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La Loi sur le directeur des poursuites pénales

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

3 octobre 2023


Propose que le projet de loi S-272, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales, soit lu pour la deuxième fois.

Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-272, qui vise à modifier la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Je signale que les deux projets de loi S-272 et S-271 sont le fruit d’une étroite collaboration entre l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, et le Conseil consultatif des terres. J’ai eu l’honneur de travailler avec ces deux entités et je présente les deux projets de loi en leur nom.

Le projet de loi S-272 est important et nécessaire pour préciser et confirmer de façon concluante que le Service des poursuites pénales du Canada a la compétence et le mandat d’engager et de mener les poursuites visant les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévues par les textes législatifs de Premières Nations, de même que toute procédure d’appel ou autre procédure liée à la poursuite, au nom de la nation qui a promulgué la loi autochtone.

Le projet de loi S-272 modifie la Loi sur le directeur des poursuites pénales par l’adjonction de la définition suivante.

Texte législatif de première nation s’entend :

a) soit d’un règlement administratif pris en vertu de la Loi sur les Indiens;

b) soit d’un texte législatif de la première nation au sens du paragraphe 2 1) de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations;

(c) soit d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une première nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale.

Honorables sénateurs, lorsqu’il a adopté projet de loi C-49, Loi sur la gestion des terres des premières nations, en 1999, et le projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, en 2014, le Parlement avait l’intention de créer des pouvoirs législatifs nouveaux et accrus pour appuyer l’autodétermination des Premières Nations.

Dans un résumé officiel du projet de loi C-49, on peut lire :

Le projet de loi C-49, élargirait la portée des pouvoirs que la première nation pourrait exercer et ne les laisseraient plus à la discrétion du gouverneur en conseil ou du ministre.

Selon un résumé du projet de loi C-428 préparé par le ministère, cette mesure :

[...] élimine le pouvoir de supervision du ministre sur la présentation, l’entrée en vigueur et l’annulation des règlements administratifs, et confère aux Premières Nations l’autonomie et la responsabilité relativement à la rédaction, l’adoption et l’entrée en vigueur des règlements administratifs [...]

En dépit de l’intention du Parlement d’accroître les pouvoirs législatifs des Premières Nations à des fins d’autodétermination, les projets de loi C-49 et C-428 ont créé des « régimes en suspens » où les lois des Premières Nations ni ne sont appliquées par la GRC ni ne peuvent donner lieu à des poursuites de la part du Service des poursuites pénales du Canada, ou SPPC.

Dans le rapport de juin 2021 du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes intitulé Démarches collaboratives en matière d’application des lois dans les collectivités autochtones, le comité indique que depuis que des modifications à la Loi sur les Indiens en 2014 ont retiré au ministre le pouvoir de rejeter un règlement administratif, il n’y a plus d’examen ministériel obligatoire des règlements administratifs. Alors que le Service des poursuites pénales du Canada n’engage des poursuites que pour les règlements qui ont été examinés, Services aux Autochtones Canada examine maintenant les projets de règlement pour commentaires seulement. Pourquoi cette question n’a-t-elle pas été abordée immédiatement en 2014? Pourquoi le procureur général, le Service des poursuites pénales du Canada et Services aux Autochtones Canada n’ont-ils pas soulevé cette question en 2014 auprès du gouvernement fédéral, car, en laissant les Premières Nations dans une position vulnérable à bien des égards, ils sont coupables d’avoir pratiqué ce qui équivaut à de la négligence supervisée? Pourquoi le procureur général, le Service des poursuites pénales du Canada et Services aux Autochtones Canada ont-ils été autorisés à ignorer leur responsabilité dans la recherche et la mise en œuvre d’une résolution?

Le 6 mai 2021, lors de son témoignage devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, Jeff Richstone, directeur général et avocat général principal du Bureau du directeur des poursuites pénales, a déclaré :

Il existe depuis de nombreuses années une lacune concernant les poursuites reliées à des violations des lois des communautés autochtones. Ces lois sont adoptées par les communautés en vertu d’un certain nombre d’autorités législatives, mais le thème commun est la relation de nation à nation que les communautés autochtones partagent avec le Canada.

