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Le Sénat

Motion concernant les séances du jeudi pour le reste de la présente session--Ajournement du débat

24 octobre 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion no 132 du gouvernement. J’aimerais d’abord exprimer mon inquiétude au sujet de la limitation des débats. Chaque fois que nous limitons les débats au Sénat, nous créons un dangereux précédent pour nous-mêmes tout en envoyant un piètre message aux Canadiens.

Chers collègues, par la motion no 132, le bureau du représentant du gouvernement propose d’ajourner le Sénat à la fin de la période réservée aux affaires du gouvernement, mais au plus tard à 18 heures, tous les jeudis pour le reste de la session en cours, ce qui limiterait encore davantage les débats au Sénat.

Au cours du débat sur la question de privilège que j’ai soulevée à ce sujet le 19 octobre, il a été mentionné que je ne comprenais peut‑être pas l’intention et les ramifications de cette motion, en pensant peut-être que cela signifiait que les projets de loi d’initiative parlementaire ne seraient plus examinés le jeudi. Je tiens à assurer à tous mes honorables collègues que j’ai bien compris les conséquences de cette motion et que je demeure aussi préoccupée aujourd’hui que lorsque j’ai soulevé ma question de privilège.

À ce moment-là, nous allions passer au vote sur cette question sans en débattre ni en expliquer la raison d’être. Si je n’avais pas soulevé ma question de privilège, nous n’aurions pas obtenu d’information du gouvernement à ce sujet.

Honorables sénateurs, dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid, la Cour suprême du Canada a déclaré :

Dans le contexte canadien, le privilège parlementaire est la somme des privilèges, immunités et pouvoirs dont jouissent le Sénat, la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales ainsi que les membres de chaque Chambre individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions

Par le passé, au Sénat, on n’a pas mis l’accent sur l’absence de questions relatives aux populations autochtones, et c’est ce que j’essaie de changer dans le cadre de mon travail, qui est durement touché par la limitation du débat.

Chers collègues, dans ses remarques du 19 octobre, le sénateur Gold a déclaré que nous pourrions souvent continuer à traiter des affaires autres que celles du gouvernement les jeudis, ce qui sous-entend que cette motion pourrait faire en sorte qu’il y ait de nombreux jeudis où nous ne traiterions aucune affaire autre que celles du gouvernement.

Le sénateur Gold a également déclaré — et je paraphrase — qu’il viendra un temps où nous serons submergés par les affaires du gouvernement. Cela nous occupera probablement jusqu’à très tard les jeudis.

Il est bien connu qu’à l’approche des vacances de décembre et de juin, le rythme des affaires gouvernementales s’accélère rapidement. Beaucoup d’entre nous admettront que ces semaines, voire ces mois, nécessitent l’annulation des autres affaires, car les affaires du gouvernement ont préséance. Lorsque ce déferlement d’affaires du gouvernement commencera, excuserons-nous encore les sénateurs pour qu’ils rentrent chez eux les jeudis, ou est-ce que tous seront tenus de rester?

Chers collègues, puisqu’il y a déjà des mois dans l’année où nous ne pouvons pas légitimement nous occuper des affaires autres que celles du gouvernement, ne devrions-nous pas privilégier le traitement de ces affaires pendant que nous avons la possibilité de le faire? Au lieu de cela, la motion no 132 sacrifie encore plus le temps qui est réservé à ces questions cruciales.

Il convient également de mentionner que l’on s’attend à ce que la réforme du Sénat donne lieu à une diversité accrue de la représentation et, par conséquent, du travail que nous accomplissons. Dans l’article « Birds of a Feather? Loyalty and Partisanship in the Reformed Canadian Senate », les auteurs affirment que les récentes nominations au Sénat ont conduit à une augmentation de la diversité raciale et de genre. Ils ajoutent que les deux principales fonctions du Sénat sont complémentaires : la protection des minorités politiques et l’examen des mesures législatives. Ainsi, la protection des minorités politiques se concrétise par la promotion des intérêts des minorités dans l’amendement, le rejet ou même la création de projets de loi. Cependant, nous ne pourrons pas remplir ces fonctions de manière adéquate si les affaires autres que celles du gouvernement continuent d’être considérées comme non essentielles, et, par conséquent, les lacunes dans la loi continueront de se creuser.

Honorables sénateurs, le sénateur Gold estime qu’il y a 75 projets de loi d’intérêt public du Sénat au Feuilleton, ce qui ne comprend pas les nombreuses motions et interpellations non gouvernementales, qui, toutes, concernent aussi divers sujets de grande importance.

Il est vrai que le nombre d’articles inscrits sous ces diverses rubriques peut être plus élevé qu’il ne l’a été habituellement par le passé, mais c’est simplement le résultat des efforts que nous sommes tous fiers d’avoir déployés afin de moderniser le Sénat.

Étant donné que les sénateurs soulèvent plus souvent des questions d’une importance cruciale pour les collectivités et les régions qu’ils représentent, comment pouvons-nous justifier de consacrer moins de temps à l’étude d’un plus grand nombre de sujets?

Honorables collègues, la réforme du Sénat devrait normalement donner lieu à une hausse des activités législatives. Le nombre d’interventions ne cause aucun problème. Par contre, là où il y a un problème, c’est quand les leaders limitent le processus entourant ces interventions en n’autorisant pas la tenue d’un vote pour celles-ci, en ne désignant aucun porte-parole, en ne permettant pas aux comités de siéger à une fréquence régulière pendant que le Sénat siège, en refusant l’option des séances hybrides et en limitant le nombre d’heures de débats pour des questions en particulier.

