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Le Sénat

Motion concernant le système des pensionnats indiens--Ajournement du débat

1 juin 2021


Conformément au préavis donné le 8 février 2021, propose :

Que le Sénat du Canada :

a)reconnaisse que le racisme, sous toutes ses formes, a servi de fondement à la création du système des pensionnats indiens;

b)reconnaisse que le racisme, la discrimination et la maltraitance étaient répandus au sein du système des pensionnats indiens;

c)reconnaisse que le système des pensionnats indiens, créé dans un but malveillant d’assimilation, a eu des répercussions profondes et permanentes sur la vie, les cultures et les langues des Autochtones;

d)présente des excuses sincères pour le rôle joué par le Canada dans l’établissement du système des pensionnats indiens et ses répercussions, qui se font encore sentir aujourd’hui chez bon nombre d’Autochtones et de communautés.

— Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier pour les déclarations que vous avez faites aujourd’hui et le soutien que vous avez exprimé. Ils continueront de m’accompagner.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de la motion no 69, qui porte sur les répercussions néfastes et les séquelles laissées par le système des pensionnats autochtones. Tout comme je continue de chercher une justification ou un potentiel pédagogique à l’expérience traumatisante que j’ai vécue au pensionnat, je cherche aussi des petites leçons inspirées des manifestations de racisme que j’ai vécues dans l’enceinte du Sénat. Devant les attaques injustifiées qui nous ciblent, nous les anciens élèves des pensionnats autochtones, je ne peux que tenter de comprendre les raisons qui sous-tendent ce racisme. Certes, ces attaques étaient protégées par le privilège parlementaire et présentées sous le couvert de la liberté d’expression, mais j’essaie encore de déterminer quel but servaient ce racisme ciblé et ce profilage racial.

Comment peut-on favoriser la compréhension, l’harmonie et l’esprit de communauté entre différentes races? L’une des méthodes consiste à communiquer et à écouter nos récits réciproques dans un contexte sûr. La Commission royale sur les peuples autochtones a fourni un espace où les anciens élèves pouvaient enfin cesser de faire semblant et parler publiquement des nuits noires de leur âme — ce que nous n’avions jamais eu le sentiment de pouvoir faire en toute sécurité. Grâce à ce contexte, des gens extraordinaires ont décidé qu’il était temps d’entrer courageusement dans toute la plénitude de leur vie.

Les histoires que nous racontons au Canada en tant qu’anciens élèves des pensionnats autochtones sont sacrées en raison des images et de la souffrance qui sont évoquées : les enfants enlevés à leur famille, à leur communauté et au milieu qui leur était familier; les capacités émotionnelles que nous avons perdues parce qu’on nous interdisait de nous exprimer; les violences émotionnelles, physiques, sexuelles, religieuses, spirituelles et mentales très concrètes que des représentants de l’Église nous ont fait subir au quotidien; les liens rompus avec la famille, la communauté et la culture; la façon dont on exerçait une surveillance pour briser nos moyens de communication; les enfants obligés de prendre soin les uns des autres. Même s’ils ont dû composer au quotidien avec le racisme et des traumatismes lorsqu’ils n’étaient que des enfants innocents, des élèves ont pu tisser des liens familiaux, et nous demeurons une famille aujourd’hui.

Ces histoires sont encore bien présentes dans nos mémoires et dans nos vies. Nos corps et nos histoires racontent le contexte historique du racisme : un groupe de politiciens blancs qui, dans les années 1800, ont décidé de lancer une expérience et de nous séparer afin de modeler nos identités pour que nous soyons comme les Blancs plutôt que comme le Créateur nous a conçus.

Honorables sénateurs, le fait de raconter nos histoires est lié à l’intention de notre âme et de notre esprit d’éveiller notre conscience. Les expériences qui, antérieurement, étaient maintenues dans l’ombre deviennent illuminées. Mettre au jour nos histoires met fin aux relations sombres. Je n’ai pas raconté mon histoire pour la voir ridiculisée ou contestée au Sénat, surtout par une sénatrice non autochtone.

