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Le Sénat

Motion visant à encourager les Canadiens à sensibiliser davantage la population à l'ampleur de l'esclavage moderne et à désigner le 22 février Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes--Ajournement du débat

20 février 2020


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Conformément au préavis donné le 18 février 2020, propose :

Que, compte tenu de la déclaration unanime de la Chambre des communes le 22 février 2007 visant à condamner toutes les formes de traite des personnes et d’esclavage, le Sénat :

a) encourage les Canadiens à sensibiliser davantage la population à l’ampleur de l’esclavage moderne au Canada et à l’étranger ainsi qu’à prendre des mesures pour lutter contre la traite des personnes;

b) désigne le 22 février Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en faveur de la désignation du 22 février comme Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes. Ce n’est pas une idée nouvelle. Des efforts en ce sens sont déployés depuis huit ans à la Chambre des communes et au Sénat. Je me joins à cet appel à titre de coprésidente par intérim du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes.

Le 22 février n’est pas une date choisie au hasard. Il y a 13 ans, le 22 février 2007, la Chambre des communes adoptait à l’unanimité une motion condamnant la traite des femmes et des enfants entre les pays dans le but de les exploiter sexuellement. Cette question transcende toute partisanerie. C’est la députée conservatrice Joy Smith qui avait présenté la motion, et elle était cosignée par la députée bloquiste Maria Mourani. Voici ce que disait à l’époque la députée Joy Smith :

Les parlementaires doivent prendre conscience que, un peu partout au Canada, des victimes innocentes sont menacées et détenues contre leur gré, au sein même de nos collectivités. Tandis qu’elles se font violer quotidiennement, leur sort passe inaperçu des Canadiens, qui, sans savoir, continuent leur train-train quotidien.

Depuis ce temps, certains progrès sont indéniables. Depuis huit mois, une ligne d’urgence téléphonique multilingue disponible 24 heures sur 24 est au service des victimes, avec un numéro central, soit le 1-833-900-1010. De plus, l’agence fédérale CANAFE, en collaboration avec les banques, est en mesure d’identifier les dépôts et les paiements suspects qui sont faits la nuit, entre minuit et 6 heures du matin, ce qui permet de repérer les proxénètes. Cette initiative est une première mondiale.

Il y a également plus de dénonciations qu’auparavant. On rapporte 340 violations sérieuses relatives à la traite des personnes entre 2009 et 2016 au Canada, soit 10 fois plus qu’avant. De ce nombre, 95 % des victimes sont des femmes et 72 % d’entre elles ont moins de 25 ans. Il est toutefois bien difficile de préciser l’étendue réelle de cette traite, étant donné sa nature clandestine.

Dans un reportage-choc diffusé par CBC cette semaine, un policier de Durham a parlé de l’horreur des traitements dégradants souvent infligés à ces femmes. Il y a des cas de torture, de viol, et on leur fait manger leurs selles, disait-il. À Durham, grâce à la collaboration des policiers, d’une ex-victime de la traite des personnes et des efforts de sensibilisation dans les écoles, on a réussi à attirer l’attention de la communauté tout entière et à encourager la dénonciation.

Cependant, ailleurs au pays, il reste encore beaucoup à faire en matière de sensibilisation pour changer l’attitude envers la traite des personnes, particulièrement en ce qui a trait au travail forcé ou, ce qui est encore plus fréquent au Canada, à l’exploitation sexuelle. Il est difficile pour le Canadien moyen d’imaginer que la traite des femmes existe au Canada. En outre, celle-ci touche de façon disproportionnée les Autochtones et les femmes autochtones.

L’opinion publique est choquée lorsqu’on entend parler de filles mineures sous l’emprise de gangs de rue qui les désensibilisent en les violant à répétition, qui les gardent captives et les déplacent loin de leur maison afin de mieux les isoler. Or, les femmes adultes peuvent aussi être victimes de la traite des personnes, être manipulées, contrôlées et exploitées par des trafiquants jusqu’à ne plus avoir aucun espoir de pouvoir s’en sortir. Pour ces femmes, la prostitution n’est pas un choix.

En octobre dernier, la police régionale d’York a démantelé un vaste réseau de trafic sexuel et arrêté 31 personnes. La plupart des 12 victimes — il y en aurait une trentaine d’autres qu’on recherche toujours — étaient de jeunes Québécoises qui avaient été envoyées en Ontario et dans l’Ouest canadien. Un policier a affirmé que, même si elles souriaient aux clients, ces femmes n’étaient pas consentantes. Elles étaient sous l’emprise de ce réseau, qui produisait également de fausses pièces d’identité et s’adonnait au trafic de drogue.

Au Canada, on connaît mal le problème du travail forcé. Les victimes et les délinquants sont souvent des étrangers. Parfois, ce sont des personnes qui travaillent comme domestiques sept jours sur sept sans être payées et à qui la famille qui les exploite a retiré leur passeport.

Il y a un an, 43 esclaves mexicains ont été libérés par la police en Ontario dans la région de Barrie. Ces hommes étaient forcés de faire le ménage dans des résidences et étaient sous le joug de trafiquants qui leur donnaient 50 $ par mois.

Sur la scène internationale, ce que l’on appelle l’esclavage moderne comprend le travail forcé, le trafic sexuel et les mariages forcés. Ces phénomènes touchent majoritairement les filles et les femmes qui sont encore, partout sur la planète, victimes d’inégalités et de discrimination. On estime que 4,8 millions de personnes, presque exclusivement des filles et des femmes, sont victimes d’exploitation sexuelle forcée, et que 15 millions de personnes, encore une fois surtout des filles, ont subi un mariage forcé. Une grande partie de ces formes d’exploitation se déroulent loin de nous, dans des pays où de petites filles sont mariées, ou plutôt vendues, à des hommes beaucoup plus âgés. Elles expérimentent des grossesses précoces qui donnent lieu à des complications horribles, comme les fistules.

Déjà, l’Ontario, où les deux tiers des cas de traite des personnes sont rapportés, de même que l’Alberta, ont désigné le 22 février Journée de sensibilisation à la traite des personnes. De nombreux organismes qui luttent contre ces formes d’exploitation souhaitent que cette désignation s’étende à travers le pays afin que les efforts puissent être concertés à un moment précis de l’année pour avoir un maximum d’impact au sein de la population. Les campagnes de sensibilisation permettent, en effet, d’être plus attentif à ce qui se passe dans notre entourage et à des comportements suspects, à des appels à l’aide, que ce soit dans le cas d’une jeune femme prisonnière d’un mariage forcé, d’une autre qui se trouve entre les griffes d’un petit ami proxénète ou d’un nouvel arrivant exploité par son employeur.

J’espère donc que cette motion recueillera votre appui.

Merci.

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