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Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2023

Troisième lecture--Suite du débat

21 juin 2023


Honorables sénateurs, bonjour, tansi.

En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, le territoire traditionnel des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés et de la patrie de la nation métisse. Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.

Chers collègues, je prends la parole au sujet du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023. Je tiens à souligner certains points qui ont été abordés par les sénateurs précédents. Je remercie le sénateur Loffreda d’avoir parrainé ce projet de loi et je le remercie tout particulièrement de son discours très posé dans lequel il a reconnu ouvertement et équitablement bon nombre des préoccupations et des frustrations exprimées par les sénateurs au sujet des contraintes imposées à l’étude du projet de loi, notamment des contraintes de temps et des préoccupations découlant du caractère omnibus du projet de loi. Je le remercie également d’avoir signalé un grand nombre des observations formulées par de nombreux comités; elles permettront toutes d’améliorer la mise en œuvre du projet de loi si le gouvernement décide d’en tenir compte.

En outre, je souhaite expliquer aujourd’hui ce qu’on ne m’a pas permis d’expliquer lors de notre vote à l’étape de la deuxième lecture, c’est-à-dire la raison de mon abstention. En bref, je suis très préoccupée, à court comme à long terme, par la nature du projet de loi. Je trouve l’utilisation des projets de loi omnibus profondément troublante, car il s’agit d’un indicateur de l’érosion des principes de transparence et de responsabilité démocratiques. L’abstention était une petite façon de faire connaître mes préoccupations.

Comme notre débat précédent l’a clairement montré plus tôt dans la journée, je ne suis pas la seule à être préoccupée par cette question. Il y a tant de façons de faire connaître notre opposition à cette pratique en général, mais en vérité, peu d’entre elles sont efficaces.

Pour moi, c’est la variante la plus abusive de tous les projets de loi omnibus — un projet de loi omni-budgétaire. Cependant, ce type de projets de loi présente un défi particulier, car il s’agit de projets de loi à incidence financière, qui font automatiquement l’objet d’un vote de confiance. Le projet de loi comprend beaucoup de mesures que j’appuie. Cependant, il comprend aussi d’autres parties qui me préoccupent et contre lesquelles j’aurais aimé pouvoir me prononcer et voter, si seulement les dispositions avaient été présentées dans des projets de loi distincts.

Nous avons de nombreuses réserves à l’égard des projets de loi omnibus. Parmi les principales critiques que nous avons, à mon avis, en commun, pensons premièrement, à la complexité délibérée qui nuit à la transparence. Les projets de loi omnibus sont délibérément de plus en plus volumineux et complexes, ce qui complique la tâche aux législateurs et aux Canadiens qui veulent bien comprendre et analyser toutes les dispositions qu’ils contiennent. Ce manque de transparence affaiblit certainement le processus démocratique, car il limite le débat constructif, réduit la surveillance et restreint la participation de la population au processus. Comme l’a dit la sénatrice Marshall dans ses observations, l’imposition d’échéances artificielles a empêché l’étude en profondeur des nombreuses dispositions du projet de loi par le comité.

Deuxièmement, le fait de contourner le processus législatif régulier donne lieu à un débat et à un examen inadéquats. Parce qu’ils franchissent rapidement les étapes du processus législatif, ces projets de loi ne permettent pas des débats et des études en profondeur. En regroupant des dispositions diverses et trop souvent sans lien les unes avec les autres, on cherche à accélérer l’adoption de mesures controversées ou moins populaires en tirant parti de l’inclusion de mesures essentielles. Cette façon de contourner le processus législatif régulier mine les principes des mécanismes de contrôle. Le professeur Ned Franks considère que des mesures législatives de ce type « [...] contrecarrent et contournent les principes normaux qui régissent l’examen parlementaire des mesures législatives ».

Troisièmement, la reddition de comptes y perd. Lorsque diverses dispositions sans lien les unes avec les autres sont regroupées dans un seul projet de loi, ce qui est malheureusement devenu la norme pour les projets de loi d’exécution du budget, il devient difficile pour les législateurs de rendre des comptes. Kevin Wiener, avocat torontois spécialisé en droits de la personne et en droit des réfugiés, a résumé ainsi cette façon d’échapper délibérément à la responsabilité démocratique : « On pourrait croire que le gouvernement tient pour acquis que les grands pouvoirs ne viennent pas avec de grandes responsabilités. »

Adam Dodek, professeur de droit, s’est penché sur l’historique tumultueux des projets de loi omnibus au Canada, citant une décision de la présidence, en l’occurrence le Président Lucien Lamoureux, en 1971. Questionné sur la validité des projets de loi omnibus, il a été contraint de répondre que « [...] le gouvernement s’est conformé à la pratique acceptée jusqu’ici, à tort ou à raison [...] »

Il a ensuite donné cet avertissement sans équivoque :

[...] nous avons peut-être atteint un point extrême, où les bills omnibus embrassent trop de sujets.