Honorables sénateurs, la justification officielle invoquée pour la motion no 132 est que les leaders voulaient trouver une façon de permettre aux sénateurs d’arriver à la maison en temps voulu. L’un des avantages pour le Sénat de ne pas siéger les lundis et les vendredis est que ces journées servent aux déplacements. Ainsi, les sénateurs peuvent faire le trajet entre Ottawa et leur région respective pour être à la maison et auprès de la collectivité du début à la fin du week-end.

Il n’en demeure pas moins que, durant les semaines de séance, l’horaire du Sénat est habituellement réparti sur trois jours de séances par semaine. Nous savons qu’en raison des diverses réunions des comités et des caucus — qui doivent également être prévues durant ces mêmes trois jours — le Sénat ne commence habituellement à siéger qu’à 14 heures. De plus, nous savons que les séances du Sénat sont ajournées plus tôt les mercredis pour permettre aux comités de siéger également en soirée. En toute honnêteté, il est franchement difficile de justifier cette proposition d’ajourner plus tôt les jeudis quand, dans la réalité, notre précieux temps de séance au Sénat est déjà si restreint.

Chers collègues, dans la pratique, la motion no 132 indique que les sénateurs sont disposés à accepter que la rubrique Autres affaires puisse être traitée adéquatement, de façon fiable, une journée par semaine — le mardi —, avec l’espoir que nous puissions glisser certaines de ces affaires avant l’ajournement anticipé les mercredis et jeudis.

Honorables sénateurs, comme elle sert de fondement à l’argument général que j’espère faire valoir, j’aimerais rappeler la décision de la Cour suprême du Canada dans la question du renvoi relatif à la réforme du Sénat de 2014. Dans son jugement, en particulier aux paragraphes 15 et 16 de sa décision, la Cour a confirmé le rôle du Sénat en assurant :

[...] aux régions que leurs voix continueraient de se faire entendre dans le processus législatif, même si elles devenaient minoritaires au sein de l’ensemble de la population canadienne.

Chers collègues, j’aimerais également lire le paragraphe 16 de l’arrêt rendu par la Cour suprême en 2014 :

Avec le temps, le Sénat en est aussi venu à représenter divers groupes sous‑représentés à la Chambre des communes. Il a servi de tribune aux femmes ainsi qu’à des groupes ethniques, religieux, linguistiques et autochtones auxquels le processus démocratique populaire n’avait pas toujours donné une opportunité réelle de faire valoir leurs opinions.

Honorables sénateurs, la Cour suprême a bien cerné ce que nous faisons et ce que nous sommes censés faire ici. Nous nous penchons sur des dossiers dont l’autre endroit s’occupe mal en offrant une voix et une tribune aux groupes qui ont toujours été — et demeurent — mal représentés dans la population en général.

Chers collègues, nous ne devons jamais oublier les responsabilités qui sont inhérentes à notre poste de sénateur, notamment celles-ci :

Premièrement, se conformer aux normes de conduite les plus élevées attendues pour donner l’exemple et préserver la confiance du public. Comment pouvons-nous prétendre nous en acquitter si nous envisageons sérieusement de réduire les débats au Sénat pendant un jour de séance afin de permettre aux sénateurs de rentrer chez eux le jeudi, alors que nous avons déjà le privilège de le faire le lundi et le vendredi? De nombreux sénateurs partent déjà tôt le jeudi.

La deuxième responsabilité consiste à communiquer et à participer à des débats publics, et à chercher sincèrement à comprendre et à respecter le point de vue des autres sénateurs qui sont les porte‑parole de ceux et celles qui n’avaient encore jamais eu l’occasion de faire entendre leur voix. En tant que sénateurs, nous bénéficions des interventions de nos collègues, ce qui nous permet de comprendre la myriade de dossiers dont le Sénat est saisi. Limiter le débat revient à nous limiter tous.

Troisièmement, nous devons exercer les fonctions sénatoriales avec diligence et dans l’intérêt public. Cela suppose non seulement d’accorder de la place aux questions régionales et sous représentées, mais aussi de consacrer suffisamment de temps pour entendre ces questions et en débattre. En outre, cela suppose de permettre aux projets de loi d’être mis aux voix à la fin du débat et de transcender la partisanerie qui a entraîné des inefficacités historiques dans nos activités.

Quatrièmement, nous devons faire la promotion des exigences juridiques ainsi que des valeurs et des objectifs énoncés dans la Constitution, y compris le droit à l’égalité et la protection contre la discrimination illicite. Bon nombre des affaires non gouvernementales dont nous sommes saisis portent sur le racisme institutionnel, géographique et environnemental tant historique qu’actuel, soit des questions qui n’ont jamais été débattues au Sénat. En limitant le débat sur ces affaires et sur des questions semblables, qui reposent sur des exigences juridiques énoncées dans la Constitution, nous obligeons certains groupes, notamment les Premières Nations, à dépendre continuellement des tribunaux et des poursuites pour faire respecter leurs droits constitutionnels.

Je remercie mes collègues de m’avoir écoutée et j’exhorte chacun d’entre vous à agir de sorte que nous fassions collectivement ce qui s’impose afin de ne pas restreindre ni limiter davantage le débat sur les affaires non gouvernementales.

Merci.

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