La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
30 novembre 2021
Le vérificateur poursuit ainsi :
Le gouvernement n’a cependant pas rendu l’ACS obligatoire et il n’a pas donné à Condition féminine Canada les pouvoirs nécessaires pour faire respecter son application.
À la recommandation 1.61, le vérificateur affirme ceci :
Le Bureau du Conseil privé, Condition féminine Canada et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada devraient, dans les limites de leur mandat respectif et en collaboration avec tous les ministères et organismes fédéraux, prendre des mesures concrètes pour recenser et supprimer les obstacles qui empêchent la réalisation systématique d’analyses comparatives entre les sexes rigoureuses. Ces mesures devraient éliminer les obstacles qui empêchent les ministères et organismes fédéraux de prendre en considération les analyses comparatives entre les sexes lors de l’élaboration, du renouvellement ou de l’examen des projets de politiques, de mesures législatives et de programmes, en vue d’informer les décideurs publics des enjeux hommes-femmes réels ou possibles de leurs initiatives.
Les trois étaient d’accord.
À la recommandation 1.63, le vérificateur recommande ceci :
Condition féminine Canada devrait évaluer les ressources qui lui sont nécessaires pour s’acquitter de son mandat relatif à l’analyse comparative entre les sexes (ACS) et affecter suffisamment de ressources aux examens des ACS et à la communication d’information périodiques à cet égard.
Condition féminine Canada était d’accord.
En 2019, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, en consultation avec Femmes et Égalité des genres Canada, a publié un document intitulé Intégration de l’analyse comparative entre les sexes plus dans l’évaluation : un guide d’introduction (2019). Le guide contient des directives à l’intention des évaluateurs, particulièrement ceux des niveaux junior et intermédiaire, sur la façon d’intégrer l’ACS+ dans chaque étape des évaluations réalisées par le gouvernement du Canada afin d’appuyer les engagements et les orientations. Il s’agit d’une discussion générale sur chaque étape de l’évaluation : la planification, la réalisation et la production de rapports.
Honorables sénateurs, à l’heure actuelle, le mémoire au Cabinet indique que les propositions de nouveaux projets de loi doivent inclure une analyse comparative entre les sexes. Certes, il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais c’est insuffisant, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme l’analyse n’est pas une obligation légale, le gouvernement actuel ou n’importe quel gouvernement futur peut mettre fin à la pratique à tout moment. Par ailleurs, les résultats de l’ACS interne ne sont pas publics, et rien n’empêche le Cabinet d’aller de l’avant avec une proposition pour laquelle l’ACS n’est pas favorable ou n’est pas faite du tout — de mauvaises pratiques qui ont peut-être lieu à l’heure actuelle. Enfin, l’analyse interne, si elle est effectuée, n’est entreprise que pour des mesures législatives du gouvernement en ce moment et non pour les initiatives parlementaires.
Le projet de loi à l’étude aurait pour effet d’inscrire dans la loi l’obligation de mener une analyse comparative selon les sexes, qui ne dépendrait donc plus du bon vouloir du gouvernement. De plus, il exigerait que l’analyse soit rendue publique et qu’on procède à une analyse pour tous les projets de loi, qu’ils soient présentés par le gouvernement ou non.
Chers collègues, comme la vision que nous avons du monde est teintée par nos différentes expériences, j’estime qu’il est important de bien comprendre l’application concrète du projet de loi. Pour assurer l’égalité et l’équité pour les femmes autochtones et non autochtones, il faut que ces concepts s’appliquent dans des conditions réelles et qu’ils se traduisent en résultats concrets. Il est donc nécessaire d’effectuer systématiquement des analyses comparatives entre les sexes.
Je crois et j’espère que d’autres femmes — et des hommes, d’ailleurs — dans cette enceinte se joindront à moi au cours du débat sur le projet de loi pour faire part de leurs propres expériences et dire pourquoi, à leur avis, cette mesure législative est cruciale.
Quant à moi, honorables collègues, je m’exprime en tant que femme issue des Premières Nations qui a grandi dans une réserve et dont la vie a été contrôlée par la Loi sur les Indiens. Je ne voyais pas l’inégalité et la marginalisation comme quelque chose de répréhensible. Nous étions traités différemment dans les pensionnats autochtones et dans les réserves par rapport aux autres qui vivaient avec nous, comme les enseignants, les infirmiers, les sœurs et les prêtres. J’en suis venue à accepter l’idée que l’inégalité était normale pour nous, les Indiens, et je n’ai pas cherché à la remettre en question.
