La Loi sur les douanes—La Loi sur le précontrôle (2016)
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
20 juin 2022
Propose que le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Je prends la parole pour lancer le débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Cette mesure législative vise à actualiser la manière de gérer les appareils numériques personnels à la frontière à la suite de décisions des tribunaux sur ce sujet, d’abord en Alberta et, plus récemment, en Ontario.
Pour commencer, je tiens à remercier la sénatrice Boniface de son travail à titre de marraine de ce projet de loi, le sénateur Wells de sa contribution en tant que porte-parole et tous les sénateurs, notamment ceux qui siègent au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, de leurs efforts et de leur engagement. Dans ce projet de loi, comme cela se produit souvent dans les pays démocratiques, nous traitons de questions qui paraissent divergentes, comme les droits fondamentaux, notamment le droit à la vie privée et la protection de notre sécurité. Dans ce cas-ci, il s’agit surtout de protéger la sécurité et la vie privée des enfants victimes de prédateurs sexuels, ainsi que la capacité des agents frontaliers à détecter et arrêter les personnes qui tentent d’introduire au Canada de la pornographie juvénile sur les ordinateurs et les téléphones cellulaires.
Je suis certain que nous comprenons tous le défi que cet exercice représente pour nous en tant que législateurs. Chose certaine, des personnes de bonne volonté et de bonne foi peuvent ne pas s’entendre sur la meilleure façon d’atteindre cet équilibre. En effet, il y a eu un désaccord sur ce que devrait être le seuil juridique pour permettre aux agents frontaliers d’examiner un appareil numérique. Dans la version initiale du gouvernement, le projet de loi proposait le critère de « préoccupations générales raisonnables ». La semaine dernière, nous avons adopté avec dissidence un rapport du Comité de la sécurité nationale qui l’a remplacé par le critère de « motifs raisonnables de soupçonner ». Chers collègues, permettez-moi de prendre un moment pour rappeler aux honorables sénateurs le contexte et le raisonnement du gouvernement qui ont mené au critère de « préoccupations générales raisonnables ».
Tout d’abord, il convient de noter que nous n’avons actuellement aucun seuil légal pour l’examen des appareils numériques personnels à la frontière. Le projet de loi S-7 n’aurait jamais donné de nouveaux pouvoirs aux agents frontaliers. Tant la version initiale que la version actuelle modifiée limiteraient le pouvoir d’examiner les appareils numériques. Le débat n’a jamais porté que sur l’ampleur de cette restriction.
En limitant ce pouvoir, le Canada serait avec la Nouvelle-Zélande l’un des deux seuls pays au monde dont les lois ne donnent pas carte blanche aux agents frontaliers pour fouiller les appareils numériques personnels. En vertu des lois de leurs pays, les agents des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Australie n’ont aucun critère à respecter pour procéder à ces fouilles, et c’est aussi le cas des agents du Canada, du moins pour l’instant.
La Loi sur les douanes du Canada a été rédigée bien avant l’existence des cellulaires et des ordinateurs portables. Elle ne les mentionne donc naturellement pas. Elle précise simplement que toute marchandise apportée au Canada peut être examinée par les agents frontaliers, conformément au principe de longue date selon lequel les attentes en matière de protection de la vie privée sont moins grandes à la frontière qu’à la plupart des autres endroits. Pendant de nombreuses années, l’Agence des services frontaliers du Canada a traité les appareils numériques comme toute autre marchandise, et certaines décisions judiciaires ont appuyé cette approche.
Toutefois, en 2012, pour tenir compte de la nature changeante des téléphones et des ordinateurs au XXIe siècle, l’Agence des services frontaliers du Canada a mis en place sa première politique interne sur l’examen des appareils numériques personnels. Cette politique a placé les appareils numériques dans une catégorie de marchandises spéciales, même si la loi ne l’exigeait pas. Cette politique a ensuite été renforcée en 2015.
Aux termes de la politique de 2015, les agents des services frontaliers ne peuvent fouiller un appareil numérique personnel qu’en présence d’une multiplicité d’indicateurs que les appareils ou les supports numériques pourraient contenir des preuves de contraventions. La politique exige également que les agents désactivent les fonctions de communication par Internet avant de mener la fouille et qu’ils examinent uniquement ce qui est stocké dans l’appareil. En outre, les agents doivent consigner les indicateurs relevés pendant la fouille et les justifier. Cette politique a été modifiée en 2019, mais l’essence est encore la même aujourd’hui.
Autrement dit, l’Agence des services frontaliers du Canada a déjà de nombreuses mesures de protection en place concernant la fouille des appareils numériques et, chers collègues, ce genre de fouille est rare. En 2021, par exemple, les appareils numériques de moins de 0,01 % des voyageurs ont été fouillés. Malgré tout, la Cour d’appel de l’Alberta a indiqué dans sa décision dans l’affaire Canfield, en 2020, que l’existence d’une politique interne était insuffisante et que les appareils numériques personnels devaient être traités différemment dans la loi.
Il y a quelques éléments de cette décision qui doivent être soulignés. Premièrement, il ne s’agissait pas d’une erreur de l’agent. La fouille a bel et bien permis de trouver des fichiers de pornographie juvénile et le tribunal était d’avis que la décision de l’agent de mener une fouille était raisonnable et appuyée par des faits objectifs et défendables. Deuxièmement, les événements étaient survenus en 2014, avant que l’Agence des services frontaliers du Canada renforce sa politique au sujet des appareils numériques en 2015. Troisièmement, le tribunal n’a rien dit au sujet de la validité de la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada, affirmant seulement que la loi devait contenir un seuil. Enfin, le tribunal a affirmé de façon explicite qu’un seuil inférieur aux « motifs raisonnables de soupçonner » pourrait être adéquat. Le tribunal a souligné que le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner » était employé pour les fouilles à nu dans la Loi sur les douanes et que la fouille d’un appareil numérique était, en comparaison, moins intrusive.
Le tribunal a affirmé ceci :
[À] notre avis, le critère pour justifier la fouille d’appareils électroniques peut être inférieur au critère de « motifs raisonnables de soupçonner » nécessaire pour une fouille à nu en vertu de la Loi sur les douanes.
Le gouvernement en convient et a donc développé un nouveau seuil conforme au raisonnement de la cour. L’expression « préoccupations générales raisonnables » représente un seuil moins élevé que l’expression « motifs raisonnables de soupçonner », mais plus élevé que l’absence actuelle de seuil dans la Loi sur les douanes. Contrairement aux affirmations selon lesquelles l’expression « préoccupations générales raisonnables » est vague et vide de sens, le ministre de la Sécurité publique et les représentants de l’ASFC ont expliqué clairement au comité pourquoi cette expression avait été choisie et comment elle devait être appliquée.
Comme l’a dit le ministre : « […] « raisonnable » signifie que les indicateurs factuels de non-conformité relevés doivent être objectifs et vérifiables. » Il s’agit en effet de ce qu’on entend par « caractère raisonnable » dans la loi. Dans certains cas, à la frontière et ailleurs, où les tribunaux considèrent qu’il y a des « motifs raisonnables de soupçonner » et des « motifs raisonnables de croire », ils ne recherchent pas les motifs auxquels un agent pourrait s’attendre. Ils recherchent des motifs raisonnables, une justification ou un élément vérifiable qui pourrait amener une personne raisonnable à avoir des doutes ou des inquiétudes.
Le ministre poursuit en disant :
[...] « générale » vise à faire une distinction avec les seuils plus élevés qui peuvent exiger que les agents déterminent une contravention spécifique avant de commencer l’examen.
Autrement dit, un agent de police procédant à une fouille dans le cadre d’une enquête criminelle a plus de temps et une capacité accrue de rassembler des renseignements à l’avance. Par conséquent, nous pouvons exiger que cet agent soit relativement précis concernant le délit qu’il soupçonne et les preuves qu’il s’attend à trouver. En revanche, les agents des services frontaliers ont très peu de renseignements sur les voyageurs et ils disposent de peu de temps ou d’une capacité moindre pour les rassembler. Nous ne pouvons pas alors nous attendre à ce qu’ils soient aussi précis. Selon le gouvernement, le fait qu’il y ait des indicateurs objectifs que le voyageur cache quelque chose devrait être suffisant, même si l’agent ne peut pas déterminer exactement quoi.
Enfin, comme le ministre l’a expliqué au comité, l’intention derrière l’utilisation de la « préoccupation » plutôt que du « soupçon » était d’établir un critère distinct parce que le contexte est différent. S’il existe un spectre de certitude où la croyance, comme dans « motifs raisonnables de croire », est le degré le plus élevé et le « soupçon » se situe à un degré inférieur, alors la « préoccupation » correspondrait à un degré inférieur au soupçon. De l’avis du gouvernement, ce serait approprié étant donné que les attentes en matière de respect de la vie privée sont plus faibles à la frontière et que la Cour d’appel de l’Alberta a reconnu qu’il pourrait être approprié d’établir des critères moins stricts pour justifier la fouille du téléphone d’une personne qu’une fouille à nu.
À l’étape du rapport, le sénateur Dalphond a souligné que la Loi sur les douanes utilise l’expression « motifs raisonnables de soupçonner » dans certains contextes autres que les fouilles à nu. C’est un argument valable qui mérite une réponse réfléchie. De l’avis du gouvernement, il existe certaines différences essentielles entre l’examen d’un appareil numérique personnel à un point d’entrée et les autres utilisations du seuil de « motifs raisonnables de soupçonner » prévues par la Loi sur les douanes.
Par exemple, les alinéas 99(1)b) et c.1) prévoient que l’agent doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour ouvrir les envois, mais il peut examiner de bien des façons une enveloppe ou un colis sans que ce critère soit respecté. Il peut en examiner l’extérieur pour vérifier son origine et sa destination. Il peut le peser. Il peut en balayer l’extérieur pour détecter la présence de matières organiques telles que des drogues. Il peut même le passer aux rayons X pour avoir une meilleure idée de son contenu. Tout cela peut se faire sans qu’il soit nécessaire de satisfaire au moindre critère, et ces procédures aident les agents à glaner des renseignements pour, éventuellement, former des motifs raisonnables de soupçonner une infraction.
Par contre, on ne peut passer un téléphone cellulaire aux rayons X pour avoir une meilleure idée de son contenu ni en examiner l’extérieur pour vérifier qui envoie des messages à qui. En pratique, les « motifs raisonnables de soupçonner » constituent un critère plus difficile à atteindre pour les appareils numériques que pour le courrier.
Les alinéas 99(1)d) et d.1) exigent la présence de motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour réexaminer des marchandises afin de vérifier si une erreur a été commise dans la détermination des droits de douane applicables ou du lieu d’origine, mais il s’agit d’un réexamen. L’examen initial est effectué en vertu d’un pouvoir limité par aucun critère. L’agent est tenu de respecter le critère uniquement s’il souhaite procéder à une deuxième vérification.
Les alinéas 99(1)e) et f) exigent que les agents aient des motifs raisonnables de soupçonner des marchandises et des moyens de transport pour les examiner, mais, chose cruciale, ces alinéas s’appliquent au-delà du contexte immédiat d’un passage frontalier. Par exemple, si une personne est passée à la douane et qu’un agent la voit dans le couloir en train de déballer un paquet sous sa chemise, l’agent aurait besoin de motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour effectuer un contrôle. Autre exemple : si un agent voit un camion suspect sortir des bois près d’un poste frontalier, il aurait besoin de motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour le fouiller.
Cependant, à un point d’entrée, où il est bien compris et accepté que les attentes en matière de protection de la vie privée sont moindres, les marchandises — telles que définies à l’article 2 de la loi pour inclure les moyens de transport — peuvent être examinées sans motif, conformément à l’alinéa 99(1)a).
Chers collègues, tout cela pour dire qu’il y a des différences importantes entre l’examen des appareils numériques personnels à un point d’entrée et dans d’autres contextes où l’expression « motifs raisonnables de soupçonner » est utilisée dans la Loi sur les douanes. Au bout du compte, le gouvernement a proposé la norme des « préoccupations générales raisonnables » afin d’exiger un degré de certitude inférieur à celui du soupçon, mais tout de même fondé sur des indicateurs objectifs qui peuvent être articulés et vérifiés.
De plus, si l’article 7 venait à entrer en vigueur, il serait assorti de la réglementation nécessaire pour préciser dans le détail la manière d’exécuter les vérifications des appareils numériques. L’ébauche des dispositions législatives a été présentée au Comité de la sécurité nationale avec des éléments de la politique actuelle, par exemple les exigences relatives à la désactivation de la connectivité et à la prise de notes. Néanmoins, le Comité de la sécurité nationale s’est penché sur la question, a entendu les témoignages et a choisi de remplacer « préoccupations générales raisonnables » par « motifs raisonnables de soupçonner ». Je comprends totalement l’attrait de privilégier une norme qui existe déjà et qui, par conséquent, peut prendre appui sur une jurisprudence étoffée.
Parallèlement, honorables collègues, le gouvernement s’inquiète que le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner » ne restreigne inutilement la capacité des agents des services frontaliers d’interdire les activités illégales, par exemple la contrebande du matériel d’exploitation des enfants. Cette inquiétude a été soulevée en comité par Me Monique St. Germain, du Centre canadien de protection de l’enfance, qui a déclaré ce qui suit :
Je ne suis tout simplement pas certaine que le fait de hausser les motifs raisonnables de soupçonner dans ce contexte va permettre aux agents des services frontaliers de faire ce qu’ils doivent pour protéger les enfants à la frontière.
