Aller au contenu

Le Sénat

Adoption de la motion concernant les délibérations du projet de loi C-28

23 juin 2022


L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Conformément au préavis donné le 22 juin 2022, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :

1.si le Sénat reçoit un message de la Chambre des communes avec le projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême), le projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour pour une deuxième lecture le 23 juin 2022;

2.si le message sur le projet de loi avait été reçu avant l’adoption du présent ordre et le projet de loi inscrit à l’ordre du jour pour une deuxième lecture à une date ultérieure à celle du 23 juin 2022, il soit avancé au 23 juin 2022 et traité ce jour-là;

3.toutes les délibérations sur le projet de loi soient terminées le 23 juin 2022, et, pour plus de certitude :

(i)si le projet de loi est adopté à l’étape de la deuxième lecture ce jour-là, la troisième lecture soit abordée immédiatement;

(ii)le Sénat ne lève pas sa séance avant d’avoir disposé du projet de loi;

(iii)aucun débat sur le projet de loi ne soit ajourné;

4.un sénateur ne puisse intervenir qu’une fois au cours du débat sur le projet de loi, que ce soit à l’étape de la deuxième ou de la troisième lecture, ou sur une autre délibération, et au cours de cette intervention sur le projet de loi, tous les sénateurs aient un temps de parole maximal de 10 minutes, à l’exception des leaders et facilitateurs, qui disposent d’un maximum de 30 minutes chacun, et du parrain et du porte‑parole, qui disposent d’un maximum de 45 minutes chacun;

5.à 21 heures le jeudi 23 juin 2022, s’il n’y a pas encore eu une décision finale sur le projet de loi à l’étape de la troisième lecture, le Président interrompe les délibérations alors en cours pour mettre aux voix toutes les questions nécessaires pour rendre une décision finale sur toutes les étapes restantes, sans autre débat ou amendement, sauf, si nécessaire, pour reconnaître le parrain afin qu’il puisse proposer la motion pour la deuxième ou la troisième lecture, le cas échéant;

6.si un vote par appel nominal est demandé par rapport à toute motion nécessaire pour la prise de décision sur le projet de loi conformément au présent ordre, ce vote ne soit pas reporté et les cloches ne se fassent entendre que pendant 15 minutes;

Que :

1.le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la question de l’intoxication volontaire, y compris l’intoxication extrême volontaire, dans le contexte du droit pénal, notamment en ce qui concerne l’article 33.1 du Code criminel;

2.le comité soit autorisé à prendre en considération tout rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes relatif à ce sujet et à la teneur du projet de loi C-28;

3.le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 10 mars 2023;

4.lorsque le rapport final est soumis au Sénat, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement dans un délai de 120 jours, avec la réponse, ou l’absence d’une réponse, étant traitée selon les dispositions des articles 12-24(3) à (5) du Règlement.

 — Honorables sénateurs, je n’ai pas l’intention de participer au débat. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, j’espérais ne pas être le premier à prendre la parole parce que j’ai préparé mes notes pour un débat. Néanmoins, je tenterai de présumer ce que certaines personnes auraient dit, puis je débattrai ces hypothèses.

Honorables sénateurs, bien franchement, j’hésitais. Le sénateur Gold a décidé de ne pas prendre part au débat, et je me suis demandé si je le voulais. Je crois sincèrement que l’on présentera de façon équitable les deux côtés de la question ainsi que la motion au cours du débat d’aujourd’hui. De toute évidence, les opinions divergent sur la question de savoir si nous devrions présenter une motion qui ressemble beaucoup à une motion de programmation. Je suis certainement heureux que le libellé n’indique pas qu’il s’agit d’une motion de programmation, mais j’estime qu’il est important de consigner certains faits au compte rendu.

Je souligne qu’à mon avis, la motion à l’étude ne crée pas de précédent; nous ne changeons aucunement le fonctionnement du Sénat ni les pouvoirs que peuvent avoir les sénateurs de l’opposition, que ce soit en tant que groupe ou individuellement.

Je rappelle, tout d’abord, que la motion visant à limiter le débat et à adopter rapidement le projet de loi C-28 a été adoptée à l’unanimité à la Chambre des communes. C’est notamment pour cette raison que nous appuyons nous aussi la motion et que nous voterons, plus tard aujourd’hui, en faveur du projet de loi C-28.

L’autre endroit a opté non pas pour une mesure d’attribution de temps, mais pour une entente sur la façon de régler les choses correctement et rapidement. Cette entente a été négociée et acceptée par tous les partis. Je tiens à le souligner : il s’agit d’une entente qui a été acceptée par tous les côtés.

Il se peut que certains sénateurs trouvent à redire au sujet de cette entente ou de ce que nous faisons, tout comme je trouve moi-même à redire à propos de la façon dont le gouvernement a parfois agi, y compris pour le projet de loi C-28, qu’il n’a pas transmis au Sénat assez tôt pour que nous puissions tenir des débats un peu plus approfondis et confier le projet de loi à un comité. Au lieu de cela, nous avons dû accepter un pis-aller, c’est-à-dire avoir une séance de comité plénier avec un ministre de la Justice qui, très franchement, ne nous a pas fourni les réponses dont nous avions besoin, je crois.

Ainsi, l’entente que nous avons conclue est semblable à celle conclue à la Chambre des communes. Nous avons conclu une entente sur le processus, et non sur notre approbation du contenu du projet de loi. Nous avons conclu une entente sur le processus, et tous les sénateurs qui prendront la parole au sujet de cette motion et qui font partie d’un caucus — ou d’un groupe, comme on aime maintenant les appeler, ou peu importe — ont des leaders qui ont été élus. Le sénateur Gold a été nommé, mais la sénatrice Saint-Germain a été élue par son groupe, la sénatrice Cordy a été élue par le sien, le sénateur Tannas a été élu par le sien, et j’ai été élu par le mien, et je remercie sans cesse mes collègues et je ne cesse d’être surpris par la confiance qu’ils ont en moi, mais je l’apprécie.

La décision a été prise par tous les leaders, et nous avons donné notre aval. Nous avons tous dit qu’il fallait élaborer un processus. Nous sommes ici dans les derniers jours et les dernières heures d’une assez longue séance.

Je suis certain que les chauffeurs des ministres sont aux portes de la Chambre des communes, prêts à conduire rapidement hors de la ville ceux qui ne sont pas encore partis. Le reste des députés de tous les partis sont prêts à rentrer chez eux.

Demain, c’est la Saint-Jean-Baptiste, une journée extrêmement importante dans la province de Québec, et le fait que ce soit la Saint-Jean-Baptiste est certainement une question importante pour moi. Nous ne célébrons pas la même fête, mais nous devions faire quelque chose pour sortir d’ici. Nous aurions pu faire autre chose que d’étudier la motion et revenir ici la semaine prochaine — aux frais des contribuables — pour en débattre davantage. Nous ne serions arrivés à rien; nous n’aurions rien changé. Les députés sont rentrés chez eux. Nous pourrions l’amender, mais ils ne s’en occuperaient pas et nous courrions le risque que des crimes horribles se produisent dans tout le pays. On aurait préparé des plaidoyers de défense arguant l’état d’intoxication de la personne en cause et ce n’est pas ce que je veux.

J’ai fait valoir à maintes reprises dans cette enceinte que le gouvernement nous renvoie des projets de loi qualifiés d’urgents par le leader du gouvernement au Sénat et l’autre endroit, alors qu’il n’en est rien. Cependant, chers collègues, le projet de loi en question est bel et bien urgent. Nous devons l’adopter avant l’ajournement.

Le ministre a dit qu’il était satisfait de l’étude, et nous avons adopté une motion pour que le Comité des affaires juridiques se penche là-dessus. Nous recevrons un rapport à ce sujet, et j’espère que nous pourrons améliorer les choses, mais nous devons aller de l’avant.

Le Sénat a déjà adopté des motions semblables par le passé. Par exemple, dans le cas des projets de loi sur l’aide médicale à mourir et sur la légalisation du cannabis, l’ensemble des caucus et des leaders des groupes ont négocié pour trouver un terrain d’entente. Il n’y a pas eu de motion pour limiter le débat ou pour imposer la volonté du gouvernement à l’opposition ou à d’autres sénateurs.

J’ai pris part aux négociations entourant l’échéancier, et nous avons convenu de changer le temps de parole pour le faire passer de 15 à 10 minutes afin que tous puissent donner leur avis, mais nous avons imposé certaines limites, et je crois que c’est une bonne chose. Je ne veux pas qu’on empêche un sénateur de donner son avis aujourd’hui, et nous avons évidemment adopté des motions pour que nous puissions siéger jusqu’à minuit, et c’est très bien. Nous allons siéger jusqu’à minuit. Nous avons siégé tard hier soir, et c’est normal.

La motion no 53 permet que le projet de loi C-28 soit lu pour la deuxième et la troisième fois en une même journée. Là encore, il n’y a rien d’inhabituel. Il n’y a rien de nouveau à ce qu’on s’entende pour faire abstraction des délais prescrits dans le Règlement. De nombreux précédents dans notre passé proche et lointain montrent que nous l’avons déjà fait. Le projet de loi C-28 n’est ni long ni complexe. C’est un projet de loi très simple. La question sur laquelle il porte est technique, mais le projet de loi en soi est simple. Ainsi, ne pas avoir de longs délais entre les première et deuxième lectures, et ensuite entre les deuxième et troisième lectures, cela ne porte pas préjudice, malgré ce que certains sénateurs peuvent penser. Ce n’est pas préjudiciable.

En voyant le nombre de sénateurs qui ont exprimé la volonté de prendre la parole sur le projet de loi C-28, je ne pense pas que le fait d’organiser le débat de la manière dont la motion no 53 le propose enlèverait à un sénateur son droit d’exprimer son opinion aux fins du compte rendu et même de proposer des amendements. Nous avons prévu le temps nécessaire. Il n’y a rien dans la motion qui nous empêcherait de proposer des amendements.

La motion limite le temps dans le sens où nous devrons mettre la question aux voix avant 21 heures ce soir. Comme je l’ai dit, il ne s’agit toutefois pas d’une motion d’attribution de temps. Lorsque l’opposition adhère à un processus que le gouvernement a présenté, cela ne peut être interprété comme une attribution de temps. Cela peut être interprété comme le fait que deux, trois, quatre ou, dans ce cas-ci, cinq partis se réunissent et s’entendent à l’unanimité. Chers collègues, je ne pense pas commettre une indiscrétion en disant que nous avions l’unanimité sur cette question. Nous avions des opinions divergentes sur le consentement, par exemple, et, bien entendu, le consentement n’a pas été accordé lorsque le sénateur Gold a présenté cette question, comme le sénateur Tannas l’a précisé clairement.

Encore une fois, je suis désolé si je brise le sceau de la confidence, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Le sénateur Tannas l’a bien fait comprendre au sénateur Gold : présentez une motion de telle sorte que si vous n’obtenez pas le consentement, vous disposerez d’un préavis d’une journée dont vous aurez besoin pour faire adopter cette motion. Nous ne vous retiendrons pas ici le jour de la Saint-Jean-Baptiste. Nous ne vous demanderons pas de revenir, mais ne nous demandez pas de vous accorder le consentement, car vous savez que notre groupe, notre caucus, est fondamentalement opposé à l’octroi du consentement, comme nous l’avons bien montré. Cependant, le sénateur Tannas a adhéré volontiers au principe sous-tendant la mesure prise ensuite par le sénateur Gold.

Nous sommes le 23 juin — je me répète peut-être — et demain est un jour férié au Québec. Le Sénat n’a pas l’habitude de siéger ce jour-là. Le fait de prolonger le débat sur le projet de loi C-28 pour le simple plaisir de le faire nous obligerait à revenir quelques jours la semaine prochaine, ce qui coûterait inutilement cher aux contribuables.

Enfin, je tiens à souligner que la motion prévoit une étude en profondeur des questions entourant le projet de loi C-28, qui sera menée par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je l’ai déjà mentionné. Encore une fois, tous les groupes ont accepté cette façon de procéder. Assurons-nous que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles fasse cette étude. Le comité, sous la direction de la sénatrice Jaffer, s’est vu attribuer un mandat pour nous permettre de faire progresser ce dossier. Il s’agit d’une motion du gouvernement. Elle est présentée par le sénateur Gold, et je n’ai aucun doute que les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles s’acquitteront de cette tâche avec rigueur. Il doit être bien clair que cette étude fait partie intégrante de l’entente.

Chers collègues, je sais que certains sénateurs, notamment au sein de mon caucus, ne veulent pas donner leur accord. Nous ne voulons pas donner au gouvernement ce qu’il veut, ce qui est de bonne guerre. Cependant, lorsqu’il est question d’établir des processus, depuis que je participe aux négociations — et le sénateur Harder pourra le confirmer, tout comme le sénateur Gold —, je n’ai jamais, dans le cadre d’une entente, accepté que nous adoptions un projet de loi dans un délai donné. J’ai accepté que la motion sur un projet de loi soit mise aux voix dans un délai donné. Il y a une nette différence, et aucun leader des cinq groupes n’a pris d’engagement sur la façon dont chacun de vous, chers collègues, allez voter.

La seule chose dont nous avons convenu, c’est de le faire aujourd’hui et de façon ordonnée. Nous avons limité le temps de parole, mais nous n’avons pas limité le nombre d’intervenants, alors j’invite tous les sénateurs à prendre la parole. Je souhaite également que nous adoptions cette motion. Plus tard aujourd’hui, je prendrai la parole au sujet du projet de loi C-28 et je ferai connaître ce que je voudrais y voir. J’ai des choses à dire, mais nous discutons présentement de cette motion. J’invite tous les sénateurs à donner leur opinion, mais passons au débat sur le projet de loi, ce très important projet de loi qui a obtenu l’appui de tous les partis à l’autre endroit, comme il se devait. Cet enjeu concerne absolument tous les Canadiens. La question doit être rapidement réglée avant que nous partions demain. Merci, chers collègues.

L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion de programmation no 53, qui se rapporte au projet de loi C-28. Ce dernier porte sur l’intoxication extrême qui plonge une personne dans un état s’apparentant à l’automatisme.

J’ai été initialement informé des problèmes potentiels associés au projet de loi après son dépôt vendredi dernier. Au cours de la fin de semaine, de nombreux juristes éminents de tout le pays ont eux aussi fait connaître leurs préoccupations. Mardi dernier, j’ai écouté les sénateurs exprimer les uns après les autres leurs inquiétudes concernant les échappatoires qui pourraient être créées par ce projet de loi. Je pense qu’il s’agit d’un de ces moments où je ressens le besoin d’exercer mon indépendance et de parler franchement pour pouvoir bien dormir le soir. Je suis reconnaissant de bénéficier de l’appui d’un groupe qui apprécie ce type d’indépendance.

Comme vous le savez tous, j’ai rassemblé mon courage, et j’ai rejeté catégoriquement la tentative du gouvernement hier de proposer cette motion avec le consentement du Sénat. Je veux expliquer pourquoi. Il y a toujours des choses qui se produisent ici qui frustrent l’un ou plusieurs d’entre nous. Quant à moi, je suis surtout frustré quand nous semblons nous dérober à notre responsabilité d’examiner attentivement les mesures législatives et de représenter constamment nos régions, les minorités et les groupes qui ne sont pas toujours écoutés.

Hier soir, j’ai écouté attentivement la sénatrice Dasko qui nous disait que les Canadiens ne comprennent toujours pas en quoi le Sénat les sert. Je suis ici depuis assez longtemps pour avoir vu passer des motions d’attribution de temps et des motions de programmation. D’après mon expérience, il est utile de recourir à une motion de programmation lorsqu’on doit étudier un texte législatif long et complexe et qu’il faut déterminer la voie à suivre. Ce type de motion ne sert pas à limiter le débat et à sauter des étapes du processus d’examen parlementaire pour un projet de loi qui — au moment où le consentement du Sénat était demandé hier — n’avait même pas encore été présenté.

Je sais que les leaders du Groupe des sénateurs canadiens, le GSC, ont exploré des moyens de permettre à plus de gens de se faire entendre sur cette question. Nous avons demandé s’il était possible de prolonger la séance du comité plénier. Nous aurions pu ajouter 65 minutes après le témoignage du ministre Lametti pour entendre des organisations de femmes et d’autres témoins qui étaient et sont encore impatients de témoigner au sujet de ce projet de loi. On a aussi suggéré que le Comité des affaires juridiques entreprenne une brève étude. Un comité s’est même réuni hier soir, pendant le souper. Alors cela aurait pu être fait hier si on l’avait voulu, mais toutes ces options ont été rejetées.

Honorables sénateurs, faire preuve de leadership exige certainement de la fermeté et de la détermination parfois. Cependant, je crois que cela exige également la volonté d’écouter les autres et à faire des compromis parfois. Selon moi, l’implacabilité du gouvernement et son refus de s’adapter à ces demandes ont fait que nous nous sommes retrouvés dans une situation où l’on allait nous demander de tout adopter sur consentement du Sénat, si bien que tout sénateur refusant son consentement serait devenu l’unique responsable du fait que le Sénat aurait à siéger demain, à la Saint-Jean-Baptiste, ou la semaine prochaine, par exemple. C’est une tactique qui force toute personne s’opposant à ce qui est proposé à devenir « le méchant » et croyez‑moi, je sais comment on se sent alors. Ainsi, bien souvent, nous surmontons nos réticences et laissons les mesures être adoptées malgré nos objections.

Je tiens à remercier les leaders d’avoir présenté cette motion, car même si je ne l’approuve pas et que j’estime qu’il s’agit d’une utilisation inappropriée d’un outil autrement tout à fait légitime — en fait, il contourne carrément le Règlement du Sénat —, à tout le moins, certains collègues et moi avons la chance de nous exprimer à son sujet, comme vient de le mentionner le sénateur Plett. Ainsi, nous nous assurons au moins que si nous l’adoptons, c’est parce que la majorité du Sénat juge approprié d’adopter ce projet de loi de façon aussi accélérée, sans avoir entendu qui que ce soit d’autre que le gouvernement et nous-mêmes.

J’estime que c’est une erreur. Je suis pleinement conscient d’être le seul, ou presque, à m’opposer à cette motion. La situation m’a fait penser à David contre Goliath ou au défavorisé confronté à un obstacle insurmontable. Cependant, un autre défavorisé, du nom de Rocky Balboa, a dit : « Il y a longtemps que j’ai cessé de penser comme la plupart des gens. Chacun doit penser à sa façon. »

Chers collègues, je tiens à donner le dernier mot aux femmes qui, à mon avis, devraient participer au présent débat. Je me permets donc de faire lecture d’une lettre adressée le 21 juin 2022 à l’ensemble des sénateurs. Soit dit en passant, ces femmes sont en attente, prêtes à venir exprimer de sérieuses préoccupations, parce que le projet de loi a été rapidement adopté par la Chambre des communes avant de nous être renvoyé.

J’estime que cette lettre est une preuve éloquente qui confirme ce que je pense, soit que nous ne devrions pas aller de l’avant avec cette mesure sans la participation des femmes. D’ailleurs, c’est la principale raison qui m’amène à voter contre la motion. Je cède maintenant la parole aux femmes parce que je sais que leur point de vue correspond parfaitement au mien.

Voici la lettre en question :

Je vous écris au nom de l’Association nationale Femmes et Droit (ANFD). Fondée en 1974, l’ANFD est une organisation féministe qui promeut les droits à l’égalité des femmes par l’éducation juridique, la recherche et le plaidoyer pour la réforme du droit. Bien que l’ANFD convienne que le Parlement devrait agir rapidement pour répondre à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Brown, elle est profondément préoccupée par la précipitation apparente à adopter le projet de loi C-28, modifiant l’article 33.1 du Code criminel, avant l’ajournement du Parlement pour l’été. Il y a eu un manque de consultation significative avant le dépôt du projet de loi et sur le fond de celui-ci. Dans la plus pure tradition du Sénat, chambre du second examen objectif, l’ANFD demande aux sénatrices et sénateurs de prendre le temps d’examiner attentivement le projet de loi et de le renvoyer à son Comité des affaires juridiques et constitutionnelles en prévoyant suffisamment de temps pour entendre les parties intéressées, notamment les groupes de femmes, les procureurs de la Couronne et les expertes et experts en médecine. [...] Cette démarche est nécessaire pour que le Comité puisse envisager de réviser les aspects problématiques du projet de loi, dont nous craignons qu’ils posent des obstacles quasi impossibles à franchir pour poursuivre les personnes intoxiquées qui commettent des violences à l’encontre des femmes.

Je joins notre communiqué de presse qui fournit quelques détails supplémentaires sur nos préoccupations, notamment en ce qui concerne l’exigence selon laquelle les procureures et procureurs doivent prouver hors de tout doute raisonnable à la fois la prévisibilité raisonnable de la perte de contrôle à la suite de la consommation de substances intoxicantes et la prévisibilité du préjudice. Nous présentons également un tableau de deux possibilités de modification de l’article 33.1, que nos experts en droit criminel et constitutionnel ont élaborées afin de contourner les faiblesses actuelles du projet de loi C-28. Nous avons présenté ces possibilités au ministère de la Justice lors d’une réunion organisée par les avocates et avocats du ministère de la Justice, quelques jours seulement avant le dépôt du projet de loi. Ces possibilités n’ont pas été prises en considération de manière significative et nous ne pouvons pas discerner qu’elles sont reflétées dans le projet de loi C-28 de quelque manière que ce soit. Le contraste avec la consultation précoce de l’ANFD avant le dépôt du projet de loi insérant l’article 33.1 dans le Code criminel est frappant. L’ANFD a également témoigné devant le Parlement en proposant un certain nombre d’amendements à ce qui est devenu le texte final de l’article 33.1.

La défense de l’intoxication extrême est une défense qui est presque toujours avancée par les hommes qui commettent des violences à l’encontre des femmes. De plus, les hommes responsables de violence contre les femmes sont généralement intoxiqués. Même si la barre est haute en matière de preuve pour que la défense d’intoxication extrême soit couronnée de succès, il ne faut pas sous-estimer l’impact réel de la disponibilité de cette défense sur les décisions d’inculpation et de poursuite. Le Parlement devrait agir rapidement pour s’assurer que les hommes accusés qui s’intoxiquent à l’extrême volontairement avant de commettre des violences fondées sur le genre soient tenus pour responsables. Cependant, il ne doit pas agir hâtivement et inscrire dans la loi un projet de loi imparfait. L’ANFD vous demande respectueusement de prendre le temps de vous assurer que le projet de loi C-28 servira les intérêts de la justice.

La lettre, chers collègues, porte la signature de Kerri A. Froc, présidente du Comité national de direction de l’Association nationale Femmes et Droit et est cosignée par des représentantes du Luke’s Place Support and Resource Centre, d’Hébergement femmes Canada, de l’Association canadienne pour mettre fin à la violence, de l’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation, de l’Alberta Council of Women’s Shelter, du Sexual Assault Centre of Edmonton, de la Barbra Schlifer Commermorative Clinic, de l’organisme Persons Against Non-State Torture, du London Abused Women’s Centre, de l’Ontario Network of Sexual Assault/Domestic Violence Treatment Centres, de l’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes, du WomenatthecentrE et du Lanark County Sexual Assault & Domestic Violence Program.

Je suis heureux de leur laisser le dernier mot de mon intervention et de répondre à leur ardent désir d’être entendues.

Merci, honorables sénateurs.

Le sénateur Plett [ + ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Patterson [ + ]

Oui.

Le sénateur Plett [ + ]

Merci, sénateur Patterson, pour ce discours. Permettez-moi de dire d’emblée que, dans votre analogie au sujet de David et Goliath, David n’a jamais été en situation minoritaire car il avait Dieu de son côté. Mais peu importe. Sénateur Patterson, ma question est la suivante : l’autre jour, quand nous avons adopté quatre motions du gouvernement en une heure, j’ai ressenti le besoin de me lever pour aller prendre une douche.

Il y a quelques minutes, j’ai dit au leader du gouvernement que je devrais me laver la bouche avec du savon après avoir appuyé le gouvernement. Ce n’est donc pas avec fierté et plaisir que j’appuie ce que je considère être, même dans le cas de ce projet de loi, un défaut de prendre ses responsabilités.

À mon avis, il y a toutefois une différence dans le cas présent, ce qui m’amène à ma question. La différence, à mon avis, c’est que tout cela n’a pas été précipité par le gouvernement, mais bien par la Cour suprême du Canada. La cour a invalidé quelque chose. Elle a obligé le gouvernement à faire quelque chose et, à mon avis, elle l’a obligé à le faire beaucoup trop vite. Ce n’est pas comme si le gouvernement venait soudainement de présenter ce projet de loi à cause d’une promesse électorale faite il y a deux ans.

Sénateur Patterson, vous avez fait allusion à quelques suggestions, mûrement réfléchies, à savoir que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles se réunisse brièvement ou qu’on pourrait tenir une seconde séance de comité plénier. Dites‑moi, autre que d’entendre le témoignage de certaines personnes, quel aurait été le but?

Nous n’avions pas le temps d’accomplir quoi que ce soit à part ce que nous faisons présentement, c’est-à-dire voter sur le projet de loi, puis, idéalement, l’adopter pour ensuite le renvoyer au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pour étude, envoyer le rapport au gouvernement, attendre un certain temps avant de recevoir la réponse du gouvernement et, finalement, espérer que des corrections soient apportées pour remédier à des lacunes réelles. Qu’est-ce que ce que vous avez proposé nous aurait permis de faire mieux?

Le sénateur Patterson [ + ]

Je vous remercie, sénateur Plett.

Des esprits maîtrisant mieux le droit que moi se sont déjà penchés sur ce projet de loi depuis qu’il a été déposé à la hâte à l’autre endroit. Comme je l’ai mentionné dans la lettre que je viens de lire, le fardeau de la preuve qui revient à la Couronne dans ce projet de loi est si élevé que cela suscite une grande inquiétude. En fait, ce fardeau entraîne le risque que les contrevenants soient acquittés quand ils utiliseront cette défense.

Or, cette organisation qui représente des femmes inquiètes a suggéré des amendements simples pour corriger les lacunes du fardeau de la preuve. C’est donc un enjeu que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles aurait pu étudier, avec toute la compétence qu’on lui connaît. Nous aurions ainsi pu être saisis d’un projet de loi et d’une recommandation d’amendement pour régler le problème.

L’honorable Jim Quinn [ + ]

Honorables sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le sénateur Plett d’avoir rappelé qu’à titre de sénateurs, nous avons le droit de prendre la parole, de partager nos réflexions et de parler de ce qui devrait nous motiver individuellement. Je tiens aussi à dire que personnellement, j’adhère à l’indépendance du Sénat. Il m’arrive toutefois, en tant que nouveau sénateur, d’observer les débats et de me demander à quel point nous sommes indépendants.

Je passe maintenant à mes observations proprement dites. Comme je l’ai dit, bien que fraîchement arrivé au Sénat, j’ai quelques observations à propos de ce qui semble être une situation assez courante en décembre et en juin. Quand arrivent ces deux moments du calendrier parlementaire, on demande au Sénat, ou on attend de lui, qu’il adopte à toute vitesse des projets de loi, puisque certaines questions sont réputées être des priorités du gouvernement et être essentielles quand vient le temps de les étudier.

Il ne fait aucun doute que certains éléments sont essentiels et doivent être traités dans les meilleurs délais. Nous sommes tous conscients de ne pas être les représentants élus de la population canadienne; ce privilège appartient à nos collègues de l’autre endroit. D’un autre côté, nous sommes des parlementaires, nous aussi. Nous avons donc un rôle important à jouer dans le processus législatif, au nom des Canadiens de toutes les régions du pays.

Nous sommes censés, entre autres choses, être une Chambre de second examen objectif, examiner les projets de loi du gouvernement et les améliorer, et entendre des Canadiens dans le cadre des travaux des comités, lesquels, d’après ce que je comprends et ce que j’entends continuellement, font la force de notre institution.

Je l’ai déjà dit, mais je pense que cela mérite d’être répété aujourd’hui : nous avons tous été nommés, et une partie du processus consiste à parler avec le premier ministre. Lorsque je me suis entretenu avec le premier ministre, il a reconnu que je ne serais peut-être pas toujours d’accord avec les initiatives de son gouvernement, mais qu’il s’attendait à ce que, en tant que sénateur indépendant, je participe au débat dans le but de fournir un apport qui, selon moi, ajouterait de la valeur aux propositions.

Il a reconnu que, même dans un cas où je ne serais pas nécessairement d’accord avec une proposition donnée, ce qui, selon lui, est normal, il s’attendait à ce que, en tant que sénateur indépendant, je fasse mon travail en apportant un second examen objectif à la discussion.

Honorables sénateurs, dans mon travail, je suis nettement conscient que vous pouvez ne pas être d’accord avec ce que je présente. Et c’est très bien ainsi, car je sais que vous aussi, vous faites le travail qu’on vous a demandé de faire. Tout ce que j’attends et tout ce que nous devrions attendre les uns des autres, c’est que nous continuions à respecter les points de vue et les contributions des autres, sans nécessairement y adhérer, car, au bout du compte, nous faisons tous de notre mieux dans l’exercice de nos fonctions.

Ainsi, nous en sommes maintenant à cette période de l’année, la veille du congé estival, où on nous met une pression considérable pour que nous renoncions à notre devoir, en tant que sénateurs, de faire un second examen objectif des mesures législatives qui viennent de la Chambre des communes.

De nombreux Canadiens soulèvent des préoccupations légitimes au sujet du projet de loi C-28, et je suis convaincu que tous les sénateurs dans cette enceinte ont vu leur boîte de réception inondée de courriels de gens de partout au pays exprimant divers points de vue. Nous avons également entendu divers organismes, y compris des organisations de défense des femmes, qui estiment qu’il n’y a pas eu assez de consultations dans la préparation de ce projet de loi. Les intervenants s’inquiètent aussi du fait que le Parlement ne les écoute pas sérieusement, tout simplement parce que nous sommes en juin et que nous nous préparons à ajourner nos travaux pour l’été.

Je n’ai aucun doute que, si nous étions au mois de mars, nous suivrions un processus plus normal; nous entendrions des témoins et débattrions de la mesure. Je pense que le débat est très utile pour mieux comprendre le raisonnement derrière le point de vue de nos honorables collègues. En fait, je souscris à la valeur du débat, car je crois qu’il aide chacun d’entre nous à être mieux informé pour décider, en tant que sénateur indépendant, quel sera notre vote sur une question particulière.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui, à proposer que nous adoptions ce projet de loi à toute vitesse — toutes les étapes en une seule journée. Je n’ai peut-être pas fini d’apprendre les règles de l’étude des mesures législatives au Sénat, mais dans le cas présent, cela me semble tout simplement inacceptable, surtout quand on sait que de nombreux groupes de défense des femmes ont critiqué le projet de loi, comme je viens de le dire. Elles nous demandent de mettre la pédale douce pour leur permettre de se faire entendre sur ce projet de loi vraiment important. Pour ma part, je crois que ces femmes doivent être entendues.

Le gouvernement aurait pu présenter ce projet de loi plus tôt ou nous demander de siéger plus longtemps pour régler ce dossier important. Si cette motion est rejetée, quelle sera la prochaine étape? Le Sénat et le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pourraient se réunir la semaine prochaine pour entendre des intervenants, comme ces groupes de défense des femmes, et j’ajouterais respectueusement qu’on pourrait entendre des juristes.

D’ailleurs, je mentionne les juristes parce que bon nombre de nos collègues sont avocats et que certains d’entre eux semblent avoir exprimé des craintes quant aux conséquences sur le plan juridique. Je sais que ces préoccupations ont trait à la question de savoir si le fardeau de la preuve est trop lourd et s’il pourrait empêcher la Couronne d’obtenir une condamnation. En ce qui me concerne, j’aimerais que les sénateurs qui ont de l’expérience dans le domaine juridique aient la possibilité de se pencher là-dessus et sur toute autre question juridique en discutant un peu plus longuement avec d’autres juristes au comité.

Si nous entendions l’avis de groupes de défense des femmes et de juristes, nous pourrions proposer des amendements, et nous serions collectivement mieux placés pour nous prononcer et pour décider d’adopter ou non ces amendements. Si on adoptait cette motion, il me semble qu’on ferait les choses à l’envers, puisqu’on propose d’étudier ce qui sera dans la loi plus tard, à l’automne, soit après que le projet de loi aura été adopté et qu’il aura reçu la sanction royale.

Ne devrions-nous pas prendre du temps maintenant, pour au moins entendre les groupes de défense des femmes qui ont simplement demandé qu’on les écoute, et pour entendre des spécialistes du droit afin de mieux comprendre leurs points de vue? Je ne propose pas que le Parlement siège au-delà du moment où les comités pourront écouter les témoignages des personnes dont je viens de parler.

Avant de terminer, je tiens à dire que je respecte le travail qu’accomplissent les leaders du Sénat, mais que je tiens aussi en estime, comme membre de mon groupe en particulier, le Groupe des sénateurs canadiens, la capacité que j’ai d’exprimer mon point de vue indépendant tout en étant respecté par mes collègues. Je les en remercie.

Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir permis d’exprimer mes pensées au Sénat aujourd’hui.

L’honorable Frances Lankin [ + ]

Honorables sénateurs, je suis très heureuse de pouvoir participer à ce débat et je remercie le sénateur Plett. Je suis heureuse d’entendre parler des discussions en général, mais aussi des discussions des leaders, le tout sans abus de confiance. J’ai entendu certaine de ces choses lorsque d’autres personnes se sont exprimées avant ce débat. Parmi les choses qui n’ont peut-être pas été abordées, il y a l’indéniable volonté de faire franchir toutes les étapes au projet de loi afin que nous puissions terminer aujourd’hui. Je remercie le sénateur Plett d’avoir fait référence à la fête nationale du Québec de demain, que nous avons l’habitude de respecter, et je suis tout à fait d’accord.

J’ai aussi trouvé intéressante la question qu’il a posée au sénateur Patterson. Sénateur Plett, comme je ne suis pas là en personne, je n’ai pas pu vous dire « bravo » pour vos observations de l’autre côté du parquet. Je peux toutefois vous révéler l’une des raisons pour lesquelles je vous apprécie : vos préambules sont généralement presque aussi longs que les miens, ce que je trouve rassurant.

Plus sérieusement, en ce qui concerne la motion dont nous sommes saisis, je partage une grande partie des préoccupations qui ont été soulevées par mes trois collègues sénateurs. J’ai un point de vue différent, mais j’ai les mêmes préoccupations. J’en suis venue à une conclusion différente. Je suis heureuse de pouvoir en parler au Sénat et d’expliquer le cheminement de ma pensée.

Lorsque nous nous sommes formés en comité plénier pour recevoir le ministre Lametti, je dois admettre que j’ai trouvé le processus inhabituel et qu’il a suscité chez moi une certaine inquiétude. J’aurais préféré une courte étude par un comité plutôt qu’en comité plénier, mais les leaders ont convenu à l’unanimité d’adopter ce processus. J’ai alors eu l’impression que je pouvais tirer bien des renseignements de cette décision.

Bien sûr, comme tous mes collègues, j’ai demandé d’autres opinions sur les dispositions du projet de loi C-28. Ce n’est pas de cela que je parle en ce moment. Je parle de la motion dont nous sommes saisis. J’ai entendu le point de vue de nombreuses organisations féminines, tant celles en faveur du projet de loi que celles qui s’y opposent. Elles débattaient s’il serait préférable de corriger maintenant l’échappatoire de la façon suggérée ou d’attendre pour le faire, de présenter un rapport cet automne après l’adoption du projet de loi et, si des amendements sont requis, d’exercer des pressions sur le gouvernement pour qu’il les apporte ou d’attendre l’automne pour les apporter.

J’ai entendu beaucoup d’opinions sur cette mesure législative. Par conséquent, bon nombre des opinions que nous n’entendons pas nous ont été envoyées d’autres façons, comme les deux intervenants précédents l’ont dit. Ce n’est pas aussi utile qu’avoir un dossier public où on consigne ces opinions, même si je sais que de nombreux sénateurs en feront part lors du débat sur le projet de loi cet après-midi et ce soir, et nous entendrons des citations d’un grand nombre de ces organisations.

Le sénateur Patterson a énuméré plusieurs organisations. Je les connais, et j’ai travaillé avec elles. Je connais et j’ai travaillé avec les directeurs généraux de ces organisations au fil des années, et je respecte leur point de vue, ainsi que celui d’organisations ayant exprimé un point de vue différent.

Je sais que, après le prononcé de la décision judiciaire, il y a eu énormément de pressions sur le gouvernement pour qu’il réagisse rapidement. En fait, je crois qu’il y a peut-être eu une lettre en ce sens, une lettre que j’ai peut-être signée. Je n’ai pas eu le temps de vérifier parce que nous sommes tous très occupés actuellement mais, à mon souvenir, il y a peut-être une trentaine de sénateurs et de nombreux organismes externes qui ont signé cette lettre.

Le gouvernement a rapidement agi pour résoudre ce problème. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’estime maintenant pouvoir appuyer la motion dont nous sommes saisis. La question de savoir si la solution est bonne reste à déterminer. Toutefois, ils ont agi rapidement.

Je suis convaincue que ce gouvernement veut régler cette question. Je suis aussi convaincue, après avoir constaté qu’il y avait consentement unanime à la Chambre des communes, que tous les représentants des partis politiques — dûment élus et qui doivent rendre des comptes à leurs électeurs — pensent qu’il est important d’agir vite. J’en suis persuadée.

Si, pendant l’été, un procès est remporté avec ce type de défense dans une autre affaire, et qu’il est démontré que le problème vient de cette disposition du projet de loi C-28, je suis convaincue que chacun d’entre nous, chaque parti politique et le gouvernement interviendront tous pour trouver une façon de remédier au problème. C’est à l’unisson sur les plans politique, parlementaire, gouvernemental et exécutif que nous sommes déterminés à faire ce qui s’impose, et je m’en réjouis.

Lorsque j’ai pris connaissance de la solution unique à la Chambre des communes, dont j’ai entendu parler en comité plénier, j’ai d’abord ressenti un peu d’indignation. Pourquoi n’étais-je pas au courant de cela? Puis, j’ai réfléchi, je me suis calmée et j’ai analysé la chose pendant toute la soirée. Je salue la transparence du ministre qui nous a annoncé la nouvelle, car nous n’étions pas au courant. D’ailleurs, je sais que cela a bien du remous au Sénat et que nous étions nombreux à nous demander de quoi il s’agissait.

Malgré cette nouvelle approche — en ce sens qu’elle propose qu’un comité examine la disposition après son adoption —, j’estimais très important que nous respections notre rôle de Chambre de second examen objectif. J’ai dû surmonter toutes mes frustrations à l’égard du nombre de projets de loi du Sénat, du nombre d’études préalables et de toute l’organisation qu’ont dû effectuer les leaders pour que nous réussissions à nous acquitter de tout ce travail. D’ailleurs, je remercie ces derniers de leurs efforts. Sans compter la frustration qui, comme nous le savons, accompagne immanquablement les fins de session.

J’ai dû apporter certaines nuances. Je me suis mise au défi de relativiser les difficultés systémiques, qui sont attribuables au fait que nous avons un gouvernement minoritaire à la Chambre des communes et qu’il faut être deux pour danser le tango. Il y a une opposition et un gouvernement. Le temps nécessaire pour débattre de tout un éventail d’autres dossiers et les échéanciers à respecter ont incité le gouvernement à présenter des projets de loi du Sénat et des études préalables.

C’est frustrant.

Mais il y a une nuance entre les difficultés systémiques et circonstancielles. En ce moment, nous sommes aux prises avec des difficultés circonstancielles. Je ne répéterai pas les propos du sénateur Plett concernant la date de cette décision de la Cour et la nécessité d’intervenir en réponse à celle-ci.

Lorsque j’ai pris connaissance de la solution proposée à la Chambre des communes, j’ai cru que nous aurions besoin d’étudier cette disposition au comité et de tenir compte du rapport du Comité de la Justice de la Chambre des communes, qui sera présenté cet automne, puisqu’il doit être produit avant le 31 décembre. D’après ce que j’en avais compris, c’est ce qu’on allait nous suggérer à nous aussi. J’ai protesté d’une manière que j’espère avoir été constructive. La motion nous permet de profiter de cette période plus longue, qui va jusqu’en mars, pour mener l’étude et tirer profit du rapport présenté à la Chambre des communes.

Je crois également qu’il était extrêmement important qu’il y ait un échange au sujet de la responsabilité avec le gouvernement, même si j’ai la conviction, dans ce dossier précis, que le gouvernement réagirait s’il y avait une procédure judiciaire ou si les rapports produits à la suite des témoignages ou des délibérations des comités le jugeaient à propos.

Je crois vraiment qu’il doit y avoir une mesure concernant la responsabilité. J’ai donc proposé — encore une fois, de façon constructive, je l’espère, et je suis ravi que les leaders aient accepté cette proposition —, que le gouvernement réponde au rapport du Sénat et qu’une échéance soit prévue pour la production de cette réponse.

Encore une fois, certains ont dit : « Bon, comment savoir si le gouvernement réagira? » Il pourrait ignorer le rapport. Au fil des ans, des gouvernements de toutes les allégeances ont fait abstraction des rapports. Si nous proposons des amendements aujourd’hui, comment saurons-nous si le gouvernement réagira? Parfois il accepte des amendements, parfois, il les rejette. Et, comme à l’heure actuelle, il y aura des pressions lorsqu’il s’agira d’examiner les amendements.

Bref, je n’aime pas la situation dans laquelle nous nous trouvons, mais je peux voir la nuance entre les difficultés circonstancielles, la procédure dont nous sommes saisis et les difficultés systémiques auxquelles nous devons continuer à nous attaquer et à régler. Je remercie les leaders qui travaillent dans ce sens ainsi que le sénateur Gold, qui s’acquitte bien de son rôle. Je sais que le bureau du représentant du gouvernement fait souvent contrepoids. J’estime que le gouvernement comprend de mieux en mieux. De plus, le gouvernement est en situation minoritaire. Les choses s’amélioreront-elles?

Je me demande aussi si c’est le temps d’intervenir et de dire non comme le sénateur Patterson. Il en est arrivé à une décision en ce qui concerne les permissions et l’opportunité de débattre cet après‑midi du projet de loi. Nous délibérerons et je suivrai les débats. Mais est-ce le bon moment pour intervenir, dire non au gouvernement et rejeter cette mesure de telle façon qu’elle ne sera pas examinée?

Selon moi, avoir quelque chose maintenant est mieux que rien. Je détesterais qu’il y ait un cas où une défense réussisse, comme ce fut le cas dans la cause qui a mené à la décision du tribunal qui nous occupe. Je ne veux pas que cela se produise, mais s’il n’y a pas de disposition pour régler ce problème, cela peut certainement se produire, en raison du précédent créé par le tribunal.

Je pense donc qu’il existe des problèmes potentiels avec le libellé actuel qui pourraient conduire à des stratégies de défense innovantes qui, dans le cas d’une intoxication grave et importante, pourraient donner lieu à une autre affaire judiciaire. Les chances que cela se produise au cours des prochains mois, jusqu’à ce que la présente étude et le travail soient terminés — ou au cours des cinq prochains mois, jusqu’à ce que la Chambre des communes publie son rapport — puis la période de l’étude du Sénat, qui peut être plus courte que longue, si nous le voulons — je crois que l’une ou l’autre situation est imparfaite. C’est le monde imparfait dans lequel nous vivons.

En réponse aux préoccupations soulevées par les intervenants précédents et par l’ensemble du Sénat, je dirais que nous devrions réévaluer constamment et systématiquement le rôle que la Chambre haute devrait jouer lorsqu’elle se penche sur le travail des politiciens dûment élus et responsables de l’autre endroit afin d’offrir une valeur ajoutée en faisant un travail qui, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans son arrêt, viendrait compléter le rôle de la Chambre des communes, et non pas faire concurrence à la Chambre des communes. Avec cette motion, nous faisons du mieux que nous pouvons dans les circonstances. Encore une fois, je tiens à dire que je suis reconnaissante du travail difficile que les leaders des groupes ont dû faire pour en arriver à cette proposition.

Je vais en rester là. Merci beaucoup.

La sénatrice Lankin accepterait-elle de répondre à une question?

Son Honneur le Président [ + ]

Il reste deux minutes à la sénatrice Lankin.

La sénatrice Lankin [ + ]

C’est à peine suffisant, mais je vais y répondre.

Comment les dirigeants élus prennent-ils soin des minorités — des personnes dont les votes ne comptent pas, car ils ne sont pas assez nombreux? Ils ne représentent pas une majorité. N’est-ce pas le rôle du Sénat de protéger les minorités, les personnes vulnérables et les peuples autochtones? En quoi ce projet de loi les protégera-t-il?

Merci.

La sénatrice Lankin [ + ]

Merci, sénatrice McCallum. Je ne vais pas parler de la teneur du projet de loi. Je crois que vous me posez une question qui concerne davantage le processus.

Oui, c’est une mission importante du Sénat. En fait, il s’agit d’une mission obligatoire — comme l’a suggéré et décidé la Cour suprême du Canada en 2014 — sans l’ombre d’un doute. Je crois aussi que c’est la responsabilité des politiciens élus à la Chambre des communes. Je crois aussi que c’est la responsabilité de tout le monde à tous les palliers de gouvernement. Je ne crois pas que nous soyons la seule institution à devoir nous saisir de cette question, même si je pense parfois que nous sommes la dernière à le faire. Du point de vue constitutionnel, nous sommes assurément responsables — de l’avis de la Cour suprême — d’assurer le respect de la constitution et de la Charte, pour représenter le point de vue des groupes minoritaires, notamment des peuples autochtones — le point de vue des régions et le point de vue de la rédaction technique.

Avons-nous assez de temps pour bien faire tout cela et le faire souvent? Non. Je vais passer à nouveau du systémique au contextuel.

Je suis une féministe. Je suis une femme. Comme beaucoup d’entre vous le savent en raison de remarques précédentes, je suis une survivante d’une agression sexuelle. Je veux que cette loi soit bien faite et je veux que le point de vue de chacun soit pris en compte. Une solution provisoire sera maintenant mise en œuvre pendant l’été, jusqu’à ce que cette question soit examinée d’une manière différente. Je pense que c’est mieux que rien, mais je ne néglige aucunement l’importance que nous accordons tous à la nécessité d’entendre ces voix.

Nous les entendrons d’une manière nouvelle, après l’adoption de cette disposition, mais avec la possibilité de la modifier. Merci.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur le Président [ + ]

Je vois deux sénateurs se lever. Le vote aura lieu maintenant.

Haut de page