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La Loi sur le divorce—La Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales—La Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

21 mars 2019


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer les grands principes du projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce et d’autres lois. Je salue tout d’abord le principe essentiel de ce projet de loi. Dans toute procédure de divorce, le tribunal tiendra uniquement compte de l’intérêt de l’enfant à charge. Ce principe est déjà généralement appliqué par les tribunaux, mais la nouveauté ici est de le codifier et de le mettre au centre de l’analyse, comme le fait d’ailleurs déjà le Code civil du Québec. Cela veut dire que le temps que l’enfant passera avec l’un ou l’autre de ses parents sera déterminé en fonction de l’intérêt propre de chaque enfant. Il n’y a pas d’automatisme — et c’est très bien ainsi.

La société a évolué. Les pères sont de plus en plus présents dans la vie de leurs enfants. Il y a encore des inégalités réelles dans la répartition des tâches et des responsabilités entre les pères et les mères, mais chaque divorce est un cas de figure. Il est plus que temps que le respect absolu de l’intérêt supérieur de l’enfant soit inscrit dans un texte de loi comme facteur déterminant, afin de guider tous les juges, quels que soient les plaidoyers des parents qui peuvent, dans des divorces acrimonieux, tendre à privilégier leurs propres intérêts. Cela fait plus d’une vingtaine d’années que ces lois n’ont pas été modifiées, malgré les appels à la réforme. Avoir des enfants implique de grandes responsabilités. De mon point de vue, il ne fait aucun doute que le bien-être de ceux que l’on met au monde passe avant le nôtre. J’insiste sur ce qui peut apparaître pour certains comme une évidence, car, trop souvent dans ma vie, j’ai vu des cas où des parents divorcés ou séparés faisaient passer leurs préférences et leur liberté avant les intérêts de leurs enfants.

Entendons-nous, il n’est pas toujours évident pour un juge, sur la base des informations qui lui sont fournies, de déterminer quel est l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est une notion qui n’est pas dénuée de subjectivité. Toutefois, l’article 16 du projet de loi fait un effort réel de définition en demandant au tribunal d’accorder une attention particulière au bien-être et à la sécurité physiques, psychologiques et affectifs de l’enfant, considérant plus d’une vingtaine de facteurs nommés dans la loi.

Parlons maintenant de la nouvelle terminologie du projet de loi. Après mûre réflexion, je suis plutôt d’accord avec la plupart des changements de terminologie proposés dans ce projet de loi. Ils sont déroutants à première vue, mais ils se veulent plus inclusifs, à une époque où la définition de la famille change, et surtout, les termes se veulent plus neutres, afin d’éviter que le vocabulaire renforce le climat conflictuel entre les parents et considère les enfants comme des objets. Plutôt que de dire, par exemple, « la mère ou le père a la garde de l’enfant ou des droits de visite », les tribunaux utiliseront désormais des termes qui reflètent les responsabilités des parents envers leurs enfants. On va parler d’ordonnance parentale, de temps parental et de responsabilités décisionnelles. Ces termes peuvent sembler un peu désincarnés. Il faudra s’y habituer. Il y a, bien sûr, un risque qu’ils ne soient pas bien compris au début.

Selon le Barreau du Québec, ce qu’on appelle « les responsabilités décisionnelles des parents », de nouveaux termes dans le projet de loi C-78, sont mieux définies que le concept d’autorité parentale dans le Code civil du Québec. Ces responsabilités touchent notamment les questions suivantes, qui sont énumérées dans le projet de loi C-78, soit la santé, l’éducation, la culture, la langue, la religion, la spiritualité et les activités parascolaires majeures des enfants. Selon le Barreau du Québec, on limite donc ainsi les débats potentiels sur les sujets sur lesquels s’exerce l’autorité parentale . Il faudra donc un grand effort d’éducation et de vulgarisation de cette nouvelle terminologie si on veut qu’elle soit comprise, à un moment où les époux en instance de divorce sont déjà soumis à beaucoup de stress.

J’aimerais maintenant aborder la question de la violence familiale et parler d’un autre ajout important qui rejoint mes préoccupations. Le projet de loi C-78 inclut une définition détaillée de la violence familiale. Il l’évoque comme facteur de décision. La violence est, bien sûr, un sujet difficile, mais il est nécessaire de l’aborder au grand jour, dans tous les contextes pertinents, et un divorce en fait partie. La définition proposée est non exhaustive. Elle donne neuf comportements en exemple et commence ainsi :

violence familiale S’entend de toute conduite, constituant une infraction criminelle ou non, d’un membre de la famille envers un autre membre de la famille, qui est violente ou menaçante, qui dénote, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant ou qui porte cet autre membre de la famille à craindre pour sa sécurité ou celle d’une autre personne — et du fait, pour un enfant, d’être exposé directement ou indirectement à une telle conduite [...]

Voici quelques chiffres qui expliquent pourquoi cette définition se retrouve dans le projet de loi. On parle de 95 000 victimes déclarées de violence familiale. De ce nombre, 10 000 des 17 000 enfants agressés l’ont été par un parent. La violence familiale touche plus souvent les femmes et les filles. En 2017, les femmes demeurent surreprésentées parmi les victimes de violence conjugale. Elles représentent toujours près de huit victimes sur 10. Plus précisément, la violence entre partenaires intimes était le type de violence le plus couramment subi par les femmes victimes de crimes violents en 2017. On parle de 95 000 victimes. Les femmes autochtones, encore une fois, sont touchées de façon disproportionnée par cette violence.

Ce que ces chiffres nous révèlent, et ce qui manque dans ce projet de loi, c’est que cette violence familiale est genrée et que les femmes et les filles sont plus à risque que les hommes. En fait, parce que le projet de loi se doit d’être inclusif — et je comprends cette nécessité — on parle des personnes, des époux, mais jamais des pères et des mères, car les modèles et les réalités des familles changent.

Or, plusieurs groupes d’aide aux victimes de violence conjugale, notamment la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes du Québec, ont réclamé que la notion de violence faite aux femmes soit incluse et définie dans le projet de loi C-78. On peut croire qu’il était dans l’intention du législateur d’inclure la violence conjugale dans la notion de violence familiale et d’en tenir compte, mais ce n’est pas dit en autant de mots et les ressorts de la violence faite aux femmes sont particuliers et peuvent avoir une influence sur les comportements durant les procédures de divorce et après une séparation.

À ce sujet, voici quelques inquiétudes exprimées par des groupes spécialisés en violence faite aux femmes, inquiétudes que je partage. D’abord, pour évaluer l’intérêt de l’enfant, le tribunal doit tenir compte de la capacité et de la volonté des époux de communiquer et de collaborer entre eux. Or, une femme qui a vécu de la violence conjugale ne peut pas collaborer et communiquer avec son ex-conjoint comme si de rien n’était.

Deuxièmement, pour évaluer l’intérêt de l’enfant, le tribunal doit tenir compte du fait que la violence familiale soit ou non dirigée contre l’enfant. Or, pourquoi passe-t-on sous silence parmi ces facteurs la violence conjugale, qui a certainement un effet sur l’enfant? Assurer la sécurité de la mère est aussi une façon de protéger les enfants.

Troisièmement, une femme victime de violence conjugale ne peut pas participer à une séance de médiation avec son ex-conjoint, car elle est trop vulnérable et que ce ne sera pas une relation égalitaire, ce qui est nécessaire pour le succès d’une médiation.

Finalement, la violence et le harcèlement n’arrêtent pas avec un divorce. Il faut tenir compte des antécédents même s’il n’y a pas eu de condamnation et du fait que, après la séparation, les risques sont importants. Évidemment, bien des juges tiennent déjà compte de ces antécédents et de cette violence genrée, mais, pour que cette sensibilité soit généralisée, il faut que le vocabulaire retenu dans le projet de loi mette en lumière la violence faite aux femmes et ses caractéristiques propres.

Hier, nous avons pu entendre à ce propos Linda C. Neilson, professeure émérite et grande spécialiste des questions de violence conjugale à l’Université du Nouveau-Brunswick. Je remercie d’ailleurs le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond, d’avoir organisé cette vidéoconférence. Mme Neilson juge que le projet de loi est certes une avancée, mais regrette qu’il passe sous silence l’inégalité entre les hommes et les femmes et que ce soit encore sur la conjointe que repose le fardeau de prouver les comportements violents du père. Selon Mme Neilson, la violence d’un conjoint ne peut être réduite à un problème de relation de couple, car elle a des conséquences sur toute la famille. Elle est d’avis qu’il faut des mécanismes autour de la procédure de divorce pour évaluer les risques réels de violence et apporter le soutien nécessaire quand le problème n’est pas dévoilé par les victimes. La violence familiale doit être définie clairement comme un abus envers les enfants, comme de la maltraitance, a-t-elle dit.

Pendant cette même session d’information, la juriste Mona Paré, de l’Université d’Ottawa, s’est aussi demandé si la place accordée à l’opinion de l’enfant était suffisante dans le projet de loi C-78 au regard des textes des conventions internationales. Il ne faut pas seulement s’assurer, dit-elle, que l’enfant soit entendu pendant la procédure, mais indiquer quel est le poids de l’opinion de l’enfant dans les arrangements qui seront déterminés par le tribunal.