Nous pouvons avoir une bonne idée des répercussions éventuelles de cette norme en jetant un œil sur les données de l’Agence des services frontaliers pour le mois dernier. Les décisions des tribunaux de l’Alberta et de l’Ontario sont entrées en vigueur à la fin du mois d’avril, ce qui a eu comme conséquence concrète de mener à l’application automatique des motifs raisonnables de soupçonner dans ces provinces.
Comme l’a souligné la semaine dernière la sénatrice Boniface, en mai 2021, dans les deux provinces, l’Agence des services frontaliers du Canada a contrôlé près de 600 000 voyageurs, examiné 63 dispositifs et constaté 17 infractions. En mai dernier, le nombre de voyageurs a quadruplé en raison de l’assouplissement des restrictions liées à la COVID, mais le nombre d’examens de dispositifs est passé à 18 et seulement 4 infractions ont été constatées.
Il n’est pas possible de connaître le nombre d’infractions qui sont passées inaperçues. Jusqu’à maintenant, il s’agit d’un petit échantillon, et il se peut que mai 2022 était un mois léger. Ces chiffres devraient nous faire réfléchir. Certaines infractions constatées par l’Agence des services frontaliers du Canada sont des infractions à la Loi sur l’immigration ou concernent des biens non déclarés, mais nombre d’entre elles touchent, comme je l’ai dit, l’exploitation sexuelle d’enfants. Malheureusement, il y a des Canadiens qui voyagent à l’étranger, qui maltraitent des enfants vulnérables et qui rentrent avec des souvenirs macabres sous forme de photos ou de vidéos. Je suis sûr que nous voulons tous que les agents frontaliers disposent des outils juridiques nécessaires pour détecter et décourager ce genre d’activités.
En supposant que nous adoptions le projet de loi S-7 en troisième lecture, il appartiendra à nos collègues de l’autre endroit de mener une étude plus approfondie. Je m’attends à ce qu’ils examinent bon nombre des questions qui ont été soulevées au cours de notre étude de ce projet de loi. Ils pourraient en outre bénéficier d’un plus grand échantillon de données de l’Agence des services frontaliers du Canada pour mieux comprendre comment les critères juridiques minimaux pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner en Alberta et en Ontario influent sur les opérations. Je suis sûr qu’ils analyseront également les autres amendements faits par le Sénat. L’un d’eux intègre l’obligation de désactiver la connectivité réseau dans la loi plutôt que dans le règlement, ou peut-être dans la loi en plus du règlement.
D’un point de vue pratique, c’est certainement un objectif que le gouvernement partage. Cependant, il y a eu une discussion au comité sur les détails du libellé et sur l’idée selon laquelle laisser cela dans le règlement, étant donné la vitesse de l’évolution technologique, pourrait constituer une approche plus souple.
L’autre amendement concerne une autorité réglementaire liée à la protection du secret professionnel. Encore une fois, le gouvernement partage l’objectif, et j’ai hâte que le comité de l’autre endroit entende, au sujet de cet amendement, certains des mêmes témoins que notre comité a entendus, y compris l’Association du Barreau canadien.
Enfin, chers collègues, j’aimerais dire un mot sur les témoins. On a dit à juste titre qu’à l’exception notable du Centre canadien de protection de l’enfance, la plupart des témoignages entendus au comité étaient favorables à la norme sur les « motifs raisonnables de soupçonner ». Les témoins étaient certainement des personnes très éminentes, comme les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée et de l’Association canadienne des libertés civiles, qu’il faut entendre dans le cas de mesures législatives de ce genre.
En même temps, je dirais qu’il est beaucoup plus facile d’entendre le témoignage de professeurs de droit au comité que de ceux de jeunes enfants ou de particuliers dont on ne connaît pas le nom et dont on n’entendra probablement jamais parler.
Chers collègues, je ne cherche pas un instant à minimiser l’importance des témoins provenant de facultés de droit ou de la société civile, bien au contraire. Il est important de se rappeler que lorsque la majorité des témoignages vont dans le même sens, c’est peut-être parce que des gens ayant des opinions ou des intérêts différents sont confrontés à des obstacles qui les empêchent de nous transmettre leur point de vue.
J’espère qu’en analysant ce projet de loi, nous avons fait de notre mieux pour nous mettre à la place des autres, et que nous nous sommes mis à la place des personnes de couleur, des musulmans et des membres des peuples autochtones qui sont préoccupés par les préjugés et le traitement injuste à la frontière. La sénatrice Jaffer et le sénateur Yussuff ont exprimé ces préoccupations avec éloquence en comité, tout comme les sénatrices Ataullahjan, McCallum et Omidvar l’ont fait dans cette Chambre.
J’espère que nous avons également tenté de nous mettre à la place des enfants vulnérables dans les bordels, les ruelles et les chambres d’hôtel à l’autre bout du monde qui n’ont jamais entendu parler du projet de loi S-7 et qui ne savent pas ce qu’est l’ASFC, mais qui sont touchés par nos choix.
Comme je l’ai dit dès le départ, cette mesure législative requiert un délicat équilibre d’intérêts et de considérations ayant des conséquences bien réelles et des préoccupations contradictoires.
Chers collègues, je remercie le comité pour son étude consciencieuse et attentive de ce projet de loi important. Merci de votre attention.
Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien sûr.
Un ordinateur portable personnel peut-il être considéré comme de la propriété intellectuelle plutôt que comme un bien?
Je vous remercie de votre question. Je crois que, selon la définition prévue par la loi, un ordinateur portable personnel serait considéré comme un bien. La propriété intellectuelle est typiquement quelque chose de moins tangible. Je ne crois donc pas que ce terme s’appliquerait à un ordinateur.
Comment les éléments de propriété intellectuelle qui se trouvent sur l’ordinateur portable seront-ils traités?
Merci de votre question. Encore une fois, si je comprends bien comment la loi s’appliquera en pratique, quels que soient les critères qui seront prévus dans la loi, quand ces critères seront satisfaits, les agents des services frontaliers auront le droit de procéder à une fouille. S’ils trouvent du matériel qui contrevient à une loi, ils prendront évidemment les mesures appropriées. Je présume que le matériel qui ne contrevient pas à une loi sera traité de la même façon et avec le même respect que les biens personnels doivent être traités en vertu de nos lois.
Sénateur Gold, merci beaucoup de votre exposé.
Le Comité de la sécurité nationale et de la défense a un comité directeur très compétent et celui-ci a choisi 12 témoins. Vous dites que nous n’avons pas fait comparaître d’enfants devant notre comité. Ces témoins sont des personnes réputées qui, j’en suis persuadée, ont étudié le sujet. Je pense qu’il est un peu injuste de dire qu’ils ne pouvaient pas parler au nom des enfants. Je ne peux pas répéter les mots que vous avez dits parce que je ne les ai pas sous les yeux, mais je pense que c’est un peu injuste.
Le comité directeur a eu l’occasion d’appeler les témoins. Ils auraient pu appeler des enfants s’ils l’avaient jugé nécessaire. En tant que présidente, je l’ai fait à maintes reprises. Compte tenu du fait qu’ils ont appelé 12 personnes crédibles au comité, ne pensez-vous pas qu’ils ont pu équilibrer le nombre de témoins? Ne pensez-vous pas que vous avez été injuste dans la manière dont vous avez parlé des témoins qui se sont présentés devant nous et ont fourni un bon témoignage?
Je vous remercie de votre question et de me donner l’occasion de clarifier mon intention et mes paroles mal choisies.
Je vais répéter que je me suis efforcé de respecter le travail du comité et les commentaires des témoins qui ont été convoqués. Ce que j’essayais de dire dans le passage dont vous avez parlé, et je parlais de l’exploitation des enfants, c’est que les victimes qui ont été exploitées, dans des pays éloignés, n’ont pas l’occasion de prendre la parole.
Sénatrice Jaffer, chers collègues, j’ai choisi mes mots avec soin. J’ai expliqué la raison du gouvernement pour avoir choisi le critère qu’il a choisi, et j’ai fait mon plaidoyer du mieux que je l’ai pu — comme l’a fait la sénatrice Boniface avec plus d’éloquence que moi — pour que le compte rendu reflète la justification du gouvernement dans ce dossier.
Je respecte le travail du comité et je respecterai la décision du Sénat lorsque nous passerons à l’étape de la troisième lecture. Vous remarquerez que je n’ai rien dit à ce sujet — mes mots parlent d’eux-mêmes. Je tenais à préciser la position du gouvernement. Le gouvernement continue de croire qu’un critère moins élevé est justifiable et constitutionnel, mais il respecte également les opinions contraires — celles des témoins et certainement celles du comité. Lorsque nous passerons à l’étape de la troisième lecture, plus tard cette semaine, je crois bien, je serai satisfait, comme représentant du gouvernement, que le Sénat ait fait son travail. Quel que soit le résultat du vote à l’étape de la troisième lecture, je m’attends à ce que notre travail soit pris au sérieux à l’autre endroit, comme il se doit.
Puis-je vous poser une autre question?
Bien sûr.
Sénateur Gold, vous avez fait du bon travail, et je n’ai jamais dit le contraire. Vous avez exprimé votre position. J’ai seulement critiqué votre façon de parler des excellents témoins qui ont comparu devant le comité. Je n’ai pas voulu le souligner dans mon discours, car, autrement, vous n’auriez pas eu l’occasion d’en parler.
J’ai une autre question à vous poser. En réponse à ma question sur la prise de notes, le ministre a dit que, peu importe si la personne a commis une infraction ou non, des notes seront prises à son sujet. Le ministre a été très clair à cet égard.
Ensuite, nous avons entendu le commissaire à la protection de la vie privée, qui a dit que six plaintes ont été déposées au sujet des piètres normes en matière de prise de notes par les fonctionnaires, et qu’il était fort insatisfait de ces normes. Ensuite, les fonctionnaires ont dit qu’on ne dépenserait pas davantage pour implanter la nouvelle norme.
Où sont les mesures de protection? Ces gens ont dit qu’ils prendront des notes s’ils arrêtent quelqu’un, même s’il n’y a pas eu d’infraction, mais le commissaire à la protection de la vie privée dit qu’il n’est pas satisfait de la prise de notes.
Merci de cette question. Je suis au courant de ce témoignage. On le dit souvent, et c’est vrai, la rigueur des travaux de nos comités fait l’excellence du Sénat.
Cependant, n’oublions pas que l’Agence des services frontaliers du Canada applique depuis maintenant des années un ensemble de politiques régissant la fouille de ces appareils, mais que la cour a déterminé que ces politiques n’étaient pas constitutionnelles parce qu’elles n’étaient pas prescrites par la loi.
Ainsi, le gouvernement est d’avis qu’en inscrivant les règles et procédures dans la loi et les règlements, elles satisferont aux critères de constitutionnalité énoncés par la cour.
Si je puis m’avancer, je crois que cela explique pourquoi le projet de loi S-7 ne changera pas nécessairement la façon dont les agents frontaliers détermineront si une fouille s’impose sur le terrain. C’est mon interprétation de la réponse à la question concernant l’octroi de ressources supplémentaires.
Sénateur Gold, je vous remercie de votre discours réfléchi et éclairant. J’ai quelques questions.
Sénateur Gold, de multiples rapports, y compris un de la Commission canadienne des droits de la personne, ont conclu que les personnes racisées ou autochtones sont beaucoup plus susceptibles d’être choisies pour les soi-disant contrôles au hasard et questionnements supplémentaires. Une étude a révélé que 79 % des musulmans — ou leurs proches et amis — ont fait l’objet d’un traitement injuste. Nous avons entendu à maintes reprises notre collègue la sénatrice Jaffer dénoncer avec vigueur le fait qu’elle est régulièrement choisie pour les contrôles au hasard.
Craignez-vous que les agents frontaliers abusent de leur autorité pour accéder à nos téléphones qui contiennent des détails intimes sur tous les aspects de nos vies? En fait, nos téléphones sont devenus un prolongement de nos vies intérieures.
Je vous remercie de votre question. Le profilage et les préjugés raciaux ont été soulevés, à juste titre, dans les délibérations du comité. Il serait insensé et répréhensible de ne pas reconnaître cette réalité.
Cela dit, nous ne parlons pas de fouilles d’appareils numériques au hasard. Dans le projet de loi S-7, un critère objectif doit être respecté pour atteindre le seuil juridique, que l’on pense aux motifs raisonnables de soupçonner ou aux préoccupations générales raisonnables. L’un ou l’autre ne permet pas simplement aux agents frontaliers de procéder au hasard. Nous pouvons être en désaccord. De toute évidence, le comité était d’avis qu’un critère légèrement plus élevé était plus approprié. Je respecte cette décision. Cependant, même avec un critère de « préocupation générale », ces fouilles ne se font pas simplement pour satisfaire les caprices d’un agent frontalier, même si nous reconnaissance qu’il existe du profilage racial et des préjugés raciaux conscients et peut-être inconscients, comme je l’ai dit avant. Ce serait ridicule de le nier. Les statistiques révèlent que, même sans critère juridique, les examens des appareils numériques sont extrêmement peu fréquents, ce qui est quelque peu rassurant. J’ai dit que 0,01 % de ces appareils font l’objet d’une fouille. Ces examens sont non seulement peu fréquents, mais ils permettent de détecter les infractions bien plus souvent que les autres types d’examen.