Les poursuites relatives à ces lois ne font pas partie du mandat du SPPC.

M. Jeff Richstone, ainsi que M. Stephen Harapiak, conseiller juridique aux Services juridiques du ministère de la Justice, ont expliqué ceci au comité :

Nous avons examiné certains projets de règlements administratifs à la demande des Premières Nations, pour les guider et les aider. Ce sont les règlements administratifs qui sont appliqués. Sans pouvoir de désaveu, certains des problèmes qui peuvent se poser sont de savoir si un règlement est conforme à la portée de la Loi sur les Indiens ou s’il est conforme à la Charte, comme cela est prévu depuis 2011.

Honorables sénateurs, ma question est la suivante : pourquoi le pouvoir de désaveu a-t-il été supprimé si aucun processus de transformation n’a été mis en place pour assurer la reconnaissance, le respect, ainsi que l’application, par les forces de l’ordre et le système justice, des lois des Premières Nations? Surtout, pourquoi le gouvernement a-t-il placé les Premières Nations dans une position qui ne leur permet pas de faire le travail qu’elles doivent faire? Le processus de désaveu par un ministre constitue en soi un acte colonial. Pourquoi l’action du fédéral consistant à supprimer le désaveu est-elle devenue, en soi, un obstacle à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale?

Jeff Richstone nous donne l’explication suivante :

Malgré notre rôle réglementaire limité, le SPPC est déterminé à collaborer avec ses partenaires pour examiner les options et trouver des solutions à long terme. À cette fin, avant la pandémie, le SPPC venait d’amorcer des discussions avec d’autres intervenants afin de déterminer comment cet enjeu peut être mis à l’avant-plan, dans l’espoir de trouver des solutions qui répondent aux besoins des communautés autochtones.

Le rapport dit également ceci :

Le SPPC a conclu des protocoles d’entente avec certaines Premières Nations pour instituer des poursuites en vertu des règlements administratifs établis sous le régime de la Loi sur les Indiens adoptés pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Le Comité a été informé que seuls les règlements administratifs qui ont été passés en revue pour s’assurer qu’ils respectent la Loi sur les Indiens et la Charte canadienne des droits et libertés peuvent faire l’objet de poursuites; or, ce ne sont pas tous les articles de la Loi sur les Indiens elle-même qui sont conformes à la Charte.

N’est-ce pas là un paradoxe en soi? Les articles de la Loi sur les Indiens qui ne sont pas conformes à la Charte ont-ils été relevés et les dispositions qui devraient alors avoir préséance ont-elles été établies? Les limites de l’examen représentent, encore une fois, un obstacle de taille.

Le rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord indique ce qui suit :

Les Premières Nations autonomes peuvent promulguer des lois en vertu de l’autorité législative prévue dans leur entente sur l’autonomie gouvernementale ou leur traité moderne. En outre, les Premières Nations qui ont adopté un code foncier en vertu de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations (rendu exécutoire en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations) peuvent élaborer des lois concernant leurs terres, notamment sur le développement, la protection et la possession de celles-ci. Ces lois autorisent les Premières Nations à ne plus être régies par les dispositions concernées en matière de gestion des terres de la Loi sur les Indiens. L’Accord-cadre prévoit des dispositions relatives à l’application des codes fonciers et des lois des Premières Nations. Cela ne signifie toutefois pas que les lois adoptées en vertu des codes fonciers sont appliquées. Comme l’explique le Conseil consultatif des terres dans son mémoire :

Malheureusement, les règlements administratifs de la Loi sur les Indiens font l’objet d’une sous-application chronique. Une grande partie de la difficulté à asseoir une application efficace des lois des Premières Nations au titre de l’Accord-cadre remonte à la difficulté à surmonter la série d’échecs essuyés sous le régime de la Loi sur les Indiens.

Honorables sénateurs, dans le cadre de notre examen du projet de loi C-32 en décembre 2022, le grand chef Settee des Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, a fourni par écrit au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et au Comité sénatorial permanent des finances nationales une explication claire pour justifier pourquoi la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-32 aurait dû être amendée afin de clarifier l’application par les forces de l’ordre et le système de justice des lois des Premières Nations adoptées en vertu de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations.