Il est primordial que nous ayons une analyse comparative entre les sexes afin d’offrir une protection et une surveillance supplémentaires à toutes les femmes au Canada. Dans ce contexte, l’oppression historique et actuelle des Premières Nations, des Métis et des Inuits est unique au Canada, d’où la nécessité de souligner que cela s’applique surtout aux femmes autochtones.
Comme l’a indiqué la sénatrice Boyer en 2007, à la page 4 de son document intitulé Un protocole d’application culturellement pertinent selon les sexes :
L’article 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 stipule que nonobstant toute autre disposition, les droits autochtones et issus de traités auxquels fait référence le paragraphe (1) sont garantis de façon égale aux hommes et aux femmes. Ceci est une reconnaissance fondamentale constitutionnelle de l’égalité des femmes autochtones et nous trouvons une reconnaissance fondamentale similaire de cette égalité dans la Charte des droits et libertés. L’article 25 de la Charte prévient la détransposition des garanties de la Charte des traités autochtones et autres droits et libertés; l’article 25 est assujetti à l’article 28 de la Charte, qui stipule que tous les droits dans le cadre de la Charte sont garantis de façon égale aux femmes et aux hommes. Par conséquent, les droits autochtones protégés par l’article 25, comme ceux protégés par l’article 35(1) doivent être disponibles sur une base égale aux femmes. Non seulement les articles 35(4) et 28 protègent la position des femmes autochtones dans le cadre de politiques autochtones, mais l’article 15 de la Charte protège les femmes autochtones de la discrimination vis-à-vis les Allochtones. Par conséquent, pour les femmes autochtones, l’élaboration d’une analyse comparative culturellement appropriée selon les sexes est une obligation constitutionnelle.
Honorables sénateurs, en tant que parlementaires, nous devons revoir et mettre en question l’idée d’égalité et la prétention de l’équité, ainsi que la croyance que cet idéal s’applique à tous. Ce n’est pas le cas.
Il faut se défaire des idées de monoculture, notamment celles liées à l’assimilation, et de recherche de solutions fondées sur des approches universelles ou pancanadiennes. Ce genre d’approches n’a jamais fonctionné en raison du manque d’équité envers les groupes qui ont besoin des ressources nécessaires pour surmonter les obstacles et relever les défis qui se présentent sur leur chemin.
Quand on traite toutes les femmes comme un groupe homogène ayant des intérêts homogènes, on contribue à l’invisibilité des femmes autochtones et à la marginalisation de leurs préoccupations et de leurs opinions.
Le droit de vote et le statut d’Indien étaient aussi une question de genre. « Les femmes autochtones étaient exclues du mouvement canadien des suffragettes, qui était dominé par les Blanches des classes moyenne et supérieure. »
Malgré tout ce qu’elles ont pu faire de bien, les dirigeantes du mouvement canadien des suffragettes, dont Nellie McClung et Emily Murphy, ont tout fait pour exclure les femmes autochtones de leur cercle.
Historiquement, les femmes autochtones ont joué un rôle traditionnel fort différent de celui de leurs consœurs européennes. C’est ce que décrit en partie Cynthia Wesley-Esquimaux dans le livre Restoring the Balance, dans lequel on peut lire :
On a retiré aux femmes autochtones leurs responsabilités et leurs rôles traditionnels, ce qui les a reléguées aux marges de leurs propres sociétés. Les missionnaires ont importé dans le Nouveau Monde une hiérarchie sociale du Vieux Continent, selon laquelle « la place d’une femme est sous l’autorité de son mari et la place d’un homme est sous l’autorité des prêtres. »
Dans un document intitulé Indigenous Gender-Based Analysis for Informing the Canadian Minerals and Metals Plan, Adam Bond et Leah Quinlan, de l’Association des femmes autochtones du Canada, déclarent, à la page 4 :
Les femmes autochtones entretiennent avec la nature une relation sociale et culturelle unique plus étroite que les groupes non autochtones. L’intersectionnalité de leur sexe et de leur identité autochtone confère aux femmes et aux filles autochtones des rôles, un savoir et des responsabilités spéciaux, mais les expose également à des risques accrus. La relation socioculturelle des femmes autochtones avec la nature ainsi que leur physiologie exacerbent chez elles les effets négatifs de l’incidence de l’exploitation minière locale sur l’environnement.
