et du logement augmentent dans les villes champignons. Ce sont des répercussions qui doivent être atténuées.

De plus, l’évaluation de chacun de ces facteurs n’est pas facultative. Chacun doit être examiné soit par l’agence, soit par le promoteur si l’agence le lui demande.

Aux termes de ce projet de loi, la participation du public sera amorcée plus rapidement. Il y aura une mobilisation précoce pendant la nouvelle étape préparatoire.

Le projet de loi vise à moderniser la structure de ce qui était autrefois l’Office national de l’énergie en séparant les deux fonctions suivantes : l’examen et les processus subséquents de réglementation du cycle de vie. Ces fonctions figureront dans le rôle et le mandat de la nouvelle entité qui remplacera l’Office national de l’énergie, soit la Régie canadienne de l’énergie.

Le projet de loi ajoute l’intérêt public à la liste des critères de décision et définit clairement les critères en question. Il rendra le processus plus transparent.

Deuxièmement, en ce qui concerne les droits, la participation et les préoccupations des Autochtones, le projet de loi C-69 renvoie explicitement à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et il précise qu’il faut évaluer les répercussions sur les droits des Autochtones.

Le projet de loi C-69 précise que les répercussions sur les communautés autochtones doivent être évaluées et que les connaissances traditionnelles des Autochtones doivent être prises en compte dans tous les rapports d’évaluation.

Certains comités d’examen et comités consultatifs devront compter des représentants des communautés autochtones, inuites et métisses.

Le projet de loi prévoit des fonds pour assurer la participation des Autochtones aux évaluations d’impact et le renforcement de leurs capacités.

Les instances autochtones se verront accorder un statut comparable à celui des gouvernements provinciaux et territoriaux aux termes de nouvelles dispositions relatives à la substitution et à la délégation des évaluations d’impact du gouvernement fédéral.

Troisièmement, le projet de loi C-69 répond à la nécessité d’accroître la certitude et l’efficacité, ce qui est essentiel pour rassurer les promoteurs et les investisseurs. Par exemple, il raccourcit tous les délais existants aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Dans la plupart des projets, la durée de l’étape de l’évaluation passera de 720 à 300 jours. L’examen de la plupart des projets de pipeline passera de 450 à 300 jours.

Les motifs pour suspendre les délais seront ramenés à trois et précisés. Ils sont tous trois sous le contrôle du promoteur. À l’heure actuelle, il n’y a aucune précision quant aux motifs de suspension possibles.

La consultation publique, qui est souvent considérée comme un motif pour justifier un retard, devra être effectuée dans un délai précis.

Le projet de loi exige que les raisons des retards et des évaluations ainsi que les décisions finales concernant les projets soient expliquées publiquement.

Dans le cadre de la transformation de l’Office national de l’énergie en un nouvel organisme modernisé, la Régie canadienne de de l’énergie, le projet de loi prévoit le transfert de personnel d’un organisme à l’autre et, avec lui, l’expertise acquise.

Il y a 171 mentions d’avantages économiques dans le projet de loi.

Les nouveaux processus d’évaluation régionale et stratégique éclaireront et simplifieront l’examen des projets.

Grâce à de nouvelles dispositions prévoyant une étape préparatoire et la possibilité de substitution, le projet de loi réduira le chevauchement des tâches entre les compétences, les ministères et les organismes.

Le renforcement de la confiance du public augmente grandement la certitude et l’efficacité. Il permet, entre autres, de réduire le risque de litige, qui est si contrariant pour les promoteurs et les investisseurs.

Je veux insister sur l’étape préparatoire prévue dans le projet de loi, qui n’est peut-être pas bien comprise, mais qui est très importante, voire essentielle, pour le bon fonctionnement de cette mesure législative et des avantages qu’elle offre. Son importance et ses avantages ont été très bien saisis dans le témoignage de Pierre Gratton, président et chef de la direction de l’Association minière du Canada. Je vous renvoie à son témoignage.

Certains considèrent que l’étape préparatoire ajoute 180 jours à l’évaluation d’impact. Cependant, les promoteurs de projet, bien sûr, effectuent déjà une planification rigoureuse, et cette dernière n’est pas incluse dans le calcul de l’échéancier comparé. Contrairement aux efforts actuels de planification, l’étape préparatoire prévue dans le projet de loi C-69 obligera officiellement les ministères et les organismes fédéraux à prendre certains engagements et responsabilités essentiels.