En tant que femme crie, je refuse de continuer à me considérer comme une victime. Je suis destinée à être plus que ce que les autres humains envisageaient pour moi. Je lutte sans cesse pour surmonter le traumatisme qui m’a été imposé sciemment. Souvent, je dois affirmer que je compte, moi-même et les autres Autochtones, et que nous ne pouvons pas être continuellement placés à dessein dans des abîmes qui menacent constamment notre existence et notre identité — des abîmes créés par les lois canadiennes ou des actions au Sénat.

Chers collègues, dans les critères d’évaluation appliqués par l’Université du Manitoba après que l’ancienne sénatrice ait terminé la formation qui lui a été offerte, il est indiqué ceci :

Nous avons pris le temps d’examiner de près la notion de racisme, et nous avons expliqué en quoi le racisme est systémique et comment il est ancré dans les institutions sociales, politiques et juridiques.

Après avoir réfléchi aux gestes qu’elle avait posés, elle a affirmé sa conduite n’était pas digne de ses obligations à titre de sénatrice en ce qui a trait au racisme. Je cite :

Elle a noté que sa conduite avait fait du tort aux peuples et communautés autochtones. Elle a exprimé ses regrets, sachant que sa conduite était déplacée.

Le rapport indique également que la sénatrice :

[...] a dit assumer l’entière responsabilité des gestes qu’elle avait posés; elle a d’ailleurs reconnu qu’elle avait enfreint les articles 7.1 et 7.2 du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Jonathan L. Black-Branch a déclaré :

Elle repart avec des connaissances, des idées et une compréhension nouvelles, armée de nouveaux outils pour s’acquitter de son rôle professionnel et forger ses convictions personnelles.

Toutefois, d’anciens étudiants, dont moi-même, avaient plutôt l’impression qu’elle quittait le programme passablement dans le même état qu’elle l’avait amorcé.

Dans son compte rendu de la séance qui portait sur le contexte historique des relations Couronne-Autochtones au Canada, Mme Miller, une survivante de la rafle des années 1960, dit :

Elle a demandé notamment pourquoi il était fautif de présenter, sur son site Web, des lettres d’anciens pensionnaires qui n’avaient pas connu de mauvais traitements dans les pensionnats. J’ai parlé du déni des pensionnats et expliqué que le fait de ne présenter que ces lettres puisse être perçu par certains comme un appui au discours négationniste. J’ai aussi indiqué que, puisque le régime des pensionnats a pris fin depuis peu, il reste encore un bon nombre de nos collègues, sans parler des aînés, dont la vie a été profondément troublée par cette expérience et qui subissent encore vivement le traumatisme. La sénatrice a répondu : « Oh! Il est donc simplement trop tôt. »

Mme Miller poursuit en disant :

[...] j’ai eu la ferme impression que les quelques récits de réussite servaient de justification pour la douloureuse expérience des pensionnats et de la rafle des années 1960, en particulier. J’espère ne pas être la seule à penser que le fait qu’une personne ait pu survivre à une épreuve et réussir sa vie par la suite ne justifie pas la douleur infligée ni ne démontre que cette souffrance ait constitué une condition de cette réussite.

D’ailleurs, selon la recherche sur les traumatismes historiques, le refus de reconnaître ou de valider le traumatisme agit comme élément déclencheur susceptible d’approfondir le traumatisme. À mon avis, cette question est en relation directe avec les problèmes liés à son site Web.

Du point de vue de la formation de l’ancienne sénatrice, qui est axée sur le privilège, la fragilité, les microagressions, les éléments déclencheurs et les pratiques antiracistes, Mme Miller déclare :

Nous avons discuté du privilège et du fait qu’il occulte les oppressions subies par ceux qui ne jouissent pas des mêmes privilèges [...]

Mme Miller a ajouté ce qui suit :

Nous avons aussi étudié en détail comment le colonialisme, comme idéologie, s’appuie toujours sur un racisme systémique pour justifier les déplacements, les extractions, le vol et la violence psychologique ou physique. Le racisme peut exister sans le colonialisme, mais celui-ci s’accompagne toujours d’un discours préjudiciable, souvent encodé juridiquement, pour justifier l’acquisition coloniale.