Permettez-moi de vous donner un exemple. En 2021, 27 % des fouilles d’appareils numériques — qui, je le répète, sont peu fréquentes — ont donné lieu à la découverte d’une infraction. Cela a permis de détecter des infractions dans 27 % des cas, par rapport à 4 % pour les autres fouilles à la frontière. Cela indique que les agents frontaliers font un assez bon travail en se servant d’indicateurs et de critères objectifs pour déterminer les situations où il est vraiment approprié de fouiller un appareil numérique.
Encore une fois, permettez-moi de citer les propos de Scott Millar, un représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada, lors de son témoignage au comité :
[…] non seulement le racisme est illégal et contraire à nos valeurs, mais il est également stupide d’un point de vue opérationnel, si je peux être franc. Il ne nous aide pas à obtenir le genre de résultats et de taux dont nous parlons ici.
J’espère que cela répond à votre question.
Sénateur Gold, je suis ravie que le racisme soit illégal, mais il faut bien admettre qu’il existe. Je parle au nom d’une communauté qui fait régulièrement l’objet de fouilles aléatoires. C’est presque devenu une blague lorsqu’on commence une histoire par : « Alors, j’ai été intercepté et voilà ce qu’ils voulaient savoir. » Ma question est la suivante. Le gouvernement a‑t‑il un plan pour éviter que le projet de loi S-7 soit explicitement utilisé pour violer les droits à la vie privée de certains groupes qui font déjà l’objet de discriminations à la frontière?
Une fois de plus, j’ai bien reconnu cette réalité dans la réponse que j’ai donnée, sénatrice. Le gouvernement ne fait pas l’autruche. Je sais que des préoccupations ont été exprimées au comité concernant la portée — ou le manque de portée — de la formation des agents à ce sujet. Je suis aussi conscient que l’Agence des services frontaliers du Canada a fourni au comité des données supplémentaires sur la nature de la formation, qui comprend deux heures sur la diversité et les relations raciales, et une heure entière sur la prévention des préjugés inconscients. Nous savons que c’est un problème. La formation consacre aussi une heure et demie au traitement des voyageurs autochtones et deux heures à l’analyse comparative entre les sexes. D’autres formations sont prévues.
Honorables sénateurs, il reste que ce projet de loi porte sur les critères légaux et les problèmes liés à la fouille des appareils numériques. Il ne s’agit pas d’ouvrir la porte aux fouilles aléatoires irraisonnées. Il faut que l’agent ait des « motifs raisonnables de soupçonner » ou des « inquiétudes raisonnables » ou qu’il respecte un autre critère juridique. Il est raisonnable de penser qu’il serait possible que des préjugés inconscients ou conscients influencent la décision de l’agent, et nous devons tout faire pour y remédier. À strictement parler, il s’agit d’un problème important, mais bien distinct de la question qui nous occupe, soit la définition des critères légaux à respecter pour la fouille d’un appareil numérique.
Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien sûr.
Je n’avais pas l’intention de participer au débat, mais les observations de la sénatrice Jaffer et de la sénatrice Ataullahjan concernant le risque d’appliquer des stéréotypes et, en particulier, les communautés vulnérables, marginalisées ou racisées me poussent à vous poser une question. C’est la seule partie du projet de loi qui me préoccupe.
Vous avez parlé des trois mots dont nous débattons et qui ont été retirés du projet de loi par la voie d’un amendement. Le mot pour lequel j’aimerais surtout connaître votre point de vue est le mot « générales ». J’accepte vos observations selon lesquelles « raisonnables » exige une description objective, mais le fait est que les personnes qui se font arrêter à la frontière se font arrêter à titre de particuliers. Je ne comprends vraiment pas l’intérêt de choisir un mot comme « générales » plutôt que « précises ». Même le mot « préoccupations » a été adopté. Il me semble que le mot « générales » invite l’agent frontalier à fonder son intervention sur des critères qui ne concernent pas précisément la personne visée, ce qui laisse place à des problèmes tels que ceux que les deux dernières sénatrices qui ont posé des questions ont soulevés. Pourriez-vous parler de cela?
Merci, sénateur, de votre question. Bien sûr, le gouvernement et moi avons aussi cette préoccupation — que tout le monde devrait avoir — quant au risque que l’application d’un critère juridique puisse favoriser les préjugés et le profilage racial.
Je crois que cette préoccupation plus générale concerne le fait que, dans le cas de la fouille des appareils numériques, contrairement à d’autres mesures — j’en ai parlé dans mon discours —, l’agent peut ne pas avoir d’infraction précise en tête et ne sait pas sur quoi il pourrait tomber, parce qu’il prend une décision sur le vif, même si elle est fondée sur des indicateurs objectifs de la possibilité de trouver des éléments compromettants.
Des témoins ont indiqué au comité en quoi consistent certains de ces indicateurs. Je crois que ces derniers reposent en grande partie sur le fait que la personne qui se trouve devant l’agent a, dans la façon dont elle a répondu aux questions de routine, donné des indications quant au fait que quelque chose n’est pas normal, ce qui a mené à son envoi à l’examen secondaire; à ce moment, il est fort possible que l’agent soit arrivé à la conclusion que le critère a été satisfait.
Sénatrice Ataullahjan, vouliez-vous poser une question?
Oui. Sénateur Gold, les préjugés existent. Je repense au jour où ma belle-mère, qui se trouvait être l’une des premières femmes médecins du sous-continent indien, est venue me rendre visite. Étant donné qu’elle portait des vêtements traditionnels, l’un des agents a dit : « Oh là là! Je me demande si elle parle anglais. » Ce à quoi elle a rétorqué : « Et comment! »
Selon un rapport de l’American Civil Liberties Union, 96 % des personnes appréhendées par les agents frontaliers américains ont été identifiées comme étant racisées. Trois agents du Service des douanes et de la protection des frontières ont intenté une poursuite contre l’agence en alléguant qu’ils étaient tenus de profiler les personnes racisées. Comme l’a indiqué le Washington Post, « conduire avec la peau brune ou noire est une raison clé pour être arrêté par la patrouille frontalière ».
Pourquoi le gouvernement accorde-t-il des pouvoirs accrus relatifs à la fouille à une organisation déjà connue pour cibler les personnes racisées sans distinction? C’est la dernière question que j’ai à vous poser, sénateur Gold.
Permettez-moi d’essayer de répondre à vos questions. Vous soulevez un point important. Sachez que rien de ce que je vais dire dans ma réponse ne vise à diminuer l’importance du problème que vous soulevez.
Voici le problème dont nous sommes saisis dans le projet de loi S-7 : jusqu’à ce que le projet de loi S-7 soit adopté, il n’y a aucune restriction sur le pouvoir ou la capacité d’un agent frontalier de fouiller un appareil numérique. Je le répète, ces cas ne représentent qu’une infime fraction des fouilles effectuées sur les personnes qui traversent les frontières. À l’heure actuelle, il n’y a aucune limite prévue dans la loi. Il y a eu des limites dans la politique, comme nous le savons. La cour ne prétend pas que notre politique est mauvaise, mais elle maintient qu’elle n’est pas prescrite par la loi. Nous avons la garantie d’une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée en vertu de la Charte. Vous ne pouvez limiter cette attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ou, en fait, de tout droit que s’il s’agit d’une limite raisonnable prescrite par la loi.
Le gouvernement a présenté le projet de loi afin de mettre en place, pour la première fois, des critères juridiques auxquels les agents doivent se conformer — et de faire du Canada l’un des deux pays seulement à utiliser de tels critères. S’agit-il des bons critères? Le gouvernement pensait que oui; le comité a pensé le contraire. Je n’ai aucune raison de supposer que la Chambre dans son ensemble ne sera pas d’accord avec le comité. Le travail du comité, qui a été diligent, doit être respecté. Je fais consigner au compte rendu la position contraire du gouvernement, ce que nous avons fait au comité. C’est ma responsabilité de le faire et je le fais avec fierté.
Toute norme juridique — cela pourrait être un « motif raisonnable de savoir » — peut être utilisée à mauvais escient par quelqu’un cherchant, consciemment ou inconsciemment, à cibler un groupe racisé ou un membre d’une minorité religieuse. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire par la formation, l’éducation et la demande de reddition de comptes aux personnes concernées afin d’essayer de résoudre ce problème, qui est réel.
Le projet de loi S-7 introduit des critères juridiques là où il n’y en avait pas auparavant. L’enjeu est vraiment de déterminer les bons critères à imposer pour protéger notre vie privée.
Tous les autres points que vous avez soulevés sont vraiment fondamentaux et importants. Ils font référence à la façon juste dont notre société applique les lois, pas seulement en ce qui concerne les appareils numériques, mais aussi la conduite et tous les aspects de la vie, comme par exemple faire l’objet d’un suivi lorsqu’on va magasiner. Des collègues ont parlé de ce qui leur était arrivé à ce sujet. Je ne cherche absolument pas à minimiser cela.
Strictement parlant, la question de savoir où se situe le seuil n’est pas la même que celle de savoir si celui-ci sera appliqué de façon juste, raisonnable et non discriminatoire, comme ça devrait être le cas et comme nous espérons qu’il le sera.
Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien entendu.
Sénateur Gold, j’aurais été beaucoup plus à l’aise avec ce projet de loi s’il avait été précédé par une mesure législative établissant une surveillance civile indépendante de l’Agence des services frontaliers du Canada.
Avez-vous un commentaire à formuler à ce sujet?
Je vous remercie de votre question. Je pense qu’il était grand temps que l’Agence des services frontaliers du Canada ait l’autorité d’assurer une surveillance adéquate. D’ailleurs, cet objectif est inscrit dans la lettre de mandat du ministre. C’est un enjeu sur lequel le gouvernement voulait se pencher attentivement.
Dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, qui se définit, de manière positive, par un marchandage soutenu ou, de manière négative quoique plus juste, par d’innombrables tentatives d’obstruction, nous n’avons pas réussi à intégrer tous les projets de loi — sans égard à leur importance — assez rapidement dans le processus législatif, et cela comprend la liste des priorités du gouvernement, pour être honnête.
J’espère — et je sais que c’est aussi le souhait du gouvernement — qu’un projet de loi qui confère à l’Agence des services frontaliers du Canada des pouvoirs adéquats en matière de surveillance soit présenté, débattu et, ultimement, approuvé, car cet un élément essentiel qui viendrait combler certaines lacunes et permettrait que l’agence rende des comptes de manière exhaustive, comme il se doit. Malheureusement, nous n’y sommes pas encore, mais j’espère que nous y arriverons bientôt.
Sénateur Gold, autrement dit, d’ici à ce que ce projet de loi se concrétise, les Canadiens qui estiment avoir été ciblés injustement n’ont qu’un seul recours et c’est de porter plainte à l’Agence des services frontaliers du Canada, plainte qui sera traitée à l’interne par l’agence. Est-ce exact?
Encore une fois, permettez que je réponde simplement ainsi : tant qu’aucun changement n’est apporté, les gens qui croient avoir été traités injustement pourront seulement recourir aux procédures existantes.
Encore une fois, le projet de loi S-7 modifié dont nous sommes saisis établit, pour la première fois, un critère légal relativement aux fouilles des dispositifs numériques. Il s’agit d’un projet de loi qui vise très précisément les décisions des tribunaux que j’ai citées.
Les questions beaucoup plus vastes concernant la surveillance devront attendre un autre jour. Lorsque nous aurons l’occasion de recevoir un tel projet de loi, je suis convaincu que nous nous pencherons là-dessus avec la même diligence et la même intensité que celles dont nous avons fait preuve relativement au projet de loi dont nous sommes actuellement saisis.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Avant toute chose, merci au sénateur Gold de son discours, à la sénatrice Boniface qui agit comme marraine et, bien sûr, aux membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du travail accompli pendant l’étude du projet de loi. Enfin, je remercie le sénateur Smith de m’avoir gentiment cédé sa place au comité pendant l’étude de ce projet de loi.
La première fois que j’ai pris la parole à propos de ce projet de loi le mois dernier, à l’étape de la deuxième lecture, je me suis étonné qu’il ait tant tardé à être soumis au Sénat. Il s’agit, en effet, d’une mesure législative importante, puisqu’elle gouvernera la façon d’examiner les appareils numériques personnels aux frontières du pays.
Comme nous le savons tous, beaucoup d’appareils numériques personnels peuvent renfermer la vie complète d’un voyageur. Le cadre législatif entourant l’examen de ces appareils est donc d’une grande importance. Les appareils numériques des Canadiens contiennent une multitude de renseignements personnels, par exemple ceux-ci : dossiers médicaux, documents financiers, correspondance confidentielle, photos de famille, calendriers et agendas détaillés, listes d’emplettes et historique de géolocalisation de la personne.
Le cadre législatif doit être défini avec soin, car il a une incidence sur les droits relatifs à la protection de la vie privée garantis par la Charte des droits et libertés.