Par exemple, toutes les entités et tous les organismes fédéraux pertinents devront cibler les problèmes éventuels et les besoins en matière d’information en se fondant sur les consultations menées préalablement auprès des collectivités et des Autochtones qui pourraient être touchés par le projet. De plus, au début de cette étape préparatoire, qui est cruciale pour clarifier ce qui est attendu du promoteur, l’agence d’évaluation d’impact sera tenue de fournir cinq extrants structurés.

Primo, le document sur les lignes directrices individualisées relatives à l’étude d’impact environnemental définira expressément comment les facteurs à examiner s’appliqueront à un projet donné et il déterminera ceux qui relèveront du promoteur et ceux qui relèveront de l’agent. Par exemple, ces lignes directrices permettront de clarifier les exigences relatives à l’examen du projet pour tous les facteurs qu’il faut déterminer et dont il faut tenir compte, comme les facteurs économiques, sanitaires et sociaux ainsi que, oui, l’analyse comparative entre les sexes et les changements climatiques.

Secundo, on préparera un plan de mobilisation et de participation des Autochtones en se fondant sur les consultations que l’on a menées auprès d’eux. Il s’agit d’une réponse directe, du moins en partie, aux préoccupations de l’industrie, qui n’est pas sûre de savoir quelles communautés elle doit consulter.

Tertio, dans le cadre de l’étape préparatoire, on présentera un plan de participation du public qui décrit les paramètres des consultations publiques.

Quarto, à la suite de l’étape préparatoire, on préparera un plan de collaboration qui décrit la façon dont les organismes et les instances éviteront le chevauchement.

Finalement, on élaborera un plan pour simplifier le processus d’autorisation.

Ces exemples de dispositions qui se trouvent déjà dans le projet de loi permettent de constater combien de faiblesses de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 ont été corrigées par le projet de loi C-69. Toutefois — et c’est très important —, les commentaires que nous avons reçus au cours de la dernière année, aussi détaillés et approfondis soient-ils, montrent clairement qu’on peut faire davantage pour améliorer la mesure législative.

Le rapport du comité comprend un large éventail d’amendements visant à atteindre cet objectif. Par exemple, dans de nombreux cas, des fonctionnaires peuvent avoir des pouvoirs ministériels, ce qui réduit le pouvoir politique discrétionnaire qui existe dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012.

Certains amendements préciseront la portée des éléments en ce qui concerne les détails de chaque projet afin que le promoteur assume ses responsabilités pour les éléments le concernant, mais pas nécessairement pour tous les éléments.

D’autres amendements visent à réduire le risque de litige. Ils contribuent à donner l’assurance que la compétitivité économique sera davantage reconnue dans ce projet de loi. D’autres références aux droits des Autochtones sont incluses, et les répercussions de l’élaboration de projets sur les femmes autochtones sont davantage reconnues dans les amendements proposés par la sénatrice McCallum.

Honorables sénateurs, nous avons tous travaillé extrêmement fort pour comprendre ces questions, pour écouter les intervenants et pour transformer ce que nous avons entendu en amendements. Nous avons contribué à ce qui a été, à mon avis, un processus de politique publique remarquable, caractérisé par de vastes consultations publiques et un examen approfondi par le Sénat.

Une fois de plus, je vous remercie tous, ainsi que votre personnel et le personnel administratif du Sénat, pour votre travail exceptionnel sur une question de politique très difficile.

Maintenant, je suggère simplement — je demande — le renvoi de ce projet de loi, avec ses amendements, à la Chambre des communes dans les plus brefs délais afin que le gouvernement et la Chambre puissent les examiner sérieusement et proposer une réponse.

Honorables sénateurs, notre pays, le Canada, est une terre d’abondance et il y a pourtant des inégalités et des iniquités dans le partage des ressources. Un grand nombre de ses citoyens ne mangent pas à leur faim, n’ont pas de toit et sont vulnérables. Pire encore, certains doivent lutter pour faire respecter leur dignité et leurs droits fondamentaux. Comment notre pays, respecté sur la scène internationale, a-t-il pu en arriver là?

Chers collègues, la semaine dernière, vous avez entendu plusieurs points de vue sur le discours entourant le projet de loi C-69. Aujourd’hui, je veux partager avec vous mon point de vue comme femme autochtone et sénatrice. Comme membre du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, on m’a chargée d’étudier ce projet de loi avec les autres membres. Je me sens obligée de vous faire part de ma déception quant à la façon dont les opinions des Autochtones ont souvent été mises de côté tandis que celles de l’industrie étaient privilégiées.

On peut le voir d’après l’itinéraire des déplacements du comité. Lorsque le sujet des déplacements a été discuté, j’ai demandé si le comité pouvait aller à Fort Chip, en Alberta, ou à Fox Lake, au Manitoba, deux endroits fortement touchés par les activités d’extraction. Le comité a plutôt choisi de se rendre dans des centres urbains qui, à mon avis, privilégient les sièges sociaux et profitent d’une grande capacité de mobilisation, par rapport à la difficulté de se déplacer pour de nombreuses communautés autochtones très éloignées.

Honorables sénateurs, la plupart d’entre vous savent sans doute qu’un groupe de travail a été créé afin d’étudier plus de 200 amendements proposés par tous les sénateurs au projet de loi C-69. Ce groupe, dont je n’ai pas fait partie, devait rationaliser les amendements pour améliorer l’efficacité de l’étude article par article.

On ne vous a pas dit toutefois que les amendements portant sur les questions autochtones — c’est-à-dire mes amendements — n’ont pas été inclus dans cet exercice. Par contre, tous les amendements soumis par le Groupe des sénateurs indépendants et par les conservateurs ont été pris en compte. Le jeudi 16 mai, le groupe a procédé à l’adoption, avec dissidence, de tous les amendements sur lesquels on s’était entendu.

J’encourage fortement chaque sénateur ici présent à lire la transcription des délibérations de cette réunion. Vous constaterez que des groupes de 10, 12 ou même 16 amendements ont été adoptés sans même avoir été débattus. Le processus a seulement été interrompu lorsqu’il fut question de mes amendements — ceux que l’on n’a pas jugé bon d’inclure dans l’entente préalable. Contrairement à la majorité, j’ai dû me battre pour présenter des amendements en comité au nom des groupes autochtones de partout au Canada.

Aujourd’hui, je vais présenter un seul amendement qui en englobe trois de ceux-là, qui portaient tous sur le même sujet : la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Chers collègues, certains sénateurs aimeraient voir une solution adaptée au Canada, et je suis tout à fait d’accord, comme bien d’autres personnes. Dans la préface du deuxième rapport spécial du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, intitulé UNDRIP Implementation: More Reflections on the Braiding of International, Domestic and Indigenous Laws, Oonagh Fitzgerald et Larry Chartrand affirment ceci :

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été élaborée conjointement par des dirigeants autochtones du monde entier en vue de freiner les effets destructeurs et déshabilitants du colonialisme et de créer des conditions permettant aux peuples autochtones de regagner leur autonomie sur les plans social, culturel, linguistique, spirituel, politique, économique, environnemental et juridique.

Toutefois, selon nombre de ces documents, on craint que :

[...] la vision du Canada concernant les compétences des Autochtones à l’égard des terres et des ressources soit très étroite et qu’il ne s’agisse guère que d’une version révisée du statu quo.

Le rapport ajoute ceci :

Dans un discours engagé, prononcé devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2017, à l’occasion du 150e anniversaire du Canada, Justin Trudeau a dit reconnaître que [...] le Canada doit être vu comme un « projet en constante évolution ». Il a fait allusion au passé colonialiste du Canada, aux promesses brisées et aux torts que les politiques racistes ont infligés aux Inuits, aux Métis et aux Premières Nations. Il a renouvelé son engagement à faire en sorte que le Canada emploie la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comme « modèle à suivre » afin de réparer les torts du passé, de faciliter les relations de nation à nation, les relations de gouvernement à gouvernement et les relations entre les Inuits et la Couronne, et de promouvoir la réconciliation.