L’exclusion délibérée des femmes autochtones de la prise de décisions communautaire, des consultations et des négociations avec le secteur privé perpétue les effets négatifs disproportionnés des activités industrielles sur les femmes et les filles autochtones, tant sur le plan environnemental que socio-économique. Le gouvernement et les membres de la communauté doivent faire preuve de bonne foi dans les processus de consultation. La marginalisation des points de vue et des préoccupations des femmes autochtones mine la légitimité des décisions et des accords définitifs.
Les femmes autochtones doivent souvent composer avec la violence sexuelle, le harcèlement et la discrimination, réalités qui sont souvent exacerbées par la présence de projets industriels dans leur communauté [...] Le maintien d’une culture masculine dominante dans les camps de travail perpétue une forme de racisme et de misogynie qui mine la valeur humaine des femmes...
— et des filles autochtones —
... et les expose à des actes odieux et tout à fait intolérables de violence sexuelle et de discrimination. Quels que soient les effets économiques positifs des activités minières, l’omniprésence de ces infractions a pour effet de réduire nettement les avantages socio-économiques des projets industriels pour les femmes autochtones.
L’incapacité des sociétés minières à mettre fin à la culture masculine dominante et l’incapacité des gouvernements à imposer des conditions administratives adéquates et des exigences législatives et réglementaires pour protéger les femmes autochtones ne sont pas seulement un fardeau titanesque pour celles-ci. Ces échecs représentent aussi un obstacle majeur qui empêche l’industrie d’accéder à une main-d’œuvre dont elle a grandement besoin et d’adopter une approche solide pour développer des liens fondés sur la confiance avec les communautés locales. Au bout du compte, tant et aussi longtemps que la présence d’activités minières constitue une menace de violence sexuelle, on ne peut pas raisonnablement conclure que l’industrie est une force positive pour les femmes et les filles autochtones. On ne peut pas s’attendre raisonnablement à ce qu’une communauté appuie un projet qui expose ses femmes et ses enfants au risque de subir un viol.
Honorables sénateurs, le projet de loi vise à réduire au minimum les effets préjudiciables des activités d’exploration et d’exploitation des ressources tout en maximisant leurs bienfaits environnementaux, sociaux, culturels et économiques.
Cette situation montre que, lorsque le capitalisme est une composante importante des projets de loi, il faut appliquer les considérations liées à l’égalité des sexes, et cela vaut pour les futures politiques et lois fédérales. Même si j’utilise l’exemple des répercussions de l’industrie des ressources sur les femmes autochtones, il importe de souligner que de nombreux autres aspects — comme la santé, le droit et la géographie — ont des effets sur différents groupes de femmes de manière unique et complexe. Dans certains cas, l’intersectionnalité du capitalisme, de la santé, de la géographie et du droit avec l’identité, le genre et la condition autochtone touche des personnes comme je le disais plus tôt. Dans le numéro 6 d’une publication du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, publiée en janvier 2011, on dit ceci :
Par conséquent, les filles et les jeunes femmes se retrouvent souvent à la croisée des chemins (carrefours intersectionnels) entre divers systèmes d’oppression comme le patriarcat, le capitalisme et le colonialisme, où elles sont exposées simultanément à différentes formes de violence liées à ces systèmes.
Chers collègues, dans les zones riches en ressources, les Premières Nations demeurent dans une impasse apparemment insoluble. En sortir laisserait un vent de modernité balayer les communautés des Premières Nations, métisses et inuites. Placer ces communautés en position d’impuissance a toutefois permis à l’industrie d’écraser les communautés qui se mettaient sur son chemin. Des travaux de recherche montrent que les projets d’exploitation des ressources ont des répercussions surtout négatives sur le plan social, économique, culturel et sanitaire pour les femmes autochtones et non autochtones de la région. Parmi ces répercussions négatives, mentionnons les difficultés en matière de services de garderie; les emplois peu spécialisés et peu rémunérés; l’augmentation de la violence, du harcèlement, du travail du sexe et de l’itinérance; la baisse de l’abordabilité du logement; la baisse des ressources dans le domaine de la santé en raison de l’afflux des travailleurs, et j’en passe. Il s’agit d’une autre facette de la vie où des politiques discriminatoires entraînent des effets néfastes pour les femmes.