Les appareils numériques contiennent plus d’informations personnelles que jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité et, par conséquent, ils méritent une protection constitutionnelle plus élevée. Chers collègues, il faut donc nous assurer que le cadre juridique régissant l’examen des appareils numériques personnels est également assez solide pour protéger les frontières et mettre fin à des activités criminelles telles que l’importation de pornographie juvénile.
L’atteinte d’un juste équilibre faisait partie des directives fournies par la Cour d’appel de l’Alberta lorsqu’elle a rendu sa décision dans l’affaire R. c. Canfield. Dans cette décision, la cour a déclaré :
Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile. Il reviendra au Parlement de définir, s’il le choisit, une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser de telles fouilles à la frontière.
Comme la cour l’indique, l’équilibre est crucial dans ce dossier.
Ce qui me préoccupe, c’est que même si le tribunal a statué sur cette question en octobre 2020, le gouvernement a, dans l’intervalle, complètement échoué à créer un environnement politique où la meilleure solution pourrait être discutée et adoptée.
Le gouvernement a présenté le projet de loi dont nous sommes saisis il y a quelques semaines à peine. Avant cela, il n’y avait eu aucune consultation auprès des parties externes par les représentants du gouvernement. Il n’y avait aucune indication de ce que le gouvernement envisageait. Au lieu de cela, on a balancé un projet de loi au Sénat en lui demandant de l’adopter le plus rapidement possible. De plus, vous vous souviendrez, chers collègues, qu’il a été présenté au Sénat le jour de l’échéance de la prolongation du délai.
En fait, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu sa décision invalidant les dispositions de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes en octobre 2020. Elle a donné au gouvernement 18 mois pour réviser la loi, soit 12 mois au départ, puis 6 mois de prolongation, comme je l’ai souligné.
Voilà la période pendant laquelle le gouvernement aurait dû consulter le Parlement, des experts juridiques externes, des groupes de défense des libertés civiles, des personnes préoccupées par l’influx de pornographie juvénile, le syndicat des agents des services frontaliers, des groupes policiers et, chers collègues, les citoyens dont les droits et libertés peuvent maintenant être enfreins.
Au Comité des affaires juridiques, des témoins provenant de groupes de défense des libertés civiles, de l’Association du Barreau canadien et du Commissariat à la protection de la vie privée ont confirmé ne jamais avoir été consultés quant à leur point de vue sur l’équilibre entre la sécurité et la confidentialité aux postes frontaliers. De toute évidence, ces organismes ont des points de vue. D’éminents juristes y ont réfléchi, ont examiné cet enjeu et en discutent depuis un bon bout de temps.
Cependant, honorables collègues, le gouvernement ne les a tout simplement pas consultés. Pendant les 18 mois dont il disposait, il a mené un processus interne dont le principal objectif consistait simplement à inscrire dans la loi les politiques et pratiques en vigueur à l’Agence des services frontaliers du Canada. Or, d’après ce que nous avons observé dans le cadre de nos délibérations, l’ASFC ne suit même pas ses propres politiques.
Le gouvernement ne nous a aucunement expliqué pourquoi il a attendu 18 mois avant de nous renvoyer ce projet de loi, mais nous devons quand même composer avec les graves conséquences de ce retard. Par exemple, il y a manifestement des lacunes dans l’application de la loi en Alberta et en Ontario. Dans ces provinces, les dispositions de l’alinéa 99(1)a) ne sont plus en vigueur, et la solution que le gouvernement propose devrait, selon toute vraisemblance, se faire attendre pendant des années, comme des témoins nous l’ont indiqué. De l’aveu même du ministre, dans ces provinces, les examens effectués par les agents frontaliers à l’égard des appareils numériques personnels ont diminué de 60 %.
Cela pourrait poser de graves problèmes. Nous pourrions avoir créé une échappatoire pour les activités criminelles. Il se pourrait que des criminels et des organisations criminelles tirent profit de cette lacune dans la loi, ou que l’on accorde une importance exagérée aux mesures proposées par le ministre. Nous savons que la grande majorité des documents électroniques illégaux viennent du Web, des services infonuagiques ou de pièces jointes sur des serveurs de courrier électronique inaccessibles.
Est-ce qu’un nombre inférieur d’examens équivaut nécessairement à une occasion pour les criminels? Nous en savons peu à ce sujet, en partie parce que le gouvernement ne nous a fourni aucun détail ni aucune preuve ou analyse approfondie.
Néanmoins, chers collègues, en dépit de quatre réunions du comité sur ce projet de loi, je demeure incertain quant aux diverses implications potentielles.
Cela est d’autant plus troublant que le gouvernement cherche à introduire un concept juridique nouveau et non éprouvé dans le projet de loi S-7 et que ce concept sera très probablement contesté, ce qui entraînera une longue attente avant qu’un projet de loi à cet égard ne devienne une loi qui vaille.
Comme je l’ai indiqué, en proposant le projet de loi S-7, le gouvernement a essentiellement pris les politiques et pratiques existantes de l’Agence des services frontaliers du Canada en matière d’examen des appareils numériques personnels et il a simplement tenté de codifier ces pratiques dans la loi. Toutefois, ce faisant, il a proposé d’introduire le nouveau concept juridique de « préoccupation générale raisonnable ». On nous a fourni de l’information vague sur la manière dont ce nouveau critère juridique de « préoccupation générale raisonnable » fonctionnerait en réalité et sur ce qui en amènerait l’application. On nous a dit, par exemple, qu’il pourrait être appliqué en présence de divers indicateurs et d’un indicateur spécifique dans certaines circonstances. On nous a dit qu’il pouvait même être appliqué simplement en fonction du pays de départ initial.
Ces divers indicateurs, cet indicateur spécifique ou l’absence d’indicateur légitime pourraient s’avérer très différents selon l’agent de l’ASFC, peu importe la qualité de sa formation.
Cet indicateur en particulier ou ces quelques indicateurs pourraient être différents pour les contrôleurs américains. Ils sont formés au sein d’une culture organisationnelle différente. Ils ont peut-être travaillé précédemment à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. On peut comprendre que leur interprétation du concept de « préoccupations générales raisonnables » pourrait être bien différente de celle de leurs homologues canadiens.
Lorsque le ministre a comparu devant le comité sénatorial, il nous a dit que si un critère plus élevé — comme le critère bien connu et éprouvé par les tribunaux de « motifs raisonnables de soupçonner » — devait s’appliquer, il « compromettrait l’intégrité des frontières ». Il a dit que cela ne faisait aucun doute, mais il n’a fourni aucune donnée probante pour appuyer cette affirmation.
Comme l’a dit Michael Nesbitt de la Faculté de droit de l’Université de Calgary pendant son témoignage au comité :
[...] les agents des services frontaliers auront presque toujours raison de s’inquiéter de la possibilité que quelque chose soit importé illégalement au pays par un moyen ou un autre. Mais la cour a clairement dit dans l’affaire Canfield qu’il devait y avoir une norme, qu’elle a appelée un seuil [...]
Chers collègues, les « préoccupations générales raisonnables » ne constituent pas un seuil.
D’autres témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial, y compris les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée, ont fait remarquer que les droits à la vie privée qui sont touchés par l’examen d’un appareil numérique personnel devraient commander un niveau de protection bien plus élevé que les « préoccupations générales raisonnables », un concept mal défini.
Benjamin Goold, professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, a expliqué qu’en exigeant d’avoir des « motifs raisonnables de soupçonner » plutôt que des « préoccupations générales raisonnables » avant d’entreprendre une fouille, cela permet d’établir un juste équilibre entre les intérêts divergents identifiés dans le rapport et ultérieurement par les tribunaux dans Canfield et Townsend.
Le concept de « motifs raisonnables de préoccupation » n’a pas fait ses preuves devant les tribunaux comme critère juridique, et si on introduit ce concept dans la loi, cela risquerait sans doute de présenter une incertitude juridique de façon prolongée à la frontière. Cet argument a été repris par un certain nombre de nos témoins experts, y compris par diverses associations des libertés civiles et par l’Association du Barreau canadien.
Brenda McPhail, directrice du Programme de confidentialité, de technologie et de surveillance de l’Association canadienne des libertés civiles, a été très claire en soulignant que son association appuierait fortement de telles contestations judiciaires concernant cette disposition du projet de loi.
De même, David Fraser, membre de la Section nationale du droit de la vie privée et de l’accès à l’information de l’Association du Barreau canadien, a dit au comité que la mise en place de « préoccupations générales raisonnables » augmenterait l’incertitude juridique. Il a fait remarquer que, dans les cinq ans, le Parlement devrait inévitablement revenir sur cette question, compte tenu de la probabilité d’une contestation judiciaire réussie.
Même si la seule possibilité de contestations judiciaires ne signifie pas que le gouvernement ne peut pas proposer une mesure législative particulière, il doit fournir des explications claires et des documents à l’appui pour expliquer pourquoi il choisit de le faire. Il n’y a pas grand-chose qui prouve que le gouvernement a pris au sérieux ces problèmes. Lors des témoignages, les représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada sont devenus les principaux témoins contre leur agence. Le projet de loi S-7 est leur document de politique qu’ils ne suivent même pas pleinement, mais qu’ils aimeraient maintenant adopter. Chers collègues, il a fallu 18 mois au gouvernement pour élaborer cette stratégie.
Les témoins nous ont tous dit les uns après les autres qu’on ne les avait pas consultés au sujet du projet de loi ou des concepts juridiques qu’il contient. David Fraser de l’Association du Barreau canadien a confirmé que personne au sein du gouvernement n’avait communiqué avec l’association, même si celle-ci avait fait un travail juridique considérable sur cet enjeu même. M. Fraser a admis volontiers qu’un nouveau concept juridique en deçà du critère des « motifs raisonnables de soupçonner » pourrait se justifier dans un contexte frontalier. Il a affirmé que les tribunaux pourraient bien faire preuve d’ouverture envers les nouveaux concepts. Toutefois, ces concepts nécessiteraient alors une meilleure explication de même qu’une discussion approfondie. Or, rien de cela ne s’est produit.
Dans l’ensemble, les témoins nous ont dit que le concept de « préoccupations générales raisonnables » ne résisterait pas à une contestation fondée sur la Charte. Benjamin Goold a dit ceci à propos de la norme actuelle :
Selon moi, si elle se retrouve devant la Cour suprême, d’après tout ce que nous avons vu relativement à la jurisprudence concernant l’article 7, elle serait rejetée, parce que je ne pense pas qu’elle soit suffisamment exigeante pour protéger les droits des personnes.
Le concept de « préoccupations générales raisonnables », sans cette discussion et cette explication élargies, mine complètement les efforts du gouvernement. Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense n’a donc eu d’autre choix que de tenter d’améliorer le projet de loi en fonction des témoignages entendus. Voilà pourquoi il a choisi d’accepter l’amendement de la sénatrice Jaffer visant à remplacer l’expression « préoccupations générales raisonnables » par « motifs raisonnables de soupçonner » en ce qui a trait à l’examen des appareils numériques personnels.
Comme l’ont fait remarquer de nombreux sénateurs au comité, pas un seul expert indépendant ayant témoigné devant le comité n’a exprimé son appui à l’égard de la proposition du gouvernement d’instituer un critère de « préoccupations générales raisonnables » pour justifier l’examen des appareils numériques personnels.
Notre collègue le sénateur Dalphond a appuyé très éloquemment l’amendement de la sénatrice Jaffer et s’apprêtait en fait à proposer le même amendement si la sénatrice Jaffer n’avait pas proposé le sien. Le sénateur Dalphond a signalé que le critère des « motifs raisonnables de soupçonner » est un concept juridique très bien compris qui est nécessaire pour protéger la portée des droits à la vie privée auxquels porte atteinte l’examen des appareils numériques personnels.
Notre collègue le sénateur Dalphond a également proposé un autre amendement important qui met en évidence la question critique du secret professionnel, qui devrait être étendu à d’autres relations professionnelles. La question des communications professionnelles protégées est légitime et elle devrait être visée par un mécanisme plus robuste que celui actuellement prévu dans la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada et que ce qui était inscrit dans le projet de loi d’origine — ou, plutôt, qui n’avait absolument pas été abordé dans le projet de loi d’origine, qui ne comprenaient aucune restriction à ce sujet.
L’amendement soulignait à juste titre l’importance de s’assurer que les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada sachent exactement comment procéder à des fouilles à la frontière lorsque des informations privilégiées, que ce soit dans le contexte du secret professionnel ou celui d’autres renseignements sensibles dans diverses professions, doivent être protégées.
C’est également en raison des préoccupations des sénateurs en matière de protection des renseignements personnels que le Comité de la sécurité nationale et de la défense voyait d’un œil favorable l’amendement que j’ai proposé qui exigeait des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada qui fouillent un appareil numérique personnel qu’ils désactivent toute possibilité de connexion de l’appareil au moment de la fouille secondaire.
Honorables sénateurs, l’amendement proposé au comité visait à protéger les Canadiens et à assurer que l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada ou l’agent de précontrôle informe le voyageur, avant l’exécution de la fouille d’un appareil numérique personnel, qu’il a le droit de vérifier que son appareil sera fouillé en mode sans connexion.
Chers collègues, vous vous souviendrez que, dans le cadre du discours que j’ai donné à l’étape de la deuxième lecture, j’ai dit que cela m’est arrivé et que je n’ai reçu aucun conseil de ce genre. Par conséquent, l’agent de l’Agence des services frontaliers a aisément fouillé mes dossiers bancaires.
Cet amendement vise à protéger les Canadiens en veillant à ce qu’ils soient informés de ce droit. Il ne change pas la politique actuelle de l’Agence des services frontaliers ni sa capacité à fouiller un appareil.
Par conséquent, mon amendement fait de la désactivation une condition préalable à toute fouille. Chers collègues, la nécessité d’informer les Canadiens de leurs droits est énoncée dans mon amendement.
Je crois que le projet de loi modifié dont nous sommes saisis est à tout le moins mieux structuré pour fournir le juste équilibre requis par le système judiciaire. Cela dit, je crains qu’il existe toujours des failles dans la sécurité frontalière.
Les préoccupations liées au profilage racial sont d’autres facteurs importants qui ont été mis en lumière au comité. Comme l’a dit Lex Gill, chercheuse au Citizen Lab de la Munk School of Global Affairs, lors d’une réunion de comité :
Les craintes de mes collègues concernant le profilage racial et religieux méritent également d’être répétées. La frontière est un environnement très stressant, où il y a peu d’information et une faible visibilité. C’est un environnement idéal pour que la combinaison de préjugés implicites et d’abus de pouvoir discrétionnaire qui donne lieu à de la discrimination [...] Les personnes qui traversent la frontière ont le droit de ne pas être assujetties à un contrôle invasif et inconstitutionnel de prime abord.
Sénateurs, le projet de loi S-7 risque de générer une situation où des indicateurs qui ne correspondent pas à un critère de motif raisonnable d’avoir des soupçons seront utilisés pour essentiellement empiéter sur les droits d’une personne en vertu de la Charte. Cela s’apparente au profilage racial.
Je suis d’accord avec le sénateur Yussuff, qui a déclaré au comité que de faibles critères signifient que n’importe quel facteur tel que la couleur de la peau, le nom, le fait d’être nerveux ou en sueur, peut être pris en compte et que cela conduira sans aucun doute à des abus.
Le fait est que, dans une situation où il existe des pouvoirs hautement discrétionnaires et vaguement définis, combinés à l’existence de préjugés raciaux et inconscients implicites, il est certain qu’il y aura des abus et des effets discriminatoires.
Madame Gill a poursuivi sur ce point en disant :
Le poste frontalier est un environnement où la situation évolue souvent rapidement, où les gens agissent avec peu de renseignements dans un contexte de stress élevé. C’est exactement le genre de scénario qui fait ressortir ce genre de suppositions implicites, de stéréotypes et de préjugés que les gens ne savent peut-être même pas qu’ils ont.
Sénateurs, nous avons appris, et les tribunaux nous l’ont dit, que l’enchâssement de questions opérationnelles dans la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada n’est tout simplement pas suffisant et n’a pas force de loi. Je crois que nous ne devrions pas aborder ces considérations opérationnelles dans le règlement, car il existe des raisons concrètes ne pas le faire.
Chers collègues, l’approche prudente et juste consisterait à établir le cadre dans la loi, à en débattre et à l’approuver de façon démocratique. En agissant autrement, on abandonne le droit constitutionnel à la protection de la vie privée à l’approche discrétionnaire qui se trouve dans le système de réglementation.
Il convient de noter que le gouvernement a inclus dans ce projet de loi un article qui réduit les amendes associées au fait de nuire au travail d’un agent des services frontaliers. Cette disposition, qui n’est assortie d’aucune explication, semble aller totalement à l’encontre de l’objectif avoué du gouvernement, qui consiste à veiller à ce que les agents des services frontaliers puissent remplir efficacement leur mandat.
Le gouvernement n’a manifestement fait aucun effort pour concevoir une approche holistique à ce sujet. Je crois qu’il est essentiel que le gouvernement essaie au moins d’agir en ce sens tandis que ce projet de loi chemine à l’autre endroit.
Nous avons besoin d’un régime juridique à la frontière qui permettra aux agents des services frontaliers de régler un problème très précis sans empiéter inutilement sur les droits plus vastes à la protection de la vie privée des citoyens. C’est à nous qu’il revient en tant que législateurs de surveiller étroitement la situation pour déterminer si le gouvernement accomplit bel et bien le travail que les tribunaux lui ont demandé d’accomplir.
Chers collègues, comme nous l’avons entendu plusieurs fois, surtout au comité, tous les niveaux judiciaires ont dit sans ambiguïté qu’en ce qui a trait aux fouilles des dispositifs numériques, cela peut représenter une atteinte importante à la vie privée. Cela n’a aucun sens de créer une norme inférieure — ou, comme je l’ai dit, de n’avoir aucune norme à la frontière —, car cela entraînera sans aucun doute des contestations fondées sur la Charte.
Comment le gouvernement peut-il justifier une fouille plus invasive en respectant une norme inférieure?
Les sénateurs membres du Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense ont posé les bonnes questions. Les témoins nous ont dit que le projet de loi comportera de graves lacunes s’il est adopté dans sa version originale.
J’espère et je suis persuadé que tous les sénateurs mèneront à bien le travail qu’ont entrepris les membres du comité et ceux qui ont pris la parole au sénat pour envoyer un message très clair au gouvernement qu’il doit faire mieux. Le projet de loi, tel que modifié au comité, constitue un grand pas dans cette direction. Merci.
Honorables sénateurs, aujourd’hui, j’aimerais aborder le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Premièrement, je remercie la sénatrice Boniface d’avoir parrainé le projet de loi S-7 et agi comme porte-parole des travaux connexes. Je remercie aussi le sénateur Dean de son excellent travail à la présidence du comité.
Honorables sénateurs, jusqu’à tout récemment, il n’y avait pas de cadre pour déterminer comment les agents des douanes doivent exécuter les vérifications des appareils numériques personnels.
En 2020, un jugement de la Cour d’appel de l’Alberta, l’arrêt Canfield, a statué que le gouvernement doit modifier la Loi sur les douanes afin d’inclure des paramètres pour la vérification des appareils numériques personnels à la frontière.
J’aimerais vous donner quelques exemples de ce qui est prévu à l’heure actuelle dans la Loi sur les douanes :
Pour procéder à une fouille sur une personne, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour mener une fouille sur des marchandises quand il y a erreur sur la classification, la valeur ou la quantité, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour mener une fouille sur des marchandises quand il y a erreur sur l’origine, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour examiner des marchandises quand une infraction est probable, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour mener une fouille dans un véhicule, que ce soit un camion ou un train ou autre, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Et pour faire des fouilles dans le courrier, honorables sénateurs, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Le projet de loi S-7 a été rédigé dans le but d’ajouter le nouveau critère à la Loi sur les douanes. Le ministre de la Sécurité publique et deux représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada sont venus au comité pour présenter ce nouveau critère, selon lequel un agent des services frontaliers doit avoir une « préoccupation générale raisonnable ».
Sénateurs, le sénateur Boehm a demandé plusieurs fois quelle formation les agents frontaliers américains recevraient au sujet du précontrôle. Comment apprendront-ils cette notion de « préoccupation générale raisonnable »? Ce nouveau critère suppose que les agents frontaliers utilisent les indicateurs décrits dans les règlements pour fouiller dans les appareils numériques personnels des voyageurs.
On nous a dit que les indicateurs allaient du comportement d’un voyageur — qui a l’air nerveux ou agité, évite de croiser le regard d’un agent, se déplace constamment, bégaie et transpire — jusqu’à la découverte d’appareils dans ses bagages. Un autre indicateur consiste à savoir si le pays d’origine du voyageur est connu pour des problèmes de pornographie juvénile.
Tous les indicateurs n’ont toutefois pas été présentés au comité. On nous a dit qu’il ne serait pas sécuritaire d’en fournir la liste complète à un comité sénatorial. À titre de musulmane et de femme de couleur, je m’inquiète toutefois, honorables sénateurs, de la façon dont ces indicateurs seront utilisés. J’ai aussi une idée de ce à quoi pourraient ressembler ces indicateurs secrets.
Depuis que j’ai posé cette question, de nombreux fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada m’ont parlé en privé et m’ont dit que mes préoccupations étaient très légitimes. Les préoccupations qui n’ont pas été mentionnées au comité sont souvent celles qu’éprouvent les agents de sécurité frontalière.
La sénatrice Boniface a réaffirmé que le critère de « préoccupation générale raisonnable » transposera dans la loi ce que les agents frontaliers font déjà. Cependant, nous avons entendu en comité de nombreux témoins affirmer que ce critère ne permettra pas d’établir un juste équilibre entre les préoccupations de sécurité nationale et le droit à la vie privée des voyageurs.
En fait, 11 des témoins dignes de foi ont appuyé l’adoption d’un critère plus strict. Mme St. Germain du Centre canadien de protection de l’enfance a déclaré que le critère de « préoccupation générale raisonnable » est adéquat. Je vais le répéter, sénateurs. Elle a même affirmé que le critère de « préoccupation générale raisonnable » est adéquat pour l’examen des appareils numériques personnels à la frontière.
Elle a poursuivi ainsi :
Le critère du soupçon raisonnable est connu et compris en droit pénal. Nous comprenons qu’il a également été utilisé dans le contexte des frontières.
Et plus tard, elle a déclaré à propos des délinquants traversant la frontière avec de la pornographie juvénile sur leurs appareils numériques personnels :
[...] des « motifs raisonnables de soupçonner » permettront probablement d’attraper de nombreuses personnes potentiellement coupables.
Sénateurs, la semaine dernière dans cette enceinte, le sénateur Dean et moi-même avions des interprétations différentes des réponses de Mme St. Germain en comité. Après avoir examiné la transcription de son témoignage, j’admets que ses réponses étaient ambiguës. Elle ne semblait pas affirmer ouvertement que le critère de « préoccupation générale raisonnable » était celui qu’elle soutenait, mais elle a dit que les « motifs raisonnables de soupçonner » étaient quelque chose qui fonctionnerait.
Je reconnais que ses propos étaient ambigus. Mais à part elle, les 11 autres témoins ont déclaré leur position avec beaucoup de fermeté.
Comme je l’ai dit plus tôt au sénateur Gold, le comité directeur assure toujours un équilibre des témoins entre les deux points de vue. Notre comité directeur travaille très fort. S’il avait trouvé quelqu’un qui appuie le critère des « préoccupations générales raisonnables », il l’aurait fait témoigner au comité.
Honorables sénateurs, une chose est certaine, tous les 11 témoins ont insisté pour appuyer un amendement raisonnable consistant à remplacer le critère des « préoccupations générales raisonnables » par le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Ces témoins ont une vaste expérience dans ces dossiers et ont fait des recherches approfondies. Par conséquent, même si le gouvernement voulait enchâsser dans la loi le nouveau critère des « préoccupations générales raisonnables », les témoins préfèrent le critère des « motifs raisonnables de soupçonner », sauf le ministre de la Sécurité publique et ses fonctionnaires de l’ASFC.
Le critère des « préoccupations générales raisonnables » est tout à fait nouveau en droit canadien, et nous n’avons pas réussi à trouver quoi que ce soit dans le droit étranger qui utilise un tel critère.
Mme Lex Gill, une chercheuse de l’École Munk des affaires internationales, a expliqué ce qui suit au sujet du critère des « préoccupations générales raisonnables », et je cite :
[…] non seulement ce genre de norme générale ouvre la porte à la discrimination de certains groupes et à l’utilisation des caractéristiques propres à certains groupes comme prétexte pour arrêter et questionner une personne et fouiller ses appareils, mais ce sont aussi des pouvoirs qui sont difficiles à revoir après coup […]
Michael Nesbitt, professeur associé à la Faculté de droit de l’Université de Calgary, a dit ce qui suit :
[...] Il vaut mieux établir une norme claire dès maintenant. Cette norme claire pourrait certainement être celle des motifs raisonnables de soupçonner et, à mon avis, devrait probablement l’être. C’est une norme souple, qui permet beaucoup de nuances, y compris une nuance différente à la frontière. Comme la Cour suprême l’a dit récemment dans l’arrêt Stairs, elle exige « un ensemble de faits objectivement discernables appréciés à la lumière de toutes les circonstances donnant lieu au risque soupçonné ».
Le conseiller juridique principal du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, M. Regan Morris, a affirmé ce qui suit :
Je comprends que l’intention est d’avoir une norme inférieure à celle des motifs raisonnables de soupçonner. À notre avis, cela ne créera pas un bon équilibre entre la protection de la vie privée et les autres intérêts de l’État.
M. Regan Morris a par la suite ajouté :
Nous insistons sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Stairs, rendue il y a quelques semaines, qui souligne la souplesse de la norme. Il s’agit d’une norme qui tient compte de l’ensemble des circonstances et qui se veut souple. Il est voulu qu’elle soit moins élevée que celle des motifs raisonnables de croire. Elle repose sur les faits, elle est d’application souple et elle procède du bon sens.
M. David Fraser, ancien président de la Section du droit de la vie privée et de l’accès à l’information de l’Association du Barreau canadien, a expliqué :
[...] une préoccupation générale raisonnable n’est pas une norme, quel que soit le type de fouille. Je n’en sais pas plus que vous, mais on a plutôt l’impression que le critère est le sixième sens des agents.
Pantea Jafari de l’Association canadienne des avocats musulmans a dit :
[...] Cette norme est non seulement sans fondement juridique, mais elle est également trop vaste dans sa portée et trop peu définie, comme d’autres témoins l’ont expliqué plus en détail, notamment aujourd’hui. Le caractère trop général de la norme proposée donnera lieu à une application arbitraire. Elle aboutira sans aucun doute à la fouille injustifiée de toutes sortes de gens et sera appliquée de façon disproportionnée aux communautés minoritaires et aux communautés en quête d’équité.
Tim McSorley de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles a dit des « motifs raisonnables de soupçonner » :
[...] c’est une norme que l’on connaît. C’est une norme claire. C’est une norme qui est déjà appliquée au courrier, et cela devrait, comme nous l’avons souligné, être clairement considéré comme la même chose que les appareils numériques que les gens transportent avec eux lorsqu’ils traversent la frontière.
Au sujet de la possibilité offerte par la décision Canfield, M. McSorley a fourni l’explication suivante :
Les tribunaux ont [...] ouvert la porte à un seuil plus faible. Cependant [...] cela ne veut pas dire que ce seuil plus faible serait approprié. Les tribunaux ne cherchaient pas à trancher cette question-là.
Meghan McDermott, de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, a fourni cette explication :
[...] nous [n’appuyons] pas le nouveau seuil des préoccupations générales raisonnables proposé dans le projet de loi S-7. Nous nous rangeons du côté des témoins ici présents aujourd’hui ainsi que de nombreux autres, y compris le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, pour recommander que la loi reflète le seuil plus élevé et mieux connu des motifs raisonnables de soupçonner.
Brenda McPhail, de l’Association canadienne des libertés civiles, était du même avis.
Honorables sénateurs, après avoir entendu les témoins, votre comité a établi que l’application de la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » à l’examen des appareils numériques personnels est conforme à la Loi sur les douanes, et qu’elle permet d’atteindre le juste équilibre entre la sécurité frontalière et le droit à la protection de la vie privée.
Comme l’a expliqué la sénatrice Simons dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, les décisions rendues dans les affaires R. c. Plant, R. c. Cole et R. c. Fearon, entre autres, nous rappellent que plus l’information se rapproche de l’ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel, plus le gouvernement doit protéger l’article 8 de la Charte.
Dans un même ordre d’idées, la Cour suprême a écrit, dans R c. Morelli qu’il est difficile d’imaginer une fouille plus attentatoire à la vie privée que celle d’un ordinateur personnel.
Honorables sénateurs, j’espère que vous serez d’accord avec moi pour dire que les appareils personnels doivent être protégés au même degré qu’un envoi postal et que les « motifs raisonnables de soupçonner » sont le bon critère à appliquer.
Honorables sénateurs, je suis très fière d’être membre du Comité de la défense nationale qui a adopté un amendement pour modifier ce critère, car je crois fermement que les membres du comité ont entendu les différents témoins et eu le courage d’apporter l’amendement qui s’imposait.
Pas plus tard qu’aujourd’hui, le directeur général de la Fondation canadienne des relations raciales nous a dit, au Comité des droits de la personne, qu’on le sélectionnait toujours pour une fouille à la frontière chaque fois qu’il arrivait au Canada et qu’il était pétrifié à l’idée de ce qui pourrait lui arriver parce qu’il est musulman, jusqu’à ce qu’il obtienne une carte NEXUS.
Sénateurs, le Sénat a le devoir de protéger les minorités. Si nous ne protégeons pas les droits des minorités, qui le fera? Merci beaucoup.
Je prends la parole aujourd’hui à l’appui du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Toutefois, je le fais avec réticence, vu l’amendement de fond concernant le critère justifiant une fouille qui a été apporté au projet de loi à l’étape de l’étude en comité et que le Sénat a approuvé à l’étape du rapport.
À mon avis, cet amendement créera un risque inutile par rapport à l’importation de matériel obscène et dangereux dans notre pays, à la victimisation et à la revictimisation des enfants dans ce type de matériel, en plus d’alourdir le fardeau des agents frontaliers pour protéger ces enfants ainsi que la société canadienne.
De plus, je pense que cet amendement va à l’encontre des intentions précises et claires d’un gouvernement dûment élu. Dans un sens, nous dépassons notre rôle.
Comme vous le savez tous, le projet de loi dont nous sommes saisis établit une nouvelle norme plus élevée qui doit être respectée pour que des agents frontaliers puissent examiner en toute légalité les appareils numériques personnels des voyageurs qui pourraient contenir du matériel prohibé. Une norme s’impose compte tenu des décisions qui ont été rendues, comme il a été mentionné, par les tribunaux de l’Alberta et de l’Ontario. La question qui nous occupe est de savoir quel est le juste équilibre et, de mon point de vue, qui est le plus habilité à l’établir.
La version initiale, non amendée, du projet de loi a été bien défendue par sa marraine, la sénatrice Boniface, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture en avril dernier et dans son discours à l’étape du rapport la semaine dernière. Je suis d’accord avec elle : le projet de loi initial avait trouvé le juste équilibre en protégeant la vie privée des voyageurs tout en accordant la capacité aux agents frontaliers d’appliquer les lois interdisant les biens prohibés qui incluent la pornographie juvénile et d’autres types de matériel obscène.
Comme la sénatrice Boniface, je m’opposais aussi à l’amendement apporté par le comité, qui relève le critère prévu dans le projet de loi initial prescrivant dans quelles conditions un appareil numérique personnel peut être examiné. Pour tout dire, le gouvernement croit que le nouveau critère proposé dans l’amendement — qui prévoit qu’un examen d’un appareil numérique personnel peut être effectué lorsqu’il y a des « motifs raisonnables de soupçonner » plutôt qu’une « préoccupation générale raisonnable » — est trop élevé, et je partage cette crainte.
À mon avis, l’amendement pourrait rendre plus difficile d’interdire l’importation de matériel dangereux, comme de la pornographie juvénile, des images d’agression sexuelle, de la littérature haineuse ou des preuves de trafic de drogue. Si le gouvernement était en faveur de cet amendement, il l’aurait inclus dans le projet de loi initial.
Une bonne partie du débat sur le projet de loi a tourné autour de la nécessité d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et la protection de la société canadienne. C’est ce qu’il fallait faire. J’ajouterais cependant que la question d’équilibre doit être envisagée dans le contexte des torts causés aux victimes. Leur droit d’être en sécurité et de ne pas être exploitées par la circulation récurrente de ces images nocives devrait faire partie de cet équilibre.
Lors de sa comparution devant le comité, Monique St. Germain, l’avocate générale du Centre canadien de protection de l’enfance, a souligné qu’entre 2010 et 2020, Statistique Canada a constaté une augmentation de 488 % du nombre d’images et de vidéos montrant l’exploitation sexuelle d’enfants. Ce chiffre me préoccupe grandement. J’aimerais citer Mme St. Germain :
Dans le cadre de l’étude du projet de loi, jusqu’ici, on a beaucoup mis l’accent sur la protection de la vie privée des voyageurs. Ce qui n’a pas encore été examiné, c’est la protection de la vie privée et de la sécurité des enfants qui figurent dans du matériel pédopornographique. Nous vivons dans un monde où du matériel horrible de ce genre peut être facilement stocké et dissimulé dans un appareil qu’on range dans sa poche puis diffusé partout dans le monde mondial par le truchement de sites Web, d’applications cryptées et du Web invisible.
Les enfants exploités dans ces images comptent sur nous pour les protéger, car ils n’ont aucun pouvoir pour empêcher que de tels contenus soient passés en contrebande à la frontière.
La surabondance de ce genre de contenu nécessite que les agents frontaliers disposent de la flexibilité maximale que la loi permettra. Par exemple, l’un des cas à l’origine de la nécessité de créer un critère concerne une personne qui possédait un total de 4 411 photos et de 53 vidéos de pornographie juvénile dans ses appareils. Il se trouve que sa condamnation et celle d’un autre homme au centre de cette affaire ont été maintenues, et ce, même si les droits garantis par la Charte ont été violés.
Permettez-moi de donner quelques exemples des méthodes utilisées par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada.
Dans une affaire transmise à notre bureau, cela concernait un citoyen canadien de sexe masculin qui était revenu au Canada après un voyage d’une journée aux Philippines, où on lui avait été refusé l’entrée après qu’il ait été inscrit au registre des délinquants sexuels en raison d’un incident précédent qui avait eu lieu aux États-Unis. Il a été fouillé et on a trouvé une image de pornographie juvénile. La GRC a été appelée.
Dans un autre cas, cela concernait un individu revenant de Thaïlande. On l’a renvoyé à un deuxième agent en raison de son long séjour dans un pays bien connu pour le tourisme sexuel. L’individu s’est montré nerveux; il bégayait, il transpirait et il se balançait pendant la fouille de son sac. Lorsqu’il a refusé de répondre à des questions sur le contenu de ses appareils numériques, les agents ont procédé à une fouille et ils ont trouvé des images et des vidéos de la pornographie juvénile. Ces examens auraient-ils eu lieu avec cet amendement? Si la réponse est non, alors il doit être repensé.
Il est intéressant de savoir que, si l’Agence des services frontaliers du Canada peut fouiller des appareils numériques pour différents motifs liés à la contrebande, la sous-évaluation de marchandises, la traite de personnes, les drogues ou le blanchiment d’argent, au moins 40 % des articles de contrebande trouvés comprennent la saisie de pornographie juvénile.
Un des éléments qui ont un peu été passés sous silence dans le débat au sujet du projet de loi est le rôle de ce dernier pour favoriser l’atteinte des objectifs généraux de l’Agence des services frontaliers du Canada. Dans la page des mandats du ministère de la Sécurité publique, on mentionne que l’un des principaux objectifs de l’agence est d’intercepter, à la frontière, les personnes et les marchandises qui pourraient présenter une menace pour le Canada. Je crois qu’opter pour un seuil plus élevé rendrait la tâche plus compliquée à l’agence, alors que le projet de loi vise le contraire.
D’ailleurs, comme l’Agence des services frontaliers du Canada est contrainte d’utiliser un seuil plus élevé en Alberta en Ontario tant qu’une loi n’aura pas été adoptée, l’application est touchée. Le ministre Mendicino et les fonctionnaires du ministère sont venus en témoigner au comité. C’est encore récent, mais d’après le vice‑président de l’Agence des services frontaliers du Canada, Scott Millar, les fouilles dans ces deux provinces ont diminué d’environ 60 %. On peut présumer d’après ces chiffres que, si le seuil plus élevé avait été mis en place avant que tranchent les tribunaux, au moins une partie des personnes qui auraient été prises auparavant auraient traversé les douanes sans que leur contrebande soit repérée.
Le passage de l’été nous permettra de mieux comprendre si ces chiffres plus bas reflètent une tendance et si une réduction des fouilles équivaut à une réduction correspondante de l’interdiction de la contrebande.
J’aimerais maintenant aborder brièvement les questions de protection de la vie privée soulevées par certains de nos collègues, qui ont plaidé en faveur de l’amendement en disant que le projet de loi original ne résistera pas à l’examen constitutionnel, ce qui le condamne à une contestation constitutionnelle à très court terme sur laquelle un jugement pourrait se faire attendre pendant des années. Avec tout le respect que je vous dois, chers collègues, une opinion, même de notre auguste assemblée, n’est pas nécessairement indicative de la façon dont la Cour suprême du Canada se prononcerait, et nous ne devrions pas supposer que nous savons ce que les tribunaux diront. Je ne suis pas à l’aise lorsque nous opposons nos opinions à celles du gouvernement, qui s’appuie sur son propre groupe d’experts constitutionnels. Je ne suis pas un expert constitutionnel, il me semble donc plus sage de laisser les tribunaux décider tandis que les législateurs s’en remettent à l’intention très claire du gouvernement.
Nous pouvons ne pas être d’accord avec l’équilibre que le gouvernement a trouvé et préférer utiliser des critères qui penchent davantage du côté de la protection de la vie privée, mais le gouvernement a ouvertement rejeté cette option en adoptant des critères qui ne sont pas aussi sévères que ceux souhaités par le comité sénatorial, bien qu’ils soient plus stricts que ce qui était en place.
La cour de l’Alberta elle-même a déclaré qu’il semblait y avoir de la place pour cette approche intermédiaire :
[À] notre avis, le critère pour justifier la fouille d’appareils électroniques peut être inférieur au critère de « motifs raisonnables de soupçonner » nécessaire pour une fouille à nu en vertu de la Loi sur les douanes.
Chers collègues, cela indique à tout le moins que les tribunaux vont envisager un critère inférieur à celui du « soupçon raisonnable » lorsqu’ils entendront eux-mêmes des arguments à l’avenir.
J’ajouterai que les amendements proposés par les sénateurs Dalphond et Wells sur le secret professionnel et la connectivité réseau, de même que la proposition de règlement du gouvernement permettront de rendre plus rigoureuses les décisions concernant les interventions à la frontière. Peut-être que c’est à des changements de ce genre que la cour avait pensé en laissant entendre qu’un critère inférieur à celui de « soupçon raisonnable » pourrait être acceptable.
Je note également que le seuil initial dans ce projet de loi est plus élevé que celui qui existe dans de nombreuses autres administrations aux systèmes juridiques semblables au nôtre, y compris aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni. Le fait que ce projet de loi sera certainement contesté devrait offrir une certaine consolation à ceux qui croient qu’il va trop loin dans un sens ou dans l’autre.
Je reconnais néanmoins que notre rôle est rendu un peu plus difficile par le fait que ce projet de loi provient à l’origine du Sénat et non de l’autre endroit. En tant que Chambre de second examen objectif, je préfère que des projets de loi aussi importants nous parviennent après que nos collègues de l’autre endroit les aient étudiés et qu’ils y aient apporté leurs propres changements au besoin. Cela aurait pu nous guider.
Malgré mes réserves, je crois que ce projet de loi doit être adopté, ne serait-ce que parce que deux processus d’application de la loi s’opposent au pays en ce moment, ce qui crée une inégalité en droit qu’il faut corriger le plus rapidement possible.
Qui plus est, cet enjeu est très important pour notre relation avec les États-Unis. Notre pays vise depuis longtemps à mettre en place des politiques pour améliorer et harmoniser la circulation à la frontière. Le resserrement du contrôle à la frontière entre le Canada et les États-Unis est un problème qui devrait être une priorité pour tous les législateurs. Les choses deviendront d’autant plus compliquées si nous sommes perçus comme incapables d’accorder nos violons.
J’ajoute que de nouvelles technologies mettent quotidiennement en question la sécurité de notre frontière. C’est un aspect qui nécessite beaucoup de souplesse de la part de l’Agence des services frontaliers. Ce projet de loi met en évidence les défis que nous devons relever. Il serait peut-être temps d’avoir une discussion plus élargie et plus approfondie sur la mise à jour de notre plan de sécurité. La tragédie du 11 septembre est loin derrière nous, mais nous n’avons pas tenu de discussions exhaustives sur la sécurité depuis.
Si vous me le permettez, j’aimerais terminer en vous disant que, malgré les inquiétudes légitimes exprimées à propos de la vie privée et des menaces liées aux activités criminelles, par exemple l’importation de matériel de pornographie infantile, je crois que nos agents des douanes exécutent leurs fonctions avec discernement, sauf exception, et qu’ils vont continuer de remplir leur rôle avec efficacité d’ici à ce que le projet de loi soit adopté ce qui, nous l’espérons, se fera rapidement. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016), concernant l’examen des appareils numériques personnels à la frontière.
Tout d’abord, je tiens à préciser que j’approuve la version initiale du projet de loi S-7, mais pas la version avec les amendements devant nous. Peut-être que nous pouvons convenir de ne pas être d’accord, mais je veux commencer par présenter mes arguments puis, vous faire part de mon expérience.
Je ne suis pas avocate, mais je suis une bonne élève de l’école du gros bon sens, comme on le dit chez nous.
Cela doit prévaloir en toute chose. Le projet de loi est nécessaire en réponse à une décision de la cour. Dans les affaires R. c. Canfield et R. c. Townsend, la Cour d’appel de l’Alberta a statué que l’absence de loi et de seuil permettant l’examen des appareils numériques personnels, par exemple lorsqu’un agent de l’Agence des services frontaliers fouille la valise de quelqu’un, est actuellement inconstitutionnelle en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
C’est parce que l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes n’impose aucune limite à la fouille de ces appareils. Les tribunaux n’ont pas fixé de seuil pour la fouille des appareils numériques, mais ont plutôt reconnu qu’un seuil inférieur est plus raisonnable que ce qui est actuellement prévu par la loi pour les marchandises dans ces circonstances et ils ont laissé au gouvernement le soin de créer ce seuil.
Contrairement à certaines déclarations faites au Sénat la semaine dernière, les tribunaux n’ont pas ordonné au Parlement d’adopter les mêmes dispositions cohérentes que celles à l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes, c’est-à-dire pour les marchandises et les envois, entre autres.
Je répète que la Cour a précisé qu’un seuil inférieur serait raisonnable et devrait être mis en place par le Parlement. Les tribunaux ont même précisé que les appareils numériques n’étaient pas considérés comme des marchandises en vertu de la Loi sur les douanes. Essentiellement, l’argument invoqué au Sénat la semaine dernière contredit la décision des tribunaux.
Soit dit en passant, j’aimerais aussi soutenir que, à un certain degré, nos propres délibérations présentent un certain manque de cohérence. Il n’y a pas si longtemps, nous avons accepté les contrôles routiers de dépistage d’alcool sans imposer aucun critère de protection des citoyens canadiens.
En modifiant le projet de loi S-7 d’origine pour remplacer « des préoccupations générales raisonnables » par « des motifs raisonnables de soupçonner », nous ne respectons pas en réalité la volonté de la décision du tribunal. Nous établissons un critère plus élevé, soit celui qui s’applique aux fouilles à nu. La fouille d’un appareil numérique n’est certainement pas comparable à une fouille à nu.
Je soulignerais également que le critère « des préoccupations générales raisonnables » est le critère élevé qu’il faut satisfaire pour accorder un mandat de perquisition pour fouiller une résidence, ce qui exige parfois plusieurs semaines de cueillette de données et de preuves de la part des policiers.
Ainsi, avec le projet de loi modifié qui précise « des motifs raisonnables de soupçonner », on peut s’attendre à ce que les frontières soient paralysées par des queues longues, voire très longues, ou qu’elles soient ouvertes aux criminels ciblés. À mon avis, les deux options sont inacceptables.
Soulignons aussi que les tribunaux n’ont pas parlé du profilage racial dans le contexte de la fouille d’appareils numériques, probablement parce qu’aucun élément de preuve à cet égard n’a été présenté pendant les deux contestations judiciaires. Ajoutons que le projet de loi S-7, tel qu’amendé, ne fait absolument rien pour éliminer les risques de racisme. La sensibilisation demeure la meilleure façon de vaincre le racisme, quel que soit le contexte. L’amendement portant sur le critère ne règle aucunement le problème de racisme qui existe dans l’organisation en question. Il s’agit, en toute franchise, de deux enjeux différents.
J’admets qu’il n’est pas agréable de se faire poser des questions et de devoir subir un contrôle secondaire. Malgré cela, lorsqu’on souhaite quitter un pays ou y entrer, que ce soit le sien ou un pays étranger, on se plie à ces exigences et on respecte le mandat des agents des services frontaliers qui font respecter les lois de leur pays. La protection des frontières est l’un des volets essentiels de la sécurité du Canada et des Canadiens. À cette fin, il est crucial que les agents des services frontaliers soient en mesure d’évaluer, et parfois d’inspecter, des appareils numériques personnels.
Je reconnais qu’il faut trouver un juste équilibre entre la sécurité et la protection de la vie privée. Je dirais toutefois que la sécurité des Canadiens passe toujours avant la protection de ma vie privée.
Rappelons que les fouilles en question sont extrêmement limitées, et ce, même en l’absence des restrictions qui étaient prévues à l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes.
D’après les données de l’Agence des services frontaliers, du 20 novembre 2017 au 31 décembre 2021, une période d’environ quatre ans, les appareils de 0,013 % des voyageurs traités à la frontière ont été examinés. Nous faisons tout un plat pour 0,013 % des voyageurs. Parmi ces fouilles, 37,3 % ont permis de repérer des infractions, par exemple du blanchiment d’argent, de la pornographie juvénile et des biens non déclarés. Bref, il y a eu 253 509 912 voyageurs, 33 373 examens d’appareils numériques, et 12 457 infractions repérées.
Le cadre prévu à l’origine dans le projet de loi était raisonnable, étant donné l’accès limité qu’ont les agents et le peu de temps qu’ils passent avec les voyageurs. Il est bien établi que les attentes sont inférieures en matière de protection de la vie privée aux frontières, qu’il s’agisse des nôtres ou celles d’un autre pays.
Le nouveau critère de « préoccupations générales raisonnables » ne donne pas carte blanche pour fouiller les téléphones de tout le monde. Il est limité au contexte spécifique de la sécurité des frontières et ne peut être utilisé en dehors de ce contexte. Il doit y avoir des motifs pour la fouille et ces motifs doivent être soumis à un contrôle. Les agents doivent avoir des raisons individualisées et spécifiques à la personne et à l’appareil.
Ce nouveau critère comporte trois aspects : raisonnables, générales et préoccupations. « Raisonnables », je pense que nous pouvons tous être d’accord. Les indices doivent être factuels et objectifs. C’est un terme bien établi en droit. « Générales » est le principal point de discorde, mais les tribunaux eux-mêmes ont reconnu qu’un critère plus faible était nécessaire. On ne peut pas générer des soupçons aussi spécifiques que dans d’autres circonstances. « Générales » constitue une réponse raisonnable à cet état de fait. De même, avec « préoccupations », on reconnaît le fait que le seuil de suspicion est trop élevé pour les circonstances, comme c’est le cas pour une fouille à nu ou des mandats de perquisition.
Les seuils plus élevés qui sont employés dans d’autres circonstances ne fonctionneraient pas dans ce contexte. Les agents ont très peu de temps pour interagir avec les gens. Ils doivent prendre rapidement des décisions qui ont une grande incidence sur la sécurité nationale. Ils ont besoin d’outils adaptés à ce travail exigeant, et le nouveau seuil de préoccupations générales raisonnables en fait partie. C’est ce qu’on a fait. On a apporté ce changement.
Dans l’ensemble, l’imposition d’exigences coûteuses affaiblirait nos mesures frontalières et empêcherait nos agents de faire leur travail. Nous avons entendu dans cette enceinte que les agents frontaliers doivent exercer un meilleur contrôle à la frontière. Cette version amendée du projet de loi S-7 leur donne-t-elle de meilleurs outils pour faire leur travail? Je ne le pense pas. Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada sont formés pour observer et pour cerner les facteurs qui donnent lieu à des préoccupations générales raisonnables. Ces politiques sont déjà en place au sein de l’agence, et le projet de loi initial les aurait inscrites dans la loi. On exige aussi que les agents des services frontaliers prennent des notes détaillées qui peuvent être examinées plus tard. On a beaucoup débattu de cette question au comité, et je suis surpris que le comité ne se soit pas montré réceptif à un nouveau concept.
Avant la décision de la cour, les fouilles étaient limitées, comme l’indiquent les statistiques de l’Agence des services frontaliers du Canada. À ce moment-là, il n’y avait pas de cadre législatif. Ce nouveau seuil aurait inscrit les pratiques en vigueur dans la loi. On ne parle pas d’abaisser les normes, mais d’inscrire des pratiques dans la loi.
De plus, en ce qui concerne l’examen des actions des agents de l’ASFC, le gouvernement a récemment présenté un projet de loi, le projet de loi C-20, afin de créer une nouvelle commission d’examen et de traitement des plaintes du public, pour remplacer la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, et lui accorder de nouveaux pouvoirs pour traiter les plaintes relatives à l’ASFC. Le projet de loi propose de 112 millions de dollars sur une période de cinq ans et plus de 19 millions de dollars par année. De plus, les organismes visés par la nouvelle commission seront tenus de répondre à ses rapports provisoires dans les six mois.
Honorables sénateurs, je suis rendue au moment de mon discours où je révélerai que, quand j’étais étudiante, j’ai travaillé comme agente des services frontaliers en 1982 et en 1983. Oui, c’était il y a 40 ans, quand il n’y avait pas d’appareils numériques. Les gens avaient des portefeuilles, des sacs à main et des porte-documents physiques avec eux. Lors des inspections secondaires, nous leur demandions de vider leurs portefeuilles, leurs sacs à main et leurs porte-documents. Vous seriez vraiment étonnés des véritables infractions que je pouvais deviner à partir de ces trois contenants : les portefeuilles, les sacs à main et les porte-documents.
Cependant, aujourd’hui, 40 ans plus tard, la plupart d’entre nous transportons des appareils numériques.
Chers collègues, puis-je avoir cinq minutes de plus?
Honorables sénateurs, le temps de parole de la sénatrice Ringuette est écoulé. Elle demande cinq minutes de plus. Que les sénateurs qui s’y opposent veuillent bien dire non.
Merci. Cependant, aujourd’hui, la plupart d’entre nous transportons des appareils numériques et nous avons décidé — c’est une décision qui nous appartient à nous seuls — d’y intégrer ce que contenaient nos portefeuilles, nos sacs et nos porte-documents. C’est un choix personnel. On choisit son appareil. On choisit ce qu’on y met en sachant qu’il peut être piraté, entre autres choses.
La seule différence, c’est qu’aujourd’hui toute cette information est contenue dans un seul appareil. J’insiste sur ce fait : ce que nous mettons dans cet appareil est notre choix. Cela dit, honorables sénateurs, un reçu sur votre appareil électronique n’est pas différent du reçu papier que vous transportiez en 1982 dans votre portefeuille. L’information est la même; seul le contenant est différent. Il vous faut en être conscients.
Sans donner de nom, je vais présenter deux scénarios différents d’un petit poste frontalier entre le Nord du Nouveau-Brunswick et l’État du Maine. Vous pourrez juger par vous-mêmes.