[O]ù faut-il nous arrêter? Où est le point de non retour? [N]ous pourrions en arriver à n’être saisi que d’un seul bill au début d’une session, visant [à] améliorer les conditions de vie au Canada et qui comprendrait tous les projets de loi de la session. [...] Mais une telle procédure serait elle acceptable? Il doit exister un point où nous outrepassons ce qui est acceptable du strict point de vue parlementaire.

Comme les gouvernements successifs ont de plus en plus tendance à employer des tactiques omnibus, nous ne verrons peut‑être plus jamais d’incident de sonnerie comme celui de 1982, lorsque la sonnerie d’appel a retenti pendant 15 jours en raison de l’opposition à un projet de loi omnibus du gouvernement. Cette crise a abouti à la division du projet de loi et à la nomination d’un comité chargé d’envisager une réforme des procédures de la Chambre. Fait paradoxal, la question des projets de loi omnibus, pourtant à l’origine de l’étude, n’a pas été abordée dans les recommandations du rapport. Il semble maintenant que personne n’ait vraiment envie de mettre fin aux projets de loi omnibus, surtout dans un contexte où on peut voir clairement les partis se contenter de dénoncer ces procédures antidémocratiques lorsqu’ils ne sont pas au pouvoir, mais les adopter lorsqu’ils sont élus.

Des parlementaires de l’autre endroit dénoncent périodiquement la tactique de contrainte que représente l’emploi d’un projet de loi omnibus. Permettez-moi de citer l’un d’entre eux :

Monsieur le Président, je suis prêt à soutenir que le contenu du projet est tellement hétéroclite que, pour se prononcer par un seul vote, les députés devraient transiger avec leurs principes.

[...] dans l’intérêt de la démocratie, il importe de se demander : comment les députés peuvent-ils représenter leurs électeurs pour ces diverses modifications quand ils doivent voter en bloc?

Nous sommes en faveur de certaines mesures, mais nous nous opposons à d’autres. Comment pouvons-nous exprimer notre point de vue et celui de nos électeurs quand il y a une telle diversité de questions?

Voilà ce qu’a dit Stephen Harper en 1994. Il s’est opposé au projet de loi omnibus sur le budget du gouvernement, qui comptait 24 pages comparativement aux centaines de pages que nous avons vues depuis. À l’évidence, il a changé d’avis après avoir formé le gouvernement en 2006. C’est aussi le cas de l’actuel premier ministre qui, lors de la campagne électorale de 2016, alors qu’il était dans l’opposition, a promis qu’alors que :

M. Harper s’est [...] servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d’étudier ses propositions et d’en débattre convenablement. Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique en modifiant le Règlement de la Chambre des communes.

Les gouvernements de toutes allégeances partisanes entrent en fonction en promettant de mettre un frein à cette pratique, mais ils finissent par y succomber. Comme le décrit le Frontier Centre for Public Policy, basé à Winnipeg, « rien ne contribue plus au cynisme des électeurs que les politiciens qui ont recours à des astuces pour faire prévaloir l’esprit partisan sur le bien commun ».

Cela pourrait être risible si ce n’était pas aussi lamentable. L’équilibre crucial entre l’efficacité législative et la responsabilité démocratique est en train d’être rompu, et nous, honorables collègues, pourrions bien être considérés comme des complices.

Je concentrerai mes dernières remarques sur quelques éléments précis du projet de loi C-47 qui me préoccupent et qui soulignent pourquoi, à mon avis, le fait que le projet de loi budgétaire soit un projet de loi omnibus a affaibli notre rôle en tant que législateurs.

Au sujet de la section 17, qui propose des modifications substantielles à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le sénateur Loffreda a mentionné les observations formulées par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, ou SOCI, qui a signalé que, premièrement, les plafonds imposés au nombre de demandes de réfugiés peuvent entraîner l’exclusion de ceux qui ont le plus besoin de la protection des réfugiés et que, deuxièmement, le recours accru à la prise de décision assistée par l’intelligence artificielle dans le processus de demande d’asile sont très préoccupants.

Une fois de plus, les observations du comité, ainsi que de nombreuses autres, témoignent des dangers des projets de loi omnibus. Chacune des modifications proposées aux lois actuelles sur l’immigration et la citoyenneté est substantielle, avec des ramifications tentaculaires. Elles méritent un examen, une étude et un débat plus approfondis, bien plus qu’il n’a été possible de le faire. J’ai du mal à comprendre en quoi elles sont intrinsèquement liées au processus de mise en œuvre du budget. Ces modifications auraient dû faire l’objet d’une mesure législative distincte et n’auraient pas dû être intégrées dans le projet de loi d’exécution du budget.

Aux dires du gouvernement, les plafonds imposés au nombre de demandes de réfugiés sont nécessaires pour réduire l’arriéré de traitement des demandes, et le parrainage par un groupe de cinq personnes ainsi que le parrainage communautaire sont à l’origine de tous les arriérés à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. C’est ce qu’ont affirmé les responsables de l’immigration qui ont comparu très brièvement devant le comité.

Pendant la pandémie de COVID-19, l’arriéré de demandes d’IRCC a augmenté pour atteindre plus de 2,7 millions de demandes. Cependant, après la pandémie, IRCC a étendu le processus de numérisation des demandes et embauché plus de 1 000 employés supplémentaires. Selon les chiffres d’IRCC, le 26 avril, on comptait 110 661 demandes d’asile à traiter, ce qui comprend 38 681 demandes de parrainage par le gouvernement et 71 980 demandes de parrainage privé. Cependant, selon ce que le ministre Fraser a déclaré pas plus tard qu’en mai 2023, malgré la pandémie de COVID-19 et la récente grève de la fonction publique, IRCC devrait très bientôt pouvoir rétablir les normes de service de l’avant-pandémie pour la plupart des catégories de demandes.

Il est difficile de comprendre comment on peut imposer cette limite au programme de parrainage privé, alors que le ministre a récemment annoncé qu’on allait accroître les services pour d’autres types de demandes d’asile.

Je précise que le parrainage privé, qui comprend le parrainage par les signataires d’une entente de parrainage, le parrainage par un groupe de cinq personnes et le parrainage par des répondants communautaires, contribue au financement servant à l’établissement des réfugiés à hauteur de 135 millions de dollars par année. Le parrainage privé compte pour une grande partie des réfugiés réinstallés au Canada. Le parrainage privé aide le Canada à accueillir chaque année plus de réfugiés que le gouvernement du Canada peut en accueillir à lui seul.

Hier soir, à l’aéroport Pearson, deux jeunes Afghanes sont descendues d’un avion en provenance du Pakistan. Elles ont retrouvé des membres de leur famille, y compris une sœur aînée qui est avocate et qui est arrivée au Canada en tant que réfugiée parrainée par le gouvernement — j’ai facilité son évacuation quelques jours après la chute de Kaboul en 2021. Elles ont aussi retrouvé leur autre sœur aînée qui est médecin; elle est arrivée au Canada il y a à peine quelques jours, en grande partie grâce au soutien de l’Organisation des femmes afghanes, à ses parrains privés et aux interventions d’un autre médecin, notre collègue, le sénateur Ravalia. Cette médecin afghane était une éminente défenseure des droits de la personne dans sa pratique et une porte‑parole de premier plan pour les droits sexuels et génésiques en Afghanistan. Nous avons des documents qui prouvent qu’elle se trouve sur une « liste des personnes à abattre » dressée par les talibans et que sa sécurité au Pakistan était en péril. Les parrainages privés sauvent des vies et ils fournissent du soutien additionnel à l’arrivée pour reconstruire la vie des réfugiés alors qu’ils deviennent des Canadiens productifs et engagés.

Au comité, nous avons appris que le nombre de réfugiés pris en charge par le gouvernement diminuera également annuellement d’ici à 2025. En somme, nous nous retrouvons dans une situation où il y a une hausse modeste des parrainages privés.

En conclusion, je tiens à souligner qu’il y a des préoccupations légitimes au sujet de l’inclusion de tels changements radicaux aux pratiques d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Cela dit, j’estime qu’il s’agit d’un projet de loi assujetti à un vote de confiance et je voterai en faveur parce que le gouvernement doit pouvoir continuer à fonctionner. Merci. Meegwetch.

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