Steve Lerner parle de « zones sacrifiées » pour décrire certains endroits. Il s’agit de communautés racisées et à faible revenu qui subissent plus que leur juste part des dommages environnementaux liés à la pollution, à la contamination, aux déchets toxiques et à l’industrie lourde.
Au Sénat, créons-nous nos propres zones de sacrifices ou perpétuons-nous l’existence des zones actuelles en ne tenant pas compte de la manière dont les mesures dont nous débattons et que nous adoptons touchent les personnes marginalisées ou opprimées? De quelle manière nous servons-nous du pouvoir et du privilège qui nous sont accordés pour remédier à la répartition inégale du fardeau environnemental? Nous devons prendre au sérieux la résistance des Premières Nations, des Métis et des Inuits, plutôt que de traiter leurs préoccupations et leurs manifestations comme étant de simples tactiques d’obstruction.
Honorables sénateurs, reconnaître l’ampleur du problème et attirer l’attention sur celui-ci n’est que l’étape la plus élémentaire pour y remédier véritablement. Ce serait un abus flagrant des privilèges qui créent et qui renforcent les problèmes du système que de s’arrêter là. Il nous incombe d’aller plus loin à chaque occasion qui se présente.
Ainsi, je considère les répercussions du projet de loi S-218 comme étant à deux volets. Le premier consiste à favoriser l’égalité entre toutes les Canadiennes. Comment les privilèges d’un groupe de femmes lui permettent-ils de jouir de l’égalité, tandis que d’autres groupes sont laissés pour compte? Il faut s’occuper des questions sous-jacentes et des besoins individuels des populations mal servies et vulnérables en garantissant que les politiques ne sont pas discriminatoires envers les groupes marginalisés. Il faut notamment voir aux besoins uniques de toutes les femmes et les filles, des Premières Nations, des Métis, des Inuits, des membres de la communauté LGBTQ2, des personnes de genre non conforme à la norme, des résidants des communautés nordiques, rurales ou éloignées, des personnes vivant avec un handicap, des nouveaux arrivants, des enfants, des jeunes et des aînés.
En plus d’assurer l’équité entre toutes les Canadiennes, la deuxième mesure prise par ce projet de loi sera d’assurer l’équité entre les femmes et les hommes. Naturellement, les deux étapes se produiront en même temps, puisque chaque fois que l’analyse comparative entre les sexes est appliquée à la loi, elle garantira que les femmes de tous les horizons seront davantage protégées contre des conséquences négatives, voulues ou non. Une fois que ces mesures seront prises et l’équité atteinte, c’est alors que nous pourrons commencer à mener nos activités à un niveau soutenu d’équité entre tous les Canadiens. L’équité est le fondement d’une vie saine, heureuse et épanouie pour tous.
Honorables sénateurs, mieux vaut prévenir que guérir. Il est temps de prévenir ces problèmes discriminatoires évitables fondés sur les politiques, dès le départ, afin d’éviter que les générations futures doivent corriger nos erreurs.
Comme peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits, nous — les peuples les plus vulnérables — voulons l’égalité avec les autres Canadiens. Il ne doit pas y avoir de place pour l’iniquité dans ce pays de possibilités où des traités historiques encadrent nos relations. Malheureusement, la mise à l’écart des peuples des Premières Nations, des Métis, des Inuits et des Indiens non inscrits, et surtout des femmes, des activités économiques, de l’emploi et d’une éducation adaptée à la culture est un problème qu’il faut régler. Je crois que régler ce problème fait partie des nombreuses choses que ce projet de loi permettra de réaliser.
Sénateurs, je vous demande instamment de vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi S-218 et l’application d’une analyse comparative entre les sexes à toutes les futures mesures législatives.
Je veux simplement mentionner que, jeudi, je rencontrerai un groupe de femmes qui ont conçu leur propre méthode d’analyse comparative entre les sexes prenant en considération les questions autochtones. Les femmes entreprennent ce projet parce que personne ne les protège. N’est-ce pas scandaleux qu’elles aient à faire cela? Dans la communauté autochtone, nous nous efforçons de contribuer à l’effort afin de faire avancer les choses. Nous ne restons pas les bras croisés. Je vous exhorte à vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi.