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Le Sénat

Motion tendant à constituer un Comité spécial sur l'indépendance des poursuites judiciaires--Suite du débat

14 mai 2019


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Honorables sénateurs, cette motion est ajournée au nom de l’honorable sénateur Housakos. Je demande le consentement du Sénat pour qu’elle demeure ajournée à son nom à la fin de mon intervention aujourd’hui.

Son Honneur le Président [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer la motion no 474 du sénateur Pratte, motion tendant à constituer un Comité spécial sur l’indépendance des poursuites judiciaires.

Je devais prendre la parole au sujet de cette motion il y a cinq semaines après son dépôt, mais, ce jour-là, la sonnerie a retenti longtemps — trop longtemps —, et il s’en est suivi une série de reports.

Je remercie le sénateur Pratte d’avoir pris le temps de réfléchir à la façon dont le Sénat pourrait jouer son rôle, un rôle complémentaire, dans la crise qui secoue le gouvernement. J’estime que la motion qu’il a déposée répond à cet objectif de façon pragmatique et équilibrée.

À titre de sénatrice et de citoyenne, j’ai été perturbée par les révélations et les allégations liées au traitement du dossier de la firme d’ingénierie québécoise SNC-Lavalin dans les plus hautes sphères du pouvoir à Ottawa. Le fait que l’entreprise au cœur de la tourmente soit entachée de graves accusations de fraude et de corruption me trouble également.

Le Sénat ne joue pas son rôle s’il est une simple caisse de résonnance à ce qui se passe à la Chambre des communes. J’estime que le plan de travail que propose cette motion pour le comité spécial nous donnera l’occasion, si le Sénat l’adopte, de tenter de faire la lumière sur des enjeux qui vont au cœur de nos institutions, comme le rapport entre le politique et le judiciaire et l’intégrité de l’administration de la justice.

Ce mandat est difficile et semé d’embûches, c’est vrai, et nous sommes loin d’être sûrs des résultats, mais quelles sont les options qui s’offrent à nous? Ne rien faire? Rester silencieux? Nous réconforter en nous disant que le danger est trop grand que l’opposition récupère le travail réalisé par le comité spécial pour que nous prenions un tel risque? Aucun de ces choix ne me semble acceptable.

Je crois que cette crise politique qui a ébranlé le gouvernement représente également un test pour le nouveau Sénat qui se veut indépendant. Comment cette indépendance se manifeste-t-elle? Lorsque nous proposons, bien entendu, des amendements pertinents aux lois que nous étudions, amendements dont plusieurs ont été adoptés d’ailleurs. Très bien. J’en suis.

Cependant, au-delà de ce travail méthodique, qui exige concentration et persévérance, je crois que nous avons le devoir de contribuer à éclaircir les enjeux de fond qui ont surgi au cœur de la controverse. Il s’agit d’une crise sans précédent depuis que le mode de nomination des sénateurs a changé. À mon avis, en participant directement à la réflexion publique, dans des circonstances, il est vrai, plus risquées, et en sortant carrément de notre routine législative, nous forgerons et affirmerons notre indépendance.

Le rôle que le Sénat pourrait jouer dans la foulée de cette crise est bien balisé par le mandat du comité spécial qui est proposé. Il ne s’agirait pas d’entendre encore une fois les mêmes acteurs répéter ce qu’ils ont dit ou écrit au Comité de la justice de l’autre endroit. Il ne s’agit pas non plus de se substituer au commissaire à l’éthique et aux conflits d’intérêts, Mario Dion, dont le bureau doit déterminer si le premier ministre a exercé des pressions indues sur la ministre de la Justice et procureure générale. Ce serait du dédoublement.

La motion propose plutôt d’examiner notamment les avantages et les inconvénients d’avoir dans notre système deux fonctions, soit celle de ministre de la Justice et de procureur de la Couronne, assumées par une seule personne, un ministre, un élu faisant partie du Cabinet.

Les experts en droit constitutionnel que j’ai consultés sont unanimement d’avis que c’est une excellente idée de lancer une telle réflexion au Sénat à ce moment-ci. Il y a différents courants de pensée qui méritent d’être approfondis. Dans un camp, on avance qu’il ne faut pas diaboliser les contacts entre le procureur général et le pouvoir politique, car ces contacts et l’échange d’information qui en résulte peuvent donner lieu à de meilleures décisions.

Celui qui, ultimement, exerce le pouvoir de poursuivre possède ainsi davantage de savoir qu’un haut fonctionnaire qui serait, en quelque sorte, prisonnier de sa structure administrative. Il y aurait également une plus grande possibilité de reddition de comptes quand un ministre dûment élu assume les deux fonctions.

Plusieurs experts croient qu’un seul élu peut continuer de cumuler les deux fonctions, à condition d’éliminer le flou artistique découlant de la fameuse doctrine Shawcross, qui prévoit que le procureur général en poste peut prendre conseil auprès de ses collègues ministres à condition de ne pas subir de pressions. Cette doctrine est ambiguë et ne permettrait pas, selon plusieurs juristes, de savoir précisément quel est le code de conduite à adopter. Une loi et des lignes directrices permettraient sans doute de mieux encadrer la fonction de procureur général.

D’autres juristes croient qu’il est grand temps de séparer les deux fonctions, comme en Grande-Bretagne, afin d’éliminer toute considération partisane de l’administration de la justice. La crise politique autour de SNC-Lavalin serait le symptôme d’un problème de structure. Selon cette vision des choses, la loi ne garantit pas une totale indépendance à la direction des poursuites pénales, car cette dernière agit pour le compte et sous l’autorité du procureur général, qui est aussi ministre de la Justice. Le risque est alors trop grand que des décisions politiques du Cabinet puissent avoir une influence sur le rôle du procureur.

L’indépendance du procureur général serait-elle donc mieux garantie s’il n’était pas ministre de la Justice? Y aurait-il, en revanche, une perte de responsabilité et de reddition de comptes? Pour compenser, il faudrait sans doute revoir les mécanismes de contrôle et d’encadrement des décisions d’un procureur, qui n’est pas membre du Cabinet.

On le voit, il y a une foule de questions légitimes à explorer. L’organisation de nos institutions répond-elle aux défis contemporains de transparence et d’impartialité nécessaires pour que le public ait confiance en l’administration de la justice? Ce n’est pas faire dévier le débat que de réfléchir à ces questions, car, en fait, ce qui est extraordinaire et sans précédent dans la crise actuelle, c’est que le détail de conversations normalement confidentielles est devenu public.

Il est plus que probable, selon les experts que nous avons consultés, que, par le passé, il y ait eu des pressions politiques plus ou moins subtiles sur des procureurs en poste sans que le public n’en sache jamais rien, car les acteurs en cause ont gardé le silence au nom de la solidarité ministérielle.

L’autre sujet qui mérite manifestement d’être étudié en profondeur est celui des accords de réparation. Il n’y a pas eu de campagne d’information, pas de transparence, pas de débat public sur les objectifs et les conditions d’admissibilité de ces accords avant que la tempête éclate. Je le regrette.

Il s’agit d’un tout nouvel outil législatif au Canada qui n’a encore jamais été utilisé, mais d’autres pays s’en sont servis, de toute évidence. À mon avis, le Sénat contribuerait à éclairer le débat s’il se penchait sur l’historique de ce genre d’accord ailleurs dans le monde, et aussi s’il nous permettait d’interpréter ce que constitue l’intérêt économique national, un facteur qui ne doit pas être pris en compte par la direction des poursuites pénales pour accorder ou non un accord de réparation.

On a beaucoup entendu que, en raison de cet article, les emplois perdus ne font pas partie des critères à respecter pour conclure un accord de réparation. Cela mérite certainement d’être précisé, car c’est un critère utilisé ailleurs dans le monde. Par ailleurs, la notion d’intérêt économique national — qui fait partie de la Convention sur la lutte contre la corruption de 1997 de l’OCDE — semble avoir une tout autre signification.

Au dire de Donald Johnston, ancien ministre fédéral puis secrétaire général de l’OCDE, lorsque la convention a été signée, on voulait avant tout éviter que les entreprises accusées de corruption prétendent que leurs exportations étaient dans l’intérêt économique national, et que les pots-de-vin étaient dès lors nécessaires pour protéger leurs marchés d’exportation.

Notre Code criminel doit-il être interprété de la même façon? Des experts de ces questions doivent être entendus afin qu’on y voie plus clair. Ces accords de réparation sont complexes et controversés, et il faudrait minimalement que les critères qui s’y appliquent soient plus transparents.

En conclusion, j’espère que les sénateurs, quelle que soit leur allégeance, se rallieront autour de la motion no 474, qui, à mes yeux, évite les écueils partisans et se concentre sur les enjeux de fond soulevés par l’affaire SNC-Lavalin.

Il est vrai que le temps file, et nous n’avons donc pas de temps à perdre. Merci de m’avoir écoutée.

Son Honneur le Président [ - ]

Honorables sénateurs, nous poursuivons le débat sur ce sujet parce que la sénatrice Batters souhaite intervenir. Par la suite, le débat restera toutefois ajourné au nom du sénateur Housakos.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Je vous remercie de ces précisions, Votre Honneur.

Honorables sénateurs, je m’oppose à la motion du sénateur Pratte qui vise à former un Comité spécial sur l’indépendance des poursuites judiciaires, bien que je le félicite de s’intéresser à cet enjeu. Du côté des sénateurs conservateurs, nous commencions à nous demander si les membres du Groupe des sénateurs indépendants souhaitaient discuter du scandale SNC-Lavalin dans lequel le gouvernement Trudeau est embourbé.

Lorsqu’il a présenté sa motion, le sénateur Pratte a demandé aux sénateurs où était la participation du Sénat dans ce dossier. Je lui ai demandé, en retour, où était la sienne.

Depuis la reprise des séances du Sénat, en février, les sénateurs conservateurs travaillent chaque jour avec ardeur pour faire la lumière sur cette affaire nébuleuse. Le sénateur Pratte craint que le Sénat soit perçu comme une institution qui manque de courage et de pertinence. Il a posé la question suivante :

Quand on nous demandera où nous étions quand éclatait cette crise considérable, que répondrons-nous?

Sachez, sénateur Pratte, que je pourrai répondre sans difficulté que je travaillais ici, au Sénat, à demander des comptes au gouvernement Trudeau et à demander au sénateur Harder les vraies réponses que les Canadiens souhaitent obtenir dans cette affaire. Mes collègues conservateurs et moi luttons pour défendre la primauté du droit et la démocratie au Canada.

Nous avons abordé ce sujet à peu près tous les jours pendant la période des questions depuis que le Sénat a repris ses travaux, le 19 février. Nous avons posé 113 questions au total. Les membres du Groupe des sénateurs indépendants, eux? Ils en ont posé trois. Étrangement, le sénateur Pratte n’en a posé aucune. Pour quelqu’un que l’inaction du Sénat dans le scandale qui a éclaboussé le gouvernement Trudeau inquiète autant, il ne semble pas trop curieux.

Le sénateur Pratte a plutôt présenté la motion que voici, que je trouve plutôt faible et qui escamote les enjeux au cœur du scandale SNC-Lavalin au profit de débats rhétoriques et spécieux. Nous n’avons pas besoin d’un comité pour évaluer l’indépendance des procureurs. Celle-ci devrait aller de soi, car il s’agit d’un des fondements de l’appareil de justice.

Le problème, dans l’affaire SNC-Lavalin, c’est que le premier ministre Trudeau et ses plus proches conseillers ont fait fi de l’indépendance des procureurs et de la primauté du droit. Voilà le véritable sujet qui devrait être renvoyé à un comité, pas l’historique de la doctrine de Shawcross ni les débats à savoir si le rôle du ministre de la Justice et celui de procureur général devraient être confiés à deux personnes distinctes.

Même si tel avait été le cas, cela n’aurait absolument rien changé dans le dossier SNC-Lavalin. Le gouvernement Trudeau a voulu inculquer cette idée aux Canadiens parce qu’il était tellement désespéré qu’il était prêt à tout pour éviter qu’on parle des vraies questions. Il a même demandé à une ancienne vice-première ministre libérale et ancienne donatrice de la Fondation Trudeau, Anne McLellan, de se pencher sur la question. Quelle idée époustouflante!

Dans les faits, le projet piloté par Mme McLellan ne fera absolument rien pour prévenir un autre scandale comme celui dans lequel SNC-Lavalin a été impliqué.