Même si les MKO n’ont pas été invités à comparaître devant le Comité des peuples autochtones ou le Comité des finances nationales au sujet du projet de loi C-32, plusieurs sénateurs ont pris la parole au Sénat pour se joindre à moi afin d’exprimer leur appui à la demande des MKO de comparaître devant le Comité des finances nationales.

J’ai également pris la parole au Sénat pour appuyer les amendements proposés par les MKO et attirer l’attention sur leur importance. Lors des travaux du comité, le sénateur Loffreda a en outre posé la question suivante à la vice-première ministre et ministre des Finances :

[...] le MKO a également présenté un mémoire à notre Comité des peuples autochtones pour faire part de préoccupations concernant cette partie du projet de loi et demander des modifications corrélatives à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et à la Loi sur le directeur des poursuites pénales.

J’aimerais entendre vos observations et votre point de vue sur ces demandes et ces préoccupations.

La ministre des Finances a répondu ce qui suit :

Vous avez soulevé de très nombreux points. Je ne pourrai pas tout aborder pendant les quelques minutes que le sénateur Mockler nous accorde. Je vais me contenter de dire que j’en prends bonne note.

Je suis convaincue que la réconciliation et la relation de nation à nation avec les peuples autochtones au Canada font partie des dossiers les plus importants de notre gouvernement. C’est omniprésent dans le travail accompli par tous les ministères. C’est une chose que nous prenons très au sérieux. M. Jovanovic et moi-même prenons bonne note de vos commentaires.

Le mémoire des MKO cite la déclaration du 25 mai 2021 de la cheffe Heidi Cook de la nation crie de Misipawistik. La cheffe Cook a raconté au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes les expériences vécues par sa communauté lors d’une épidémie de COVID-19 au cours de l’hiver 2020-2021 :

Les membres de notre équipe d’intervention d’urgence liée à la pandémie, de notre équipe de soins de santé et de notre équipe chargée de l’application des mesures ont affirmé qu’ils se sentaient abandonnés. Nous avions du mal à contrôler la propagation. Durant la deuxième vague, le nombre de cas a atteint 155 et nous avons tracé près de 300 contacts. Nous en avons tous subi personnellement les conséquences. Je crois que nous souffrons tous de stress post-traumatique en raison de la situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés.

Depuis que notre loi sur les mesures d’urgence est venue à échéance, nous n’avons adopté aucune autre loi. À quoi bon adopter une loi si elle ne peut pas être appliquée? C’est pourquoi nous n’avons adopté aucune autre loi depuis.

Le mémoire des MKO concernant le projet de loi C-32 faisait aussi allusion à la déclaration faite le 21 mai 2021 par Robert Louie, président du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord :

De nombreuses Premières Nations qui ont un code foncier se sont heurtées au refus de forces policières lorsqu’elles ont demandé de l’aide, ces forces évoquant des préoccupations au sujet de la validité des dispositions législatives sur les codes fonciers et de la responsabilité pouvant être imputée aux policiers, ou bien une incertitude quant aux parties qui prendraient en charge les poursuites si des accusations étaient portées. Il a été difficile jusqu’ici de se mettre d’accord avec des procureurs fédéraux ou provinciaux pour aborder les lois des Premières Nations au titre de l’Accord-cadre.

Voici ce que Robert Louie, président du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, a indiqué au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones le 22 novembre 2022, dans le cadre de l’examen du projet de loi C-32 :

Les 20 dernières années nous ont permis de comprendre que le Canada et la GRC n’appliquent pas et n’appuient pas les lois qui ont été adoptées par les Premières Nations. C’est un problème de plus en plus sérieux. Nous n’avions pas anticipé cet accroc au départ, mais nous essayons d’y remédier en collaboration avec les gouvernements et les procureurs généraux au niveau fédéral et provincial.

Dans sa lettre du 17 février 2020 adressée au grand chef Settee des MKO, la commissaire de la GRC Brenda Lucki confirme les déclarations du président du Conseil consultatif des terres Robert Louie, à savoir que certaines Premières Nations ayant un code foncier « se sont heurtées au refus de forces policières » et que « la GRC n’appliqu[e] pas et n’appui[e] pas les lois qui ont été adoptées par les Premières Nations ».

Par ailleurs, elle avisait le grand chef Settee de ce qui suit :

La GRC reconnaît l’autorité des Premières Nations en vertu de la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations (LGTPN). Toutefois, on se demande si les codes fonciers de la LGTPN confèrent le pouvoir d’adopter des lois liées à la COVID-19. En attendant d’autres directives, la GRC continuera de suivre les processus en place en ce qui concerne l’application des règlements administratifs liés à la COVID adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens, ainsi que l’application des lois provinciales applicables.

Puis, le 15 mars 2021, Mme Kelley Blanchette, sous-ministre adjointe, Terres et développement économique, Services aux Autochtones Canada, a écrit ce qui suit au président Robert Louie :

Je comprends la frustration ressentie par les Premières Nations qui ont assumé des aspects aussi fondamentaux de leur gouvernance par l’adoption d’un code foncier, pour être ensuite forcées de s’en remettre aux pouvoirs de la Loi sur les Indiens pour lutter contre la pandémie actuelle de COVID-19.

Bien que d’autres analyses doivent être effectuées, j’ai demandé à mon équipe de collaborer avec vous sur les options qui s’offrent à nous pour élargir et clarifier les pouvoirs dans le cadre des prochaines modifications à l’accord-cadre.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-32 correspond « aux prochaines modifications à l’accord-cadre » auxquelles faisait référence Mme Kelley Blanchette. Chers collègues, vous vous rappellerez sans doute que le projet de loi C-32 ne propose aucune modification visant à corriger les lacunes relatives à l’application concrète des lois ayant trait au code foncier ni les lacunes relatives aux poursuites en cas d’infractions à ces lois.

Le 31 mai 2023, M. Michael Foote, procureur fédéral en chef pour le Manitoba, a déclaré ceci, alors qu’il faisait référence aux dirigeants et aux représentants des MKO, dans le cadre du symposium de deux jours que cette organisation avait organisé en collaboration avec la GRC :

Je suis procureur depuis 25 ans au fédéral et j’ai été procureur au provincial pendant 3 ans. Or, je sais que, pendant tout ce temps, nous n’avons engagé aucune poursuite. Il s’agit donc manifestement de quelque chose qui remonte à plus loin que le début de ma carrière de procureur. Je crois que Michael Anderson a évoqué une affaire datant de 1996, époque où le ministère de la Justice était responsable des poursuites. Or, comme je l’ai indiqué dans mon intervention, c’est quelque chose qui ne s’est jamais répété depuis.

En réponse à une question posée le 1er juin 2023 par le chef Hubert Watt de la Première Nation de God’s Lake, lors de la deuxième journée du symposium des MKO et de la GRC, le procureur fédéral en chef pour le Manitoba a également déclaré ce qui suit :

En ce qui concerne votre question, et plus particulièrement les règlements administratifs pris en vertu de la Loi sur les Indiens, le Service fédéral des poursuites a toujours refusé d’engager des poursuites à l’égard de ces règlements. Je suppose que la GRC en déduit que, puisque la Couronne n’engage pas de poursuites, elle n’a pas non plus à le faire.

Cependant, le 6 mai 2021, Jeff Preston, inspecteur de la GRC et agent responsable du détachement de Campbell River, en Colombie-Britannique, a déclaré ce qui suit au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit :

En général, les règlements administratifs des bandes sont traités comme des lois fédérales qui peuvent être appliquées par la GRC, le service de police compétent ou les agents d’application des règlements administratifs des bandes.

Dans une déclaration faite le 11 mai 2021 au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit, le sergent d’état-major Ryan Howe, du détachement de Meadow Lake de la Division F de la GRC, en Saskatchewan, a affirmé que la GRC avait cessé d’appliquer les lois des Premières Nations dans le Nord de la Saskatchewan après 2014.

Dans un échange avec Michael Anderson, le conseiller des MKO en matière de maintien de l’ordre et de sécurité publique, à la suite de la déclaration du sergent d’état-major Howe devant le comité, ce dernier a écrit ce qui suit aux MKO, le 6 mai 2021 :

Après les changements apportés à la loi en décembre 2014, les directives et les orientations données aux détachements de la GRC qui desservent les Premières Nations dans le Nord de la Saskatchewan voulaient qu’en l’absence de poursuites, la police ne procède plus à des arrestations ni à des inculpations.

Le 27 mai 2021, les MKO ont déposé une demande d’accès à l’information officielle afin d’obtenir une copie des directives adressées à la GRC pour qu’elle cesse d’appliquer les lois des Premières Nations après décembre 2014 en l’absence de poursuites. Plus de deux ans plus tard, les MKO continuent de réclamer une réponse de la GRC à leur demande d’accès à l’information concernant cette directive. Quand mon bureau sénatorial a demandé à la GRC de lui fournir cette réponse, avec le consentement des MKO, on lui répondu qu’il faudrait encore un an et demi pour obtenir ces renseignements; on m’a fait comprendre que c’était considéré comme un refus.

Honorables sénateurs, partout au pays, les Premières Nations vivent une crise en matière de sécurité publique et de bien-être qui est alimentée en grande partie par une épidémie de toxicomanie, elle-même alimentée par un trafic de drogue et des activités de contrebande qui sévissent presque impunément tout en apportant leur lot de problèmes aux communautés. Le fait que la GRC et le Service des poursuites pénales refusent et négligent d’assumer leurs responsabilités en ce qui concerne l’application des lois des Premières Nations et les poursuites aux termes de ces lois, notamment en ce qui a trait aux substances intoxicantes, aux interdictions, aux intrusions et aux couvre-feux, contribuent directement à cette crise nationale.

Les dispositions des traités nos 1, 2, 3, 4, 5 et 6 qui interdisent les substances intoxicantes se terminent pourtant par les mots « seront rigoureusement mises à exécution ».

Le devoir de remplir les engagements pris par la Couronne dans le cadre des traités en appliquant rigoureusement les lois des Premières Nations qui interdisent les substances intoxicantes et en intentant des poursuites en cas d’infraction fait clairement partie du mandat et des responsabilités du procureur général du Canada. Le fait que la GRC refuse et néglige d’appliquer rigoureusement les lois des Premières Nations interdisant les substances intoxicantes et le fait que le Service des poursuites pénales n’intente pas de poursuites au nom du procureur général en cas d’infraction constituent des manquements aux promesses et aux engagements du Canada dans le cadre des traités. Ces manquements de longue date qui persistent encore contribuent de façon considérable à la crise nationale en matière de santé et de sécurité publique qui touche les Premières Nations.

Honorables sénateurs, le chef Robert Louie de la Première Nation de Westbank, agissant en sa qualité de président du Conseil consultatif des terres, a écrit au grand chef Settee des MKO le 5 avril 2023 pour appuyer le type de modifications à la Loi sur le directeur des poursuites pénales que les MKO avaient proposées dans leur mémoire sur le projet de loi C-32. Ces modifications figurent maintenant dans le projet de loi S-272, avec l’aval du Conseil consultatif des terres.

Agissant en tant que chef de la Première Nation de Westbank, le chef Louie a également écrit au grand chef Settee des MKO pour lui demander :

J’aimerais que toute modification de la loi fédérale englobe les règlements administratifs pris sous le régime de la Loi sur les Indiens, l’accord-cadre et d’autres accords d’autonomie gouvernementale comme l’Accord d’autonomie gouvernementale de la Première Nation de Westbank.

Chers collègues, en plus de régler la question des régimes actuellement « en suspens » des règlements administratifs pris en vertu de la Loi sur les Indiens et des lois du code foncier, l’adoption du projet de loi S-272 vise à préciser avec une certitude concluante que le Service des poursuites pénales du Canada a le devoir d’engager des poursuites à l’égard :

[...] d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une Première Nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale [...]

Le projet de loi S-272 précise également que le Service des poursuites pénales du Canada n’engagera ni ne mènera aucune poursuite :

[...] dans les cas où la première nation qui a pris ou édicté le texte législatif a nommé ou désigné un poursuivant ou a conclu une entente avec un gouvernement provincial ou territorial relativement à la poursuite de ces infractions.

L’adoption du projet de loi S-272 rendra limpide la volonté du Parlement concernant l’engagement de poursuites, au nom du procureur général, par le Service des poursuites pénales du Canada dans le cas d’infractions aux lois adoptées en bonne et due forme par les Premières Nations, à moins que la Première Nation ait conclu une entente relativement à la poursuite des infractions.

Honorables sénateurs, c’est pour moi un honneur de vous informer que j’ai eu le privilège de travailler en étroite collaboration avec les représentants des Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, et du Conseil consultatif des terres, qui ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration de la version du projet de loi S-272 qui a été soumise à notre examen législatif. C’est un exemple concret de développement conjoint d’une mesure législative qui touche les Premières Nations. Ce type de développement conjoint est conforme aux articles 19 et 38 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et, par conséquent, à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Les MKO ont affirmé que ce processus d’élaboration conjointe par une sénatrice et des Premières Nations est conforme à la demande d’adopter une approche de nation à nation à l’égard des mesures du gouvernement, en plus de respecter les principes de la réconciliation, comme l’a souligné la vice-première ministre dans sa réponse à la question du sénateur Loffreda à propos du projet de loi C-32 lors d’une réunion du comité le 7 décembre 2022.

De plus, les MKO ont récemment participé à un exercice d’élaboration conjointe de mesures législatives avec le ministre de la Justice du Manitoba pour chapeauter la présentation, l’examen et l’adoption — le 30 mai 2023 — de modifications à la Loi sur les infractions provinciales. Ces modifications créeront, pour la première fois au Manitoba, un régime de contraventions pour les lois des Premières Nations. Des lois provinciales similaires pour créer ce type de régime ont été défendues par des Premières Nations et ont été adoptées en Alberta, le 9 décembre 2020, et en Saskatchewan, le 11 mai 2023.

Avec l’adoption des modifications à la Loi sur le directeur des poursuites pénales prévues dans le projet de loi S-272, ces régimes provinciaux de contraventions pour les lois des Premières Nations accroîtront de façon marquée la capacité du Service des poursuites pénales du Canada d’intenter des poursuites en vertu des lois des Premières Nations en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.

Les efforts que déploie le grand chef Settee, des MKO, pour obtenir la reconnaissance, le respect et l’application, par les forces de l’ordre et le système de justice, des lois des Premières Nations ont notamment mené à la conclusion d’un protocole d’entente avec la directrice des poursuites pénales et le commandant de la division D de la GRC, au Manitoba, concernant l’application, par les forces de l’ordre et le système de justice, des règlements administratifs adoptés en vertu des articles 81 et 85.1 de la Loi sur les Indiens.

Le protocole d’entente renouvelé est entré en vigueur le 30 juin 2023 pour une période d’essai de deux ans, conformément à ce qu’avait proposé la directrice des poursuites pénales dans sa lettre au grand chef Settee datée du 9 mars 2023 :

Je propose également que les représentants de mon service collaborent avec votre organisme et d’autres parties intéressées pendant ces trois mois afin de discuter de la possibilité de créer un programme pilote élargi permettant aux forces de l’ordre et au système de justice d’appliquer des règlements administratifs pris en vertu de la Loi sur les Indiens autres que ceux liés à la pandémie de COVID-19.

Ce genre de programme pilote ne serait pas une solution permanente, mais plutôt une occasion de développer conjointement le travail réalisé à ce jour en dehors de la crise provoquée par la pandémie.

En outre, ce serait une occasion de recueillir des données probantes et d’acquérir de l’expérience en vue d’éclairer la recherche de solutions afin de mieux servir vos collectivités à long terme.

Selon les MKO, le projet pilote de deux ans auquel ils participent avec le Service des poursuites pénales du Canada et la GRC — projet concernant l’application des règlements de la Loi sur les Indiens et la poursuite des contrevenants à ces règlements au moyen du protocole — est propre au Canada et s’applique uniquement aux 23 Premières Nations représentées par les MKO qui ont des pouvoirs législatifs et qui choisissent d’y participer. Étant donné qu’il y a 634 Premières Nations au Canada, seulement 3,6 % des Premières Nations au pays ont l’occasion de voir la GRC appliquer les règlements de la Loi sur les Indiens et le Service des poursuites pénales du Canada intenter des poursuites relatives à des infractions à ces règlements au moyen d’un protocole similaire.

En outre, le protocole ne vise pas toutes les lois des Premières Nations. Par conséquent, il n’aborde pas l’application d’une loi des Premières Nations promulguée au titre d’un code foncier ou par une Première Nation qui a conclu un accord d’autonomie gouvernementale et n’aborde pas la poursuite des contrevenants à cette loi.

Les Premières Nations se sont battues pour changer l’histoire que le Canada a proclamée la leur. L’effet délétère de la suppression de l’autodétermination et les conséquences horribles qui en découlent représentent l’histoire d’un milieu qui a été rendu vulnérable et non pas celle de Premières Nations brisées. Dans l’article intitulé « Indian Act Colonialism: A Century of Dishonour, 1869-1969 », l’auteur John Milloy dit :

[...] en 1836, le procureur général du Haut-Canada, R. Jamieson, a fourni des éléments montrant que continuait [la norme constitutionnelle de la Proclamation de 1763]. Il écrit que les Premières Nations « se gouvernent par elles-mêmes, au sein de leurs communautés, en fonction de leurs lois et de leurs coutumes ». Bref, les Premières Nations jouissaient d’une autonomie gouvernementale dans les domaines reconnus comme relevant de leur compétence, y compris tout ce qui touchait les affaires internes. Cela a continué jusqu’à la Loi sur les Indiens de 1869 [...] [quand] l’autonomie gouvernementale des Premières Nations a été sacrifiée en faveur du devoir d’assimilation déclaré par Macdonald.

En 1867, avec l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique [...] la Couronne impériale a cédé la place au gouvernement fédéral, les colonies sont devenues des provinces et les Premières Nations dotées d’une autonomie gouvernementale sont demeurées, pendant une brève période, le troisième ordre de gouvernement. [...] la loi [...] de 1869 — intitulée « Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages » — visait un objectif d’assimilation. [...] l’Acte a aboli les formes traditionnelles de gouvernement et les a remplacées par un système électoral réservé aux hommes qui était en grande partie régi par l’agent des Indiens de la région. [...] le pouvoir qu’avait le conseil d’élaborer des lois à l’intention de sa collectivité a été à ce point restreint qu’on ne pouvait plus vraiment dire que ces nations avaient une autonomie gouvernementale.

Au début des années 1980, la Charte des droits et libertés comportait une section prévoyant la protection constitutionnelle des droits ancestraux ou issus de traités. En novembre 1983, le Comité spécial de la Chambre des communes sur l’autonomie politique des Indiens présentait ses conclusions et demandait d’étendre les pouvoirs des gouvernements des Premières Nations, ce qui, dans certains cas, irait au-delà du modèle municipal classique.

Dans les années 1990, le ministère des Affaires indiennes annonçait une politique sur le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. En 2023, nous avons désormais la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Il est temps de mettre fin aux 247 années de gestion formelle des Indiens, laquelle est encore aux prises avec une question indienne qu’on a créée de toutes pièces et qui, en fin de compte, était une loi raciste.

J’invite tous les sénateurs à appuyer pleinement l’autodétermination et les pouvoirs législatifs accrus de toutes les Premières Nations du Canada que le Parlement prévoit dans le projet de loi C-428 — pour les Premières nations qui choisissent d’exercer le pouvoir législatif prévu par le projet de loi C-49 et celles qui les exercent dans le cadre d’un accord d’autonomie gouvernementale conclu entre une Première Nation et le Canada.

J’exhorte mes collègues à appuyer pleinement et d’adopter le projet de loi S-272, qui modifie la Loi sur le directeur des poursuites pénales et qui précise et confirme de manière concluante le pouvoir du Service des poursuites pénales du Canada d’engager et de mener des poursuites visant des infractions punissables prévues par les textes législatifs de premières nations au nom du procureur général dû Canada.

Le fait de renvoyer sans tarder les projets de loi S-271 et S-272 au comité, afin qu’il se penche sur le bourbier qui persiste à susciter l’incertitude dans la vie des Autochtones contribuerait à redonner ce qui n’aurait jamais du être retiré.

Kinanâskomitin, meegwetch, mahsi’cho, merci.

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