Honorables sénateurs, en l’absence de soutien du Canada à l’égard de cet effort, les Premières Nations du Canada ont aidé les Nations Unies à rédiger la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le chef Wilton Littlechild, de l’Alberta, a collaboré avec l’ONU pendant 40 ans pour l’aider à rédiger les normes minimales qui protégeraient les peuples autochtones. En dépit du temps qu’il aura fallu pour que ces démarches portent fruit, la déclaration des Nations Unies est une solution fièrement représentative de la rétroaction des peuples autochtones du Canada. En ce sens, c’est, à bien des égards, une solution adaptée au Canada.

Le chef Littlechild lui-même le décrit probablement le mieux. Dans son allocution à l’intention du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il a déclaré :

Il y a 60 ans, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le plus important document au monde en matière de droits de la personne, une loi internationale visant à reconnaître les droits inhérents à tous les peuples. En cri, nous disons « Kikpaktinkosowin » et « Oyotamsowin » : les droits qui nous sont conférés par le Grand Esprit, notre Créateur, et nos droits innés en tant que membres de la famille humaine. Le droit inhérent à l’autodétermination. Le droit inhérent de nous gouverner nous-mêmes et de gouverner nos territoires et nos ressources conformément à nos propres lois et coutumes. Des droits qui ont été reconnus pour tous les peuples comme étant le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

Cependant, en 1948, les peuples autochtones n’ont pas été inclus dans la Déclaration universelle [des droits de l’homme]. On considérait que nous n’avions pas les mêmes droits que les autres. D’ailleurs, nous n’étions pas considérés comme des êtres humains ni des personnes. Par conséquent, il y a eu des violations, parfois flagrantes, de nos droits de la personne. Les peuples autochtones n’ont simplement pas pu jouir des droits et des libertés garantis par la Déclaration universelle.

[...] Dans ma communauté, les dirigeants et les aînés se sont réunis dans les années 1970, parce que cette situation les inquiétait [...] Après de longues discussions et de nombreuses cérémonies spirituelles, ils ont décidé de chercher à être reconnus de la communauté internationale et d’obtenir justice auprès d’elle. Nous étions ici en 1977, lorsque nous n’avions pas obtenu l’accès, afin d’informer la famille des nations de l’ONU de nos problèmes et de nos inquiétudes. Des délégations de Cris Maskwacis viennent ici chaque année depuis. Oui, nous avons attiré l’attention sur les violations des traités et des droits issus des traités, mais nous avons aussi recommandé des solutions pour améliorer la situation et favoriser la reconnaissance et l’inclusion.

Le chef Littlechild a terminé en disant :

Il reste de nombreux défis. Comment se fait-il que les statistiques soient toujours pires lorsqu’il est question des bandes, des peuples et des nations autochtones? Comment se fait-il que nos familles, et particulièrement les enfants, soient encore touchées par la pauvreté abjecte? Comment se fait-il qu’il y ait une crise au pays concernant l’éducation des jeunes Autochtones? Comment se fait-il que nous continuions d’être exclus de la vie économique [...]? Comment se fait-il que nos traités continuent d’être violés? [...] Pourquoi [les États] souhaitent-ils choisir les droits qu’ils sont prêts à respecter, contrairement à la déclaration faite aujourd’hui par le secrétaire général? [...]

Je ne rendrais pas justice aux personnes que je représente si je ne demandais pas aux autres :

d’accepter un nouveau cadre de partenariat;

de se conformer aux traités et aux accords, dans un esprit de respect les uns envers les autres;

d’accepter que nous soyons totalement inclus et que nous continuions de contribuer à l’humanité [...]

Honorables sénateurs, comme il s’agissait d’un engagement pris par le gouvernement canadien, et non par l’industrie ou le promoteur d’un projet, cet amendement fera en sorte que la responsabilité incombe uniquement au gouvernement. Pour ce faire, les dispositions amendées renverront à la déclaration au titre de l’article 65 du projet de loi. Ainsi, tout renvoi à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sera lié à l’action du gouvernement, plutôt qu’à celle de particuliers ou d’entreprises.

En terminant, je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de parler de cet élément crucial du projet de loi qui porte sur les droits de la personne. Parfois, on accorde surtout la parole à l’industrie; il était donc important que je tente d’atteindre un certain équilibre en présentant le point de vue des Autochtones.

Sénateurs, la Constitution canadienne a été adoptée pour protéger les personnes plutôt que l’industrie. Je vous demande respectueusement de vous joindre à moi pour appuyer cet amendement.

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