En plus de 150 ans d’histoire, jamais le procureur général du Canada n’a eu de la difficulté à respecter le principe de l’indépendance du poursuivant. Seuls le premier ministre Justin Trudeau et ses principaux collaborateurs semblent avoir du mal à saisir le concept. Le gouvernement Trudeau néglige délibérément la distinction qui existe entre le rôle du procureur général et celui des autres ministres. Les libéraux ne comprennent pas cette distinction, et ils n’essaieront pas de comprendre si elle fait obstacle à leurs ambitions politiques.

Tout comité chargé d’étudier l’affaire SNC-Lavalin devrait se poser la question suivante : le premier ministre et ses collaborateurs aux plus hauts échelons du gouvernement ont-ils exercé des pressions sur l’ancienne procureure générale concernant une décision en matière de poursuite qui lui revenait à elle seule — oui ou non? Les Canadiens méritent d’obtenir des réponses sur cette affaire, honorables sénateurs.

Il est question de savoir si les Canadiens peuvent faire confiance au gouvernement Trudeau en ce qui concerne la protection et le respect de la démocratie. Si la réponse est non, le premier ministre Trudeau et son cabinet ont perdu l’autorité morale de gouverner. Si les responsables du gouvernement peuvent prendre des libertés par rapport au principe de l’indépendance du poursuivant dans le dossier SNC-Lavalin, qu’est-ce qui empêcherait un premier ministre d’ordonner des poursuites criminelles contre ses ennemis politiques? Il s’agit d’une pente glissante, et l’affaire est troublante pour tous les Canadiens.

Le sénateur Pratte affirme que tous les faits à ce sujet sont maintenant publics. Rien n’est plus faux. Jody Wilson-Raybould a soutenu que 11 personnes avaient exercé des pressions sur elle dans le cadre de l’affaire SNC-Lavalin. Des 11 personnes qu’elle a nommées, seulement trois ont comparu devant le Comité de la justice de la Chambre des communes avant que la majorité libérale mette fin précipitamment à l’étude du comité.

Le sénateur Pratte a été journaliste pendant longtemps. S’il réalisait un reportage et qu’il était conscient de l’existence de 11 témoins ou sources de première main, est-ce qu’il en interrogerait seulement trois? Plusieurs honorables sénateurs dans cette enceinte ont travaillé comme policiers avant leur nomination au Sénat. Auraient-ils mené une enquête en parlant à uniquement trois des 11 témoins ou personnes d’intérêt? Bien sûr que non. À tous les points de vue, il s’agirait d’une enquête bâclée. Ces personnes manqueraient à leur devoir, et c’est ce que le gouvernement Trudeau a fait dans cette affaire.

La motion du sénateur Pratte comporte de nombreuses lacunes. Par exemple, elle ne fait aucune mention de l’ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould ou de SNC-Lavalin, l’entreprise au cœur de cette sordide affaire. D’ailleurs, la motion passe essentiellement sous silence tous les faits en cause dans le scandale impliquant SNC-Lavalin. Je trouve plutôt alarmant que le sénateur Pratte ait affirmé d’emblée que le comité auquel il propose de renvoyer la question « [...] ne devrait pas avoir pour tâche de faire enquête sur ce qui s’est passé ». Or, c’est justement le problème. Je sais que le gouvernement libéral préférerait éviter toute forme d’enquête. Cependant, je trouve regrettable que la motion du sénateur Pratte permette justement au gouvernement d’éviter cela.

Le premier ministre Trudeau s’est déjà servi de sa majorité pour mettre fin à l’enquête du Comité de la justice de la Chambre des communes avant même que celui-ci tente de faire rapport sur la question. Des témoins importants comme Jody Wilson-Raybould, Gerry Butts et Michael Wernick ont soumis au comité des documents qui n’ont pas été étudiés parce que le gouvernement Trudeau a mis fin à l’étude de façon prématurée. Il a aussi empêché le Comité de l’éthique de se pencher sur la question. Dès qu’on a commencé à prêter attention à la motion du sénateur Smith visant à ce que le Comité sénatorial des affaires juridiques étudie l’affaire SNC-Lavalin, le leader du gouvernement Trudeau au Sénat a tenté unilatéralement de vider la motion de sa substance au point de la rendre inutile.