Honorables sénateurs, dans l’article intitulé Oppression and Privilege: Two Sides of the Same Coin, l’auteure Diane J. Goodman affirme ceci :

En général, dans les discussions sur les inégalités sociétales, on se concentre sur les façons dont certains groupes de personnes sont désavantagés — subissent de la discrimination, sont mal traités et sont opprimés. Cependant, il est tout aussi important de se pencher sur les façons dont d’autres groupes de personnes sont avantagés — reçoivent des avantages et des privilèges injustes et non mérités en raison de l’oppression. Dans cet article, je décris l’oppression et les privilèges comme les deux faces des systèmes d’inégalité. Il importe de comprendre et de traiter ces deux volets pour arriver à une plus grande équité.

Elle continue ainsi :

Les groupes privilégiés établissent les normes sociétales qui sont utilisées pour juger les autres groupes. Ils ont plus de contrôle et de pouvoirs institutionnels et ils décident des lois des politiques et des pratiques qui ont des répercussions sur les autres...

Les avantages et les désavantages sont cumulatifs, ils ne sont pas simplement des événements ponctuels sans lien entre eux. C’est l’une des raisons pour lesquelles une perspective historique est essentielle. Nous ne pouvons pas comprendre les situations d’aujourd’hui sans comprendre comment le passé a façonné le présent et continue de façonner l’avenir.

Sous le sous-titre « Caractéristiques des groupes privilégiés », l’auteur écrit :

Les personnes issues de groupes privilégiés n’ont généralement pas conscience de l’oppression que les autres subissent.

À moins que les personnes appartenant à des groupes privilégiés ne fassent un effort conscient pour apprendre à connaître des personnes appartenant à des groupes désavantagés et qu’elles aient des conversations franches sur les réalités de l’appartenance à un groupe subordonné, il est peu probable qu’elles comprennent bien cette forme d’oppression [...]

Les personnes issues de groupes privilégiés n’ont généralement pas conscience de leur privilège.

Les personnes issues de groupes privilégiés nient généralement l’oppression des autres et leurs propres privilèges ou elles les ignorent volontairement.

[...] le discours dominant est qu’il y a une égalité des chances pour tous et que le pays est méritocratique — les gens obtiennent ce qu’ils méritent [...] Il est plus facile pour les personnes issues de groupes privilégiés de nier l’existence d’un problème ou de blâmer les personnes désavantagées que d’examiner comment elles sont elles-mêmes complices de l’oppression des autres [...]

Honorables sénateurs, malheureusement, les Canadiens ont été témoins de racisme ici même, dans cette enceinte, à partir du début de 2017, lors de la publication de lettres incendiaires décrivant les anciens élèves des pensionnats autochtones de manière négative et stéréotypée. Ces attaques, découlant des activités d’une ancienne sénatrice, n’avaient pas de raison apparente et n’étaient pas provoquées. L’objectif de ces attaques racistes était d’attirer l’attention soutenue des médias nationaux.

Ma question est la suivante : pourquoi cette ancienne sénatrice a-t-elle été autorisée à continuer d’exprimer ses opinions dérangeantes pendant aussi longtemps, sans que cela provoque une levée de boucliers plus importante chez les sénateurs?

Pour comprendre la discrimination raciale au Canada, les parlementaires doivent se concentrer sur ceux ayant le pouvoir d’atténuer cette discrimination raciale institutionnelle. Ni le Sénat ni la Chambre des communes n’ont examiné le rôle qu’ils jouent — intentionnellement ou non — dans la perpétuation d’une telle discrimination.

Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi dans des débats visant à mieux comprendre le racisme, la discrimination, la violence et les sévices qui ont été provoqués par l’établissement des pensionnats autochtones et les impacts négatifs de ces derniers, impacts qui sont encore ressentis aujourd’hui par d’innombrables peuples et communautés autochtones. Ce sera l’occasion de reconnaître les méfaits causés par ces pensionnats et de travailler à changer les choses. Ce changement découlera de la reconnaissance par les sénateurs des effets encore présents de l’oppression des peuples autochtones et de la nécessité de changements plus vastes au sein de la société et de la sphère politique. Je vous invite à prendre la parole au sujet de cette motion et à l’appuyer en vue de la présentation d’excuses visant à corriger une bonne partie des torts causés par le Sénat à ce sujet, autant dans le passé que plus récemment. Merci.

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