Le droit de la famille est un domaine de compétence partagée entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Par exemple, au Québec, on bénéficie de la perception automatique des pensions alimentaires, et les modifications proposées dans le projet de loi C-78 pour faciliter la saisie des sommes dues en vertu du droit de la famille fédéral sont bienvenues. Toutefois, il y a aussi une grande différence sociologique entre le Québec le reste du Canada qui fait que le projet de loi C-78 aura moins d’impact au Québec.

Ma province est, en effet, la championne de l’union de fait non seulement au Canada, mais dans toutes les sociétés industrialisées. Les deux tiers des Québécoises âgées de 34 ans et moins — c’est donc la majorité des jeunes femmes — sont des conjointes de fait, et non des femmes mariées, et 63 p. 100 des enfants naissent hors mariage au Québec, ce qui est énorme. De plus, tout comme le mariage, ces unions sont instables et se terminent, dans la moitié des cas, par une séparation 12 ans après le début de la vie commune.

Le défi au Québec est donc grand, et le nouveau gouvernement de François Legault a promis de lancer un processus de réforme. Il est plus que temps, car les conjoints de fait et leurs enfants ne bénéficient absolument pas des mêmes protections que les conjoints mariés en cas de séparation ou de divorce.

En fait, quand il y a rupture d’une union de fait, étant donné le manque de protection juridique du conjoint qui a le revenu d’emploi le plus faible, il y a souvent un appauvrissement des enfants. Les trois quarts des familles monoparentales sont dirigées par les femmes, et la plupart de ces familles monoparentales sont le résultat d’un divorce ou d’une rupture d’union de fait. Le quart de ces familles dirigées par une femme vivent sous le seuil de faible revenu. Je suis d’avis que le conjoint le plus vulnérable — le plus souvent la femme, mais parfois l’homme — ne doit pas assumer seul, au moment de la séparation, les conséquences des choix de couple. Il en va du bien-être des enfants.

En conclusion, une fois que mes collègues se seront prononcés sur le projet de loi C-78, il sera important qu’il soit examiné en profondeur en comité. Merci de m’avoir écoutée.

L’honorable Frances Lankin [ - ]

Madame la sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Absolument.

La sénatrice Lankin [ - ]

Merci beaucoup. J’ai trouvé intéressantes vos observations à la fin de votre allocution sur le fait que la loi au Québec traite les parents différemment selon qu’ils sont mariés ou en union de fait et que, par conséquent, elle prévoit un traitement et des droits différents pour ces familles en ce qui concerne les enfants et les responsabilités parentales. Cela m’a semblé étrange. Je ne sais pas, mais je ne pense pas qu’il en soit ainsi dans toutes les provinces.

Non, en effet.

La sénatrice Lankin [ - ]

Pourriez-vous clarifier cela et nous dire si c’est seulement au Québec, à votre connaissance?

Ce n’est pas seulement au Québec. Il est assez intéressant que vous le mentionniez, d’ailleurs, car le Québec est à l’avant-garde sur certaines questions.

Je vais continuer en français, parce qu’il y a beaucoup de termes techniques, et je m’en excuse. Dans le cas de l’union de fait, le Québec n’a pas révisé cette question depuis très longtemps. Autant nous avons été des pionniers sur certaines questions, autant il n’y a pas eu de consensus social pendant très longtemps pour décider de réviser cette question. On disait justement que, parce que les femmes et les hommes choisissent l’union de fait, on n’imposerait pas de règles. Il y a, bien sûr, des règles pour la pension alimentaire des enfants, mais il n’y a pas de règles pour une compensation quelconque du conjoint le plus faible. Cela fait en sorte que plusieurs se retrouvent dans la pauvreté.

Plusieurs autres provinces, notamment la Colombie-Britannique, ont ajusté leur droit de la famille. Ce n’est pas tout à fait la même chose que le mariage, mais il y a un calcul de l’investissement de chacun des partenaires pour que l’un ou l’autre ne soit pas défavorisé. C’est une grande problématique sociologique au Québec, parce que, même chez les féministes, il y a une division. Certaines disent : « Nous ne touchons pas à l’union de fait, car c’est notre façon de rester libre. » Dans le cas du mariage au Québec, il y a répartition du patrimoine familial. C’est très important. Plusieurs femmes ne veulent pas de ce qui se passe dans le mariage, car elles souhaitent garder leur liberté, mais cette fameuse liberté crée de graves problèmes de pauvreté.

Son Honneur le Président [ - ]

Honorables sécateurs, il est maintenant 18 heures et, conformément à l’article 3-3(1), je suis tenu de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que la Chambre souhaite que nous ne tenions pas compte de l’heure.

Plaît-il aux honorables sénateurs de ne pas tenir compte de l’heure?

Son Honneur le Président [ - ]

La séance est donc suspendue jusqu’à 20 heures.

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