Le sénateur Plett a présenté une autre motion pour convoquer Jody Wilson-Raybould et d’autres personnes devant le Comité sénatorial des affaires juridiques. Eh bien, vous savez quoi? Le sénateur Pratte croit maintenant que nous devrions créer un tout nouveau comité, mais il veut s’assurer qu’il ne soit pas chargé de découvrir ce qui s’est passé. C’est curieux. Le sénateur Pratte dit craindre jouer le jeu de l’opposition en appuyant une motion des conservateurs. En fait, la motion du sénateur Pratte n’est rien de plus qu’une tentative pour aider le gouvernement Trudeau à poursuivre sa partie de cache-cache. Les Canadiens méritent mieux que cela, surtout quand la primauté du droit est en jeu.

Honorables sénateurs, le sénateur Pratte sait très bien que sa motion soustraira le gouvernement Trudeau à la reddition de comptes. C’est l’objectif. Vous le savez, tout comme moi. Le sénateur Pratte veut examiner tous les aspects du dossier, sauf les faits parce qu’ils sont incriminants et incontournables. Contrairement aux affirmations du premier ministre Trudeau, les gens ne voient pas la vérité d’une façon différente. Il n’y a que la vérité qui existe.

Le premier ministre a donné de nombreuses versions de ce qui est, selon lui, la vérité. Il ne s’y retrouve même plus. Le 15 février, il a dit aux Canadiens qu’il ne savait pas que l’ancienne procureure générale avait l’impression d’avoir subi des pressions indues parce qu’elle ne lui en avait jamais parlé. Or, en avril, en réponse à une question de mon collègue le député conservateur Pierre Poilievre à la Chambre des communes, le premier ministre Trudeau a admis que Jody Wilson-Raybould lui avait demandé en septembre dernier s’il tentait de s’ingérer dans sa décision portant sur les poursuites contre SNC-Lavalin. Le premier ministre Trudeau savait très bien quelle était la position de Jody Wilson-Raybould sur ce dossier. Il ne voulait pas accepter son refus.

La motion du sénateur Pratte propose de créer un tout nouveau comité dont la composition est déterminée par une toute nouvelle formule, qui est différente de celle utilisée actuellement. Je ne crois pas qu’il soit judicieux d’établir un précédent dans les règles du Sénat. Je ne pense pas non plus que ce soit nécessaire. Le sénateur Pratte propose un nouveau comité composé de six membres du Groupe des sénateurs indépendants, de trois membres conservateurs et d’un membre libéral. Le Comité des affaires juridiques, que le sénateur Pratte semble vouloir éviter, est composé de six membres du Groupe des sénateurs indépendants, de quatre membres conservateurs, d’un membre libéral, qui occupe les fonctions de président, et d’un membre non affilié, la sénatrice Jaffer. Le sénateur Pratte n’explique pas vraiment ce choix. Il semble donc que l’objectif est de faire en sorte qu’un sénateur conservateur de moins participe à l’enquête.

Le Groupe des sénateurs indépendants détient déjà la majorité des sièges au sein du Comité des affaires juridiques. Pour quelle raison aurions-nous besoin d’un nouveau comité qui comprendrait un conservateur de moins pour étudier cette question? Serait-ce un cas de tyrannie de la majorité? En principe, un des rôles du Sénat consiste à représenter les intérêts des minorités dans le processus législatif. Cela devrait également comprendre la représentation des points de vue minoritaires.

De plus, que cela plaise ou non au sénateur Pratte, les sénateurs conservateurs jouent le rôle de l’opposition officielle au Sénat. Je sais que bien des sénateurs du côté des banquettes ministérielles et du Groupe des sénateurs indépendants aimeraient bien pouvoir se débarrasser de l’opposition dans cet endroit et faire du Sénat un lieu où l’on entend un seul point de vue, mais notre système ne fonctionne pas de cette façon et ce n’est certainement pas ce qu’il y a de mieux pour la démocratie.

Avec cette motion, le gouvernement tente encore une fois de faire taire l’opposition. Le gouvernement Trudeau adore mettre un frein aux divergences d’opinions. Le premier ministre a tenté d’empêcher Jody Wilson-Raybould de parler en conservant une exigence de confidentialité partielle et, ensuite, en expulsant Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott du caucus. Il reste que la dissimulation d’une éventuelle ingérence politique dans des poursuites criminelles est inacceptable. Les Canadiens ont droit à des réponses, honorables sénateurs.