Le premier scénario : un monsieur âgé arrive à la frontière dans un gros camion noir, il porte des vêtements militaires, montre son passeport américain et dit qu’il est un ancien général américain. C’est ce qu’il dit à l’agent, qui lui demande : « D’où venez-vous et où allez-vous au Canada? » La réponse est : « Je suis de New York et je vais à Montréal. » Ce à quoi l’agent demande : « Allez-vous rendre visite à de la famille ou à des amis dans cette région? » « Non », répond-il. Alors, instantanément — il faut réagir en une fraction de seconde —, l’agent se pose la question : pourquoi aurait-il parcouru tous ces kilomètres supplémentaires pour aller à Montréal en passant par le Maine et le Nouveau-Brunswick? Il est donc dirigé à l’inspection secondaire où l’on découvre qu’il a caché dans son camion un chargement d’armes illégales qu’il faisait passer en fraude pour les gangs de Montréal.
Le deuxième scénario : un prêtre canadien du Nouveau-Brunswick arrive au même poste frontalier. Il revient au Canada après avoir assisté à un congrès aux États-Unis. Il avait un porte‑documents sur le siège du passager, et il soutenait n’avoir rien à déclarer. Il avait l’air tout offusqué qu’on ose lui poser cette question à deux reprises. Il a fait l’objet d’un contrôle secondaire, où les agents ont trouvé de la pornographie juvénile dans son porte‑documents. Il a été poursuivi, déclaré coupable et incarcéré.
Honorables sénateurs, dans ces deux scénarios, des agents ont envoyé des gens effectuer un contrôle secondaire à cause de « préoccupations générales raisonnables ». Dans les deux cas, les agents ont mis l’accent sur leur position d’autorité. La loi doit s’appliquer également à tous, même s’ils détiennent un passeport à couverture verte.
En conclusion, honorables sénateurs, je crois que cette version amendée du projet de loi S-7 nuira à notre sécurité frontalière, qu’elle empêchera les agents des services frontaliers de faire leur travail efficacement et qu’elle permettra plus d’infractions de la Loi sur les douanes.
J’ai le regret d’informer l’honorable sénatrice que son temps de parole est de nouveau écoulé.
Puis-je avoir 10 secondes de plus?
Le consentement est-il accordé?
Je suis désolé, sénatrice Ringuette. La permission n’est pas accordée.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle de 2016, pour exposer mes sérieuses réserves quant à ce projet de loi.
Je tiens d’abord à féliciter le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense de son travail sur ce projet de loi. Plus précisément, j’aimerais mentionner l’amendement qu’il a proposé pour supprimer le critère arbitraire et vague de « préoccupations générales raisonnables » afin de le remplacer par le terme « motifs raisonnables de soupçonner ». Cet amendement prudent a été proposé grâce aux très nombreux témoignages qui nous ont mis en garde contre le passe-droit qu’offrait la terminologie initiale. Comme le sénateur Dean l’a dit la semaine dernière dans un rapport du comité sur le projet de loi S-7, la mise en œuvre de ce critère initial dénué de clarté :
[...] pourrait avoir les résultats suivants : un traitement arbitraire à la frontière, l’infraction du droit à la vie privée des individus, un risque accru de discrimination, un manque de clarté quant à la signification de la norme proposée, et, enfin, une autre contestation devant les tribunaux.
Chers collègues, malgré cet amendement, j’ai toujours de sérieuses réserves à l’égard de cette mesure législative. Je tiens à dire officiellement que j’ai tenté, avec l’aide du bureau de l’agent de liaison du gouvernement au Sénat, d’organiser une rencontre avec des représentants de l’ASFC afin de présenter mes inquiétudes et mes questions directement à ceux qui mettraient cette mesure législative en application. On m’a rapidement informée que l’ASFC avait rejeté ma demande, car l’agence aurait pour pratique de ne pas tenir de rencontres individuelles avec des parlementaires. J’ai alors proposé d’organiser une rencontre avec un petit groupe de sénateurs ayant des préoccupations semblables au sujet du projet de loi S-7, dans l’espoir que l’ASFC puisse nous rassurer de manière productive et efficace. Cette demande a elle aussi été repoussée par l’ASFC. Je suis déçue qu’on m’ait refusé la possibilité d’établir un dialogue utile avec les personnes qui seraient chargées d’accomplir les tâches importantes qui seraient définies par l’adoption de ce projet de loi.
Honorables sénateurs, cela dit, j’aimerais parler de la préoccupation majeure que j’ai toujours concernant le projet de loi S-7. Précisément, je suis préoccupée par la pratique insidieuse du profilage racial en ce qui concerne la justification d’un second examen. En théorie, tous les sénateurs connaissent bien ce problème, mais seul un petit groupe connaît réellement la peur et l’anxiété d’être assujetti à ce genre de comportement ciblé et malveillant.
En tant que femme des Premières Nations, je peux vous dire que le profilage racial est réel et qu’encore à ce jour, j’en suis victime. Je suis convaincue qu’il en est de même pour d’autres sénateurs qui font partie d’un groupe minoritaire racisé, que ce soit les Autochtones, les Noirs, les Asiatiques ou d’autres.
Ce problème est profondément enraciné dans bien des domaines différents qui composent le tissu de notre société. Je crains que le libellé et le contenu du projet de loi risquent encore dangereusement de faciliter ce genre d’attitude chez les personnes en position d’autorité, mettant en évidence le déséquilibre des pouvoirs qui fait en sorte que les voyageurs racisés sont subordonnés et soumis à des agents frontaliers pouvant parfois entretenir des préjugés non fondés.
Honorables sénateurs, cette question a été soulevée la première fois le 30 mai par notre collègue la sénatrice Jaffer au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je remercie la sénatrice Jaffer de la détermination de fer dont elle a fait preuve pour s’assurer que cette question, qui est essentielle pour de nombreuses personnes partout au pays, ne soit pas rejetée du revers de la main. En réponse aux questions qui lui ont été posées à ce sujet, le ministre Mendicino a reconnu la validité des préoccupations. Voici ce que le ministre Mendicino a affirmé :
D’abord et avant tout, je tiens à vous assurer que nous accordons la plus grande importance au problème du racisme systémique et du profilage racial, pas seulement à l’ASFC, mais aussi dans tous les organismes chargés de l’application de la loi. D’ailleurs, les fonctionnaires de tous les organismes d’application de la loi reconnaissent, et c’est à leur honneur, qu’il s’agit d’un problème qui existe et qui doit être éradiqué. Nous devons tous être unis dans cette lutte.
Le ministre a ensuite ajouté ceci :
Je tiens aussi à vous assurer [...] que [le mandat] que le premier ministre m’a confié [exige] bel et bien, en termes très clairs, que les organismes poursuivent leurs efforts importants pour éradiquer le racisme systémique sous toutes ses formes. Vous voulez savoir ce que ça veut dire? Ça suppose d’améliorer la formation, d’être sensible à la culture et d’être conscient des préjugés qui ont infiltré la façon dont nous travaillons.
Je suis heureuse que le ministre et ses fonctionnaires aient parlé de la formation rigoureuse qui serait exigée des agents de l’ASFC avant leur entrée en fonction. Cependant, j’avoue avoir été choqué par la réponse fournie par M. Scott Millar, vice-président de la Politique stratégique de l’Agence des services frontaliers du Canada, lorsqu’on lui a posé une question précise sur la nature de la formation axée sur la diversité que suivraient ces agents. Dans ses mots, M. Millar a dit ceci :
Il existe plusieurs cours obligatoires destinés à l’ASFC, et certains cours portent sur la partialité inconsciente qui concerne plus précisément ce type de pouvoir. Notre cours axé sur la diversité et les relations raciales durent, si je ne m’abuse, une heure.
Chers collègues, cela mérite d’être répété. Le cours axé sur la diversité et les relations raciales que les agents de l’ASFC doivent suivre dans le cadre du projet de loi S-7 est d’une durée d’une heure. À mon avis, cette durée n’est qu’un prétexte : elle contribue de façon négligeable à la lutte contre les problèmes systémiques et profondément enracinés qui sous-tendent le profilage racial.
Malgré les belles paroles du ministre sur l’engagement du gouvernement à éradiquer le racisme systémique à l’aide d’une meilleure formation, les actions liées à ces paroles sont décevantes et insuffisantes. À ce titre, nous ne devons pas être aveugles au fait que ce niveau de formation — si nous pouvons l’appeler ainsi — ne se traduira pas par une meilleure compréhension des relations raciales. Il ne permettra certainement pas d’atteindre le noble objectif d’éradiquer plus de 150 ans de pensées transformées en actions racistes et préjudiciables qui ont constamment entaché les relations de nos autorités avec les Premières Nations au Canada.
Lors de la réunion du 6 juin du Comité de la sécurité nationale et de la défense, quand on lui a demandé si une formation d’une heure sur cette question était suffisante, Mme Pantea Jafari, membre, fondatrice et avocate principale de Jafari Law ainsi que membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des avocats musulmans, a déclaré ce qui suit :
[Je] ne pense pas qu’une heure de sensibilisation soit suffisante, quoi qu’il en soit. Les stéréotypes qui imprègnent les agents frontaliers et le contexte de la sécurité nationale sont profondément enracinés [...] Ils y sont ancrés de façon systémique [...] et c’est pourquoi le profilage racial et les préjugés sur lesquels il se fonde sont si prédominants dans le contexte de la sécurité nationale et si fortement ressentis par les personnes racisées et minoritaires.
Plus tard au cours de cette réunion, Mme Jafari a poursuivi :
[Le] problème est vivement ressenti par les personnes racisées, mais on ne semble pas vraiment vouloir corriger la situation. Quand on voit que le ministre propose une formation d’une heure sur la diversité pour corriger le problème accablant et extrêmement bien documenté du profilage racial aux douanes, on comprend à quel point il prend cette question au sérieux, c’est-à-dire pas du tout.
Comme vous pouvez le constater, chers collègues, même les experts juridiques expriment de graves préoccupations quant aux répercussions que le profilage racial continuera d’avoir sur ce processus. Cela s’explique en partie par le manque de diligence de la part du gouvernement et de ses organismes lorsqu’ils délèguent la responsabilité de régler un problème qui existe depuis des siècles au Canada.
Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant dire que le ministre a indiqué qu’une nouvelle commission sera créée pour surveiller les comportements de l’ASFC et de la GRC et recueillir des données à ce sujet. Je note toutefois que la création de cette commission dépend de l’adoption du projet de loi C-20, qui n’en est qu’à l’étape de la première lecture à la Chambre. Autrement dit, la création de cette commission n’en est qu’à ses balbutiements et il y a de l’incertitude au sujet de ce qu’elle accomplirait en réalité si le projet de loi obtient un jour la sanction royale. Ce qui est sûr, chers collègues, c’est que cette commission fonctionnera en aval. Même si elle servira en théorie à déterminer après coup les problèmes et les lacunes dans la conduite et le niveau de service de l’ASFC et de la GRC, elle n’offrira dans les faits aucune mesure de protection ou d’aide aux voyageurs à la frontière. C’est particulièrement vrai pour les voyageurs racisés, qui ont le plus besoin d’un niveau de considération et de protection élevé.
Honorables sénateurs, même si je reconnais que les étapes que j’ai mentionnées sont importantes et nécessaires, j’ai de sérieuses réserves quant au fait qu’elles sont suffisantes et qu’elles permettront de réduire concrètement le profilage racial et donc la crainte — c’est bien le cas, n’en doutez pas — que les voyageurs des Premières Nations et d’autres voyageurs de couleur ressentent lorsqu’ils se présentent aux autorités à la frontière.
Honorables collègues, la dernière préoccupation dont j’aimerais vous faire part concerne les données. C’est un défi perpétuel d’obtenir des analyses sexospécifiques, peu importe qu’elles soient produites par le gouvernement ou non. Depuis, je demande à la Bibliothèque du Parlement de me fournir de telles analyses pour toutes les dispositions législatives du gouvernement. L’analyse sexospécifique menée pour le projet de loi S-7 mettait l’accent sur les données. Voici un extrait :
En l’absence de données concrètes, il est impossible de mesurer l’ampleur de la discrimination et du racisme à la frontière et de déterminer si le projet de loi S-7 exacerbera ces problèmes.
C’est une grave inquiétude qui, d’après moi, elle mérite une attention particulière. Il sera difficile de vérifier si le projet de loi S-7 a pour effet d’atténuer un problème sérieux pour de nombreux Canadiens ou d’intensifier les obstacles pour les Canadiens.
Honorables sénateurs, la réalité du problème du profilage racial a été bien résumée dans une réponse fournie par Mme Pantea Jafari lors de la réunion du 6 juin du Comité de la sécurité nationale et de la défense. Après son témoignage, le sénateur Yussuff lui a demandé si, à son avis, ces mesures législatives allaient empirer le profilage racial à la frontière. Mme Jafari a répondu ce qui suit :
Oui, c’est ce que je pense, parce que ces préjugés et ces stéréotypes ne feront que s’enraciner davantage si les agents sont dotés du pouvoir accru de les déployer. Je suis convaincue que, à moins de garanties suffisantes, la situation va empirer de façon disproportionnée pour les personnes racisées qui passent la frontière.
Chers collègues, c’est pour cette raison, et parce que je ne crois pas que le projet de loi S-7 prévoie les garanties suffisantes auxquelles fait allusion Mme Jafari, que je ne l’appuierai pas.
Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)