Mon collègue le sénateur Don Plett a proposé une motion indiquant que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est l’endroit approprié pour tenter de faire toute la lumière sur ce scandale. Je partage son point de vue. Tout d’abord, la plupart des sénateurs faisant partie de ce comité ont un bagage en droit. Il ne sera pas nécessaire de les sensibiliser au concept de l’indépendance de la fonction de poursuivant. Tous les membres du comité devraient bien s’y connaître en la matière.

Le sénateur Serge Joyal, qui préside le comité, est un éminent constitutionnaliste, un universitaire et un parlementaire expérimenté. Il n’a donc pas besoin d’un cours d’introduction à la doctrine de Shawcross. Il a dit publiquement qu’il appuyait l’idée de confier au Comité des affaires juridiques la responsabilité de faire toute la lumière sur le scandale SNC-Lavalin. Bon nombre des membres du comité qui sont des avocats possèdent de l’expérience dans l’interrogatoire de témoins devant un tribunal et pourraient donc établir convenablement les faits pertinents dans cette affaire.

Le sénateur Pratte a laissé entendre qu’il serait bien qu’un comité du Sénat étudie la question des accords de suspension des poursuites. Évidemment, le Comité sénatorial des affaires juridiques, dont le sénateur Pratte fait partie, a déjà étudié les dispositions sur les accords de suspension des poursuites contenues dans le projet de loi C-74, la précédente loi d’exécution du budget du gouvernement Trudeau. Nous n’avons toutefois pas eu autant de temps que nous l’aurions voulu pour étudier ces dispositions, puisque le sénateur Harder a insisté pour que nous renvoyions le projet de loi au Sénat après seulement deux réunions.

Le comité a fait remarquer — à l’unanimité, d’ailleurs — qu’une modification aussi importante au Code criminel n’aurait pas dû être intégrée à un projet de loi omnibus sur le budget. Nous avons également fait une autre observation unanime, à savoir que la ministre de la Justice de l’époque, Jody Wilson-Raybould, ne s’est pas présentée devant le comité pour défendre cette modification majeure du Code criminel, comme le veut l’usage. Nous l’avions invitée à plusieurs reprises à comparaître.

Étant donné tout ce qui s’est passé depuis dans ce dossier, il faut se demander si le gouvernement Trudeau a exercé des pressions pour faire adopter rapidement les dispositions sur les accords de suspension des poursuites justement pour se soustraire à l’examen du Parlement. La réticence de la ministre Wilson-Raybould à comparaître devant le comité pour répondre à des questions sur les accords de suspension des poursuites soulève aussi la question de savoir si elle subissait déjà une pression indue dans le dossier SNC à ce moment-là.

Le sénateur Pratte craint que le Comité des affaires juridiques soit trop occupé pour effectuer une enquête de cette nature. Bien que le gouvernement Trudeau n’ait pas présenté autant de projets de loi ayant trait à la justice que le gouvernement conservateur précédent, les membres du comité sont habitués à avoir un programme législatif chargé.

Si le Comité des affaires juridiques actuel souhaite étudier le scandale SNC-Lavalin, il trouvera une solution. Il est inutile de créer un tout nouveau comité. Les sénateurs qui siègent au Comité des affaires juridiques ont l’expertise nécessaire pour mener une telle étude. De plus, comme je l’ai mentionné, compte tenu de nos travaux antérieurs, nous avons un intérêt particulier pour la question des accords de suspension des poursuites et le rôle qu’a joué l’ancienne procureure générale à cet égard.

Des questions importantes et très sérieuses au sujet de cette affaire demeurent sans réponse, et le comité proposé par le sénateur Pratte est voué à l’échec.

Voilà pourquoi je vous encourage à vous joindre à moi et à vous opposer à la motion du sénateur Pratte. Je vous demande plutôt d’appuyer la motion du sénateur Plett et de renvoyer cette question au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je vous remercie.

La sénatrice Batters accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Batters [ - ]

Oui.

Je n’ai pas pu m’empêcher de me lever pour vous poser une question, étant donné cette charge à fond de train et cet acharnement contre le sénateur Pratte, qui n’est malheureusement pas là aujourd’hui. Comme vous le savez, je me suis prononcée en faveur de cette motion. Pour moi, le fait que vous invoquiez toujours les mêmes motifs pour contrecarrer les arguments des sénateurs indépendants me semble inacceptable. À mon avis, le fait de dire que nous sommes à la solde du gouvernement et que nous ne faisons que répéter les paroles de ce dernier n’a aucun lien avec la motion du sénateur Pratte.

Le comité que veut mettre sur pied le sénateur est un comité spécial, parce que nous manquons justement de temps en cette fin de session pour discuter de ces questions au sein du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Il veut aussi éviter de déterminer quels témoins seront invités, justement pour laisser la liberté au comité de le faire. Il est difficile d’imaginer que ce comité inviterait uniquement Mme Jody Wilson-Raybould à témoigner, alors qu’elle a dit elle-même qu’elle n’avait rien d’autre à ajouter sur cette question. On pourrait croire en effet qu’il serait possible d’en tirer encore quelque chose, mais il est difficile d’imaginer que, en dépit de ce qu’elle a envie de dire, on puisse continuer à la faire parler.

Bref, sénatrice Batters, je me demande pourquoi vous vous acharnez et pourquoi vous ne vous en tenez pas simplement aux faits au lieu de nous imputer des motifs, au sénateur Pratte et moi, alors que nous essayons de proposer une étude sérieuse des enjeux de fond, puisque le Sénat doit jouer un rôle complémentaire et éviter de refaire le travail de la Chambre des communes ou même l’enquête du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique sur cette question.

Son Honneur le Président [ - ]

Je suis désolé, madame la sénatrice Batters, mais votre temps est écoulé. Demandez-vous plus cinq minutes de plus pour répondre aux questions?

La sénatrice Batters [ - ]

J’aurais besoin d’une minute pour répondre à cette question.

Son Honneur le Président [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice Batters [ - ]

Merci, sénatrice. Pour commencer, je pensais avoir assez bien répondu à ces points dans mon discours. Nous discutons de la proposition du sénateur Pratte. J’ai parlé directement de ce qu’il prévoit.

J’ai dit que le Comité sénatorial des affaires juridiques a déjà tout ce qu’il faut. D’ailleurs, nous nous sommes déjà penchés sur ces questions tant lors de l’étude sur les accords de suspension des poursuites que lors de l’examen du rôle particulier de l’ancienne procureure générale dans cette affaire. J’ai mentionné que nous disposions de peu de temps. Non seulement la motion du sénateur Plett indique que Jody Wilson-Raybould viendrait témoigner, mais elle prévoit aussi qu’il pourrait y avoir d’autres personnes, selon ce que déciderait ce comité. La motion prévoit déjà cela.

Selon moi, la motion proposée par le sénateur Pratte ressemble beaucoup à celle que les libéraux ont tenté de présenter à la Chambre des communes et qui ne traitait pas du tout de SNC-Lavalin, mais plutôt d’analyses purement théoriques. Les Canadiens veulent des réponses à propos de SNC-Lavalin. Nous devons nous assurer qu’ils vont obtenir ces réponses, car le gouvernement libéral a écarté trop de possibilités. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett [ - ]

Si vous le permettez, j’ajouterais quelques mots dans ce débat.

Son Honneur le Président [ - ]

Nous poursuivons le débat. Je rappelle aux sénateurs qu’il demeure ajourné au nom du sénateur Housakos.

Le sénateur Plett [ - ]

Je veux dire en quelques mots que je suis d’accord avec la sénatrice Miville-Dechêne, ce qui en étonnera peut-être plusieurs. En effet, nous n’avons pas beaucoup de temps et certaines choses doivent être faites rapidement. Ma motion a été présentée il y a quelque temps. Les sénateurs d’en face se sont ingéniés à retarder les choses et voilà qu’ils font valoir que le temps est limité. Si ma motion avait été acceptée il y a quelques semaines, la question aurait pu être étudiée en détail.

Je suis d’accord avec la sénatrice Miville-Dechêne concernant ce qu’elle vient de dire. Il faut faire avancer les choses. Dans cet ordre d’idée, j’ai un amendement à proposer.

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